Read Ebook: Abélard Tome II by R Musat Charles De
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Ebook has 486 lines and 142333 words, and 10 pages
AB?LARD
PAR
CHARLES DE R?MUSAT
Spero equidem quod gloriam eorum qui nunc sunt posteritas celebrabit.
DE LA PHILOSOPHIE D'AB?LARD.
Aussi a-t-on pu d?river toute la scolastique de cette unique question. C'est Ab?lard lui-m?me qui a dit: <
Tout apprenti, d?s qu'il sait joindre deux parties d'oraison, se tient et parle comme s'il savait tous les arts; il vous apporte un syst?me nouveau touchant les genres et les esp?ces, un syst?me inconnu de Bo?ce, ignor? de Platon, et que par un heureux sort il vient tout fra?chement de d?couvrir dans les myst?res d'Aristote; il est pr?t ? vous r?soudre une question sur laquelle le monde en travail a vieilli, pour laquelle il a ?t? consum? plus de temps que la maison de C?sar n'en a us? ? gagner et ? r?gir l'empire du monde, pour laquelle il a ?t? vers? plus d'argent que n'en a poss?d? Cr?sus dans toute son opulence. Elle a retenu en effet si longtemps grand nombre de gens, que, ne cherchant que cela dans toute leur vie, ils n'ont en fin de compte trouv? ni cela ni autre chose; et c'est peut-?tre que leur curiosit? ne s'est pas content?e de ce qui pouvait ?tre trouv?; car de m?me que dans l'ombre d'un corps quelconque la substance corporelle se cherche vainement, ainsi dans les intelligibles qui peuvent ?tre compris universellement, mais non exister universellement, la substance d'une solide existence ne saurait ?tre rencontr?e. User sa vie en de telles recherches, c'est le fait d'un homme oisif et qui travaille ? vide. Purs nuages de choses fugitives, plus on les poursuit avidement, plus rapidement ils s'?vanouissent; les auteurs exp?dient la question de diverses mani?res, avec divers langages, et quand ils se sont diff?remment servis des mots, ils semblent avoir trouv? des opinions diff?rentes; c'est ainsi qu'ils ont laiss? ample mati?re ? disputer aux gens querelleurs....>>
Voil? donc le fait bien ?tabli; c'?tait un sujet infini, une source intarissable de disputes et de syst?mes. C'?tait le seul probl?me, le premier int?r?t, la grande passion; les docteurs en parlaient sans rel?che, comme les amants ridicules de leur ma?tresse.
Et nous-m?mes, ne revenons-nous pas continuellement ? cette question des universaux? Elle est toujours tellement pr?s des autres questions dialectiques qu'on n'a pu, sans la rencontrer sur ses pas, parcourir le champ de la logique d'Ab?lard. D?j? nous savons comment elle s'est introduite dans le monde; comment elle ?tait ? la fois pos?e et compliqu?e par les ant?c?dents du p?ripat?tisme scolastique; comment enfin Ab?lard, intervenant entre deux opinions absolues, a pu rendre ? l'opinion tierce qu'il a soutenue une importance toute nouvelle. Il ne l'avait pas invent?e; mais il l'a rajeunie et remise en honneur: elle a pass? pour son ouvrage.
Z?non fut le disciple de Stilpon. Plus r?serv?s que les m?gariens, les sto?ciens d?velopp?rent les m?mes id?es, au moins dans le sens du conceptualisme, et n'?chapp?rent point au danger d'une logique plus ing?nieuse que sens?e. Aussi a-t-on imput? ? leur influence tout ce que la scolastique pr?sente de sophistique subtilit?. Historiquement, de tels rapports seraient peut-?tre difficiles ? prouver, quoique les analogies soient r?elles; mais on se rencontre sans s'imiter.
Enfin, Aristote et Platon avaient ?tabli chacun une doctrine originale; celui-ci, en att?nuant et supprimant la difficult? de la question par l'attribution d'une existence r?elle aux types g?n?raux des choses, aux id?es invisibles, l'exemplaire et l'objet des id?es g?n?rales; celui-l?, en adoptant le principe n?gatif, qu'il n'y a rien en acte qui soit universel, mais en temp?rant les cons?quences de cet individualisme, soit par la th?orie de l'existence en acte et en puissance, soit par la distinction de la forme et de la mati?re, soit par l'admission des substances secondes et des formes substantielles. De l? cependant deux doctrines: l'une, le r?alisme id?aliste; l'autre qu'on pourrait appeler le formalisme, et qui, en conservant des traces de r?alisme, pouvait mener aux cons?quences avou?es des conceptualistes et des nominaux. Ces deux grandes doctrines, prot?g?es par des noms immortels, n'avaient jamais ?t? compl?tement oubli?es.
