Read Ebook: Correspondance 1812-1876 — Tome 4 by Sand George
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Ebook has 1349 lines and 93472 words, and 27 pages
Mais nous sommes malheureux comme les pierres, de ne rien savoir que par des journaux auxquels on ne peut se fier, et d'attendre souvent si longtemps des nouvelles contradictoires. Quoi qu'il arrive, je ne peux pas ne pas esp?rer. Je ne peux pas me persuader que les Russes nous battront jamais. Ni vous non plus, n'est-ce pas?
Vous savez que nous avons un ?t? abominable et que, si les pluies ne cessent pas, nous aurons la famine! Ah! nous voil? sautant sur des cordes bien tendues!
C'est vous autres qui en tenez le bout, l?-bas. Quant ? l'issue que vous souhaitez, la r?surrection de la Pologne et de toutes les victimes dont on ne para?t pas s'occuper, elle viendra peut-?tre fatalement. Dieu est grand et Mahomet n'est pas son seul proph?te.
Mais voil? plus de deux lignes. Pardon et adieu, ch?re Altesse imp?riale, toujours citoyen quand m?me et plus que jamais, puisque vous voil? soldat de la France. Comme tel, recevez tous les respects qui vous sont dus, sans pr?judice de toute l'affection que je vous conserve pour vous-m?me.
GEORGE SAND.
Re?ue au camp de Jeffalik, pr?s Varna, le 5 ao?t 1854.
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 16 juillet 1854.
Ne soyez pas inquiet de moi, mon cher enfant. Je me porte assez bien, je travaille, je re?ois plusieurs amis; c'est l'?poque o? la maison se remplit. Je ravale d'un air gai de lourds chagrins qui me viennent toujours d'o? vous savez. On m'a repris ma petite-fille qui faisait toute ma joie. Et encore, si c'?tait pour son bien! Mais les montagnes de douleurs qui noircissent ce c?t? de mon horizon seraient trop hautes, trop tristes ? vous montrer. Et puis je n'en ai pas le courage, et plus je vois que je n'y peux rien, plus j'en souffre, plus j'ai besoin d'y penser sans rien dire.
Autour de moi, on est heureux, c'est tout ce que je demande pour me r?concilier avec la vie; et j'ai du travail, c'est tout ce qu'on peut demander aux hommes pour accepter un lien avec leur soci?t? maudite et infortun?e.
Je n'ai rien re?u de vous, mon enfant; si vous m'avez fait un envoi, il s'est ?gar?. Cela arrive souvent de Toulon ? Nohant. Envoyez donc toujours dans une lettre et ne vous inqui?tez pas du port. J'en paye tant pour des envois qui m'emb?tent, que je suis d?dommag?e quand je paye ce qui me pla?t et m'int?resse.
Oui, oui, sauvez-vous ? la campagne si le chol?ra vous menace. Quand m?me il ne devrait pas vous atteindre, du moment qu'il vous effraye, ce ne serait pas vivre que de vouloir le braver: et donnez-moi de vos nouvelles souvent, quelque paresseuse que je sois ? vous ?crire.
Si vous n'?tiez pas si loin et si le voyage n'?tait pas si cher, je vous dirais: <
Vous m'avez envoy? des vers d'un de vos amis pour lesquels je ne peux pas ?tre aussi indulgente que vous. Il m'en a envoy? aussi de son c?t?, et je n'ai pas r?pondu. Que voulez-vous! je ne sais pas mentir: je trouve cela affreusement mani?r?, sous une affectation de fausse simplicit?, et si d?cousu, si jet? au hasard de la fourchette, que c'est incompr?hensible. Pourquoi d'ailleurs m'envoyer cela? Je n'y peux rien.
Pourtant, il me peine de chagriner un de vos amis, et, comme je ne suis pas forc?e de le d?sesp?rer par ma franchise, j'aime mieux me taire. Arrangez-vous pour lui dire que je suis si occup?e, que je re?ois tant de vers, tant de prose... C'est la v?rit?. Cela arrive tous les jours, comme des avalanches, de tous les coins du monde; et il y a si peu de choses lisibles pour mes pauvres yeux, calligraphiquement et intellectuellement parlant! Pour m'achever, votre ami ?crit comme pour un myope, et je suis presbyte.
Faites des vers, vous, ? la bonne heure. Je ne peux pas aimer ceux de tout le monde, et c'est un peu votre faute.
