Read Ebook: Sapho by Daudet Alphonse
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Ebook has 1217 lines and 58576 words, and 25 pages
Alphonse Daudet
SAPHO
Table des mati?res
-- Regardez-moi, voyons... J?aime la couleur de vos yeux...
-- Comment vous appelez-vous?
-- Jean.
-- Jean tout court?
-- Jean Gaussin.
-- Du Midi, j?entends ?a... Quel ?ge?
-- Vingt et un ans.
-- Artiste?
-- Non, madame.
-- Ah! tant mieux...
Il ne comprenait rien ? ces avances, se croyait extr?mement ridicule et se r?fugiait dans l?ombre fra?che de la galerie vitr?e, bord?e d?un large divan sous les verdures. Tout de suite cette femme ?tait venue s?asseoir pr?s de lui.
Jeune, belle? Il n?aurait su le dire... Du long fourreau de lainage bleu o? sa taille pleine ondulait, sortaient deux bras, ronds et fins, nus jusqu?? l??paule; et ses petites mains charg?es de bagues, ses yeux gris larges ouverts et grandis par les bizarres ornements de fer lui tombant du front, composaient un ensemble harmonieux.
Une actrice sans doute. Il en venait beaucoup chez D?chelette; et cette pens?e n??tait pas pour le mettre ? l?aise, ce genre de personnes lui faisant tr?s peur. Elle lui parlait de tout pr?s, un coude au genou, la t?te appuy?e sur la main, avec une douceur grave, un peu lasse... <
Et elle voulait savoir depuis combien de temps il habitait Paris, si c??tait tr?s difficile cet examen pour les consulats qu?il pr?parait, s?il connaissait beaucoup de monde et comment il se trouvait ? la soir?e de D?chelette, rue de Rome, si loin de son quartier Latin. Quand il dit le nom de l??tudiant qui l?avait amen?... <
Elle eut un sourire de piti? pour sa candeur, un joli resserrement d??paules, en m?me temps qu?elle ?cartait de sa main les feuilles l?g?res d?un bambou et regardait dans le bal si elle ne lui d?couvrirait pas son grand homme.
La f?te ? ce moment ?tincelait et roulait comme une apoth?ose de f?erie. L?atelier, le hall plut?t, car on n?y travaillait gu?re, d?velopp? dans toute la hauteur de l?h?tel et n?en faisant qu?une pi?ce immense, recevait sur ses tentures claires, l?g?res, estivales, ses stores de paille fine ou de gaze, ses paravents de laque, ses verreries multicolores, et sur le buisson de roses jaunes garnissant le foyer d?une haute chemin?e Renaissance, l??clairage vari? et bizarre d?innombrables lanternes chinoises, persanes, mauresques, japonaises, les unes en fer ajour?, d?coup?es d?ogives comme une porte de mosqu?e, d?autres en papier de couleur pareilles ? des fruits, d?autres d?ploy?es en ?ventail, ayant des formes de fleurs, d?ibis, de serpents; et tout ? coup de grands jets ?lectriques, rapides et bleu?tres, faisaient p?lir ces mille lumi?res et givraient d?un clair de lune les visages et les ?paules nues, toute la fantasmagorie d??toffes, de plumes, de paillons, de rubans qui se froissaient dans le bal, s??tageaient sur l?escalier hollandais ? large rampe menant aux galeries du premier que d?passaient les manches des contrebasses et la mesure fr?n?tique d?un b?ton de chef d?orchestre.
De sa place, le jeune homme voyait cela ? travers un r?seau de branches vertes, de lianes fleuries qui se m?laient au d?cor, l?encadraient et, par une illusion d?optique, jetaient au va-et- vient de la danse des guirlandes de glycine sur la tra?ne d?argent d?une robe de princesse, coiffaient d?une feuille de dracaena un minois de berg?re Pompadour; et pour lui maintenant l?int?r?t du spectacle se doublait du plaisir d?apprendre par son ?gyptienne les noms, tous glorieux, tous connus, que cachaient ces travestis d?une vari?t?, d?une fantaisie si amusantes.
Ce valet de chiens, son fouet court en bandouli?re, c??tait Jadin; tandis qu?un peu plus loin cette soutane ?lim?e de cur? de campagne d?guisait le vieil Isabey, grandi par un jeu de cartes dans ses souliers ? boucles. Le p?re Corot souriait sous l??norme visi?re d?une casquette d?invalide. On lui montrait aussi Thomas Couture en bouledogue, Jundt en argousin, Cham en oiseau des ?les.
Et quelques costumes historiques et graves, un Murat empanach?, un prince Eug?ne, un Charles Ier, port?s par de tout jeunes peintres, marquaient bien la diff?rence entre les deux g?n?rations d?artistes; les derniers venus, s?rieux, froids, des t?tes de gens de bourse vieillis de ces rides particuli?res que creusent les pr?occupations d?argent, les autres bien plus gamins, rapins, bruyants, d?brid?s.