Depuis Aristote et Platon, il y avait donc au moins deux opinions sur la question, qui n'avait pas toujours conserv? la m?me forme ni la m?me port?e. Comme, parmi les id?es, les unes sont des id?es de choses sensibles, les autres des id?es de choses insensibles, cette diff?rence avait engendr? celle des doctrines et produit les diverses solutions d'un probl?me unique.
Dans l'antiquit?, deux grandes ?coles avaient pris parti contre les id?es des choses sensibles, en r?voquant en doute ces choses m?mes. La secte ?l?atique niait les choses sensibles, pr?tendant d?montrer leur impossibilit? rationnelle, et elle ouvrait ainsi la porte ? toutes les sortes de scepticisme. Platon, sans aller aussi loin, osa n'attribuer qu'une r?alit? imparfaite aux choses sensibles, accusant ainsi la sensation et les id?es qu'elle sugg?re d'une certaine infid?lit?. Ce qui ?chappe aux sens lui avait paru plus r?el que ce que les sens atteignent et manifestent.
Mais les id?es des choses non sensibles ne sont pas toutes de m?me esp?ce, parce que les choses non sensibles ne sont pas toutes de m?me nature. Toute doctrine qui les confond et les enveloppe dans une proscription commune, manque de justesse et de p?n?tration. Peut-?tre ?picure, peut-?tre D?mocrite ont-ils m?rit? ce reproche. L'injustice ou l'ignorance pourraient seules l'adresser ? cet Aristote qui a tant m?pris? D?mocrite. Certes il a reconnu comme r?elles bien des choses non sensibles, et l'invisible eut souvent la foi de l'auteur de la M?taphysique, de celui qui disait qu'il n'y a de science que de l'universel. Mais quel invisible, s'il y en a plusieurs? Quelles sont les distinctions ? faire parmi les id?es des choses non sensibles?
D'abord, les id?es sensibles ou souvenirs des individus donnent naissance imm?diatement ? deux sortes d'id?es. La premi?re se compose des id?es des qualit?s per?ues dans les individus. Ces id?es, souvenirs de sensations, une fois qu'elles sont d?tach?es de ces souvenirs, ne repr?sentent plus rien de r?ellement individuel, ni qui soit accessible aux sens en dehors des individus; elles sont donc, ? la rigueur et prises isol?ment, des id?es de choses non sensibles, quoiqu'elles soient les souvenirs ou conceptions des modes sensibles que l'exp?rience nous t?moigne dans les individus. Con?ues en elles-m?mes et s?par?ment, elles repr?sentent les qualit?s abstraites de tout sujet, et c'est pour cela qu'on les appelle commun?ment id?es abstraites.
La seconde classe d'id?es de choses non sensibles ? laquelle donne lieu le souvenir des choses sensibles, est celle des id?es des qualit?s en tant que communes aux individus semblables, lesquelles qualit?s, consid?r?es dans les ?tres qui les r?unissent, servent ? distribuer ceux-ci en diverses collections. Ces collections sont les genres et les esp?ces. Les id?es de ces collections sont des id?es de choses non sensibles, quoique d'une part ces collections comprennent tous les individus accessibles aux sens, et que de l'autre ces id?es soient les souvenirs des qualit?s observ?es chez les individus que les sens ont fait conna?tre. Mais, d'un c?t?, le genre ou l'esp?ce comprennent tous les individus, et nul ne peut avoir observ? tous les individus. De l'autre, les id?es de genre ou d'esp?ce font abstraction des individus, pour r?sumer ce qu'ils ont de commun; et ce qu'ils ont de commun ne peut ?tre per?u par les sens hors d'eux-m?mes. Les id?es de genre et d'esp?ce ne sont donc ni des souvenirs directs de sensations, ni seulement des souvenirs de sensations, quoiqu'elles contiennent des souvenirs de sensations. Elles comprennent plus que les sens n'en ont vu.
