Read Ebook: Nouvelles Asiatiques by Gobineau Arthur Comte De
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Ebook has 1384 lines and 103759 words, and 28 pages
NOUVELLES
ASIATIQUES
PAR
COMTE DE GOBINEAU
NOUVELLE ?DITION
PR?C?D?E D'UN
AVANT-PROPOS DE T. DE VISAN
PARIS
LIBRAIRIE ACAD?MIQUE
PERRIN ET Cie, LIBRAIRES-?DITEURS
AVANT-PROPOS
Si les lecteurs allemands, depuis une vingtaine d'ann?es, gr?ce ? de g?n?reuses et intelligentes initiatives, sont familiaris?s avec l'oeuvre du comte de Gobineau, il n'en est pas de m?me en France o? l'ethnologue a fait tort ? l'homme de lettres et ? l'artiste.
La v?rit? est tout autre. Gobineau fut diplomate par occasion, mais ?crivain de m?tier et l'homme le plus ?loign? qui soit de tout p?dantisme, bref, le plus fran?ais. D?s l'?ge de vingt ans il entre dans la carri?re des lettres et ne quitte la plume que le jour de sa mort. D?j? M?rim?e, un de ses intimes, s'?tonnait de cette f?condit? intellectuelle. Romans, ?pigraphie, drames, histoire des peuples, po?mes lyriques, arch?ologie, r?cits de voyage, philosophie compar?e, Gobineau s'est essay? dans les genres les plus divers et a excell? dans la plupart. Sa culture encyclop?dique, jointe ? une curiosit? insatiable et ? une imagination extraordinaire, l'entra?nait dans les voies les plus oppos?es.
Ajoutez ? cela une promenade perp?tuelle ? travers des pays exotiques, des races tr?s anciennes et qui furent la jeunesse du monde, des horizons magnifiques, contempl?s tour ? tour avec des yeux de savant et des yeux de po?te, un cerveau admirablement organis? et un go?t tr?s s?r quoique tr?s original--et vous vous ?tonnerez moins de voir une intelligence saine et active pousser des prolongements dans tous les domaines de l'esprit, de m?me qu'un bel arbre ?tend ses racines autour de lui en ?ventail.
Cette oeuvre compos?e de deux douzaines de volumes, si vari?e dans ses r?alisations, accuse une r?elle unit? de pens?e. Une id?e directrice relie les romans aux ouvrages d'?rudition, les po?mes aux ?tudes scientifiques, en sorte que porter un jugement sur le comte de Gobineau est fort hasardeux, avant d'avoir ?puis? la substance de tous ses livres compl?t?s les uns par les autres. C'est l? le myst?re d'une vie bien organis?e.
Ces ouvrages ne sont pas accessibles au m?me degr?. Gravir ? contretemps l'?chelle de l'initiation c'est risquer de s'essouffler. Chaque ?me poss?de ainsi des chemins plus ou moins familiers.
On ne se rend pas tr?s bien compte de ce que vaut un moraliste, ? quoi il sert depuis le temps que cette secte parasite s'est pr?sent?e dans le monde; et les innombrables censures qu'elle m?rite par l'inconsistance de son point de d?part, l'incoh?rence de ses remarques, la l?g?ret? de ses d?ductions, auraient bien d? faire classer, depuis des si?cles, ses adeptes au nombre des bavards pr?tentieux qui parlent pour parler et alignent des mots pour se les entendre dire. Au nombre des non-valeurs que l'on doit aux moralistes, il n'en est pas de plus compl?te que cet axiome: <
Oui les ?mes sont fort ?loign?es les unes des autres, et Gobineau ajoute:
Au rebours de ce qu'enseignent les moralistes, les hommes ne sont nulle part les m?mes. On s'aper?oit sans peine qu'un Chinois poss?de deux bras et deux jambes, deux yeux et un nez comme un Hottentot ou un bourgeois de Paris; mais il n'est pas n?cessaire de causer une heure avec chacun de ces ?tres pour s'apercevoir et conclure qu'aucun lien intellectuel et moral n'existe entre eux, si ce n'est la conviction qu'il faut manger quand on a faim et dormir quand le sommeil presse....
