Read Ebook: Le vicomte de Bragelonne Tome II. by Dumas Alexandre
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Ebook has 8769 lines and 159360 words, and 176 pages
-- Allons donc, mon cher ami.
-- Sans doute.
-- On dit cependant ? Paris que l'?v?ch? de Vannes est un des meilleurs de France.
-- Ah! vous voulez parler des biens temporels? dit Aramis d'un air d?tach?.
-- Mais certainement j'en veux parler. J'y tiens, moi.
-- En ce cas, parlons-en, dit Aramis avec un sourire.
-- Vous avouez ?tre un des plus riches pr?lats de France?
-- Mon cher, puisque vous me demandez mes comptes, je vous dirai que l'?v?ch? de Vannes vaut vingt mille livres de rente, ni plus ni moins. C'est un dioc?se qui renferme cent soixante paroisses.
-- C'est fort joli, dit d'Artagnan.
-- C'est superbe, dit Porthos.
-- Mais cependant, reprit d'Artagnan en couvrant Aramis du regard, vous ne vous ?tes pas enterr? ici ? jamais?
-- Pardonnez-moi. Seulement je n'admets pas le mot enterr?.
-- Mais il me semble qu'? cette distance de Paris on est enterr?, ou peu s'en faut.
-- Mon ami, je me fais vieux, dit Aramis; le bruit et le mouvement de la ville ne me vont plus.
< cinquante-sept ans, on doit chercher le calme et la m?ditation. Je les ai trouv?s ici. Quoi de plus beau et de plus s?v?re ? la fois que cette vieille Armorique? Je trouve ici, cher d'Artagnan, tout le contraire de ce que j'aimais autrefois, et c'est ce qu'il faut ? la fin de la vie, qui est le contraire du commencement. Un peu de mon plaisir d'autrefois vient encore m'y saluer de temps en temps sans me distraire de mon salut. Je suis encore de ce monde, et cependant, ? chaque pas que je fais, je me rapproche de Dieu.
-- ?loquent, sage, discret, vous ?tes un pr?lat accompli, Aramis, et je vous f?licite.
-- Mais, dit Aramis en souriant, vous n'?tes pas seulement venu, cher ami, pour me faire des compliments... Parlez, qui vous am?ne? Serais-je assez heureux pour que, d'une fa?on quelconque, vous eussiez besoin de moi?
-- Dieu merci, non, mon cher ami, dit d'Artagnan, ce n'est rien de cela. Je suis riche et libre.
-- Riche?
-- Oui, riche pour moi; pas pour vous ni pour Porthos, bien entendu. J'ai une quinzaine de mille livres de rente.
Aramis le regarda soup?onneux. Il ne pouvait croire, surtout en voyant son ancien ami avec cet humble aspect, qu'il e?t fait une si belle fortune.
Alors d'Artagnan, voyant que l'heure des explications ?tait venue, raconta son histoire d'Angleterre.
Pendant le r?cit, il vit dix fois briller les yeux et tressaillir les doigts effil?s du pr?lat. Quant ? Porthos, ce n'?tait pas de l'admiration qu'il manifestait pour d'Artagnan, c'?tait de l'enthousiasme, c'?tait du d?lire. Lorsque d'Artagnan eut achev? son r?cit:
-- Eh bien? fit Aramis.
-- Eh bien! dit d'Artagnan, vous voyez que j'ai en Angleterre des amis et des propri?t?s, en France un tr?sor. Si le coeur vous en dit, je vous les offre. Voil? pourquoi je suis venu.
Si assur? que f?t son regard, il ne put soutenir en ce moment le regard d'Aramis. Il laissa donc d?vier son oeil sur Porthos, comme fait l'?p?e qui c?de ? une pression toute-puissante et cherche un autre chemin.
-- En tout cas, dit l'?v?que, vous avez pris un singulier costume de voyage, cher ami.
-- Affreux! je le sais. Vous comprenez que je ne voulais voyager ni en cavalier ni en seigneur. Depuis que je suis riche, je suis avare.
-- Et vous dites donc que vous ?tes venu ? Belle-?le? fit Aramis sans transition.
-- Oui, r?pliqua d'Artagnan, je savais y trouver Porthos et vous.
-- Moi! s'?cria Aramis. Moi! depuis un an que je suis ici je n'ai point une seule fois pass? la mer.
-- Oh! fit d'Artagnan, je ne vous savais pas si casanier.
-- Ah! cher ami, c'est qu'il faut vous dire que je ne suis plus l'homme d'autrefois. Le cheval m'incommode, la mer me fatigue; je suis un pauvre pr?tre souffreteux, se plaignant toujours, grognant toujours, et enclin aux aust?rit?s, qui me paraissent des accommodements avec la vieillesse, des pourparlers avec la mort. Je r?side, mon cher d'Artagnan, je r?side.
-- Eh bien! tant mieux, mon ami, car nous allons probablement devenir voisins.
-- Bah! dit Aramis, non sans une certaine surprise qu'il ne chercha m?me pas ? dissimuler, vous, mon voisin?
-- Eh! mon Dieu, oui.
-- Comment cela?
-- Je vais acheter des salines fort avantageuses qui sont situ?es entre Piriac et Le Croisic. Figurez-vous, mon cher, une exploitation de douze pour cent de revenu clair; jamais de non-valeur, jamais de faux frais; l'oc?an, fid?le et r?gulier, apporte toutes les six heures son contingent ? ma caisse. Je suis le premier Parisien qui ait imagin? une pareille sp?culation. N'?ventez pas la mine, je vous en prie, et avant peu nous communiquerons, J'aurai trois lieues de pays pour trente mille livres.
Aramis lan?a un regard ? Porthos comme pour lui demander si tout cela ?tait bien vrai, si quelque pi?ge ne se cachait point sous ces dehors d'indiff?rence. Mais bient?t, comme honteux d'avoir consult? ce pauvre auxiliaire, il rassembla toutes ses forces pour un nouvel assaut ou pour une nouvelle d?fense.
-- On m'avait assur?, dit-il, que vous aviez eu quelque d?m?l? avec la cour, mais que vous en ?tiez sorti comme vous savez sortir de tout, mon cher d'Artagnan, avec les honneurs de la guerre.
-- Moi? s'?cria le mousquetaire avec un grand ?clat de rire insuffisant ? cacher son embarras; car, ? ces mots d'Aramis, il pouvait le croire instruit de ses derni?res relations avec le roi; moi? Ah! racontez-moi donc cela, mon cher Aramis.
-- Oui, l'on m'avait racont?, ? moi, pauvre ?v?que perdu au milieu des landes, on m'avait dit que le roi vous avait pris pour confident de ses amours.
-- Avec qui?
-- Avec Mlle de Mancini.
D'Artagnan respira.
-- Ah! je ne dis pas non, r?pliqua-t-il.
-- Il para?t que le roi vous a emmen? un matin au-del? du pont de Blois pour causer avec sa belle.
-- C'est vrai, dit d'Artagnan. Ah! vous savez cela? Mais alors, vous devez savoir que, le jour m?me, j'ai donn? ma d?mission.
-- Sinc?re?
-- Ah! mon ami, on ne peut plus sinc?re.
-- C'est alors que vous all?tes chez le comte de La F?re?
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