Bonsoir, mon cher enfant. Embrassez pour moi D?sir?e et Solange, comme je vous embrasse, de tout mon coeur maternel.
A M. VICTOR BORIE, A PARIS
Nohant, 31 juillet 1854.
Mon pauvre gros,
Es-tu de retour de ton triste voyage? As-tu de meilleures esp?rances pour ton pauvre vieux p?re? As-tu rapport? un peu de tranquillit?, ou encore plus de chagrin? Ta sant? est-elle moins d?traqu?e apr?s tout cela?
Ta lettre nous a bien attrist?s et nous te le disons tous, comme nous faisons des voeux tous pour toi, et pour une existence moins accabl?e et moins ?prouv?e. Il ne faut pourtant pas voir en noir comme tu fais. Le d?part des chers vieux parents, qui vont, comme tu dis, au repos ?ternel, est une loi de la nature; et, quant ? toi qui es jeune et qui as le devoir d'?tre courageux, tu n'as pas le droit de d?sesp?rer de Dieu et des hommes. Pense que tu as des amis, mon cher vieux, et qu'un temps viendra o?, plus libre et mieux portant, tu seras content de les retrouver et de te retrouver toi-m?me en possession d'une vie plus heureuse.
Nous avons bien du regret de ne t'avoir pas pu arr?ter un moment dans ta route. ?cris-nous; nous sommes impatients tous d'avoir de tes nouvelles.
G. SAND.
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 11 ao?t 1854,
Mon cher enfant, je vous remercie de m'?crire, et je vous ?cris aussi, bien que ce ne soit qu'un mot, pour que vous ne soyez pas inquiet de nous: Nous avons aussi le voisinage du chol?ra. Il s?vit assez s?rieusement ? Ch?teauroux. Peut-?tre ne viendra-t-il pas jusqu'ici. Il ne faudrait pourtant pas trop s'y fier; mais je n'en suis pas frapp?e et effray?e comme vous l'?tes, et permettez-moi de vous dire qu'il faut combattre un peu cette pr?occupation qui pourrait ?tre nuisible, si vous ?tiez atteint m?me d'un l?ger mal. Tant d'autres dangers roulent incessamment sur nos t?tes, qu'un de plus ne devrait pas assumer sur lui nos angoisses. Je suis bien d'avis qu'il faut s'y soustraire autant que possible et reculer devant le p?ril qui se particularise, ? cause surtout de ceux que nous aimons. Mais, quand on a fait ce qu'on peut et ce qu'on doit, il faut attendre la destin?e avec calme. Quand le tonnerre gronde, on fait bien de ne pas se mettre sous les grands arbres. Mais, une fois en plein champ, il faut se dire qu'on a toutes les chances, sauf une, pour qu'il ne vous atteigne pas. Vous me direz que cette chance, grande comme la main, est aussi importante dans le domaine de l'inconnu, du hasard, que la surface enti?re du globe. Eh bien, alors, n'y pensons pas pour nous-m?mes, puisqu'un a?rolithe peut tout aussi bien tomber sur nous du fond d'un ciel pur.
?crivez-moi et dites-moi quand m?me vos id?es noires, si vous ne pouvez les surmonter. J'aime mieux cela que votre silence. Les journaux nous disent que le fl?au se retire de vous. Mais je ne crois pas absolument ? ce qui est imprim?.
Voil? bien un autre chol?ra en Espagne! Encore une fois, la glace est bris?e; mais le peuple en sortira-t-il plus heureux? Avant un mois, Espartero bombardera ces bonnes villes qui l'appellent comme un sauveur et qui ont d?j? oubli? ses bombes ? peine refroidies! C'est partout et toujours la m?me histoire qui recommence, et c'est ? d?go?ter des articles de foi, dans quelque sens qu'on les envisage.
J'ai eu beaucoup de chagrin et d'inqui?tude pour ma fille, qui se croyait fort malade et qui m'envoyait presque ses derniers adieux. Son m?decin m'?crit qu'elle n'a presque rien et que je me tienne tranquille.
J'embrasse Solange et D?sir?e. Mille tendresses d'ici, toujours.
CCCLXXX
A M. ARMAND BARB?S, A BELLE-ISLE EN MER
Nohant, le 5 octobre 1854.