...Dans les Nouvelles ici rassembl?es, le but qu'on s'est propos? a donc ?t? de montrer un certain nombre de vari?t?s de l'esprit asiatique et en quoi cet esprit, observ? en g?n?ral, s'?loigne du n?tre. Ce sont les observateurs p?n?tr?s de cette v?rit? qui se sont montr?s les plus propres ? vivre au milieu des Persans, des Afghans, des Turcs et des gens du Caucase. Quand on l'a oubli?e et qu'on se place ensuite en face de ces populations avec l'intention de les d?crire, on ne formule plus ? leur ?gard que des jugements ridicules; on se borne ? les trouver perverses et rien que perverses, par cela seul qu'elles ne ressemblent pas aux Europ?ens. La conclusion n?cessaire ? tirer de ce jugement serait qu'elles repr?sentent la corruption, tandis que les Occidentaux sont la vertu. Afin de ne pas tomber dans un pareil non-sens, il ne faut pas parler des Asiatiques en moraliste.
Ces Nouvelles furent ?crites ? Stockholm durant que Gobineau ?tait ministre de France en Su?de. Il atteignait la soixantaine et revivait pour son plaisir une existence assez mouvement?, promen?e avec d?lices aux quatre coins de l'Orient.
On peut donc s'expliquer que lorsque les hommes ont go?t? une fois de ce genre d'existence, ils n'en peuvent plus subir un autre. Amants de l'impr?vu, ils le poss?dent ou plut?t s'abandonnent ? lui du soir au matin, et du matin jusqu'au soir; avides d'?motions, ils en sont abreuv?s; curieux, leurs yeux sont constamment en r?gal; inconstants, ils n'ont pas le temps m?me de se lasser de ce qui les quitte; passionn?s enfin pour la sensation pr?sente, ils sont d?barrass?s ? la fois des ombres du pass?, qui ne sauraient les suivre dans leur ?volution incessante, et encore bien plus des pr?occupations de l'avenir ?cras?es sous la pr?sence imp?rieuse de ce qui est l?.
On comprend ? quel point ce mode de vivre exalte notre auteur, plus que quiconque <
TANCR?DE DE VISAN.
Mars 1913.
INTRODUCTION
Je n'ai pas eu seulement pour but de pr?senter, apr?s Morier, l'immoralit? plus ou moins consciente des Asiatiques et l'esprit de mensonge qui est leur ma?tre; je m'y suis attach? pourtant, mais cela ne me suffisait pas. Il m'a paru ? propos de ne pas laisser en oubli la bravoure des uns, l'esprit sinc?rement romanesque des autres; la bont? native de ceux-ci, la probit? fonci?re de ceux-l?; chez tels, la passion patriotique pouss?e au dernier exc?s; chez tels, la g?n?rosit? compl?te, le d?vouement, l'affection; chez tous, un laisser-aller incomparable et la tyrannie absolue du premier mouvement, soit qu'il soit bon, soit aussi qu'il soit des pires. Je n'ai pas cherch? davantage ? peindre un paysage unique, et c'est pourquoi j'ai transport? le lecteur tant?t dans les aouls des Tjerkesses, tant?t dans les villes turques ou persanes ou afghanes, tant?t au sein des vall?es fertiles, souvent au milieu des plaines arides et poussi?reuses; mais malgr? le soin apport? par moi ? r?unir des types diff?rents, sous l'empire de pr?occupations vari?es et au sein de r?gions tr?s dissemblables, je suis loin de penser que j'aie ?puis? le tr?sor dans lequel je plongeais les mains.
L'Asie est un pays si vieux, qui a vu tant de choses et qui de tout ce qu'il a vu a conserv? tant de d?bris ou d'empreintes, que ce qu'on y observe est multipli? ? l'infini. J'ai agi de mon mieux pour saisir et garder ce qui m'?tait apparu de plus saillant, de mieux marqu?, de plus ?tranger ? nous. Mais il reste tant de choses que je n'ai pu m?me indiquer! Il faut se consoler en pensant qu'euss?-je ?t? plus enrichi, j'aurais diminu? de peu la somme des curiosit?s int?ressantes demeur?es intactes dans la mine.
