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Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 3) by Guizot Fran Ois

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Ebook has 833 lines and 135990 words, and 17 pages

M?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS

PARIS MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES-?DITEURS. RUE VIVIENNE, 2 BIS.

M?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS

PAR

M. GUIZOT

TOME TROISI?ME

MON MINIST?RE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.

Caract?re et but du cabinet du 11 octobre 1832.--Difficult?s de sa situation.--Avantages de sa composition.--D'o? vient la popularit? du minist?re de l'instruction publique.--Son importance pour les familles;--pour l'?tat.--Des divers moyens de gouvernement des esprits selon les temps.--Caract?re la?que de l'?tat actuel de l'intelligence et de la science.--Du syst?me et de l'?tat des ?tablissements d'instruction publique en Angleterre.--Mes conversations ? Londres ? ce sujet.--Unit? n?cessaire du syst?me d'instruction publique en France.--Des essais d'organisation de l'instruction publique depuis 1789.--L'Assembl?e constituante et M. de Talleyrand.--L'Assembl?e l?gislative et M. de Condorcet.--La Convention nationale et M. Daunou.--Le Consulat et la loi du 1er mai 1802.--L'Empire et l'Universit?.--L'instruction publique et la Charte.--Vicissitudes de l'organisation du minist?re de l'instruction publique.--Comment je le fis organiser en y entrant.--D?buts du cabinet.--Pr?paration du discours de la Couronne.--Ouverture de la session de 1832.--Tentative d'assassinat sur le Roi.--?tat des affaires au dedans et au dehors.--Je tombe malade.

Je n'ai nul dessein de toucher aux questions et aux querelles du temps pr?sent; j'ai bien assez de celles qu'?veillent les souvenirs du pass?; j'?vite les comparaisons et les allusions, bien loin de les chercher.

Cependant, ? l'?poque o? j'arrive, je rencontre un fait auquel je ne puis me dispenser d'assigner son caract?re et son sens v?ritables. C'est au cabinet du 11 octobre 1832 qu'on rapporte en g?n?ral le premier essai pr?m?dit? de ce qu'on a appel? depuis le gouvernement parlementaire. Ce fut effectivement en vue du parlement, ou pour mieux dire des chambres et dans leur sein, que ce cabinet fut choisi pour assurer ? la monarchie nouvelle leur intime et actif concours. Je tiens ? dire avec pr?cision ce qu'?tait, ? nos yeux, la mission dont nous acceptions ainsi le fardeau.

Les hommes de sens souriront un jour au souvenir du bruit qui se fait depuis quelque temps autour de ces mots: <> et des mots qu'on met en contraste avec ceux-l?. On repousse le gouvernement parlementaire, mais on admet le r?gime repr?sentatif. On ne veut pas de la monarchie constitutionnelle telle que nous l'avons vue de 1814 ? 1848; mais ? c?t? d'un tr?ne on garde une constitution. On distingue, on explique, on disserte pour bien s?parer du gouvernement parlementaire le r?gime national et lib?ral, mais tr?s-diff?rent, qu'on entend lui donner pour successeur. J'admets ce travail; je livre le gouvernement parlementaire aux anatomistes politiques qui le tiennent pour mort et en font l'autopsie; mais je demande ce que sera son successeur. Que signifieront cette constitution et cette repr?sentation nationale qui restent en sc?ne? La nation influera-t-elle efficacement sur ses affaires? Aura-t-elle pour ses droits, pour ses biens, pour son repos comme pour son honneur, pour tous les int?r?ts, moraux et mat?riels qui sont la vie des peuples, de r?elles et puissantes garanties? On lui retire le gouvernement parlementaire, soit; lui donnera-t-on, sous d'autres formes, un gouvernement libre? Ou bien, lui dira-t-on nettement et en face qu'elle doit s'en passer, et que les formes qu'on lui en conserve ne sont que de vaines apparences, indigne mensonge et pu?rile illusion?

