Read Ebook: Le vieux muet ou Un héros de Châteauguay by Caouette J B Jean Baptiste
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Ebook has 2676 lines and 83346 words, and 54 pages
Il y a trente-cinq ans, vivait, ? Saint-Sauveur de Qu?bec, dans une pauvre hutte situ?e sur la rive sud de la rivi?re Saint-Charles, un vieillard l?g?rement vo?t?, mais qui avait encore l'aspect d'un g?ant par la hauteur de sa taille et la largeur de ses ?paules.
Une longue chevelure blanche et une barbe v?n?rable encadraient sa figure au teint d'?b?ne.
On l'e?t pris, de prime abord, pour un descendant de la fi?re tribu huronne.
Il habitait, avec un chien terre-neuve, son seul et ins?parable compagnon, cette masure qui n'?tait ?clair?e que par deux petits carreaux. Elle avait servi autrefois de forge aux ouvriers travaillant ? la construction des navires dans le chantier de feu Jean-Elie Gingras: c'?tait l'un des derniers vestiges de ce temps qu'on appelle encore, ? Qu?bec, l'?ge d'or.
D'o? venait ce vieillard? quel ?tait son nom? ? quelle nationalit? appartenait-il?
Nul ne paraissait le savoir.
Un jour de printemps, en revenant de la p?che, deux jeunes gens l'avaient rencontr? sur la gr?ve, portant un fusil sur l'?paule, et suivi d'un chien ? la mine peu rassurante.
Les jeunes p?cheurs, sans doute effray?s par les grognements du chien, et aussi par la taille imposante de l'inconnu, s'?taient h?t?s de reprendre le chemin de leur demeure. Ils r?pandirent partout la nouvelle de la rencontre qu'ils avaient faite.
Saint-Sauveur, il y a un demi-si?cle, n'?tait pas cette belle et populeuse paroisse que nous admirons aujourd'hui; tous ses habitants se connaissaient aussi intimement que s'ils eussent ?t? les membres d'une m?me famille.
L'apparition soudaine d'un tel colosse arpentant la gr?ve, l'arme ? l'?paule, ne pouvait manquer d'y cr?er une v?ritable sensation. Mais, disons-le ? la louange des pionniers de cette paroisse, l'id?e ne vint ? personne que cet h?te de la gr?ve pouvait ?tre un loup-garou ou un croque-mitaine! Car il y avait longtemps, alors, que la sorcellerie ne faisait plus de dupes dans la bonne ville de Qu?bec. N?anmoins, la curiosit? publique ?tait piqu?e; et, d?s le m?me soir, quelques-uns des principaux paroissiens r?solurent de se rendre ? la gr?ve, le lendemain, pour rencontrer cet ?tranger.
Les jeunes p?cheurs avaient ajout? que le colosse devait habiter l'ancienne forge, d'o? ils avaient vu une ?paisse fum?e s'?lever en spirale.
Le lendemain donc, sans autre arme qu'un sac rempli de provisions, quatre citoyens partirent en ?claireur pour aller sonder le myst?re.
Rendus au pied de la route qui conduisait au chantier-Gingras, et qu'on nomme aujourd'hui la rue Saint-Ambroise, ils aper?urent le vieillard assis sur le seuil de la cabane, les coudes appuy?s sur les genoux et le front plong? dans ses larges mains.
Au bruit de leurs pas, le cerb?re, qui ?tait couch? devant son ma?tre, se leva en aboyant; mais le colosse saisit l'animal qu'il musela solidement, puis, redressant sa haute taille, il attendit les visiteurs.
Ceux-ci, apr?s avoir salu? l'inconnu, qui leur rendit la politesse, lui adress?rent tour ? tour la parole; mais, ? la surprise g?n?rale, le vieillard, pour toute r?ponse, mit un doigt sur sa bouche et secoua tristement la t?te.
A toutes les questions qui lui furent pos?es, il r?pondit par les m?mes gestes; ce qui fit croire ? ses interlocuteurs qu'ils ?taient en pr?sence d'un muet.
Cette infirmit? apparente lui gagna d'embl?e la sympathie des nouveaux venus, qui le consid?raient maintenant avec le plus grand respect.
Sa figure exprimait la douceur et la franchise, et ses mani?res polies annon?aient une bonne ?ducation.
Il n'en fallut pas davantage pour rassurer et charmer nos curieux.
D'un geste affable, l'?tranger indiqua la porte C'?tait une invitation ? entrer. Les visiteurs se rendirent ? cette muette pri?re et franchirent le seuil.
En entrant dans la forge, ils furent frapp?s de la propret? qui y r?gnait.
Il ?tait ?vident que le vieillard r?sidait l? depuis plusieurs jours, car le plancher avait ?t? r?par?, et l'on y voyait quelques meubles grossiers, mais solides, rang?s dans un ordre parfait.
Au centre, une table; dans l'angle gauche de l'unique pi?ce, un lit fait avec des branches de sapin; en face de la porte, le long du pan, un banc et deux chaises; au-dessus, accroch?s ? de longues fiches, un fusil; une gibeci?re, une perche de ligne enferm?e dans un ?tui, un filet, etc. Plus loin, une armoire sans porte contenant quelques assiettes et autres vaisseaux de gr?s. Le large fourneau de la forge faisait, pour le moment, l'office de po?le de cuisine.
Bref, la propret? et l'ordre rendaient presque agr?able le s?jour de ce logis pauvre et isol?.