C'est un sentiment commun ? tous les artisans que de vouloir restreindre leur t?che et la rendre plus prompte ? se terminer. L'ouvrier qui fait une table ou tourne les barreaux d'une chaise n'est pas plus enclin ? cette paresse que le philosophe attach? ? la solution d'un probl?me. Celui-ci poursuit un r?sultat tout comme l'autre, et, d'ordinaire, n'est pas assez difficile sur la valeur absolue de ce qu'il ?labore et dont il se contente comme d'un r?sultat effectif et de bon aloi. Parmi les hommes vou?s ? l'examen de la nature humaine, les moralistes surtout se sont press?s de tirer des conclusions de belle apparence; ils s'en sont tenus l?, et, par cons?quent, ils se perdent dans les phrases. On ne se rend pas tr?s bien compte de ce que vaut un moraliste, ? quoi il sert depuis le temps que cette secte parasite s'est pr?sent?e dans le monde; et les innombrables censures qu'elle m?rite par l'inconsistance de son point de d?part, l'incoh?rence de ses remarques, la l?g?ret? de ses d?ductions, auraient bien d? faire classer, depuis des si?cles, ses adeptes au nombre des bavards pr?tentieux qui parlent pour parler et alignent des mots pour se les entendre dire. Au nombre des non-valeurs que l'on doit aux moralistes, il n'en est pas de plus compl?te que cet axiome: <
Au rebours de ce qu'enseignent les moralistes, les hommes ne sont nulle part les m?mes. On s'aper?oit sans peine qu'un Chinois poss?de deux bras et deux jambes, deux yeux et un nez comme un Hottentot ou un bourgeois de Paris; mais il n'est pas n?cessaire de causer une heure avec chacun de ces ?tres pour s'apercevoir et conclure qu'aucun lien intellectuel et moral n'existe entre eux, si ce n'est la conviction qu'il faut manger quand on a faim et dormir quand le sommeil presse. Sur tous les autres sujets, la mani?re de colliger des id?es, la nature de ces id?es, l'accouplement de ces id?es, leur ?closion, leur floraison, leurs couleurs, tout diff?re. Pour le n?gre de la contr?e au sud du lac Tjad, il est raisonnable, indispensable, louable, pieux, de massacrer l'?tranger aussit?t qu'on le peut saisir, et si on lui arrache le dernier souffle du corps au moyen d'une torture finement gradu?e, modul?e et appliqu?e, tout n'en est que mieux et la conscience de l'op?rateur s'en trouve ? merveille. Laissez tomber le m?me ?tranger dans les mains d'un Arabe d'?gypte, celui-ci n'aura ni paix ni tr?ve, ni repos ni contentement que de fa?on ou d'autre il ne lui ait arrach? son dernier sou, et, s'il est possible, retir? jusqu'? sa chemise. Le N?gre et l'Arabe ne s'entendent assur?ment pas sur la mani?re de traiter l'humanit?. Mais supposez-les tous les deux en conf?rence avec saint Vincent de Paul? Quel sera le point commun entre ces trois natures? Introduisez un moraliste comme juge de l'entretien, pensez-vous qu'il soit en droit de soutenir, comme il l'aura fait jusqu'alors, que les hommes sont partout les m?mes? En droit, assur?ment, non; en fait, il n'y manquera pas, pour le triomphe du syst?me et la simplicit? du m?canisme.
C'est parce que les hommes sont partout essentiellement diff?rents que leurs passions, leurs vues, leur fa?on d'envisager eux-m?mes, les autres, les croyances, les int?r?ts, les probl?mes dans lesquels ils sont engag?s, c'est pour cela que leur ?tude pr?sente un int?r?t si vari? et si vif, et qu'il est important de se livrer ? cette ?tude, pour peu que l'on tienne ? se rendre compte du r?le que les hommes, et non pas l'homme, remplissent au milieu de la cr?ation. C'est l? ce qui donne ? l'histoire sa valeur, ? la po?sie une partie de son m?rite, au roman toute sa raison d'?tre.
Dans les Nouvelles ici rassembl?es, le but qu'on s'est propos? a donc ?t? de montrer un certain nombre de vari?t?s de l'esprit asiatique et en quoi cet esprit, observ? en g?n?ral, s'?loigne du n?tre. Ce sont les observateurs p?n?tr?s de cette v?rit? qui se sont montr?s les plus propres ? vivre au milieu des Persans, des Afghans, des Turcs et des gens du Caucase. Quand on l'a oubli?e et qu'on se place ensuite en face de ces populations avec l'intention de les d?crire, on ne formule plus ? leur ?gard que des jugements ridicules: on se borne ? les trouver perverses, et rien que perverses, par cela seul qu'elles ne ressemblent pas aux Europ?ens. La conclusion n?cessaire ? tirer de ce jugement serait qu'elles repr?sentent la corruption, tandis que les Occidentaux sont la vertu. Afin de ne pas tomber dans un pareil non-sens, il ne faut pas parler des Asiatiques en moraliste.