Qu'il y ait des formes et des degr?s divers de gouvernement libre, que la r?partition des droits et des forces politiques entre le pouvoir et la libert? ne doive pas ?tre toujours et partout la m?me, cela est ?vident; ce sont l? des questions de temps, de lieu, de moeurs, d'?ge national, de g?ographie et d'histoire. Que, sur ces questions, notre r?gime parlementaire se soit plus d'une fois tromp?, qu'il ait trop donn? ou trop refus?, tant?t au pouvoir, tant?t ? la libert?, peut ?tre ? tous les deux, je ne conteste pas. Mais si c'est l? tout ce qu'on veut dire quand on l'attaque, ce n'est pas la peine de faire tant de bruit; les fautes de ce r?gime reconnues, reste toujours la vraie, la grande question: la France aura-t-elle ou n'aura-t-elle pas un gouvernement libre? C'est un acte d'hypocrisie que de pr?tendre se retrancher derri?re les erreurs du r?gime parlementaire pour ne pas r?pondre ? cette question supr?me, ou pour la r?soudre n?gativement sans oser le dire. On parle sans cesse de 1789: oublie-t-on que c'?tait pr?cis?ment un gouvernement libre, ses principes et ses garanties, que la France voulait en 1789? Croit-on qu'elle se f?t alors content?e d'un nouveau code civil et d'hommes nouveaux, sur le tr?ne ou autour du tr?ne, pour prix de la r?volution o? elle se lan?ait?

Quand nous entr?mes dans le cabinet du 11 octobre 1832, c'?tait l?, pour nous, une question r?solue. Nous ne nous inqui?tions gu?re alors du gouvernement parlementaire; nous n'en imaginions m?me pas le nom; mais nous voulions s?rieusement un gouvernement libre, c'est-?-dire des garanties efficaces de la s?curit? des droits et des int?r?ts individuels comme de la bonne gestion des affaires publiques. C'est l? la libert? politique, et c'?tait bien la libert? politique que nous entendions pratiquer pour notre compte et fonder pour notre pays.

Dans ce principe et ce but commun r?sidait l'unit? du nouveau cabinet. Il ?tait loin de r?unir toutes les conditions et d'offrir tous les caract?res qu'on a coutume de regarder comme essentiels ? un cabinet parlementaire. Nous n'entrions pas tous ensemble et en m?me temps au pouvoir; nous ne sortions pas tous des m?mes rangs politiques; nous n'avions pas tous profess? les m?mes maximes et suivi le m?me drapeau. Des huit ministres du 11 octobre 1832, quatre avaient appartenu au cabinet pr?c?dent, quatre seulement ?taient nouveaux. Quelques-uns avaient soutenu et servi, d'autres avaient combattu la Restauration. Qui aurait regard? de pr?s ? nos id?es et ? nos tendances g?n?rales, ? nos habitudes d'esprit et de vie, aurait trouv? entre nous des diff?rences graves; mais soit par principe, soit par go?t, soit par bon sens et prudence, nous regardions tous le gouvernement libre comme le gouvernement n?cessaire; nous voulions tous que la monarchie et la Charte fussent l'une et l'autre une v?rit?.

Aux yeux des spectateurs les plus intelligents et les plus bienveillants, l'entreprise ?tait difficile et hasardeuse. Gr?ce aux rudes combats de M. Casimir P?rier et ? la grande lutte des 5 et 6 juin, le gouvernement de Juillet ?tait debout, mais c'?tait l? tout son succ?s; les m?mes ennemis l'entouraient, les m?mes p?rils le mena?aient. Les conspirations et les insurrections ?taient toujours flagrantes ou imminentes; les soci?t?s secr?tes se montraient de plus en plus passionn?es et audacieuses; la presse p?riodique, en majorit? violemment hostile, agressive, destructive, dominait l'opposition parlementaire entra?n?e ou intimid?e. Cette vanit? de la victoire, ce bouillonnement continu de la temp?te quand on se croyait dans le port, frappaient les meilleurs esprits de surprise et d'inqui?tude, et leur faisaient concevoir, sur le succ?s d'une politique ? la fois de r?sistance et de libert?, de tristes doutes: <>

Huit jours plus tard, le 25 octobre, M. Rossi m'exprimait de Gen?ve des appr?hensions analogues: <> Au moment de la formation du cabinet, les m?mes inqui?tudes pr?occupaient quelques-uns de ses membres les plus consid?rables; le duc de Broglie, qui fit de mon entr?e la condition de la sienne, avait dout? peu auparavant que lui-m?me f?t en mesure de prendre part au pouvoir; il m'?crivait le 25 juin: <>

M?me le cabinet une fois form?, ses membres n'?taient pas tous bien confiants dans sa composition et ses chances; l'amiral de Rigny ?crivait ? M. Dupin: <>

M. Thiers aussi restait un peu inquiet de l'alliance des doctrinaires, et quoique convaincu de la n?cessit? de leur concours, il prenait quelque soin pour rester et para?tre, non pas s?par? d'eux, mais diff?rent et distinct.

