Read Ebook: Contes de la Becasse by Maupassant Guy De
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page
Ebook has 1088 lines and 37154 words, and 22 pages
GUY DE MAUPASSANT
CONTES DE LA B?CASSE
SEIZI?ME ?DITION
PARIS
LA B?CASSE
Le vieux baron des Ravots avait ?t? pendant quarante ans le roi des chasseurs de sa province. Mais, depuis cinq ? six ann?es, une paralysie des jambes le clouait ? son fauteuil, et il ne pouvait plus que tirer des pigeons de la fen?tre de son salon ou du haut de son grand perron.
Le reste du temps il lisait.
C'?tait un homme de commerce aimable chez qui ?tait rest? beaucoup de l'esprit lettr? du dernier si?cle. Il adorait les contes, les petits contes polissons, et aussi les histoires vraies arriv?es dans son entourage. D?s qu'un ami entrait chez lui, il demandait:
--Eh bien, quoi de nouveau?
Et il savait interroger ? la fa?on d'un juge d'instruction.
Par les jours de soleil il faisait rouler devant la porte son large fauteuil pareil ? un lit. Un domestique, derri?re son dos, tenait les fusils, les chargeait et les passait ? son ma?tre; un autre valet, cach? dans un massif, l?chait un pigeon de temps en temps, ? des intervalles irr?guliers, pour que le baron ne f?t pas pr?venu et demeur?t en ?veil.
Et, du matin au soir, il tirait les oiseaux rapides, se d?solant quand il s'?tait laiss? surprendre, et riant aux larmes quand la b?te tombait d'aplomb ou faisait quelque culbute inattendue et dr?le. Il se tournait alors vers le gar?on qui chargeait les armes, et il demandait, en suffoquant de gaiet?:
--Y est-il, celui-l?, Joseph! As-tu vu comme il est descendu?
Et Joseph r?pondait invariablement:
--Oh! monsieur le baron ne les manque pas.
A l'automne, au moment des chasses, il invitait, comme ? l'ancien temps, ses amis, et il aimait entendre au loin les d?tonations. Il les comptait, heureux quand elles se pr?cipitaient. Et, le soir, il exigeait de chacun le r?cit fid?le de sa journ?e.
Et on restait trois heures ? table en racontant des coups de fusil.
C'?taient d'?tranges et invraisemblables aventures, o? se complaisait l'humeur h?bleuse des chasseurs. Quelques-unes avaient fait date et revenaient r?guli?rement. L'histoire d'un lapin que le petit vicomte de Bourril avait manqu? dans son vestibule les faisait se tordre chaque ann?e de la m?me fa?on. Toutes les cinq minutes un nouvel orateur pronon?ait:
--J'entends: <
Et tous, ?tonn?s, mais r?ciproquement cr?dules, s'extasiaient.
Mais il existait dans la maison une vieille coutume, appel?e le <
Au moment du passage de cette reine des gibiers, la m?me c?r?monie recommen?ait ? chaque d?ner.
Comme ils adoraient l'incomparable oiseau, on en mangeait tous les soirs un par convive; mais on avait soin de laisser dans un plat toutes les t?tes.
Alors le baron, officiant comme un ?v?que, se faisait apporter sur une assiette un peu de graisse, oignait avec soin les t?tes pr?cieuses en les tenant par le bout de la mince aiguille qui leur sert le bec. Une chandelle allum?e ?tait pos?e pr?s de lui, et tout le monde se taisait, dans l'anxi?t? de l'attente.
Puis il saisissait un des cr?nes ainsi pr?par?s, le fixait sur une ?pingle, piquait l'?pingle sur un bouchon, maintenait le tout en ?quilibre au moyen de petits b?tons crois?s comme des balanciers, et plantait d?licatement cet appareil sur un goulot de bouteille en mani?re de tourniquet.
Tous les convives comptaient ensemble, d'une voix forte:
--Une,--deux,--trois.
Et le baron, d'un coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou.
Celui des invit?s que d?signait, en s'arr?tant, le long bec pointu devenait ma?tre de toutes les t?tes, r?gal exquis qui faisait loucher ses voisins.
Il les prenait une ? une et les faisait griller sur la chandelle. La graisse cr?pitait, la peau rissol?e fumait, et l'?lu du hasard croquait le cr?ne suiff? en le tenant par le nez et en poussant des exclamations de plaisir.
Et chaque fois les d?neurs, levant leurs verres, buvaient ? sa sant?.
Puis, quand il avait achev? le dernier, il devait, sur l'ordre du baron, conter une histoire pour indemniser les d?sh?rit?s.
Voici quelques-uns de ces r?cits:
CE COCHON DE MORIN
<>. Pourquoi, diable, n'ai-je jamais entendu parler de Morin sans qu'on le trait?t de <
Labarbe, aujourd'hui d?put?, me regarda avec des yeux de chat-huant. <
J'avouai que je ne savais pas l'histoire de Morin. Alors Labarbe se frotta les mains et commen?a son r?cit.
< --< --< Morin se trouvait dans cet ?tat, quand il prit son billet pour la Rochelle par l'express de 8 h. 40 du soir. Et il se promenait plein de regrets et de trouble dans la grande salle commune du chemin de fer d'Orl?ans, quand il s'arr?ta net devant une jeune femme qui embrassait une vieille dame. Elle avait relev? sa voilette, et Morin, ravi, murmura: < Quand elle eut fait ses adieux ? la vieille, elle entra dans la salle d'attente, et Morin la suivit; puis elle passa sur le quai, et Morin la suivit encore; puis elle monta dans un wagon vide, et Morin la suivit toujours. Il y avait peu de voyageurs pour l'express. La locomotive siffla; le train partit. Ils ?taient seuls. Morin la d?vorait des yeux. Elle semblait avoir dix-neuf ? vingt ans; elle ?tait blonde, grande, d'allure hardie. Elle roula autour de ses jambes une couverture de voyage, et s'?tendit sur les banquettes pour dormir. Morin se demandait: < Alors, il supposa des combinaisons qui le conduisaient au triomphe. Il imaginait une entr?e en rapport chevaleresque, des petits services qu'il lui rendait, une conversation vive, galante, finissait par une d?claration qui finissait par... par ce que tu penses. Mais ce qui lui manquait toujours, c'?tait le d?but, le pr?texte. Et il attendait une circonstance heureuse, le coeur ravag?, l'esprit sens dessus dessous. La nuit cependant s'?coulait et la belle enfant dormait toujours, tandis que Morin m?ditait sa chute. Le jour parut, et bient?t le soleil lan?a son premier rayon, un long rayon clair venu du bout de l'horizon, sur le doux visage de la dormeuse. Elle s'?veilla, s'assit, regarda la campagne, regarda Morin et sourit. Elle sourit en femme heureuse, d'un air engageant et gai. Morin tressaillit. Pas de doute, c'?tait pour lui ce sourire-l?, c'?tait bien une invitation discr?te, le signal r?v? qu'il attendait. Il voulait dire, ce sourire: < < Elle souriait toujours en le regardant; elle commen?ait m?me ? rire; et il perdait la t?te, cherchant un mot de circonstance, un compliment, quelque chose ? dire enfin, n'importe quoi. Mais il ne trouvait rien, rien. Alors, saisi d'une audace de poltron, il pensa: <
Add to tbrJar First Page Next Page