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Read Ebook: Les Roquevillard by Bordeaux Henry

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Ebook has 2217 lines and 65558 words, and 45 pages

LES ROQUEVILLARD

PAR HENRY BORDEAUX

? MONSIEUR FERDINAND BRUNETI?RE

H.B.

PREMI?RE PARTIE

LES VENDANGES

Du sommet du coteau, la voix de M. Fran?ois Roquevillard descendit vers les vendangeuses qui, le long des vignes en pente, all?geaient les ceps de leurs grappes noires.

--Le soir tombe. Allons! un dernier coup de collier.

C'?tait une voix bienveillante, mais de commandement. Elle communiqua de l'agilit? ? tous les doigts, et courba les ?paules des ouvri?res qui fl?naient. Avec bonne humeur, le ma?tre ajouta:

--Le matin, elles sont plus l?g?res que des alouettes, et l'apr?s- midi, elles bavardent comme des pies.

Cette r?flexion provoqua des rires unanimes:

--Oui, monsieur l'avocat.

On n'appelait jamais autrement le ma?tre de la Vigie. La Vigie est un beau domaine, bois, champs et vignes, d'un seul tenant, situ? ? l'extr?mit? de la commune de Cognin, ? trois ou quatre kilom?tres de Chamb?ry. On y acc?de en suivant un chemin rural et en traversant un vieux pont jet? sur l'Hy?re aux eaux basses. Il domine la route de Lyon qui, jadis, reliait la Savoie ? la France ? travers les roches taill?es des ?chelles. Son nom lui vient d'une tour qui couronnait le mamelon et dont il ne reste plus aucun vestige. Il appartient depuis plusieurs si?cles ? la famille Roquevillard qui l'a agrandi peu ? peu, ainsi qu'en t?moignent la maison de campagne et les communs b?tis de pi?ces et de morceaux, ensemble d'une harmonie contestable, mais expressif comme un visage de vieillard, o? toute une vie se r?sume. Ici, c'est le pass? d'une forte race fid?le ? la terre natale. Les Roquevillard sont, de p?re en fils, gens de loi. Ils ont donn? des b?tonniers au barreau, des juges, des pr?sidents ? l'ancien S?nat provincial, et ? la nouvelle Cour d'appel un conseiller qui, pour mourir chez lui, refusa tout avancement. N?anmoins, le pays persiste ? les traiter indiff?remment d'avocats, et sans doute il donne ? ce titre un sens de protection. Pr?s de quarante ans d'exercice, une connaissance pr?cise du droit, une parole ardente et vigoureuse m?ritaient plus sp?cialement cette popularit? au propri?taire actuel.

Les alignements r?guliers du vignoble permettaient de surveiller ais?ment la r?colte. D?j? les teintes des feuilles accusaient octobre, et sur les coteaux, la terre plus lumineuse s'opposait au ciel plus p?le. Les divers plans se distinguaient mieux aux colorations: la Mondeuse vert et or, le Grand Noir et la Douce Noire vert et pourpre. Entre les branches claires, les taches sombres des raisins sollicitaient le regard. Le couteau ouvert et la main sanglante, pareilles ? de prompts sacrificateurs, les vendangeuses, se h?tant, poursuivaient les grappes comme des victimes offertes, les tranchaient d'un coup net et les jetaient au panier. Elles relevaient uniform?ment leur jupe en l'attachant en arri?re afin d'?tre plus libres de leurs mouvements sur le sol gras, et portaient un mouchoir ou un fichu bariol? nou? autour de la t?te pour se garantir des rayons du jour. De temps en temps, l'une d'elles, redress?e, ?mergeait de la mer des ceps, comme un lavaret qui vient respirer ? la surface, puis replongeait aussit?t. Il y en avait de vieilles, noueuses et rid?es, lentes et le corps r?tif, mais capables d'endurance et l'oeil aux aguets, car, n'?tant plus gu?re employ?es, elles luttaient pour conserver leurs derniers clients. Des jeunes filles de vingt ans, plus adroites et lestes, exposaient sans crainte leur visage et leurs avant-bras d?couverts ? l'action du h?le qui garde ? la chair les caresses du soleil, et des fillettes inachev?es encore, moins r?sistantes, changeaient de place, troublaient l'ordre ou s'asseyaient tout bonnement avec une gaiet? de pensionnaires en vacances et la flexible souplesse des sarments que leurs mains ployaient. Enfin de petits enfants, confi?s par leurs m?res qui en d?barrassaient le logis, vendangeaient pour leur compte en se bousculant et se barbouillant l?vres et joues ? la fa?on de pr?coces bacchantes.