Une circonstance att?nuait les difficult?s de cette situation, et devait aider le pouvoir nouveau ? les surmonter. Ind?pendamment de la pens?e commune qui unissait tous ses membres dans la politique g?n?rale, le cabinet du 11 octobre 1832 avait cet avantage que chacun d'eux ?tait bien appropri? au poste sp?cial qu'il occupait. L'arm?e avait besoin d'?tre non-seulement r?organis?e, mais relev?e de l'?chec qu'elle avait subi en 1830; le mar?chal Soult ?tait plus capable que personne de lui rendre ce double service: <>, disait de lui l'empereur Napol?on; vieux soldat, glorieux capitaine, Gascon s?rieux, habile ? se servir, pour les affaires publiques comme pour les siennes propres, de son nom et de sa gloire, et dou? de cette autorit? ? la fois rude et prudente qui sait se d?ployer en se m?nageant. Le respect des trait?s, l'ind?pendance et la dignit? dans la paix, la confiance de l'Europe dans la probit? du nouveau gouvernement de la France, les rapports intimes avec l'Angleterre, ces bases n?cessaires de notre politique ext?rieure ?taient garanties par le caract?re comme par la situation du duc de Broglie qui trouvait, dans ses relations personnelles avec lord Granville, alors ambassadeur d'Angleterre ? Paris, de pr?cieuses facilit?s et de loyaux moyens de succ?s. En acceptant le minist?re de l'int?rieur presque exclusivement r?duit aux attributions de s?ret? g?n?rale, M. Thiers s'?tait comme personnellement charg? de mettre fin ? l'?tat d'insurrection qu'entretenait dans les d?partements de l'Ouest la pr?sence de madame la duchesse de Berry; hardi t?moignage de son d?vouement ? la cause qu'il servait et au cabinet o? il entrait. L'amiral de Rigny, qui s'?tait fait honneur dans le commandement de notre escadre du Levant et ? Navarin, avait le rare m?rite d'?tre exempt de pr?juges dans les questions relatives au r?gime de nos colonies, et dispos? ? entreprendre les grandes r?formes que commandaient, dans ce r?gime, le droit humain et la bonne administration. M. Barthe avait ?t?, sous la Restauration, trop engag? dans les rangs et dans les actes de l'opposition la plus ardente pour que son d?vouement au service de la monarchie de 1830 ne soulev?t pas contre lui ceux de ses anciens amis qui restaient hostiles ? toute monarchie; mais sa situation et sa disposition convenaient au gros du parti lib?ral qui adoptait franchement le gouvernement nouveau; il ne pouvait ?tre soup?onn? de complaisance pour le parti l?gitimiste, et il se montrait r?solu dans la d?fense du pouvoir contre ses divers ennemis. Le roi Louis-Philippe, qu'il avait bien servi dans les embarras du minist?re Laffitte, lui portait confiance: <> M. Humann ne trouvait pas tout ? fait aupr?s du roi la m?me faveur; c'?tait un ministre des finances exigeant, ombrageux, susceptible, et qui craignait qu'on ne le cr?t facile envers la couronne; mais sa capacit? reconnue, sa grande fortune personnelle, fruit de sa capacit?, la gravit? de ses moeurs qui n'?tait rien ? sa finesse, son esprit d'ordre et de r?gle dans l'administration de la fortune publique, lui donnaient au sein des Chambres, pour les affaires de son d?partement, une autorit? que, dans les grandes occasions et avec une intelligence ?lev?e, il savait mettre au service de la bonne politique g?n?rale. C'?tait, parmi les ministres du 11 octobre 1832, l'un de ceux dont le m?rite sp?cial ?tait bien reconnu du public et contribuait au cr?dit du cabinet.

