Read Ebook: Baccara by Malot Hector
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Ebook has 2424 lines and 91985 words, and 49 pages
--Assez grosse.
--Et elle vous manque pour votre ?ch?ance?
--Constant doit m'apporter les fonds.
Le soulagement qu'?prouva la Maman l'emp?cha de remarquer le ton de cette r?ponse: quand son fils devait faire une chose, il la faisait, on pouvait ?tre tranquille. La suspension de payement des fr?res Bouteillier suffisait et au del? pour expliquer l'?tat nerveux de madame Adeline; ils ?taient parmi les meilleurs clients de la maison, les plus anciens, les plus fid?les, et leur disparition se traduirait par une diminution de vente importante. Sans doute cela ?tait f?cheux, mais non irr?m?diable; elle avait foi dans la maison de son fils au m?me point que dans la fortune d'Elbeuf, et n'admettait pas que la crise qu'on traversait ne d?t bient?t prendre fin; les beaux jours qu'elle avait vus reviendraient, il n'y avait qu'? attendre. Elle demandait ? Dieu de vivre jusque-l?; si apr?s avoir sauv? l'honneur des Adeline elle pouvait voir la solidit? de leur maison assur?e, elle serait contente et mourrait en paix. Depuis soixante-cinq ans elle n'avait pas manqu? une seule fois, except? pendant ses couches, la messe de sept heures ? Saint-?tienne, o?, par sa pi?t?, elle avait fait l'?dification de plusieurs g?n?rations de d?votes, mais jamais on ne l'avait vue prier avec autant de ferveur que depuis que les affaires de son fils lui semblaient en danger. Bien qu'elle ne quitt?t pas son fauteuil roulant et ne p?t pas se prosterner ? genoux, au mouvement de ses l?vres et ? l'exaltation de son regard on sentait l'ardeur de sa pri?re. Ses yeux ne quittaient pas la verri?re o? saint Roch, patron des cardeurs, tisse, avec des ouvriers, du drap sur un m?tier des vieux temps et c'?tait lui qu'elle implorait particuli?rement pour son fils comme pour son pays natal.
La plume de madame Adeline continuait ? courir sur son brouillon quand dans la cour on entendit un bruit de pas. Qui pouvait venir? Il semblait qu'il y e?t deux personnes. Les pas s'arr?t?rent ? la porte du bureau, o? discr?tement on frappa quelques coups.
--Ma tante, faut-il ouvrir? demanda L?onie, se levant avec l'empressement d'un enfant qui saisit toutes les occasions d'interrompre un travail ennuyeux.
--Mais, sans doute, r?pondit madame Adeline, bien qu'un peu surprise qu'? cette heure on frapp?t ? cette porte et non ? celle de l'appartement.
Les verrous furent promptement tir?s et la porte s'ouvrit.
-Ah! c'est M. Eck et M. Michel, dit L?onie.
C'?tait en effet le chef de la maison Eck et Debs, le p?re Eck, comme on l'appelait ? Elbeuf, accompagn? d'un de ses neveux.
L'oncle ?tait un homme de soixante ans environ, rond de corps et rond de mani?res, court de jambes et court de bras, ? la physionomie ouverte, gaie et fine, dont les cheveux fris?s, le nez busqu? et le teint mat trahissaient tout de suite l'origine s?mitique; le neveu, au contraire, ?tait un beau jeune homme ?lanc?, avec des yeux de velours, et des dents blanches qui avaient l'?clat de la nacre entre des l?vres sanguines et une barbe noire fris?e.
Ce dernier bonjour fut accompagn? d'une r?v?rence.
Ce fut une affaire de leur trouver des si?ges, car le bureau ?tait meubl? avec une simplicit? v?ritablement antique: une table en bois noir, deux pupitres, des rayons en sapin r?gnant tout autour de la pi?ce pour les registres et la collection des ?chantillons de toutes les ?toffes fabriqu?es par la maison depuis pr?s de cent ans, quatre chaises en paille, et c'?tait tout; pendant deux cents ans, cela avait suffi ? plus de trois cent millions d'affaires.