Peut-?tre aussi trouvera-t-on quelque avantage ? se rendre compte de ce que sont devenus aujourd'hui les premiers civilisateurs du monde, les premiers conqu?rants, les premiers savants, les premiers th?ologiens que la plan?te ait connus. Leur s?nilit? donnera probablement ? r?fl?chir sur certains signes qui se produisent actuellement en Europe, et qui ne sont pas sans pr?senter des analogies avec la m?me d?cr?pitude.
NOUVELLES ASIATIQUES
LA DANSEUSE DE SHAMAKHA
CAUCASE
Don Juan Moreno y Rodil ?tait lieutenant dans les chasseurs de S?govie, quand son r?giment se trouva entra?n? ? prendre part ? une insurrection militaire qui ?choua. Deux majors, trois capitaines et une couple de sergents furent pris et fusill?s. Quant ? lui, il s'?chappa, et, apr?s avoir err? pendant quelques mois en France, dans un ?tat fort mis?rable, il r?ussit, au moyen de quelques connaissances qu'il s'?tait faites, ? se procurer un brevet d'officier au service de Russie, et re?ut l'ordre d'aller rejoindre son corps au Caucase o?, dans ce temps-l?, bonne et rude guerre ?tait le pain quotidien.
Le lieutenant Moreno s'embarqua ? Marseille. Il ?tait naturellement d'une humeur assez aust?re; son exil, sa mis?re et, plus que tout cela, le chagrin profond de quitter pour bien des ann?es au moins une femme qu'il adorait, redoublaient ses dispositions naturelles, de sorte que personne moins que lui n'?tait tent? de rechercher les joies de l'existence.
A force de naviguer, le b?timent qui le portait vint prendre terre au fond de la mer Noire, ? la petite ville de Poti. C'?tait alors le port principal du Caucase du c?t? de l'Europe.
Sur une plage, sablonneuse en partie, en partie boueuse, couverte d'herbes de mar?cage, une for?t ?paisse, ? moiti? plong?e dans l'eau, s'?loignait ? l'infini dans l'int?rieur des terres, en suivant le cours d'un fleuve large, au lit tortueux, plein de roches, de fanges et de troncs d'arbres ?chou?s. C'?tait le Phase, la rivi?re d'or de l'antiquit?, aujourd'hui le Rioni. Au milieu d'une v?g?tation vigoureuse, ici r?gne la fi?vre, et tout ce qui appartient ? la nature mouvante en souffre autant que la nature v?g?tale y prosp?re. La fi?vre a usurp? l? en souveraine le sceptre d'Act? et des enfants du Soleil. Les maisons, construites au milieu des eaux stagnantes et sur les souches des grands arbres ?lagu?s, s'?l?vent en l'air sur des pilotis afin d'?viter les inondations; d'?normes trottoirs de planches les unissent les unes aux autres; les toits lourds couverts de bardeaux projettent en avant leur carapace ?paisse et garantissent, autant que faire se peut, des pluies fr?quentes, les crois?es ?troites de ces habitations semblables ? des coques d'escargot.
Moreno fut saisi par l'aspect de ces nouveaut?s. A bord de son navire, on connut sa qualit? d'officier russe, et il ?tait annonc? comme tel d?s son d?barquement. C'est pourquoi, dans une rue assez large o? il errait d?pays?, il vit venir ? lui un grand jeune homme extr?mement blond, le nez sensiblement aplati, les yeux brid?s en l'air et la l?vre sup?rieure orn?e d'une petite moustache rare, h?riss?e comme celle d'un chat. Ce jeune homme n'?tait pas beau, mais leste, d?coupl?, et avait l'air ouvert et cordial. Il portait la tunique d'officier du g?nie et l'aiguillette d'argent, particuli?re aux membres de ce corps qui se sont distingu?s dans leurs ?tudes. Sans s'arr?ter ? l'accueil r?serv? de Don Juan, ce gar?on lui tint brusquement, en fran?ais, le petit discours que voici:
--Monsieur, j'apprends ? la minute qu'un officier aux dragons d'Im?r?thie se trouve ? Poti, allant rejoindre son corps ? Bakou. Cet officier, c'est vous-m?me. Comme camarade je viens me mettre ? votre disposition. Je fais la m?me route que vous. S'il vous pla?t, nous voyagerons ensemble, et, pour commencer, je sollicite l'honneur de vous offrir un verre de champagne au Grand H?tel de Colchide que vous apercevez l?-bas. D'ailleurs, si je ne me trompe, l'heure du d?ner n'est pas loin, j'ai invit? quelques amis et vous ne me refuserez pas le plaisir de vous les pr?senter.