J'ai occup? quatre ans le minist?re de l'instruction publique. J'ai touch?, pendant ce temps, ? presque toutes les questions qui en d?pendent ou qui s'y rattachent. J'ai ? coeur de retracer ce que j'y ai fait, ce que j'y ai commenc? sans pouvoir l'achever, ce que je me proposais d'y faire. J'ai ?t? engag?, durant la m?me ?poque, dans toutes les luttes de la politique int?rieure ou ext?rieure, dans toutes les vicissitudes de la composition et de la destin?e du cabinet. Je placerai hors de ce tumulte des affaires et des passions du jour les questions relatives ? l'instruction publique. Non que ces questions n'aient aussi leurs passions et leur bruit; mais ce sont des passions qui s'allument ? un autre foyer, et un bruit qui se passe dans une autre sph?re. Il y a des combats et des orages dans la r?gion des id?es; mais alors m?me qu'elle cesse d'?tre sereine, elle ne cesse pas d'?tre haute; et quand on y est mont?, il ne faut pas avoir ? tout moment ? en descendre pour rentrer dans l'ar?ne des int?r?ts temporels: quand j'aurai dit ce que fut, de 1832 ? 1837, mon travail au service des intelligences et des ?mes dans les g?n?rations futures, je reprendrai ma part, ? la m?me ?poque, dans les luttes politiques de mes contemporains.

Il y a un fait trop peu remarqu?. Parmi nous et de nos jours, le minist?re de l'instruction publique est de tous les d?partements minist?riels le plus populaire, celui auquel le public porte le plus de bienveillance et d'esp?rance. Bon sympt?me dans un temps o? les hommes ne sont, dit-on, pr?occup?s que de leurs int?r?ts mat?riels et actuels. Le minist?re de l'instruction publique n'a rien ? faire avec les int?r?ts mat?riels et actuels de la g?n?ration qui poss?de en passant le monde; c'est aux g?n?rations futures, ? leur intelligence et ? leur sort qu'il est consacr?. Notre temps et notre pays ne sont donc pas aussi indiff?rents qu'on les en accuse ? l'ordre moral et ? l'avenir.

Les sentiments et les devoirs de famille ont aujourd'hui un grand empire. Je dis les sentiments et les devoirs, non l'esprit de famille tel qu'il existait dans notre ancienne soci?t?. Les liens politiques et l?gaux de la famille se sont affaiblis; les liens naturels et moraux sont devenus tr?s-forts; jamais les parents n'ont v?cu si affectueusement et si intimement avec leurs enfants; jamais ils n'ont ?t? si pr?occup?s de leur ?ducation et de leur avenir. Bien que tr?s-m?l?e d'erreur et de mal, la forte secousse que Rousseau et son ?cole ont imprim?e en ce sens aux ?mes et aux moeurs n'a pas ?t? vaine, et il en reste de salutaires traces. L'?go?sme, la corruption et la frivolit? mondaines ne sont certes pas rares; les bases m?mes de la famille ont ?t? nagu?re et sont encore en butte ? de folles et perverses attaques; pourtant, ? consid?rer notre soci?t? en g?n?ral et dans ces millions d'existences qui ne font point de bruit mais qui sont la France, les affections et les vertus domestiques y dominent, et font plus que jamais, de l'?ducation des enfants, l'objet de la vive et constante sollicitude des parents.

