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Read Ebook: Les fantômes étude cruelle by Flor O Squarr Ch Charles

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Ebook has 1216 lines and 60275 words, and 25 pages

LES FANT?MES, ?TUDE CRUELLE

PAR

CH.-M. FLOR O'SQUARR

PARIS JULES L?VY, LIBRAIRE-?DITEUR 2, RUE ANTOINE-DUBOIS, 2

LES FANT?MES ?TUDE CRUELLE

Depuis trois ans, j'avais pour ma?tresse la femme de mon meilleur ami. Oui, le meilleur. Vainement je chercherais dans mon pass? le souvenir d'un ?tre qui me fut plus attentivement fid?le, plus spontan?ment d?vou?. A plusieurs reprises, dans les crises graves de ma vie, j'avais fait appel ? son affection, et il m'avait g?n?reusement offert son aide, son temps et sa bourse. J'avais toujours us? de son bon vouloir, simplement, et je m'en f?licitais. Il avait remplac? les affections perdues de ma jeunesse, veill? ma m?re mourante. S'il me survenait une ?preuve, une contrari?t?, il pleurait avec moi, m?me plus que moi, car la nature m'a gard? contre l'effet des attendrissements faciles. C'est librement, volontairement, que je lui rends cet hommage. Qui donc pourrait m'y contraindre? J'entends prouver, en m'inclinant devant cette m?moire v?n?r?e, que je ne suis aveugl? par aucun ?go?sme, que je poss?de ? un degr? ?lev? la notion du juste et de l'injuste, du bon et du mauvais. D'autres, ? ma place, s'ing?nieraient ? circonvenir l'opinion par une conduite diff?rente, tiendraient un langage plus dissimul?; j'ai le m?pris de ces hypocrisies parce que je d?daigne tout ce qui est petit. Je dis ce que je pense, je rapporte exactement ce qui fut, sans m'attarder aux objections que croiraient pouvoir m'adresser certains esprits fauss?s par des doctrines conventionnelles.

Je repousse ?galement toute appr?ciation qui tendrait ? me repr?senter comme capable d'un calcul ou susceptible d'une timidit?. Si je porte aux nues mon regrett?, mon cher ami F?licien, ce n'est point que mon ?me ait ?t? sollicit?e par le repentir ou meurtrie par le remords. Je ne c?de pas ? la vell?it? tardive--fatalement st?rile d'ailleurs--de donner le change sur l'?tendue de ma faute au moyen de d?monstrations sentimentales. Il est de toute ?vidence qu'en consentant ? prendre Henriette pour ma?tresse j'ai commis le plus grand des crimes, la plus l?che des trahisons.

Je ne songe pas davantage ? faire intervenir des circonstances att?nuantes tir?es des charmes physiques et des s?ductions morales de ma complice. Henriette ?tait une femme tr?s ordinaire, mauvaise plut?t que bonne, vaniteuse, bien ?lev?e et boulotte.

J'h?site ? tracer d'elle un portrait s?v?re, car la plupart du temps les jugements des hommes sur les femmes ne sont que des propos de domestiques sans places; mais je me suis impos? une t?che pour ma satisfaction personnelle et pour renseignement de mes semblables. Je n'y puis manquer et il me faut--malgr? mes r?pugnances--dire la v?rit? sur la femme de F?licien. Elle ?tait--je le r?p?te--une cr?ature forte, ordinaire, point jolie, m?diocrement instruite, bourr?e de pr?jug?s vieillots, d'erreurs bourgeoises, ayant glan? dans des lectures mal choisies et mal comprises les formules d'un sentimentalisme d?mod?. D?s sa jeunesse elle aspira sans doute ? un id?al de roman, id?al confus, mais invariablement plac? en dehors du cercle pr?cis?ment d?limit? des devoirs dont on lui avait enseign? la religion. Pour peu qu'elle perd?t pied dans ses banales songeries, elle croyait de bonne foi prendre son vol pour quelque terre promise, pour quelque plan?te d'une beaut? nouvelle. Pauvre femme! Que de fois ne lui ai-je pas entendu exprimer cette croyance--particuli?re aux jeunes couturi?res ?gar?es par le romantisme--qu'elle ?tait d'une nature sup?rieure, d'une race privil?gi?e, d'une essence rare, et qu'elle mourrait incomprise!