Ainsi, m?me pour ceux qui n'admettent pas d'autres ?l?ments dans les id?es abstraites ou de qualit? et dans les id?es universelles ou de genre et d'esp?ce que la sensation rappel?e, d?compos?e, g?n?ralis?e, ces id?es renferment quelque chose de non senti et quelque chose de non sensible. Elles ne sont pas de pures id?es des choses sensibles. Il y a dans les id?es de genre et d'esp?ce, non-seulement l'id?e abstraite de qualit?; mais encore une induction qui conclut de l'exp?rience ? l'existence des qualit?s semblables dans les individus r?els ou seulement possibles autres que ceux qu'on a pu observer; et cette induction s'appliquant ou pouvant s'appliquer ? ce qu'on n'a jamais vu, ? ce qu'on ne verra jamais, ? ce qu'on ne saurait voir, il s'ensuit que, dans ces id?es, il y a d?j? la conception de l'invisible.
Une psychologie un peu s?v?re y verrait bien autre chose, et dans la formation des id?es de genre et d'esp?ce, dans celle des id?es abstraites, dans la notion m?me des individus observ?s, elle d?m?lerait et constaterait bien d'autres id?es, fruits de l'intelligence, et qui ne correspondent ? rien d'individuel ni de sensible. Telles sont les id?es d'?tre, de substance, d'essence, de nature, etc. Telles sont encore celles de cause, d'action, etc. L? encore se trouveraient des id?es de choses non sensibles, dont la th?orie de l'abstraction, telle que nous venons de la rappeler, ne suffirait pas ? expliquer l'origine. Pour la production de ces id?es, des philosophes ont admis une sorte d'induction particuli?re; et, dans tous les cas, comme elles ne sont pas des id?es de pures qualit?s ni de genre et d'esp?ce, ce sont des id?es abstraites d'une nouvelle classe, id?es encore plus abstraites, c'est-?-dire encore plus ?loign?es des r?elles substances individuelles, que les autres id?es plac?es jusqu'ici hors du cercle des id?es sensibles.
Enfin, il est des choses substantielles et r?elles qui, bien qu'inaccessibles aux sens, sont l'objet de la pens?e. Dieu n'est pas une qualit?, un genre, une esp?ce; c'est le nom et l'id?e d'un ?tre d?termin?, r?el, et pourtant inaccessible aux sens. L'?me est aussi le nom d'un de ces ?tres dont l'existence individuelle peut ?tre con?ue et affirm?e, quoique aucune sensation ne la manifeste. Le monde n'est pas non plus une id?e abstraite, ni un genre, ni une esp?ce, c'est un tout r?el et m?me individuel qui n'est que con?u, et dont le nom exprime une id?e beaucoup plus large que le souvenir d'aucune sensation.
Toutes ces id?es, que la grammaire appelle indistinctement abstraites, sont dans le langage et dans l'esprit humain. Y sont-elles toutes au m?me titre? Doivent-elles ?tre rang?es sous le m?me nom et sous la m?me loi?
Quelques philosophes l'ont pens?; mais leur autorit? n'est pas grande. Le sensualisme a toujours inclin? vers cette erreur; l'id?ologie pure y tend. Cependant tous les sectateurs ?clair?s de l'id?ologie ou du sensualisme s'en sont jusqu'? un certain point pr?serv?s. Celui qu'on leur donne habituellement pour chef, bien qu'il ne puisse ?tre confondu avec eux, Aristote, n'a ni? ou m?connu aucune classe d'id?es de choses non sensibles. Il les admet et les emploie toutes; mais il ne les range pas toutes sur la m?me ligne. Seulement, ne reconnaissant d'existence que l'existence d?termin?e, il semble avoir refus? la r?alit? aux objets propres et directs des id?es qui ne sont pas individuelles. Mais ces id?es en elles-m?mes, il les a tenues pour r?elles, pour vraies, pour valables, et les conceptions pures de l'esprit humain n'ont nulle part jou? un plus grand r?le que dans le p?ripat?tisme.
