Read Ebook: Tarass Boulba by Gogol Nikolai Vasilevich Viardot Louis Translator
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 619 lines and 50173 words, and 13 pages
Elle ne put continuer.
-- Allons, enfants,dit Boulba.
Adieu, toit paternel! adieu, souvenirs d'enfance! adieu, tout!
CHAPITRE II
Mais d?s longtemps la steppe les avait embrass?s dans son sein verdoyant. L'herbe haute les entourait de tous c?t?s, de sorte qu'on ne voyait plus que les bonnets noirs des Cosaques au-dessus des tiges ondoyantes.
-- Eh, eh, qu'est-ce que cela veut dire, enfants? vous voil? tout silencieux, s'?cria tout ? coup Boulba sortant de sa r?verie. On dirait que vous ?tes devenus des moines. Au diable toutes les noires pens?es! Serrez vos pipes dans vos dents, donnez de l'?peron ? vos chevaux, et mettons-nous ? courir de fa?on qu'un oiseau ne puisse nous attraper.
Et les Cosaques, se courbant sur le pommeau de la selle, disparurent dans l'herbe touffue. On ne voyait plus m?me leurs bonnets; le rapide ?clair du sillon qu'ils tra?aient dans l'herbe indiquait seul la direction de leur course.
Le soleil s'?tait lev? dans un ciel sans nuage, et versait sur la steppe sa lumi?re chaude et vivifiante.
Plus on avan?ait dans la steppe, plus elle devenait sauvage et belle. ? cette ?poque, tout l'espace qui se nomme maintenant la Nouvelle-Russie, de l'Ukraine ? la mer Noire, ?tait un d?sert vierge et verdoyant. Jamais la charrue n'avait laiss? de trace ? travers les flots incommensurables de ses plantes sauvages. Les seuls chevaux libres, qui se cachaient dans ces imp?n?trables abris, y laissaient des sentiers. Toute la surface de la terre semblait un oc?an de verdure dor?e, qu'?maillaient mille autres couleurs. Parmi les tiges fines et s?ches de la haute herbe, croissaient des masses de bleuets, aux nuances bleues, rouges et violettes. Le gen?t dressait en l'air sa pyramide de fleurs jaunes. Les petits pompons de tr?fle blanc parsemaient l'herbage sombre, et un ?pi de bl?, apport? l?, Dieu sait d'o?, m?rissait solitaire. Sous l'ombre t?nue des brins d'herbe, glissaient en ?tendant le cou des perdrix ? l'agile corsage. Tout l'air ?tait rempli de mille chants d'oiseaux. Des ?perviers planaient, immobiles, en fouettant l'air du bout de leurs ailes, et plongeant dans l'herbe des regards avides. De loin, l'on entendait les cris aigus d'une troupe d'oies sauvages qui volaient, comme une ?paisse nu?e, sur quelque lac perdu dans l'immensit? des plaines. La mouette des steppes s'?levait, d'un mouvement cadenc?, et se baignait voluptueusement dans les flots de l'azur; tant?t on ne la voyait plus que comme un point noir, tant?t elle resplendissait, blanche et brillante, aux rayons du soleil... ? mes steppes, que vous ?tes belles!
Nos voyageurs ne s'arr?taient que pour le d?ner. Alors toute leur suite, qui se composait de dix Cosaques, descendait de cheval. Ils d?tachaient des flacons en bois, contenant l'eau-de-vie, et des moiti?s de calebasses servant de gobelets. On ne mangeait que du pain et du lard ou des g?teaux secs, et chacun ne buvait qu'un seul verre, car Tarass Boulba ne permettait ? personne de s'enivrer pendant la route. Et l'on se remettait en marche pour aller tant que durait le jour. Le soir venu, la steppe changeait compl?tement d'aspect. Toute son ?tendue bigarr?e s'embrasait aux derniers rayons d'un soleil ardent, puis bient?t s'obscurcissait avec rapidit? et laissait voir la marche de l'ombre qui, envahissant la steppe, la couvrait de la nuance uniforme d'un vert obscur. Alors les vapeurs devenaient plus ?paisses; chaque fleur, chaque herbe exhalait son parfum, et toute la steppe bouillonnait de vapeurs embaum?es. Sur le ciel d'un azur fonc?, s'?tendaient de larges bandes dor?es et roses, qui semblaient trac?es n?gligemment par un pinceau gigantesque. ?? et l?, blanchissaient des lambeaux de nuages, l?gers et transparents, tandis qu'une brise, fra?che et caressante comme les ondes de la mer, se balan?ait sur les pointes des herbes, effleurant ? peine la joue du voyageur. Tout le concert de la journ?e s'affaiblissait, et faisait place peu ? peu ? un concert nouveau. Des gerboises ? la robe mouchet?e sortaient avec pr?caution de leurs g?tes, se dressaient sur les pattes de derri?re, et remplissaient la steppe de leurs sifflements. Le gr?sillement des grillons redoublait de force, et parfois on entendait, venant d'un lac lointain, le cri du cygne solitaire, qui retentissait comme une cloche argentine dans l'air endormi. ? l'entr?e de la nuit, nos voyageurs s'arr?taient au milieu des champs, allumaient un feu dont la fum?e glissait obliquement dans l'espace, et, posant une marmite sur les charbons, faisaient cuire du gruau. Apr?s avoir soup?, les Cosaques se couchaient par terre, laissant leurs chevaux errer dans l'herbe, des entraves aux pieds. Les ?toiles de la nuit les regardaient dormir sur leurs caftans ?tendus. Ils pouvaient entendre le p?tillement, le fr?lement, tous les bruits du monde innombrable d'insectes qui fourmillaient dans l'herbe. Tous ces bruits, fondus dans le silence de la nuit, arrivaient harmonieux ? l'oreille. Si quelqu'un d'eux se levait, toute la steppe se montrait ? ses yeux diapr?e par les ?tincelles lumineuses des vers luisants. Quelquefois la sombre obscurit? du ciel s'?clairait par l'incendie des joncs secs qui croissent au bord des rivi?res et des lacs, et une longue rang?e de cygnes allant au nord, frapp?s tout ? coup d'une lueur enflamm?e, semblaient des lambeaux d'?toffes rouges volant ? travers les airs.
