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Read Ebook: Sapho by Daudet Alphonse

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Ebook has 1217 lines and 58576 words, and 25 pages

La toute petite carte, ?l?gante, odorante, portait:

FANNY LEGRAND

Il la mit ? sa glace entre une invitation au dernier bal des Affaires ?trang?res et le programme enlumin? et fantaisiste de la soir?e de D?chelette, ses deux seules sorties mondaines de l?ann?e; et le souvenir de la femme, rest? quelques jours autour de la chemin?e dans ce d?licat et l?ger parfum, s??vapora en m?me temps que lui, sans que Gaussin, s?rieux, travailleur, se m?fiant par-dessus tout des entra?nements de Paris, e?t eu la fantaisie de renouveler cette amourette d?un soir.

Une semaine ou deux apr?s le bal de D?chelette, un soir que Gaussin, la lampe allum?e, ses livres pr?par?s sur la table, se mettait au travail, on frappa timidement; et, la porte ouverte, une femme apparut en toilette ?l?gante et claire. Il la reconnut seulement quand elle eut relev? sa voilette.

-- Vous voyez, c?est moi... je reviens...

Puis surprenant le regard inquiet, g?n?, qu?il jetait sur la besogne en train:

-- Oh! je ne vous d?rangerai pas... je sais ce que c?est...

Et vraiment il lui fallait du courage pour ne pas la prendre tout de suite entre ses bras, car elle ?tait bien tentante et d?un grand charme avec sa toute petite t?te au front bas, au nez court, ? la l?vre sensuelle et bonne, et la maturit? souple de sa taille dans cette robe d?une correction toute parisienne, moins effrayante pour lui que sa d?froque de fille d??gypte.

Partie le lendemain de bonne heure, elle revint plusieurs fois dans la semaine, et toujours elle entrait avec la m?me p?leur, les m?mes mains froides et moites, la m?me voix serr?e d??motion.

-- Oh! je sais bien que je t?ennuie, lui disait-elle, que je te fatigue. Je devrais ?tre plus fi?re... Si tu crois!... Tous les matins en m?en allant de chez toi, je jure de ne plus venir; puis ?a me reprend, le soir, comme une folie.

Il la regardait, amus?, surpris dans son d?dain de la femme, par cette persistance amoureuse. Celles qu?il avait connues jusque-l?, des filles de brasserie ou de skating, quelquefois jeunes et jolies, lui laissaient toujours le d?go?t de leur rire b?te, de leurs mains de cuisini?res, d?une grossi?ret? d?instincts et de propos qui lui faisait ouvrir la fen?tre derri?re elles. Dans sa croyance d?innocent, il pensait toutes les filles de plaisir pareilles. Aussi s??tonnait-il de trouver en Fanny une douceur, une r?serve vraiment femme, avec cette sup?riorit? -- sur les bourgeoises qu?il rencontrait en province chez sa m?re -- d?un frottis d?art, d?une connaissance de toutes choses, qui rendaient les causeries int?ressantes et vari?es.

Puis elle ?tait musicienne, s?accompagnait au piano et chantait, d?une voix de contralto un peu fatigu?e, in?gale, mais exerc?e, quelque romance de Chopin ou de Schumann, des chansons de pays, des airs berrichons, bourguignons ou picards dont elle avait tout un r?pertoire.

Gaussin, fou de musique, cet art de paresse et de plein air o? se plaisent ceux de son pays, s?exaltait par le son aux heures de travail, en ber?ait son repos d?licieusement. Et de Fanny, cela surtout le ravissait. Il s??tonnait qu?elle ne f?t pas dans un th??tre, et apprit ainsi qu?elle avait chant? au Lyrique.

-- Mais pas longtemps... Je m?ennuyais trop...

En elle effectivement rien de l??tudi?, du convenu de la femme de th??tre; pas l?ombre de vanit? ni de mensonge. Seulement un certain myst?re sur sa vie au-dehors, myst?re gard? m?me aux heures de passion, et que son amant n?essayait pas de p?n?trer, ne se sentant ni jaloux ni curieux, la laissant arriver ? l?heure dite sans m?me regarder la pendule, ignorant encore la sensation de l?attente, ces grands coups ? pleine poitrine qui sonnent le d?sir et l?impatience.