C'?tait apr?s la guerre que les Eck et Debs, ?tablis jusque-l? en Alsace, avaient quitt? leur pays pour venir cr?er ? Elbeuf une grande manufacture de <
Les politesses ?chang?es, le p?re Eck prit son air bonhomme, et, regardant le cahier sur lequel madame Adeline faisait ses chiffres:
Et il partit d'un formidable ?clat de rire, car il ?tait toujours le premier ? sonner la fanfare pour ses plaisanteries, sans s'inqui?ter de savoir s'il n'?tait pas quelquefois le seul ? les trouver dr?les.
Mais ses ?clats de rire se calmaient comme ils partaient, c'est-?-dire instantan?ment; il prit une figure grave, presque d?sol?e:
--J'en ai re?u ce matin.
--C'est ce qu'on m'?crit.
--Malheureusement. Et vous?
Il y eut un silence; le p?re Eck paraissait assez g?n?, et madame Adeline l'?tait aussi jusqu'? un certain point, se demandant ce que pouvait signifier cette visite insolite; elle voulut lui venir en aide:
--Est-ce que vous ?tes satisfait de vos nouveaux proc?d?s de teinture? demanda-t-elle en portant la conversation sur un sujet de leur m?tier, qui pouvait fournir une in?puisable mati?re et que d'ailleurs elle ?tait bien aise de tirer au clair.
--Et cela vous revient vraiment moins cher que, chez MM. Blay?
Il ouvrit la bouche pour r?pondre, puis il la referma, et ce fut seulement apr?s quelques secondes de r?flexion qu'il se d?cida:
Cela fut r?pondu avec une bonhomie si parfaite qu'on aurait pu croire ? sa sinc?rit?, mais il la compromit malheureusement en se h?tant de changer de sujet.
--Est-ce que M. Michel va directement exploiter son brevet?
--Ce qu'on appelle ? Elbeuf les Cocod?s, dit Michel en riant et en r?p?tant une plaisanterie qui ?tait spirituelle ? Elbeuf.
Il y eut encore un silence, puis M. Eck se levant, vint aupr?s de madame Adeline:
Passant la premi?re, madame Adeline le conduisit dans le salon.
--Quelle mauvaise nouvelle lui apportait-on?
Ce fut la question que madame Adeline, troubl?e, se posa, mais qu'elle eut la force, cependant, de retenir pour elle.
Bien qu'elle n'e?t aucune raison de se d?fier de M. Eck, qu'elle savait droit en affaires, brave homme et bonhomme dans les relations de la vie, elle avait ?t? si souvent, en ces derniers temps, frapp?e de coups qui s'abattaient sur elle ? l'improviste et tombaient pr?cis?ment d'o? on n'aurait pas d? les attendre, qu'elle se tenait toujours et avec tous sur ses gardes, inqui?te et craintive.
Dans la ville, on disait que les Eck et Debs tentaient depuis longtemps des essais pour fabriquer la nouveaut? m?caniquement et en grand comme ils fabriquaient le drap lisse: ?tait-ce l? la cause de cette visite ?trange? Dans ces Alsaciens ing?nieux qui savaient si bien s'outiller et qui r?ussissaient quand tant d'autres ?chouaient, allait-elle rencontrer des concurrents qui rendraient plus difficile encore la marche de ses affaires!
Etait-ce un danger mena?ant leur maison ou la situation politique de son mari qu'il venait lui signaler dans un sentiment de bienveillance amicale?
De quelque c?t? que cour?t sa pens?e, elle ne voyait que le mauvais sans admettre le bon ou l'heureux; et ce qui augmentait son trouble, c'?tait de voir l'embarras qui se lisait clairement sur cette physionomie ordinairement ouverte et gaie.
Elle s'?tait assise en face de lui, le regardant, l'examinant, et elle attendait qu'il commen??t; ce qu'il avait ? dire ?tait donc bien difficile?
Enfin il se d?cida:
Ces paroles n'indiquaient rien de mauvais, l'inqui?tude de madame Adeline se d?tendit.
--Il est vrai que je lui ai ?crit.