Cette cabane ne portait qu'? l'ext?rieur les marques de son usage primitif; ? l'int?rieur, les traces de fum?e avaient disparu sous une couche de chaux.
On l'e?t dite l'image de ce vieillard inconnu et myst?rieux, dont la figure ?tait noire, mais dont l'?me semblait aussi blanche que la neige.
Le colosse tira de dessous la table un panier plein de poissons et de gibiers, pris ou abattus par lui la veille, et en distribua la plus grande partie ? ses h?tes. Ces derniers furent heureux d'avoir l'occasion de lui offrir, en retour, leurs provisions, que l'?tranger accepta gracieusement.
Mais les quatre visiteurs crurent devoir abr?ger leur visite qui commen?ait ? devenir embarrassante pour tout le monde. Car bien que le vieillard sembl?t comprendre leur conversation, il n'y r?pondait que par signes!
Apr?s avoir serr? la main du malheureux, ils se retir?rent le coeur ?mu.
Le dimanche suivant, les fid?les de Saint-Sauveur, qui allaient ? la messe de cinq heures, ne furent pas peu surpris de voir arriver ? l'?glise notre g?ant, toujours suivi de son compagnon.
Ayant attach? le chien au tronc d'un arbre, il entra dans le temple, se prosterna pieusement devant l'autel de la Vierge-Immacul?e, et y demeura ? genoux tout le temps que dura le saint sacrifice de la messe. Son humble attitude et son recueillement firent l'?dification de tous.
Et chaque dimanche, dans la suite, beau temps mauvais temps, les paroissiens le virent entendre la premi?re messe avec la m?me d?votion. Sa place de pr?dilection, dans l'?glise, ?tait l'autel de Marie. C'est vers cette bonne m?re qu'il levait ses regards suppliants, et c'est par elle que ses soupirs et ses pri?res ardentes montaient, comme un pur encens, jusqu'au tr?ne de Dieu!
Aussi bien, sa conduite irr?prochable et exemplaire lui m?rita bient?t l'estime et la consid?ration de la brave population de Saint-Sauveur.
Le g?ant aimait la solitude. Il ne visitait personne, et ne sortait que pour vendre du poisson et du gibier.
La p?che et la chasse ?taient ses seuls moyens de subsistance, et ils paraissaient suffire ? ses go?ts fort modestes.
Mais si le vieillard ne visitait personne, il avait l'honneur de recevoir souvent la visite du r?v?rend P?re Durocher, de pieuse m?moire, sup?rieur de la communaut? des Oblats de Marie.
Que se passait-il entre le bon P?re et le vieux muet, dans le cours de leurs longues et fr?quentes entrevues? Nul n'osait le leur demander; et ceux qui interrogeaient le saint missionnaire au sujet de l'?tranger, n'en recevaient pour toute r?ponse que ces mots: <
Quoi qu'il en f?t, apr?s chacune de ses entrevues avec le r?v?rend P?re Durocher, le solitaire semblait moins malheureux, et parfois m?me son visage, d'ordinaire triste, s'?clairait d'un doux sourire.
Le vieux muet avait acquis son droit de cit?. A la curiosit? qu'avait fait na?tre la venue de cet ?trange colosse, succ?da une bienveillante sympathie. Sa figure devint famili?re ? tous. C'?tait un membre de la grande famille.
UN SAUVETAGE ?MOUVANT
C'?tait en 18..., par un de ces chauds dimanches de juillet o? les citadins, apr?s les offices religieux aiment ? s'?loigner un peu de la ville, afin de respirer un air plus pur, tout en se reposant des fatigues de la semaine.
Les privil?gi?s de la fortune se payent le luxe d'une promenade en voiture ? travers les jolies paroisses qui environnent Qu?bec. Ils n'ont que l'embarras du choix, car Beauport, Charlesbourg, Lorette, Cap-Rouge, Sainte-Foye, Sillery, sont des lieux charmants qui invitent au repos et ? la r?verie.
Mais les pauvres, dont les jambes sont aussi solides que le coeur est joyeux, se rendent ? pied en dehors des barri?res, et vont passer le reste de l'apr?s-midi ? l'ombre des grands arbres.
Des familles enti?res descendent ? la rivi?re Saint-Charles. L?, sous les regards des parents, les enfant prennent leurs joyeux ?bats.
Plusieurs bambins, jambes nues, courent au bord de l'onde, en dirigeant des bateaux minuscules qui dansent sur l'eau, au bout de leur ficelle, et dont les oscillations causent des ?motions ? ces marins en herbe.
Ailleurs, de gentils mioches, l?gers comme des papillons, se poursuivent, s'empoignent, se bousculent et roulent, p?le-m?le, sur le sable fin de la gr?ve.
Leurs rires argentins r?sonnent et leurs petits cris ?clatent parfois comme une d?charge de p?tards.
Les parents, t?moins de ce gracieux spectacle, partagent les joies des enfants. Et ces joies si pures leur font oublier les soucis de la veille, et retrempent leur courage et leurs vertus.
D'autres enfin--les amateurs de l'art nautique--prennent place dans une barque l?g?re et battent les flots en cadence en faisant retentir l'air de mille refrains.
Bref, tous les go?ts peuvent se satisfaire, et l'homme est libre de choisir les amusements qui lui plaisent le mieux, pourvu qu'il sache respecter toujours les r?gles de la morale et de la prudence.
La mar?e est haute, et l'onde perfide que dore la lumi?re ?clatante du soleil, d?roule mollement ses plis en modulant sa chanson monotone et reposante.
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