De temps en temps, l??t? ?tant tr?s beau cette ann?e-l?, ils s?en allaient ? la d?couverte de tous ces jolis coins des environs de Paris dont elle savait la carte pr?cise et d?taill?e. Ils se m?laient aux d?parts nombreux, turbulents, des gares de banlieue, d?jeunaient dans quelque cabaret ? la lisi?re des bois ou des eaux, ?vitant seulement certains endroits trop courus. Un jour qu?il lui proposait d?aller aux Vaux-de-Cernay.

-- Non, non... pas l?... il y a trop de peintres...

Et cette antipathie des artistes, il se rappela qu?elle avait ?t? l?initiation de leur amour. Comme il en demandait la raison:

-- Ce sont, dit-elle, des d?traqu?s, des compliqu?s qui racontent toujours plus de choses qu?il n?y en a... Ils m?ont fait beaucoup de mal...

Lui protestait:

-- Pourtant, l?art, c?est beau... Rien de tel pour embellir, ?largir la vie.

-- Vois-tu, m?ami, ce qui est beau, c?est d??tre simple et droit comme toi, d?avoir vingt ans et de bien s?aimer...

Vingt ans! on ne lui e?t pas donn? davantage, ? la voir si vivante, toujours pr?te, riant ? tout, trouvant tout bon.

Un soir, ? Saint-Clair, dans la vall?e de Chevreuse, ils arriv?rent la veille de la f?te et ne trouv?rent pas de chambre. Il ?tait tard, il fallait une lieue de bois dans la nuit pour rejoindre le prochain village. Enfin on leur offrit un lit de sangle, rest? libre au bout d?une grange o? dormaient des ma?ons.

-- Allons-y, dit-elle en riant... ?a me rappellera mon temps de mis?re.

Elle avait donc connu la mis?re.

Ils se gliss?rent ? t?tons entre les lits occup?s dans la grande salle cr?pie ? la chaux, o? fumait une veilleuse au fond d?une niche sur la muraille; et toute la nuit serr?s l?un contre l?autre, ils ?touffaient leurs baisers et leurs rires, en entendant ronfler, geindre de fatigue ces compagnons, dont les bourgerons, les lourdes chaussures de travail tra?naient tout pr?s de la robe de soie et des fines bottes de la Parisienne.

Au petit jour, une chati?re s?ouvrit au bas du large portail, un rai de lumi?re blanche fr?la la sangle des lits, la terre battue, pendant qu?une voix enrou?e criait: <> Puis il se fit, dans la grange redevenue obscure, un remue-m?nage p?nible et lent, des b?ill?es, des ?tirements, de grosses toux, les tristes bruits humains d?une chambr?e qui s??veille; et lourds, silencieux, les Limousins s?en all?rent, un par un, sans se douter qu?ils avaient dormi pr?s d?une belle fille.

Derri?re eux, elle se leva, mit sa robe ? t?tons, tordit ses cheveux en h?te: <> Elle rentrait au bout d?un moment avec une ?norme brass?e de fleurs des champs inond?es de ros?e. <> dit-elle en ?parpillant sur le lit cette odorante fra?cheur de la flore matinale qui ravivait l?atmosph?re autour d?eux. Et jamais elle ne lui avait paru si jolie qu?? cette entr?e de grange, riant dans le petit jour, avec ses l?gers cheveux tout envol?s et ses herbes folles.

Une autre fois, ils d?jeunaient ? Ville-d?Avray devant l??tang. Un matin d?automne enveloppait de brume l?eau calme, la rouille des bois en face d?eux; et seuls dans le petit jardin du restaurant, ils s?embrassaient en mangeant des ablettes. Tout ? coup, d?un pavillon rustique branch? dans le platane au pied duquel leur table ?tait mise, une voix forte et narquoise appela: <> Et la face de lion, la moustache rousse du sculpteur Caoudal se penchait dans l?embrasure en rondins du chalet.

-- J?ai bien envie de descendre d?jeuner avec vous... Je m?ennuie comme un hibou dans mon arbre...