Une id?e se joint ? ces sentiments et leur pr?te un nouvel empire, l'id?e que le m?rite personnel est aujourd'hui la premi?re force comme la premi?re condition du succ?s dans la vie, et que rien n'en dispense. Nous assistons depuis trois quarts de si?cle au spectacle de l'insuffisance et de la fragilit? de toutes les sup?riorit?s que donne le sort, de la naissance, de la richesse, de la tradition, du rang; nous avons vu en m?me temps, ? tous les ?tages et dans toutes les carri?res de la soci?t?, une foule d'hommes s'?lever et prendre en haut leur place par la seule puissance de l'esprit, du caract?re, du savoir, du travail. A c?t? des tristes et mauvaises impressions que suscite dans les ?mes ce trouble violent et continu des situations et des existences, il en sort une grande le?on morale, la conviction que l'homme vaut surtout par lui-m?me, et que de sa valeur personnelle d?pend essentiellement sa destin?e. En d?pit de tout ce qu'il y a dans nos moeurs de mollesse et d'impertinence, c'est l? aujourd'hui, dans la soci?t? fran?aise, un sentiment g?n?ral et profond, qui agit puissamment au sein des familles et donne aux parents, pour l'?ducation de leurs enfants, plus de bon sens et de pr?voyance qu'ils n'en auraient sans ces rudes avertissements de l'exp?rience contemporaine. Bon sens et pr?voyance plus n?cessaires encore dans les classes d?j? bien trait?es du sort que dans les autres: un grand g?ologue, M. ?lie de Beaumont nous a fait assister aux r?volutions de notre globe; c'est de sa fermentation int?rieure que proviennent les in?galit?s de sa surface; les volcans ont fait les montagnes. Que les classes qui occupent les hauteurs sociales ne se fassent point d'illusion; un fait analogue se passe sous leurs pieds; la soci?t? humaine fermente jusque dans ses derni?res profondeurs, et travaille ? faire sortir de son sein des hauteurs nouvelles. Ce vaste et obscur bouillonnement, cet ardent et g?n?ral mouvement d'ascension, c'est le caract?re essentiel des soci?t?s d?mocratiques, c'est la d?mocratie elle-m?me. Que deviendraient, en pr?sence de ce fait, les classes d?j? investies des avantages sociaux, les anciens, les riches, les grands et les heureux de toute sorte, si aux bienfaits du sort ils ne joignaient les m?rites de l'homme; si par l'?tude, le travail, les lumi?res, les fortes habitudes de l'esprit et de la vie, ils ne se mettaient en ?tat de suffire dans toutes les carri?res ? l'immense concurrence qui leur est faite, et qu'on ne peut r?gler qu'? condition de la bien soutenir?

C'est ? cet ?tat de notre soci?t?, au juste instinct de ses besoins, au sentiment de sollicitude ambitieuse ou pr?voyante qui r?gne dans les familles, que le minist?re de l'instruction publique doit sa popularit?. Tous les parents s'int?ressent vivement ? l'abondance et ? la salubrit? de la source o? leurs enfants iront puiser.

A c?t? de ce puissant int?r?t domestique un grand int?r?t public vient se placer. N?cessaire aux familles, le minist?re de l'instruction publique ne l'est pas moins ? l'?tat.

Le grand probl?me des soci?t?s modernes, c'est le gouvernement des esprits. On a beaucoup dit dans le si?cle dernier, et on r?p?te encore souvent que les esprits ne doivent point ?tre gouvern?s, qu'il faut les laisser ? leur libre d?veloppement, et que la soci?t? n'a ni besoin ni droit d'y intervenir. L'exp?rience a protest? contre cette solution orgueilleuse et insouciante; elle a fait voir ce qu'?tait le d?cha?nement des esprits, et rudement d?montr? que, dans l'ordre intellectuel aussi, il faut des guides et des freins. Les hommes qui avaient soutenu, ici comme ailleurs, le principe du complet laisser-aller, se sont eux-m?mes h?t?s d'y renoncer d?s qu'ils ont eu ? porter le fardeau du pouvoir: jamais les esprits n'ont ?t? plus violemment pourchass?s, jamais ils n'ont ?t? moins libres de s'instruire et de se d?velopper ? leur gr?, jamais plus de syst?mes n'ont ?t? invent?s, ni plus d'efforts tent?s pour les dominer que sous l'empire des partis qui avaient r?clam? l'abolition de toute autorit? dans l'ordre intellectuel.

Mais si, pour le progr?s comme pour le bon ordre dans la soci?t?, un certain gouvernement des esprits est toujours n?cessaire, les conditions et les moyens de ce gouvernement ne sont pas toujours ni partout les m?mes; de notre temps, ils ont grandement chang?.

L'?glise avait seule jadis le gouvernement des esprits. Elle poss?dait ? la fois l'autorit? morale et la supr?matie intellectuelle. Elle ?tait charg?e de nourrir les intelligences comme de r?gler les ?mes, et la science ?tait son domaine presque aussi exclusivement que la foi.