Ah! ses r?ves de jeune fille! M'en a-t-elle assez fatigu? les oreilles? Elle n'?tait pas n?e pour associer sa vie ? celle d'un ?tre grave, pensif, toujours courb? sur d'attachants probl?mes, ? celle d'un homme sans id?al et sans passion et qui prenait pour guide dans l'existence on ne savait quelle lumi?re douteuse qu'il avouait lui-m?me avoir seulement entrevue. Elle souffrait d'?tre ainsi abandonn?e, d?laiss?e pour des chim?res, elle, cr??e pour l'amour, pour la passion! Et patati! Et patata!

Jamais je n'accordai la moindre attention ? ces radotages. Les femmes qui prennent la passion pour guide ressemblent ? des navigateurs qui compteraient sur la lueur des ?clairs pour trouver leur route au lieu de la demander aux ?toiles; celles-l? se trompent assur?ment, mais encore leur faut-il quelque ?nergie dans l'?me et une dose appr?ciable d'h?ro?sme dans l'esprit. Toute passion suppose de la grandeur, m?me chez les individualit?s les plus humbles. Or, Henriette manquait de vocation vraie pour les premiers r?les comme elle e?t manqu? de courage pour l'action. Son sentimentalisme offrait des r?miniscences de romans-feuilletons et des rollets de romance. Son coeur n'avait rien ?prouv?, son esprit e?t ?t?--je crois bien--incapable de rien concevoir en dehors des inventions fabuleuses, des monstruosit?s po?tiques, des h?r?sies et des fictions dont sa m?moire s'?tait farcie d?s l'enfance. On retrouvait l'empreinte de ce d?sordre intellectuel ?? et l? dans les platitudes de sa conversation tant?t b?tement m?lancolique comme un rayon de lune sur l'eau dormante d'un canal, parfois cors?e de ce jargon mondain--esp?ce de prud'homie retourn?e--dont les expressions s'appliquent ? tous les sujets d'une causerie et qui sert de sup?riorit? aux ?tres inf?rieurs.

Henriette n'?tait pas jolie et elle en souffrait. Une femme peut avoir--et par exception--assez d'esprit pour faire oublier qu'elle est laide; elle n'en aura jamais assez pour l'oublier elle-m?me. Le sentiment qu'avait Henriette de son inf?riorit? par rapport ? nombre d'autres femmes plus jolies, plus jeunes ou plus gracieuses, ?tait profond au point d'alt?rer toutes ses impressions. Elle n'avait jamais cru, par exemple, que son mari p?t l'aimer, l'avoir ?pous?e par une volont? sinc?re d'attachement, par un d?sir exclusif de possession, et qu'il n'e?t pas agi d?s avant leur union selon l'arri?re-pens?e, outrageusement blessante pour elle, de compl?ter son int?rieur par la pr?sence d'une femme tranquille, vulgaire, insignifiante, ? qui personne ne daignerait faire la cour, et dont aucune d?marche, m?me hasardeuse, ne saurait compromettre l'honneur conjugal.

Ce soup?on ?tait absurde, mais il n'entrait pas dans mon r?le de d?tromper Henriette en lui r?p?tant les confidences dont F?licien avait honor? mon amiti? au moment de son mariage. Alors je l'avais vu, ce cher F?licien, heureux, confiant et, par avance, comme le loup de la fable, se forgeant une f?licit? qui le faisait pleurer de tendresse. Il aimait loyalement Henriette, mais j'appr?hende qu'apr?s quelques mois de vie commune il e?t sujet de se lamenter en d?couvrant le n?ant, la navrante stupidit? de la cr?ature ? laquelle il avait vou? son existence, sa fortune, ses ambitions les plus nobles. Il dut s'?tonner jusqu'? l'effarement--lui, l'analyste prestigieux qui avait consign? ses merveilleuses ?tudes de l'esprit humain dans des livres o? la post?rit? cherchera le r?sum? de toutes sciences physiologiques et psychologiques--il dut s'?tonner jusqu'? l'?pouvante d'avoir commis une erreur aussi redoutable, d'avoir associ? ? sa pens?e cette petite pensionnaire au cerveau ?troit, ? l'?me mesquine, aux ambitions born?es, aux d?sirs lents et niais.