Roscelin, et probablement Jean le Sourd, son ma?tre, traita de noms et de mots, non-seulement les genres et les esp?ces, mais tout ce que l'id?ologie appelle id?es abstraites. Comme il n'admit que les individus, il nia les touts et les parties; les touts, en tant que form?s d'individus, les parties, en tant que n'?tant pas des individus entiers; de sorte que pour lui des individus r?els composaient des touts imaginaires, et des parties imaginaires composaient des individus r?els. Ces exc?s amen?rent l'exc?s de r?alisme o? tomba Guillaume de Champeaux, du moins au t?moignage d'Ab?lard. Il soutint qu'une seule et m?me essence existait dans tous les individus, dont la diversit? d?pendait tout enti?re de la vari?t? des accidents. Dans cette doctrine, la diversit? des sujets des accidents semble s'an?antir, et comme toutes les esp?ces, aussi bien que les individus, comme tous les genres, aussi bien que les esp?ces, tombent sous la loi commune de la conception d'essence, cette doctrine, si elle a ?t? fid?lement repr?sent?e, aurait r?duit l'univers ? ces termes: unit? de substance, diversit? de ph?nom?nes.
Entre ces deux syst?mes absolus, Ab?lard crut trouver la v?rit? en prenant un milieu. Il produisit une doctrine qui, sans ?tre neuve pour le fond, l'?tait par quelques d?tails et quelques expressions, et qui a ?t? tour ? tour appel?e le conceptualisme ou confondue avec le nominalisme. En effet, une analyse exacte la r?duirait peut-?tre au premier de ces syst?mes, lequel lui-m?me penche vers le second. Cependant il est plus difficile qu'on ne croit de bien d?terminer la doctrine d'Ab?lard; nous essaierons de le faire, apr?s l'avoir expos?e; mais de son temps m?me, il ne nous para?t pas qu'on l'ait bien jug?e, et comme il combattait vivement le r?alisme, ou plut?t dans le r?alisme les essences g?n?rales, il fut compt? tout simplement avec les nominalistes.
Voici le jugement de deux contemporains tr?s-?clair?s, tous deux vers?s dans les sciences de leur si?cle, et dont aucun ne partageait, m?me ? un faible degr?, les pr?jug?s et les passions qui pers?cut?rent Ab?lard; tous deux appartenaient ? ce qu'on pourrait appeler, sans trop forcer les mots, le parti lib?ral dans l'?glise. L'un, Othon, ?v?que de Frisingen, fils d'un saint, mais oncle de l'empereur Fr?d?ric Barberousse, avait ?tudi? la dialectique ? l'?cole de Paris, et il a excus? les opinions th?ologiques qu'on reprochait ? Gilbert de la Porr?e d'avoir emprunt?es d'Ab?lard. L'autre, Jean de Salisbury, ?v?que de Chartres, ami des lettres, amateur tr?s-instruit de la dialectique, et qui a ?crit sur la philosophie avec beaucoup d'esprit, avait suivi les le?ons d'Ab?lard; il l'admirait, il l'aimait, et il a presque dit de lui que pour ?galer les anciens il ne lui manquait que l'autorit?. Tous deux n'ont vu dans Ab?lard qu'un nominaliste.
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Jean de Salisbury se pla?t ? raconter l'histoire des ?coles de son temps et ? rattacher toutes leurs pr?tentions et toutes leurs dissidences ? la question des universaux; par deux fois il a expos? avec d?tail les solutions diverses qu'elles en avaient donn?es. Nous avons cit? une bonne partie de ce qu'il dit dans un de ses ouvrages, prenons dans un autre une citation plus longue et qui para?tra curieuse.
< < < < < < < < Ses traits ont d?j? ?t? esquiss?s. En parlant de la division, il nous a dit ce qu'il pensait du tout et de ses parties, et l?, ce qu'il pensait n'?tait pas le nominalisme. En traitant des conceptions, il a profond?ment distingu? l'intelligence de la sensation, et attribuant ? la premi?re la conception des choses dont, sans elle, nous n'aurions qu'une image, il a montr? l'intelligence suscit?e et second?e par les sens, mais produisant spontan?ment ses id?es qui, pour ?tre valables, n'ont pas besoin, comme la sensation, de se rapporter ? des r?alit?s individuelles. Les universaux, pour ?tre les notions de quelque chose de plus et d'autre que les r?alit?s individuelles, ne sont donc des id?es ni fausses, ni creuses, ni vaines, et ils peuvent ?tre valables et solides, sans supposer des essences g?n?rales dont la conception est toujours ?quivoque et gratuite. L?, il s'est montr? conceptualiste, mais sans trace de scepticisme: il n'a donc pas ?t? vrai nominaliste. Mais enfin, comme les genres et les esp?ces sont l'origine