En face de la Vigie, l'ombre du soir envahissait les coteaux de Vimines et de Saint-Sulpice, rapproch?s de la cha?ne de L?pine qui re?oit les soleils couchants, et, plus bas, le val sinueux de Saint-Thibaud-de-Coux et des ?chelles. Mais la lumi?re inondait le vignoble de pourpre et d'or. Elle d?couvrait les vendangeuses dans leurs lignes, les nimbait malgr? leurs foulards, se jouait sur les cornes des boeufs, embrasait la barbe grise et la face rouge du chef de culture sur le chariot, ?clairait, sous les rebords du chapeau, le visage ?nergique de M. Roquevillard, et, plus haut encore, miroitait sur le clocher arrogant de Montagnole, pour se poser enfin audacieusement, comme une couronne, sur le rocher l?gendaire du mont Granier.

Se groupant autour de quelques ceps ?pargn?s,les ouvri?res cueillaient les derniers raisins. Une gerle encore fut hiss?e et du haut du char le vieux J?r?mie lan?a triomphalement:

--?a y est, monsieur l'avocat.

--Combien de chariots? interrogea le ma?tre.

--Douze.

--C'est une belle ann?e.

Il ajouta, comme les boeufs se mettaient en marche, suivis de toute la bande des vignerons:

--Maintenant, ? mon tour. Par ici le rassemblement.

Panier au bras, couteau ou serpe en main, les ouvri?res gagn?rent le sommet du coteau et entour?rent M. Roquevillard. Il planta sa canne ferr?e en terre, et sortit de sa poche un petit sac d'o? il tira de la monnaie de cuivre et des pi?ces d'argent. Aussit?t, les plus bavardes se turent. Ce fut un instant solennel, celui de la paye. Derri?re l'assembl?e, des vitres ou des toits d'ardoise renvoyaient comme des miroirs l'?clat du soleil.

Avec une amicale familiarit?, il appelait chacune par son nom, et m?me il les tutoyait, car, les plus ?g?es, il les avait toujours vues, et les autres, il les avait connues petites. Elles touchaient le prix de leur journ?e avec un mot aimable en suppl?ment, et r?pondaient ? tour de r?le:

--Merci, monsieur l'avocat.

L'une ou l'autre, qui s'?tait montr?e paresseuse, recevait un bl?me qui, prononc? d'un ton plaisant, l'atteignait n?anmoins, car le ma?tre avait l'oeil ouvert. Les enfants qui s'?taient pay?s en nature obtenaient de lui quelques sous, car il les aimait.

--Que celles qui ont leur compte passent ? gauche, dit-il au milieu de son op?ration, afin que je ne recommence pas ind?finiment.

--Cela ne ferait pas de mal, r?pliqua une belle fille de dix-huit ou vingt ans.

Celle-ci ne portait pas de fichu sur la t?te, comme pour mieux braver le jour avec sa jeunesse. Les cheveux un peu d?faits lui tombaient sur le front. Elle avait la bouche tr?s grande et une expression commune, mais un air de sant?, des yeux vifs et surtout un teint dor? comme ces graines gonfl?es de raisin blanc que la chaleur a roussies et qui semblent contenir de l'?lixir de soleil. M. Roquevillard la d?visagea:

--Comme tu as vite pouss?, Catherine! Quand te marie-t-on?

Prise publiquement au s?rieux, elle rougit de plaisir:

--Faudra voir.

--Eh! tu n'es pas d?sagr?able ? regarder, Catherine.

Et ? la pi?ce qu'il lui donnait, il joignit ce conseil qu'il formula gravement:

--Sois bien sage, petite: vertu passe beaut?.

Elle le promit sans retard.

--Oui, monsieur l'avocat.

? la fin du d?fil?, le ma?tre inspecta sa troupe et demanda:

--Tout le monde est content?

Vingt voix joyeuses r?pondirent en remerciant.

Mais un enfant d?signa du doigt une vieille femme qui se tenait ? l'?cart, honteuse et la mine d?confite:

--La Fauchois.

Son mot se perdit et personne n'intervint, comme si elle ne m?ritait aucun salaire.

--Alors, bonsoir, reprit la voix bien timbr?e de M. Roquevillard. Vous arriverez de jour ? Saint-Cassin et ? Vimines.

--Bonsoir, monsieur l'avocat.

Immobile ? son poste d'observation, il vit les silhouettes des vendangeuses se d?couper en noir sur le couchant, d?cro?tre et dispara?tre. D'en bas, leurs voix montaient. Elles s'?taient s?par?es en deux groupes, celles de Vimines et celles de Saint- Cassin. Ces derni?res, qui avaient pris ? gauche, se mirent ? chanter un choeur rustique au finale tra?nant. D?j? le soleil effleurait la montagne.

? c?t? du ma?tre, la Fauchois ne bougeait pas, ne r?clamait rien.

--Pierrette, dit brusquement M. Roquevillard.

Elle tendit en avant sa figure qui ?tait moins vieillie que douloureuse et crevass?e.

--Monsieur Fran?ois, murmura-t-elle.

--Voil? cent sous. Va manger la soupe ? la maison.

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