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Read Ebook: En famille by Malot Hector

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Ebook has 3298 lines and 98977 words, and 66 pages

Hector Malot

EN FAMILLE

Table des mati?res

TOME PREMIER

Comme cela arrive souvent le samedi vers trois heures, les abords de la porte de Bercy ?taient encombr?s, et sur le quai, en quatre files, les voitures s'entassaient ? la queue leu leu: haquets charg?s de f?ts, tombereaux de charbon ou de mat?riaux, charrettes de foin ou de paille, qui tous, sous un clair et chaud soleil de juin, attendaient la visite de l'octroi, press?s d'entrer dans Paris ? la veille du dimanche.

Parmi ces voitures, et assez loin de la barri?re, on en voyait une d'aspect bizarre avec quelque chose de mis?rablement comique, sorte de roulotte de forains mais plus simple encore, form?e d'un l?ger ch?ssis tendu d'une grosse toile; avec un toit en carton bitum?, le tout port? sur quatre roues basses.

?tait-il possible que l'?ne qui y ?tait attel? l'e?t amen?e de si loin jusque-l??

Au premier coup d'oeil on pouvait en douter, tant il ?tait maigre, ?puis?, vid?; mais, ? le regarder de plus pr?s, on voyait que cet ?puisement n'?tait que le r?sultat des fatigues longuement endur?es dans la mis?re. En r?alit?, c'?tait un animal robuste, d'assez grande taille, plus haute que celle de notre ?ne d'Europe, ?lanc?, au poil gris cendr? avec le ventre clair malgr? les poussi?res des routes qui le salissaient; des lignes noires transversales marquaient ses jambes fines aux pieds ray?s, et, si fatigu? qu'il fut, il n'en tenait pas moins sa t?te haute d'un air volontaire, r?solu et coquin. Son harnais se montrait digne de la voiture, rafistol? avec des ficelles de diverses couleurs, les unes grosses, les autres petites, au hasard des trouvailles, mais qui disparaissaient sous les branches fleuries et les roseaux, coup?s le long du chemin, dont on l'avait couvert pour le d?fendre du soleil et des mouches.

Pr?s de lui, assise sur la bordure du trottoir, se tenait une petite fille de onze ? douze ans qui le surveillait.

Son type ?tait singulier: d'une certaine incoh?rence, mais sans rien de brutal dans un tr?s apparent m?lange de race. Au contraire de l'inattendu de la chevelure p?le et de la carnation ambr?e, le visage prenait une douceur fine qu'accentuait l'oeil noir, long, fut? et grave. La bouche aussi ?tait s?rieuse. Dans l'affaissement du repos le corps s'?tait abandonn?; il avait les m?mes gr?ces que la t?te, ? la fois d?licates et nerveuses; les ?paules ?taient souples d'une ligne menue et fuyante dans une pauvre veste carr?e de couleur ind?finissable, noire autrefois probablement; les jambes volontaires et fermes dans une pauvre jupe large on loques; mais la mis?re de l'existence n'enlevait cependant rien ? la fiert? de l'attitude de celle qui la portait.

Comme l'?ne se trouvait plac? derri?re une haute et large voilure de foin, la surveillance en e?t ?t? facile si de temps en temps il ne s'?tait pas amus? ? happer une goul?e d'herbe, qu'il tirait discr?tement avec pr?caution, en animal intelligent qui sait tr?s bien qu'il est en faute.

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Aussit?t il baissait la t?te comme un coupable repentant, mais d?s qu'il avait mang? son foin en clignant de l'oeil et en agitant ses oreilles, il recommen?ait avec un empressement qui disait sa faim.

? un certain moment, comme elle venait de le gronder pour la quatri?me ou cinqui?me fois, une voix sortit de la voiture, appelant:

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Aussit?t sur pied, elle souleva un rideau et entra dans la voiture, o? une femme ?tait couch?e sur un matelas si mince qu'il semblait coll? au plancher.

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-- Que fait donc Palikare?