Acceptez, quoi qu'on vous dise; car il est des gens qui vous crieront de refuser, j'en suis s?re. Vous serez forc?, d'ailleurs! La prison ne reprend pas les victimes volontaires. Mais va-t-on vous conseiller de quitter la France? Non, ne le faites pas. Vous ?tes libre sans conditions, cela est dit officiellement. Je ne pense pas qu'il y ait une porte de derri?re pour vous exiler apr?s cette parole?
Restez donc en France, si les pouvoirs de second ordre ne vous chassent pas. Ils ne l'oseront pas, j'esp?re.
Restez avec nous; on s'amoindrit ? l'?tranger, on voit faux, on s'aigrit; on arrive, par nostalgie, ? maudire la patrie ingrate, et, par l?, on devient ingrat soi-m?me. Venez ? nous qui avons soif de vous voir; rappelez-vous ce r?ve doux et d?chirant que je faisais encore, pendant que vous ?tiez en jugement ? Bourges: je vous appelais ? Nohant, je voulais vous y garder longtemps, refaire votre sant? ?branl?e, et vous demander de me donner, ? moi, cette sant? morale qui ne vous a jamais abandonn?. Venez, venez! dans huit ou dix jours, je serai ? Paris pour une quinzaine, et je veux, de l?, vous ramener ? Nohant. Je vous y verrai, n'est-ce pas, tout de suite, ? Paris? ?crivez-moi un mot, que je sache o? vous ?tes. Moi, je demeure rue Racine, 3, pr?s l'Od?on.
J'attends avec impatience un mot de vous; si vous aviez vu comme Maurice ?tait rayonnant en m'apportant cette nouvelle, ce matin, ? mon r?veil! Quelle joie dans la maison, m?me pour ceux qui ne vous connaissent pas!
Si vous n'avez pas le temps d'?crire, faites-moi donner avis de ce que vous faites, par quelque ami.
GEORGE SAND.
AU M?ME
Paris, 28 octobre 1854
Mon ami,
Vous vous calomniez quand vous dites: <
Laissez-moi pourtant d?fendre la charit?, cette vertu toute religieuse, toute int?rieure, toute secr?te peut-?tre, dont l'histoire ne parlera pas et qu'elle pourra m?me m?conna?tre absolument. Eh bien, selon moi, la charit? vous criait: <
Ah! vous avez v?cu dans votre force et dans votre saintet?! vous n'avez pas vu pleurer les femmes et les enfants?
Dans ce cruel parti dont nous sommes, on bl?me, on fl?trit les p?res de famille qui demandent ? revenir gagner le pain de leurs enfants, cela est odieux. J'en ai vu rentrer, de ces malheureux, qui ont mieux aim? jurer de ne jamais s'occuper de politique sous l'Empire que d'abandonner leurs fils ? la honte de la mendicit? et leurs filles ? celle de la prostitution; car vous savez bien que le r?sultat de l'extr?me d?tresse; c'est la mort ou l'infamie.
Et puis, je ne suis pas bien s?re que ceux qui ont sacrifi? leur activit?, leur carri?re, leur avenir politique, leur r?putation m?me, n'aient pas ?t?, en certaines circonstances, les vrais saints et les vrais martyrs. L'intol?rance et le soup?on, l'orgueil et le m?pris, voil? de tristes chemins pour marcher vers le temple de la Fraternit?!
Et puis encore, je vous disais, je crois, que toute bonne pens?e vient de Dieu. S'il en envoie ? nos adversaires, devons-nous y r?pondre par le d?dain? si nous le faisons, quand reviendront-elles, ces pens?es de justice et de r?paration? Nous ne voulons pas que ce joug devienne moins lourd. Nous sommes fiers, de la force de nos fronts, nous ne songeons pas aux faibles qui succombent!
J'ai ? cet ?gard une s?r?nit? d'esp?rance qui m'a toujours soutenue ou consol?e, et je vous donne rendez-vous avec confiance dans un astre mieux ?clair?, o? nous reparlerons-de ces petits ?v?nements d'aujourd'hui qui nous paraissent si grands.
Nous reverrons-nous dans celui-ci? Je l'ignore. Mille choses disent oui, mille autres choses disent non. Si nous avions pu causer ? Nohant, je vous aurais dit le livre que vous avez ? faire et que vous ferez quand m?me, lorsqu'un peu de calme et de repos vous aura fait appara?tre dans son ensemble et dans sa signification le r?sum? de votre propre mission.
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