Malgr? ses cinquante-cinq ans et les palmes de l?Institut, le sculpteur Caoudal en hussard de baraque, les bras nus, ses biceps d?hercule, une palette de peintre battant ses longues jambes en guise de sabretache, tortillait un cavalier seul du temps de la Grande Chaumi?re en face du musicien de Potter, en muezzin qui fait la f?te, le turban de travers, mimant la danse du ventre et piaillant le <
On entourait ces joyeux illustres d?un large cercle qui reposait les danseurs; et au premier rang, D?chelette, le ma?tre du logis, fron?ait sous un haut bonnet persan ses petits yeux, son nez kalmouck, sa barbe grisonnante, heureux de la gaiet? des autres et s?amusant ?perdument, sans qu?il y par?t.
L?ing?nieur D?chelette, une figure du Paris artiste d?il y a dix ou douze ans, tr?s bon, tr?s riche, avec des vell?it?s d?art et cette libre allure, ce m?pris de l?opinion que donnent la vie de voyage et le c?libat, avait alors l?entreprise d?une ligne ferr?e de Tauris ? T?h?ran; et chaque ann?e, pour se remettre de dix mois de fatigues, de nuits sous la tente, de galopades fi?vreuses ? travers sables et marais, il venait passer les grandes chaleurs dans cet h?tel de la rue de Rome, construit sur ses dessins, meubl? en palais d??t?, o? il r?unissait des gens d?esprit et de jolies filles, demandant ? la civilisation de lui donner en quelques semaines l?essence de ce qu?elle a de montant et de savoureux.
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Personnellement, D?chelette n??tait pour rien dans le bacchanal qui grondait chez lui nuit et jour. Ce noceur infatigable apportait au plaisir une fr?n?sie ? froid, un regard vague, souriant, comme hatschisch?, mais d?une tranquillit?, d?une lucidit? imperturbables. Tr?s fid?le ami, donnant sans compter, il avait pour les femmes un m?pris d?homme d?Orient, fait d?indulgence et de politesse; et de celles qui venaient l?, attir?es par sa grande fortune et la fantaisie joyeuse du milieu, pas une ne pouvait se vanter d?avoir ?t? sa ma?tresse plus d?un jour.
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-- Voil? votre po?te...
-- O? donc?
-- Devant vous... en mari? de village...
Elle se retourna vivement, avec le cliquetis de sa parure barbare:
-- Que dites-vous l??
C??taient des vers de La Gournerie; il s??tonnait qu?elle ne les conn?t pas.
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Par le grand vitrage du fond large ouvert, entraient des bouff?es d?air matinales et blanchissantes, agitant les feuilles des palmiers, couchant les flammes des bougies comme pour les ?teindre. Une lanterne en papier prit feu, des bob?ches ?clat?rent, et tout autour de la salle, les domestiques installaient des petites tables rondes comme aux terrasses des caf?s. On soupait toujours ainsi par quatre ou cinq chez D?chelette; et les sympathies en ce moment se cherchaient, se groupaient.
C??taient des cris, des appels f?roces, le <
Gaussin profitait du tumulte pour se glisser vers la sortie, quand son ami l??tudiant l?arr?ta, ruisselant, les yeux en boule, une bouteille sous chaque bras: <
Celle de tout ? l?heure ?tait l?, tout contre lui, l?entra?nant dehors, et il la suivit sans h?siter. Pourquoi? Ce n??tait pas l?attrait de cette femme; il l?avait ? peine regard?e, et l?autre l?-bas qui l?appelait, dressant les couteaux d?acier de sa chevelure, lui plaisait bien davantage. Mais il ob?issait ? une volont? sup?rieure ? la sienne, ? la violence imp?tueuse d?un d?sir.
N?y va pas!...
Et subitement ils se trouv?rent tous deux sur le trottoir de la rue de Rome. Des fiacres attendaient dans le matin bl?me. Des balayeurs, des ouvriers allant au travail regardaient cette maison de f?te grondante et d?bordante, ce couple travesti, un Mardi Gras en plein ?t?.
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On s?arr?ta rue Jacob, devant un h?tel d??tudiants. Quatre ?tages ? monter, c??tait haut et dur.>> Voulez-vous que je vous porte?...>> dit-il en riant, mais tout bas, ? cause de la maison endormie. Elle l?enveloppa d?un lent regard, m?prisant et tendre, un regard d?exp?rience qui le jaugeait et clairement disait: <
Alors lui, d?un bel ?lan, bien de son ?ge et de son Midi, la prit, l?emporta comme un enfant, car il ?tait solide et d?coupl? avec sa peau blonde de demoiselle, et il monta le premier ?tage d?une haleine, heureux de ce poids que deux beaux bras, frais et nus, lui nouaient au cou.
Le second ?tage fut plus long, sans agr?ment. La femme s?abandonnait, se faisait plus lourde ? mesure. Le fer de ses pendeloques, qui d?abord le caressait d?un chatouillement, entrait peu ? peu et cruellement dans sa chair.
Au troisi?me, il r?lait comme un d?m?nageur de piano; le souffle lui manquait, pendant qu?elle murmurait, ravie, la paupi?re allong?e: <
Arriv?s sur l??troit palier: <
Toute leur histoire, cette mont?e d?escalier dans la grise tristesse du matin.
Il la garda deux jours; puis elle partit, lui laissant une impression de peau douce et de linge fin. Pas d?autre renseignement sur elle que son nom, son adresse et ceci: <
La toute petite carte, ?l?gante, odorante, portait:
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