M. Eck se leva et avec une ?motion grave il salua respectueusement:
Il fit une pause, ?mu bien manifestement par ces souvenirs; puis reprenant:
Peu ? peu, madame Adeline s'?tait rassur?e: tout cela ?tait dit avec une bonhomie et une sympathie si ?videntes que son inqui?tude devait se calmer comme elle s'?tait en effet calm?e; mais ? ces derniers mots, qui semblaient une entr?e en mati?re pour une question d'argent, ses craintes la reprirent. Ces protestations de sympathie et d'amiti? qui se manifestaient avec si peu d'?-propos n'allaient-elles aboutir ? une conclusion cruelle, que M. Eck, qui n'?tait pas un m?chant homme avait voulu adoucir en la pr?parant: c'?tait le terrible de sa situation de voir partout le danger.
Bien des fois et depuis longtemps d?j?, madame Adeline avait mari? sa fille, choisissant son gendre tr?s haut, alors que leurs affaires ?taient en pleine prosp?rit?, descendant un peu quand cette prosp?rit? avait d?clin?, baissant ? mesure qu'elles avaient baiss?, jamais elle n'avait eu l'id?e de Michel Debs. Un juif!
Sa surprise fut si vive que M. Eck, qui l'observait, en fut frapp?.
Justement apr?s ?tre revenue un peu de son ?tourdissement, c'?tait ? ces grand'm?res qu'elle pensait, ? celle de Berthe et ? celle de Michel.
De celle-ci, que personne ne voyait parce qu'elle vivait clo?tr?e comme une femme d'Orient, tout le monde racontait des histoires que le myst?re et l'inconnu rendaient effrayantes.
Que n'exigerait-elle pas de sa bru, cette vieille femme soumise aux pratiques les plus ?troites de sa religion? De quel oeil regarderait-elle une chr?tienne ? sa table, elle qui ne mangeait que de la viande pure, c'est-?-dire saign?e par un sacrificateur, ouvrier alsacien vers? dans les rites, qu'elle avait fait venir expr?s?
Bien qu'elle n'e?t ni le temps ni le go?t d'?couter les bavardages qui couraient la ville, madame Adeline n'avait pas pu ne pas retenir quelques-unes des bizarreries qu'on attribuait ? cette vieille juive et ne pas en ?tre frapp?e.
Avant l'arriv?e des Eck et des Debs ? Elbeuf, on s'occupait peu des usages des juifs, mais du jour o? cette vieille femme s'?tait install?e dans sa maison, son rigorisme l'avait impos?e ? la curiosit? et aussi ? la critique. C'?tait monnaie courante de la conversation de raconter qu'elle se faisait apporter le gibier vivant pour que son sacrificateur le saign?t;--qu'elle ne mangeait pas des poissons sans ?cailles; qu'on faisait traire son lait directement de la vache dans un pot lui appartenant;--qu'elle avait une vaisselle pour le gras, une autre pour le maigre;--que le poisson seul pouvait ?tre arrang? au beurre, ? l'huile ou ? la graisse;--que, dans les repas o? il ?tait servi de la viande, elle ne mangeait ni fromage, ni laitage, ni g?teaux;--qu'on pr?parait sa nourriture le vendredi pour le samedi, et, comme ce jour-l? les Isra?lites ne doivent pas toucher au feu, on mettait une plaque de fer sur des braises, et sur cette plaque on pla?ait le vase contenant les mets tout cuits, ce vase ne pouvait ?tre pris que par des mains juives;--enfin, que ses cheveux coup?s ?taient recouverts d'un bandeau de velours, et qu'elle obligeait sa fille et sa belle-fille ? ne pas laisser pousser leurs cheveux.
Sans doute il y avait dans tout cela des exag?rations, mais le vrai n'indiquait-il pas un rigorisme de pratiques religieuses peu encourageant? Elle le connaissait, ce rigorisme dans la foi, depuis vingt ans qu'elle en avait trop souffert aupr?s de sa belle-m?re pour vouloir y exposer sa fille. Et puis, femme d'un juif! Si bien d?gag?e qu'elle f?t de certains pr?jug?s, elle ne l'?tait point encore de celui-l?. Aucune jeune fille de sa connaissance et dans son monde n'avait ?pous? un juif: cela ne se faisait pas ? Elbeuf.
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