Comment, lui, l'impeccable clairvoyant, il s'?tait tromp? ? ce point! Digne et fier, selon sa coutume, il ne souffla mot de cette terrible m?saventure, m?me ? moi, son meilleur ami. Si j'en eus l'intuition, c'est que je le vis, pendant plusieurs semaines, sombre, d?courag?, paresseux, las de tout travail et comme sous l'accablement d'un deuil. Puis, une transfiguration s'op?ra; F?licien retourna vers son labeur avec une ?pret? nouvelle. Je crus comprendre que, d?daigneux d'un r?ve menteur, scandalis? d'avoir eu un ?garement passager, d?laiss? pour des jouissances subalternes la source de ses volupt?s premi?res, tromp? et ? jamais gu?ri par la d?cevante ?preuve o? son coeur ?tait tomb?, il repartait, libre cette fois d?finitivement, vers les r?gions sup?rieures, pures, constell?es, o?, loin des mis?res et des hypocrisies qui suffisent ? la foule, son grand esprit allait planer de nouveau, secouant ses ailes souill?es de poussi?re, face au soleil, comme en un vol d'aigle.

Henriette ne soup?onna point ce drame; elle constata seulement chez son mari un subit ?loignement d'elle, une sorte d'indiff?rence impassible que ses coquetteries ne parvinrent point ? troubler. Je suppose que d?s lors--vaniteuse comme je la connais--elle sentit sourdre en elle avec un ressentiment rageur, la pr?occupation d'une vengeance.

Oui, ce fut bien et uniquement par vengeance qu'elle devint ma ma?tresse. L'attitude glac?e de F?licien imposait ? la vanit? d'Henriette le besoin d'une revanche. Elle eut h?te d'?couter une voix flatteuse--sinc?re ou non, mais bruyante--dispos?e ? lui r?p?ter tout le bien qu'elle pensait d'elle-m?me. Les hommages de son orgueil--qu'elle dut confondre pour les n?cessit?s du moment avec sa conscience--lui devenaient insuffisants. M'ayant observ?, elle me fit l'honneur de penser que je n'h?siterais pas ? accepter ma part de son infamie en ?change de l'abandon qu'elle m'octroierait de sa personne. Quand elle m'eut fait entendre ce hideux projet, je crus habile de ne point la d?courager tout d'abord, et je me contentai de sourire, me r?servant les d?lais n?cessaires ? l'examen des risques ? courir. Peu apr?s je consentis. Notre chute fut vulgaire et brutale. Au lendemain, le sentiment qui domina mes esprits fut celui de la surprise. Surprise double: je m'?tonnais d'?tre devenu l'amant d'Henriette, et je m'?tonnais de ne l'avoir pas ?t? beaucoup plus t?t.

Certes, la pauvre Henriette aurait pu ?tre mieux favoris?e par la fortune. Avec un peu de patience, avec le moindre discernement, il ne lui e?t pas ?t? difficile de rencontrer un homme jeune, beau, riche, ?l?gant, capable de la noblement aimer et de la rendre heureuse.

Car enfin, si je n'ai pour excuse d'avoir c?d? au charme d'une femme irr?sistiblement belle, Henriette ne pourrait expliquer son entra?nement, sa chute, par la toute-puissance de mon prestige.

Je suis de taille moyenne, plut?t petit que grand. J'ai la t?te forte, rougeaude, les l?vres ?paisses, des oreilles larges comme des c?telettes de veau, des yeux rouges et humides comme des cerises ? l'eau-de-vie, la barbe dure, mal plant?e, et le cheveu rare. Avec ?a, plus tr?s jeune et un mauvais estomac. L'habitude que j'adoptai, d?s ma premi?re jeunesse, de fumer la pipe--de petites pipes en terre, noires et tr?s courtes: ce sont les meilleures--donne ? tous mes v?tements une insupportable odeur de renferm?. Au moral, je me sais autoritaire, cassant, ent?t?, rebelle ? la moindre contradiction, peu dispos? ? subir les caprices d'une femme--ces caprices fussent-ils charmants, la femme f?t-elle adorable.