Cela n'est plus: l'intelligence et la science se sont r?pandues et s?cularis?es; les la?ques sont entr?s en foule dans le champ des sciences morales et l'ont cultiv? avec ?clat; ils se sont presque enti?rement appropri? celui des sciences math?matiques et physiques. L'?glise n'a point manqu? d'eccl?siastiques savants; mais le monde savant, docteurs et public, est devenu plus la?que qu'eccl?siastique. La science a cess? de vivre habituellement sous le m?me toit que la foi; elle a couru le monde. Elle est de plus devenue une puissance pratique, f?conde en applications quotidiennes ? l'usage de toutes les classes de la soci?t?.

En devenant plus la?ques, l'intelligence et la science ont pr?tendu ? plus de libert?. C'?tait la cons?quence naturelle de leur puissance, de leur popularit? et de leur orgueil qui grandissaient ? la fois. Et le public les a soutenues dans leur pr?tention, car tant?t il a vu que sa propre libert? ?tait intimement li?e ? la leur, tant?t il a jug? que la libert? ?tait, pour les ma?tres de la pens?e et de la science, la juste r?compense des forces nouvelles qu'ils mettaient ? la disposition de la soci?t? et des services qu'ils lui rendaient.

Qu'on s'en f?licite ou qu'on les d?plore, qu'on s'accorde ou qu'on diff?re sur leurs cons?quences, qu'on s'aveugle ou qu'on s'alarme sur leurs dangers, ce sont l? des faits certains et irr?vocables. L'intelligence et la science ne redeviendront pas essentiellement eccl?siastiques; l'intelligence et la science la?ques ne se passeront pas d'une large mesure de libert?.

Mais pr?cis?ment parce qu'elles sont maintenant plus la?ques, plus puissantes et plus libres que jadis, l'intelligence et la science ne sauraient rester en dehors du gouvernement de la soci?t?. Qui dit gouvernement ne dit pas n?cessairement autorit? positive et directe: <> disait Washington, et dans l'ordre politique il avait raison; l'influence n'y saurait suffire; il y faut l'action directe et promptement efficace. Il en est autrement dans l'ordre intellectuel; quand il s'agit des esprits, c'est surtout par l'influence que le gouvernement doit s'exercer. Deux faits, ? mon sens, sont ici n?cessaires: l'un, que les forces vou?es aux travaux intellectuels, les sup?riorit?s lettr?es et savantes soient attir?es vers le gouvernement, librement group?es autour de lui et amen?es ? vivre avec lui en rapport naturel et habituel; l'autre, que le gouvernement ne reste pas ?tranger au d?veloppement moral des g?n?rations successives, et qu'? mesure qu'elles paraissent sur la sc?ne il puisse ?tablir des liens intimes entre elles et l'?tat au sein duquel Dieu les fait na?tre. De grands ?tablissements scientifiques et de grands ?tablissements d'instruction publique soutenus par les grands pouvoirs publics, c'est la part l?gitime et n?cessaire du gouvernement civil dans l'ordre intellectuel.

Par quels moyens pouvons-nous aujourd'hui, en France, assurer au gouvernement cette part, et satisfaire ? ce besoin vital de notre soci?t?? La France poss?dait autrefois, et en grand nombre, des ?tablissements sp?ciaux et subsistant par eux-m?mes, des universit?s, des corporations enseignantes ou savantes qui, sans d?pendre de l'?tat, lui ?taient cependant unies par des liens plus ou moins ?troits, plus ou moins apparents, tant?t avaient besoin de son appui, tant?t ne pouvaient se soustraire ? son intervention, et donnaient ainsi au pouvoir civil une influence r?elle, bien qu'indirecte et limit?e, sur la vie intellectuelle et l'?ducation de la soci?t?. L'Universit? de Paris, la Sorbonne, les B?n?dictins, les Oratoriens, les Lazaristes, les J?suites et tant d'autres corporations, tant d'autres ?coles diverses dispers?es dans les provinces, n'?taient certes pas des branches de l'administration publique, et lui causaient souvent de graves embarras. Avant de dispara?tre dans la temp?te r?volutionnaire, plusieurs de ces ?tablissements ?taient tomb?s dans des abus ou dans une insignifiance qui avaient d?truit leur cr?dit moral et fait oublier leurs services. Mais pendant des si?cles, ils avaient second? le d?veloppement intellectuel de la soci?t? fran?aise et pr?t? ? son gouvernement un utile concours. Presque tous anciens et propri?taires, attach?s ? leurs traditions, fond?s dans un dessein religieux, ils avaient des instincts d'ordre et d'autorit? en m?me temps que d'ind?pendance. C'?tait, dans l'ensemble, un mode d'action de l'?tat sur la vie intellectuelle et l'?ducation de la nation; mode confus et incoh?rent, qui avait ses difficult?s et ses vices, mais qui ne manquait ni de dignit?, ni d'efficacit?.