Nos voyageurs continuaient leur route sans aventure. Nulle part, autour d'eux, ils ne voyaient un arbre; c'?tait toujours la m?me steppe, libre, sauvage, infinie. Seulement, de temps ? autre, dans un lointain profond, on distinguait la ligne bleu?tre des for?ts qui bordent le Dniepr. Une seule fois, Tarass fit voir ? ses fils un petit point noir qui s'agitait au loin:
-- Voyez, mes enfants, dit-il, c'est un Tatar qui galope.
En s'approchant, ils virent au-dessus de l'herbe une petite t?te garnie de moustaches, qui fixa sur eux ses yeux ? la fente mince et allong?e, flaira l'air comme un chien courant, et disparut avec la rapidit? d'une gazelle, apr?s s'?tre convaincu que les Cosaques ?taient au nombre de treize.
-- Eh bien! enfants, voulez-vous essayer d'attraper le Tatar? Mais, non, n'essayez pas, vous ne l'atteindriez jamais; son cheval est encore plus agile que mon Diable.
-- Comme ce dr?le s'est d?velopp?, dit-il en l'examinant. Quel beau corps d'homme!
Enfin, ils d?pass?rent le faubourg et aper?urent plusieurs huttes ?parses, couvertes de gazon ou de feutre, ? la mode tatare. Devant quelques-unes, des canons ?taient en batterie. On ne voyait aucune cl?ture, aucune maisonnette avec son perron ? colonnes de bois, comme il y en avait dans le faubourg. Un petit parapet en terre et une barri?re que personne ne gardait, t?moignaient de la prodigieuse insouciance des habitants. Quelques robustes Zaporogues, couch?s sur le chemin, leurs pipes ? la bouche, les regard?rent passer avec indiff?rence et sans remuer de place. Tarass et ses fils pass?rent au milieu d'eux avec pr?caution, en leur disant:
-- Bonjour, seigneurs!
-- Et vous, bonjour, r?pondaient-ils.
-- Vite, vite, musiciens, plus vite. Thomas, n'?pargne pas ton eau-de-vie aux vrais chr?tiens.
-- Mais ?te donc ta pelisse, lui dit enfin Tarass; vois comme il fait chaud.
-- C'est impossible, lui cria le Zaporogue.
-- Pourquoi?
-- C'est impossible, je connais mon caract?re; tout ce que j'?te passe au cabaret.
-- Ah! si je n'?tais pas ? cheval, s'?cria Tarass, je me serais mis, oui, je me serais mis ? danser moi-m?me!
-- Ah! c'est toi, P?tch?ritza.
-- Bonjour, Kosoloup.
-- D'o? viens tu, Tarass?
-- Et toi, Doloto?
-- Bonjour, Kirdiaga.
-- Bonjour, Gousti.
-- Je ne m'attendais pas ? te voir, R?men.
Et tous ces gens de guerre, qui s'?taient rassembl?s l? des quatre coins de la grande Russie, s'embrassaient avec effusion, et l'on n'entendait que ces questions confuses:
-- Que fait Kassian? Que fait Borodavka? Et Koloper? Et Pidzichok?
Et Tarass Boulba recevait pour r?ponse qu'on avait pendu Borodavka ? Tolopan, ?corch? vif Koloper ? Kisikermen, et envoy? la t?te de Pidzichok sal?e dans un tonneau jusqu'? Constantinople. Le vieux Boulba se mit ? r?fl?chir tristement, et r?p?ta maintes fois:
-- C'?taient de bons Cosaques!
-- Bonjour. Crois-tu en J?sus-Christ?
-- J'y crois, r?pondait l'arrivant.
-- Et ? la Sainte Trinit??
-- J'y crois de m?me.
-- Vas-tu ? l'?glise?
-- J'y vais.
-- Fais le signe de la croix.
L'arrivant le faisait.
? cela se bornait la c?r?monie de la r?ception.
-- Comment, il n'y a pas o?? On peut aller du c?t? des Turcs, ou du c?t? des Tatars.
-- Mais pourquoi ne peut-on pas?
-- Parce que... nous avons promis la paix au sultan.
-- Mais c'est un pa?en, dit Boulba; Dieu et la sainte ?criture ordonnent de battre les pa?ens.
-- Nous n'en avons pas le droit. Si nous n'avions pas jur? sur notre religion, peut-?tre serait-ce possible. Mais maintenant, non, c'est impossible.
-- Comment, impossible! Voil? que tu dis que nous n'avons pas le droit; et moi j'ai deux fils, jeunes tous les deux, qui n'ont encore ?t? ni l'un ni l'autre ? la guerre. Et voil? que tu dis que nous n'avons pas le droit, et voil? que tu dis qu'il ne faut pas que les Zaporogues aillent ? la guerre!
-- Non, ?a ne convient pas.
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page