Et pourtant notre commerce adult?re s'est prolong? pendant trois ann?es; il durerait m?me encore si les circonstances le permettaient et si je pouvais, sans faire g?mir les convenances, me rapprocher aujourd'hui d'Henriette.

Maintenant, nous sommes-nous aim?s?

Exista-t-il jamais entre nous--m?me un jour, une heure, seulement une minute--de l'amour? Ce n'est pas le point qui m'occupe, mais je veux bien m'y attarder.

J'en conviens, ceci me trouble. Pour ma part, je crois bien n'avoir jamais aim? Henriette et, au lendemain de notre rupture--rupture tout accidentelle puisqu'elle ne fut amen?e ni par elle ni par moi--je suis certain de n'avoir pas ?prouv? le regret de cette ma?tresse perdue. Si, pendant trois ann?es, je n'ai cess? d'entretenir avec elle des relations r?guli?res, je mets ma constance au compte des facilit?s grandes de cette liaison. Je ne l'ai pas tromp?e; ?'a ?t? probablement par paresse, par indiff?rence, ou encore par ?conomie. L'amour ? Paris est devenu une entreprise colossale qui a ses docks et ses comptoirs et o?, apr?s avoir aim? ferme, ? prime, on est arriv? ? aimer fin courant et m?me ? aimer <>. Henriette ne me co?tait rien ou presque rien: des voitures, des bouquets de temps ? autre. Tout r?fl?chi, point d'amour chez moi; je crois pouvoir l'affirmer.

Quant ? Henriette... Non, je ne serai point fat. Elle ?tait vicieuse, perverse; elle se croyait abandonn?e. Elle m'a pris parce que j'?tais l?, sans pr?f?rence, h?tivement, par une rage goulue de mal faire.

O myst?re! Nous aurions donc subi l'attraction de nos seuls vices? Nous nous serions unis dans une mutuelle curiosit? du crime, dans un go?t commun de trahisons, de bassesses, de vilenies? Nous n'aurions eu pour but et pour mobile que la satisfaction de nos pires instincts?

Question.

Comment se fait-il alors--je le demande aux moralistes--que notre union criminelle, ha?ssable, d?shonorante pour la ma?tresse et pour l'amant, nous ait donn? de telles volupt?s, de si profonds enivrements que nous n'en aurions pas obtenu de plus troublants si elle e?t ?t? l?gitime? Si nous ne nous sommes pas aim?s, si nous avons ?t? deux l?ches et bestiales cr?atures ru?es ? l'app?t d'on ne sait quelles innommables et ridicules convulsions spasmodiques, pourquoi la combinaison de nos deux perversit?s nous a-t-elle jet?s dans une inoubliable exaltation de l'esprit et des sens--exaltation que nous avons go?t?e si infinie, si d?licieuse qu'il est impossible de r?ver quels bonheurs plus r?ellement divins pourraient ?tre r?serv?s ? l'auguste communion de deux chastet?s frissonnantes?

Ah! je me f?licite d'avoir jet? ce d?fi ? toutes les morales religieuses comme ? toutes les morales naturelles, aux dogmes, aux philosophies, aux th?ories, aux syst?mes! Ces faits ?nonc?s me permettent d'affirmer en toute s?curit? que l'on est bien libre si l'on veut, si l'on y trouve du plaisir, de raisonner sur l'id?al, mais qu'on ne saurait tabler avec certitude que sur la mati?re.

J'y reviendrai--peut-?tre, car le probl?me est immense; il int?resse jusqu'? la somme de consid?ration due ? Dieu. Pour l'heure, je ne veux pas m'y aventurer davantage; ce serait manquer de logique, puisque je n'y trouve aucune r?ponse ? la question pos?e:

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