En 1848, pendant mon s?jour en Angleterre, on y d?battait la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'instituer un minist?re de l'instruction publique, et de placer ainsi, sous l'autorit? directe du pouvoir civil et central, ce grand int?r?t de la soci?t?. Des hommes consid?rables, les uns engag?s dans la politique et membres du parlement, les autres appartenant ? l'?glise anglicane, d'autres, esprits libres et purs philosophes, me demand?rent ce que j'en pensais. Nous nous en entret?nmes ? plusieurs reprises; je leur exposai notre syst?me d'instruction publique en France; ils connaissaient bien celui de l'Allemagne. Apr?s un s?rieux examen de la question, ils arriv?rent, pour le compte de leur pays, ? une conclusion que je tiens ? reproduire ici telle qu'elle se manifesta, car en m?me temps qu'elle peint avec v?rit? la nature des ?tablissements d'instruction publique en Angleterre, elle jette, ? cet ?gard, sur l'?tat compar? des deux pays, une vive lumi?re.

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Je comprends que les Anglais arrivent ? cette conclusion, et je les en approuve. En France, nous n'avons pas m?me ? nous poser la question qui les y conduit. Chez nous, tous les anciens et divers ?tablissements d'instruction publique ont disparu, les ma?tres et les biens, les corporations et les dotations. Nous n'avons, dans la grande soci?t?, plus de petites soci?t?s particuli?res, subsistant par elles-m?mes et vou?es aux divers degr?s de l'?ducation. Ce qui s'est relev? ou ce qui essaye de na?tre, en ce genre, est ?videmment hors d'?tat de suffire aux besoins publics. En mati?re d'instruction publique, comme dans toute notre organisation sociale, un syst?me g?n?ral, fond? et soutenu par l'?tat, est pour nous une n?cessit?; c'est la condition que nous ont faite et notre histoire et le g?nie national. Nous voulons l'unit?; l'?tat seul peut la donner; nous avons tout d?truit; il faut cr?er.

Le gouvernement consulaire fut plus s?rieux et plus efficace. La loi du 1er mai 1802, vaine quant ? l'instruction primaire, incompl?te et hypoth?tique quant ? l'instruction sup?rieure, r?tablit, sous le nom et au sein des lyc?es, une v?ritable instruction secondaire dans laquelle se retrouvaient de bons principes d'enseignement et des garanties d'influence sociale et de dur?e. Pourtant l'oeuvre manquait d'originalit? et de grandeur: l'instruction publique ?tait consid?r?e comme un simple service administratif, et plac?e ? ce titre, personnes et choses, parmi les nombreuses et tr?s-diverses attributions du ministre de l'int?rieur. Ni le rang qui lui appartenait, ni le mode de gouvernement qui lui convenait n'?taient compris; elle tombait sous l'empire de ce m?canisme bureaucratique qui r?gle et dirige bien les affaires d'ordre mat?riel, mais dont les affaires d'ordre moral ne sauraient s'accommoder.

