Read Ebook: Les misères de Londres 1. La nourrisseuse d'enfants by Ponson Du Terrail
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Ebook has 3474 lines and 49940 words, and 70 pages
Et le gentleman, qui n'avait jamais perdu de vue la m?re et l'enfant, surprit ce regard et tressaillit.
--Oh! murmura-t-il, on dirait l'oeil de flamme de sir Edmund!
En m?me temps la femme qui, elle aussi, les avait regard?s avec une curiosit? ?trange, se glissa comme un reptile aupr?s de l'Irlandaise.
Ce n'?tait pas une mendiante, pourtant.
Elle avait une belle robe ? ramage, un ch?le vert et rouge, un chapeau ? rubans violets, des souliers cir?s ? l'oeuf, avec des bas tricot?s ? l'aiguille, un sac de velours au poignet gauche, un parapluie vert ? la main droite, et les doigts couverts de bagues orn?es de pierres grossi?res et multicolores.
Cet ensemble de mauvais go?t anglais n'?tait que grotesque et pr?tait ? rire tant qu'on n'envisageait pas attentivement cette cr?ature.
Les yeux d'un bleu incolore avaient un froid rayonnement.
Les l?vres minces qui recouvraient de longues dents jaunes ? moiti? d?chauss?es, avaient une expression de m?chancet? doucereuse; le visage empourpr? et bouffi quelque chose de bestial qui rappelait la t?te de certains animaux carnassiers.
Elle s'approcha de l'Irlandaise, et celle-ci s'?carta sur le banc o? elle ?tait assise, moins pour lui faire place que pour se soustraire ? son contact.
--Ma ch?re, lui dit cette femme, se servant d'une appellation commune au peuple de Londres, aussi vrai que je m'appelle mistress Fanoche, que je suis presque de qualit? et que j'ai quelque droit au titre de dame; aussi vrai que je tiens une maison d'?ducation pour les enfants des deux sexes, dans Dudley-street, aupr?s d'Oxford, ? deux pas de Saint-Gilles; aussi vrai que je suis catholique comme vous, vous avez le plus bel enfant que j'aie jamais vu!
--Vous ?tes catholique? s'?cria l'Irlandaise.
--Oui, ma ch?re.
--Irlandaise, peut-?tre?...
Et la jeune femme, qui d'abord avait ?prouv? un sentiment de r?pulsion, ob?it en ce moment ? ce besoin imp?rieux qu'ont les exil?s de retrouver sur la terre ?trang?re quelque chose ou quelqu'un qui leur parle de leur patrie.
--Je ne suis pas Irlandaise de naissance, r?pondit mistress Fanoche, mais simplement d'origine. Mon grand-p?re ?tait Irlandais. Nous sommes rest?s catholiques, j'ai m?me beaucoup souffert, car feu master Fanoche, mon ?poux, que Dieu lui pardonne! m'a rendue bien malheureuse, ? propos de ma religion.
Sur ces mots, mistress Fanoche passa ses mains couvertes de bagues sur ses yeux, essuyant une larme absente.
--Et vous allez ? Saint-Gilles? reprit-elle.
--Oui, madame.
--Chez des Irlandais?
--Oui, madame. Chez un nomm? Patrick.
--Dans Lawrence-street?
--Pr?cis?ment.
Tandis que l'Irlandaise parlait ainsi, elle n'avait point remarqu? une femme grande, s?che, non moins ridiculement accoutr?e que mistress Fanoche, qui s'?tait approch?e peu ? peu et avec qui la pr?tendue ma?tresse de pension avait ?chang? un furtif regard.
La grande femme s?che tira de sa poche un carnet et un crayon et tandis que mistress Fanoche continuait ? absorber l'attention de l'Irlandaise, elle ?crivit ? la h?te les mots de Saint-Gilles, de Patrick et de Lawrence-street.
--Oui, ma ch?re, r?pondit mistress Fanoche, vous avez l? un enfant charmant.
La m?re rougit d'orgueil.
--Est-ce que vous ne le mettrez pas en pension?
Un sourire triste vint aux l?vres de l'Irlandaise.
--Je ne sais pas, dit-elle. Nous sommes pauvres aujourd'hui, peut-?tre le serons-nous longtemps encore.
--Il est si gentil, poursuivit mistress Fanoche, que je le prendrais volontiers pour rien, pour l'amour de Dieu et de notre ch?re Irlande, ajouta-t-elle avec un enthousiasme hypocrite.
En ce moment, l'enfant rassasi? sans doute du spectacle qu'il avait contempl? pendant quelques minutes, se retourna et s'approcha de sa m?re.
Comme elle, il ?prouva ? la vue de mistress Fanoche un sentiment de r?pulsion, mais plus vif encore, plus accentu?.
Et il dit avec une sorte d'effroi:
--M?re, quelle est cette femme?
--Une lady qui va te donner un g?teau, mon mignon, r?pliqua mistress Fanoche.
Et elle ouvrit un sac de velours vert et en retira une petite galette ? l'anis qu'elle tendit ? l'enfant.
Peut-?tre celui-ci avait-il bien faim; mais il refusa avec une dignit? qu'on n'e?t point soup?onn?e chez un enfant de son ?ge.
--Merci! dit-il, je n'ai pas faim, madame.
--Ma ch?re, dit encore mistress Fanoche, vous serez bien mal log?e dans Lawrence-street. Je connais ce Patrick dont vous parlez. C'est un pauvre homme, cordonnier de son ?tat et qui a bien du mal ? vivre. Peut-?tre n'a-t-il pas de pain chez lui.
--Il en ach?tera, dit l'Irlandaise, car j'ai encore un peu d'argent.
--Je vous l'ai dit, poursuivit mistress Fanoche, qui ne se d?courageait pas, je demeure dans Dudley-street; c'est ? deux pas de Saint-Gilles. Vous y pourrez aller demain aussi matin que vous voudrez. Venez chez moi. Je vous donnerai ? souper et un bon lit pour l'amour de notre ch?re Irlande.
La jeune femme regarda de nouveau son enfant.
Elle l'avait regard? ainsi quand l'?cossais marchand de poisson lui avait pareillement offert l'hospitalit?.
Mais, cette fois, l'enfant se chargea de la r?ponse.
Il revint aupr?s de sa m?re, se serra contre elle, comme un petit oiseau se presse contre la sienne ? l'approche de l'orage qui gronde au lointain, et il lui dit avec un sentiment de morgue et d'ind?finissable ?pouvante:
--N'y allons pas, m?re, n'y allons pas!
--Comme vous voudrez, dit na?vement mistress Fanoche, qui ?changea un nouveau regard furtif avec sa longue et maigre compagne, en m?me temps qu'elle s'?loignait sans affectation de l'Irlandaise.
L'enfant avait pris dans ses petites mains la main de sa m?re et il la portait ? ses l?vres avec une effusion na?ve.
On e?t dit qu'ils venaient tous les deux d'?chapper ? un grand et myst?rieux danger.
A dix pas de l?, pendant ce temps, le gentleman qui les avait regard?s avec tant de persistance ?changeait maintenant quelques mots ? voix basse avec un compagnon de voyage.
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