Fanny ne r?pondait pas, visiblement g?n?e de la rencontre; lui, au contraire, accepta bien vite, curieux de l?artiste c?l?bre, flatt? de l?avoir ? sa table.

Caoudal, tr?s coquet dans une apparence n?glig?e, mais o? tout ?tait calcul? depuis la cravate en cr?pe de chine blanc pour ?claircir un teint sabr? de rides et de couperoses, jusqu?au veston serr? sur la taille encore svelte et les muscles en saillie, Caoudal lui parut plus vieux qu?au bal de D?chelette.

Mais ce qui le surprit et m?me l?embarrassait un peu, ce fut le ton d?intimit? du sculpteur avec sa ma?tresse. Il l?appelait Fanny, la tutoyait.

-- Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suis veuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. ?a m?a laiss? assez tranquille les premiers temps... Mais ce matin, en entrant ? l?atelier, je me suis senti faignant comme tout... Impossible de travailler... Alors j?ai l?ch? mon groupe et je suis venu d?jeuner ? la campagne. Fichue id?e, quand on est seul... Un peu plus je larmoyais dans ma gibelotte...

Puis regardant le Proven?al dont la barbe follette et les cheveux boucl?s avaient le ton du sauternes dans les verres:

-- Est-ce beau, la jeunesse!... Pas de danger qu?on le l?che, celui-l?... Et ce qu?il y a de plus fort, c?est que ?a se gagne... Elle a l?air aussi jeune que lui...

-- Malhonn?te!... fit-elle en riant; et son rire sonnait bien la s?duction sans ?ge, la jeunesse de la femme qui aime et veut se faire aimer.

<> murmurait Caoudal, qui l?examinait tout en mangeant, avec un pli de tristesse et d?envie grima?ant au coin de sa bouche.

-- Dis donc, Fanny, te rappelles-tu un d?jeuner ici... c?est loin, dam!... nous ?tions Ezano, Dejoie, toute la bande... tu es tomb?e dans l??tang. On t?a habill?e en homme, avec la tunique du garde- p?che. ?a t?allait richement bien...

-- Rappelle plus... fit-elle froidement, et sans mentir; car ces cr?atures changeantes et de hasard ne sont jamais qu?? l?heure pr?sente de leur amour. Nulle m?moire de ce qui pr?c?da, nulle crainte de ce qui peut venir.

Caoudal, au contraire, tout au pass?, d?vidait ? coups de sauternes ses exploits de robuste jeunesse, d?amour et de beuverie, parties de campagne, bals ? l?Op?ra, charges d?atelier, batailles et conqu?tes. Mais, en se tournant vers eux avec l??clair remont? ? ses yeux de toutes les flammes qu?il remuait, il s?aper?ut qu?ils ne l??coutaient gu?re, occup?s ? ?grener des raisins aux l?vres l?un de l?autre.

-- Est-ce assez rasant ce que je vous raconte l?... Mais si, mais si, je vous assomme... Ah! nom d?un chien... C?est b?te d??tre vieux...

Il se leva, jeta sa serviette

-- Pour moi, le d?jeuner, p?re Langlois... cria-t-il vers le restaurant.

Il s??loigna tristement, tra?nant les pieds, comme rong? d?un mal incurable. Longtemps les amoureux suivirent sa longue taille qui se vo?tait sous les feuilles couleur d?or.

<> murmura Fanny d?un ton de douce commis?ration; et comme Gaussin s?indignait que cette Maria, une fille, un mod?le, p?t s?amuser des souffrances d?un Caoudal et pr?f?rer au grand artiste... qui?... Morateur, un petit peintre sans talent, n?ayant pour lui que sa jeunesse, elle se mit ? rire: <> et lui renversant la t?te ? deux mains sur ses genoux, elle le humait, le respirait, dans les yeux, dans les cheveux, partout, comme un bouquet.

Le soir de ce jour-l?, Jean pour la premi?re fois coucha chez sa ma?tresse qui le tourmentait ? ce sujet depuis trois mois:

-- Mais enfin, pourquoi ne veux-tu pas?

-- Je ne sais... ?a me g?ne.

-- Puisque je te dis que je suis libre, que je suis seule...

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