Tout cela fut dit de bonne gr?ce, avec cet air s?millant, dont les Russes ont h?rit? depuis que les Fran?ais, qui passent pour l'avoir invent?, l'ont perdu.
L'exil? espagnol accepta la main du nouveau venu, et lui r?pondit:
--Monsieur, je m'appelle Juan Moreno.
--Moi, monsieur, je m'appelle Assanoff, c'est-?-dire je m'appelle en r?alit? Mourad, fils de Hassan-Khan; je suis Russe, c'est-?-dire Tatare de la province de Shyrcoan et musulman, pour vous servir, c'est-?-dire ? la fa?on dont aurait pu l'?tre M. de Voltaire, grand homme! et dont je lis avec plaisir les ouvrages, quand je n'ai pas sous la main ceux de M. Paul de Kock.
A leur entr?e dans la salle de l'h?tel o? le couvert ?tait mis, les deux officiers trouv?rent leurs convives d?j? r?unis, buvant ? petits coups de l'eau-de-vie de grains, et mangeant du caviar et du poisson sec, dans le but d'irriter leur app?tit. De ces convives quelques-uns m?ritent tout au plus d'?tre mentionn?s: deux commis fran?ais dont l'un venait au Caucase pour acheter de la graine de vers ? soie, et l'autre pour se procurer des loupes d'arbres; un Hongrois, voyageur taciturne; un passementier saxon allant en Perse chercher fortune.
Ce ne sont l? que des comparses ?trangers ? notre histoire. Nous nous attacherons davantage ? ceux qui suivent. D'abord se pr?sentait la ma?tresse de la maison, Mme Marron , laquelle devait pr?sider le festin.
C'?tait une bonne grosse personne; elle avait certainement franchi la quarantaine, mais nullement laiss? de l'autre c?t? de cette fronti?re la pr?tention de s?duire: du moins ses regards fort aiguis?s l'affirmaient et tenaient le pied de guerre. Mme Marron , haute en couleurs, d?passant peut-?tre, dans l'envergure enti?re de sa personne, une mesure modeste de moyens de plaire, les d?veloppant, au contraire, avec une g?n?rosit? prodigue, portait des boucles noires r?pandues en cascades le long de ses joues et ralliant sa ceinture d'un air fort aga?ant. Cette dame avait une conversation vive, relev?e d'expressions pittoresques et anim?e par l'accent marseillais. La maison ?tait tenue au nom de Marron , comme on l'a appris d?j?; mais ce que les confidents les plus intimes de Mme Marron savaient sur le compte de cet ?poux, se bornait ? dire qu'ils ne l'avaient jamais connu et n'en avaient entendu parler que par sa femme, qui, de temps en temps, de loin en loin, trahissait l'espoir de le voir enfin arriver. Fait plus certain, la belle ma?tresse du Grand H?tel de Colchide ? Poti s'?tait fait longtemps remarquer ? Tiflis, sous le nom de L?ocadie; elle y avait ?t? modiste, et l'arm?e du Caucase enti?re, infanterie, cavalerie, artillerie, g?nie et pontonniers , s'?tait inclin?e sans r?sistance sous le pouvoir de ses perfections.
--Je le sais bien, dit Assanoff ? Moreno en lui racontant en gros ces circonstances, je le sais bien! L?ocadie n'est ni jeune, ni tr?s jolie; mais que voulez-vous faire ? Poti? Le diable y est plus malin qu'ailleurs, et, songez donc! une Fran?aise, une Fran?aise ? Poti! Comment voulez-vous qu'on r?siste?
Il pr?senta ensuite son camarade ? un homme fort grand de taille, vigoureux, blond, avec des yeux gris p?le, de grosses l?vres, un air de jovialit? convaincue. C'?tait un Russe. Ce colosse souriait, portait un costume de voyage peu ?l?gant, mais commode, et qui trahissait d'abord l'intention arr?t?e d'?viter toute g?ne. Gr?goire Ivanitch Vialgue ?tait un propri?taire riche, une sorte de gentilhomme campagnard et, en m?me temps, un sectaire. Il appartenait ? une de ces ?glises r?prouv?es, mais toujours pr?sentes dans le christianisme, ? une de ces ?glises, que les grandes communions extirpent de temps en temps par le fer et par la flamme, mais qui, pareilles aux tra?n?es du chiendent, conservent quelque bouture inaper?ue et reparaissent. C'?tait, en un mot, un Doukhoboretz ou <
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