-- Il mange le foin de la voiture qui nous pr?c?de.

-- Il faut l'en emp?cher.

-- Il a faim.

-- La faim ne nous permet pas de prendre ce qui ne nous appartient pas; que r?pondrais-tu au charretier de cette voiture s'il se f?chait?

-- Je vais le tenir de plus pr?s.

-- Est-ce que nous n'entrons pas bient?t dans Paris?

-- Il faut attendre pour l'octroi.

-- Longtemps encore?

-- Tu souffres davantage?

-- Ne t'inqui?te pas; l'?touffement du renferm?; ce n'est rien>>, dit-elle d'une voix haletante, siffl?e plut?t qu'articul?e.

C'?taient l? les paroles d'une m?re qui veut rassurer sa fille; en r?alit? elle se trouvait dans un ?tat pitoyable, sans respiration, sans force, sans vie, et, bien que n'ayant pas d?pass? vingt-six ou vingt-sept ans, au dernier degr? de la cachexie; avec cela des restes de beaut? admirables, la t?te d'un pur ovale, des yeux doux et profonds, ceux m?me de sa fille, mais aviv?s par le souffle de la maladie.

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-- Quoi?

-- Il y a des boutiques, je peux t'acheter un citron; je reviendrais tout de suite.

-- Non. Gardons notre argent; nous en avons si peu! Retourne pr?s de Palikare et fais en sorte de l'emp?cher de voler ce foin.

-- Cela n'est pas facile.

-- Enfin veille sur lui.>>

Elle revint ? la t?te de l'?ne, et comme un mouvement se produisait, elle le retint de fa?on qu'il rest?t assez ?loign? de la voiture de foin pour ne pas pouvoir l'atteindre.

Tout d'abord il se r?volta, et voulut avancer quand m?me, mais elle lui parla doucement, le flatta, l'embrassa sur le nez; alors il abaissa ses longues oreilles avec une satisfaction manifeste et voulut bien se tenir tranquille.

N'ayant plus ? s'occuper de lui, elle put s'amuser ? regarder ce qui se passait autour d'elle: le va-et-vient des bateaux-mouches et des remorqueurs sur la rivi?re; le d?chargement des p?niches au moyen des grues tournantes qui allongeaient leurs grands bras de fer au-dessus d'elles et prenaient, comme ? la main, leur cargaison pour la verser dans des wagons quand c'?taient des pierres, du sable ou du charbon, ou les aligner le long du quai quand c'?taient des barriques; le mouvement des trains sur le pont du chemin de fer de ceinture dont les arches barraient la vue de Paris qu'on devinait dans une brume noire plut?t qu'on ne le voyait; enfin pr?s d'elle, sous ses yeux, le travail des employ?s de l'octroi qui passaient de longues lances ? travers les voitures de paille, ou escaladaient les f?ts charg?s sur les haquets, les per?aient d'un fort coup de foret, recueillaient dans une petite tasse d'argent le vin qui en jaillissait, en d?gustaient quelques gouttes qu'ils crachaient aussit?t.

Comme tout cela ?tait curieux, nouveau; elle s'y int?ressait si bien, que le temps passait, sans qu'elle en e?t conscience.

D?j? un gamin d'une douzaine d'ann?es qui avait tout l'air d'un clown, et appartenait s?rement ? une caravane de forains dont les roulottes avaient pris la queue, tournait autour d'elle depuis dix longues minutes, sans qu'elle e?t fait attention ? lui, lorsqu'il se d?cida ? l'interpeller:

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Elle ne dit rien.

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Elle l'avait regard?, et voyant qu'apr?s tout il avait l'air bon gar?on, elle voulut bien r?pondre:

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-- De Gr?ce!

-- C'est pour cela qu'il s'appelle Palikare.

-- Ah! c'est pour cela!>>

Mais malgr? son sourire entendu, il n'?tait pas du tout certain qu'il e?t tr?s bien compris pourquoi un ?ne qui venait de Gr?ce pouvait s'appeler Palikare.

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-- Tr?s loin.

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