et le fond v?ritable de la question, et comme nous poss?dons sur ce point un fragment ?tendu, ?tudions-le d'abord dans tous ses d?tails. Il commence ainsi: < Ce bref expos? s?pare d'abord le nominalisme et le r?alisme, puis dans le r?alisme distingue deux opinions: l'une, qui n'admet que des individus, voit dans les individus des universaux consid?r?s et restreints d'une certaine mani?re et plus ou moins particularis?s; c'est l'opinion que Jean de Salisbury pr?te aux partisans de Gautier de Mortagne. L'autre admet, ind?pendamment des individus, des essences universelles qui r?sident enti?rement en chacun d'eux, et c'est l'opinion, l'opinion premi?re et fonci?re de Guillaume de Champeaux. Ab?lard entreprend l'examen de ces opinions, en commen?ant par la derni?re, dont il donne le d?veloppement. < < < < Expliquons ce raisonnement. Si la rationnalit? est dans le sujet homme comme une partie qui en peut ?tre s?par?e, qu'est-ce que le sujet homme s?par? de cette partie? ce n'est plus l'homme. Si l'on objecte qu'elle en est partie formelle et non int?grale, on peut r?pondre qu'alors l'animal aussi est dans le sujet homme et n'en est point partie int?grale; pourtant de l'homme retranchez l'animal, que restera-t-il? Si l'on dit que l'animal ne peut ?tre dans le sujet homme comme la rationnalit?, parce qu'il est possible de l'en s?parer sans qu'il cesse de subsister, attendu que l'animal peut subsister sans l'homme, ceux qui font de la rationnalit? une essence subsistante n'en doivent-ils pas dire la m?me chose? Il faut donc admettre que la rationnalit? et l'animalit? sont dans le sujet homme de la m?me mani?re et sont ?galement n?cessaires pour le constituer, et que la rationnalit? n'est pas plus que l'animalit? une essence subsistante en dehors de l'animal humain. L'extrait qu'on vient de lire contient une pol?mique assez vive contre la th?orie g?n?rale de l'existence propre des essences g?n?riques ou sp?ciales, distinctes des individus et cependant r?sidant identiquement et int?gralement dans les individus. La pens?e principale d'Ab?lard, c'est que cette th?orie ?tablit, entre les ?l?ments constituants des ?tres, des rapports qui ne rentrent plus dans les cadres de l'ontologie logique; ils ne sont plus, en effet, mati?re et forme, genre et diff?rence. Ou bien il faut admettre des essences hi?rarchiques, entre lesquelles, du moment qu'on les tient pour r?elles et subsistantes, on ne sait plus quelles relations assigner, car o? est le rapport ontologique possible entre une substance universelle et une substance individuelle? Ou bien il faut n'attribuer l'?tre proprement dit qu'aux substances universelles et r?duire les diff?rences tant sp?cifiques qu'individuelles ? de simples accidents, et c'est encore une extr?mit? incompatible avec la nature des ?tres. Mais la th?orie peut prendre encore d'autres formes, employer d'autres arguments, et Ab?lard en parcourt rapidement tous les points de vue, sans marquer toujours les divisions naturelles de l'argumentation; il passe sans transition d'une id?e ? une autre id?e, d'une objection ? une r?ponse, et quelquefois il ne fait qu'indiquer le raisonnement, tandis qu'ailleurs il le d?veloppe avec complaisance. Son ouvrage ressemble ? un recueil de notes destin?es ? l'enseignement ou ? la controverse. Trois objections d?tach?es qui ne rentrent pas dans l'argumentation pr?c?dente, s'offrent encore ? lui, et il les pose bri?vement en ces termes: Jusqu'ici, Ab?lard n'a combattu que la th?orie des essences universelles r?sidant essentiellement dans les individus; c'est la doctrine qui, suivant son r?cit, dominait dans l'?cole ?piscopale de la Cit?, lorsqu'il y parut ? son tour et contraignit Guillaume de Champeaux ? se r?tracter. Voici les termes dont il se sert: < Cette doctrine de l'indiff?rence se r?fute par l'autorit? et par la raison. L'autorit?, c'est Porphyre. Il dit: < Mais Porphyre dit encore que la collection de plusieurs en une nature est l'esp?ce, et plus nombreuse, elle est le genre. Cela peut-il se dire de l'individu? Socrate communique-t-il sa nature ? Platon? L'homme de Socrate, l'animal qui est en lui, est-il en un autre qui ne soit pas Socrate, en quelqu'un hors de Socrate? Comment donc, si les individus sont le genre, peuvent-ils mettre leur nature en commun?
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