L'empereur Napol?on ne s'y trompa point: averti par ces instincts grands et pr?cis qui lui r?v?laient la vraie nature des choses et les conditions essentielles du pouvoir, il reconnut, d?s qu'il y pensa lui-m?me et ? lui seul, que l'instruction publique ne pouvait ?tre ni livr?e ? la seule industrie priv?e, ni gouvern?e par une administration ordinaire, comme les domaines, les finances ou les routes de l'?tat. Il comprit que, pour donner aux hommes charg?s de l'enseignement la consid?ration, la dignit?, la confiance en eux-m?mes et l'esprit de d?vouement, pour que ces existences si modestes et si faibles se sentissent satisfaites et fi?res dans leur obscure condition, il fallait qu'elles fussent group?es et comme li?es entre elles, de mani?re ? former un corps qui leur pr?t?t sa force et sa grandeur. Le souvenir des corporations religieuses et enseignantes revint ? l'esprit de Napol?on; mais en les admirant, comme il admirait volontiers ce qui avait dur? avec ?clat, il reconnut leurs vices qui seraient plus graves de nos jours. Les corporations religieuses ?taient trop ?trang?res et au gouvernement de l'?tat et ? la soci?t? elle-m?me; par le c?libat, par l'absence de toute propri?t? individuelle et bien d'autres causes encore, elles vivaient en dehors des int?r?ts, des habitudes et presque des sentiments g?n?raux. Le gouvernement n'exer?ait sur elles qu'une influence indirecte, rare et contest?e. Napol?on comprit que, de nos jours, le corps enseignant devait ?tre la?que, menant la vie sociale, partageant les int?r?ts de famille et de propri?t? personnelle, ?troitement uni, sauf sa mission sp?ciale, ? l'ordre civil et ? la masse des citoyens; Il fallait aussi que ce corps t?nt de pr?s au gouvernement de l'?tat, qu'il re??t de lui ses pouvoirs et les exer??t sous son contr?le g?n?ral. Napol?on cr?a l'Universit?, adaptant, avec un discernement et une libert? d'esprit admirables, l'id?e-m?re des anciennes corporations enseignantes au nouvel ?tat de la soci?t?.

Les meilleures oeuvres n'?chappent pas ? la contagion des vices de leur auteur. L'Universit? ?tait fond?e sur le principe que l'?ducation appartient ? l'?tat. L'?tat, c'?tait l'Empereur. L'Empereur voulait et avait le pouvoir absolu. L'Universit? fut, en naissant, un r?gime de pouvoir absolu. En dehors de l'institution, ni les droits de la famille, ni ceux de l'?glise, ni ceux de l'industrie priv?e n'?taient reconnus et respect?s. Dans le sein m?me de l'institution, il n'y avait, pour la situation, la dignit? et la juste ind?pendance des personnes, point de r?elles garanties. Si, en France, l'Empereur ?tait l'?tat, dans l'Universit? le grand-ma?tre ?tait l'empereur. Je me sers d'expressions trop absolues; en fait, le gouvernement de l'Universit? s'est toujours appliqu? ? m?nager les droits divers; mais quelles que soient la prudence ou l'incons?quence des hommes, les principes portent leurs fruits; selon les principes de la constitution universitaire, il n'y avait, en mati?re d'instruction publique, point de libert? pour les citoyens, point de responsabilit? du pouvoir envers le pays.

Aussi quand la Charte eut institu? en France le gouvernement libre, quand la libert? des citoyens et la responsabilit? du pouvoir furent devenues le droit commun et pratique du pays, l'embarras de l'Universit?, et du gouvernement ? son sujet, fut extr?me; ses maximes, ses r?gles, ses traditions n'?taient plus en rapport avec les institutions g?n?rales; au nom de la religion, des familles, de la libert?, de la publicit?, on ?levait; autour d'elle et contre elle, des r?clamations qu'elle ne savait comment repousser sans se mettre en lutte avec le syst?me constitutionnel, ni comment admettre sans se d?mentir et se mutiler elle-m?me. Le pouvoir qui la gouvernait, qu'il s'appel?t grand-ma?tre, conseil royal ou pr?sident, n'?tait ni un ministre, ni assez petit et assez d?pendant pour n'?tre que le subordonn? d'un ministre. Nul ministre ne voulait r?pondre de lui; et il ne pouvait porter lui-m?me, aupr?s des chambres et du public, le poids de la responsabilit?. Pendant six ans, de 1815 ? 1821, des hommes sup?rieurs, M. Royer-Collard, M. Cuvier, M. Silvestre de Sacy, M. Lain?, us?rent leur talent et leur influence dans cette situation anormale; ils gagn?rent du temps; ils sauv?rent la vie ? l'Universit?, mais sans r?soudre la question de son existence constitutionnelle. C'?tait une pi?ce qui ne trouvait, dans la nouvelle machine de gouvernement, ni sa place, ni son jeu.

Le sort a des combinaisons qui semblent se moquer de la pr?voyance humaine: ce fut sous un minist?re regard?, non sans motif, comme hostile ? l'Universit?, et au moment o? elle en redoutait le plus les coups, qu'elle sortit de sa situation embarrass?e et monta ? son rang dans l'?tat; M. de Vill?le avait fait l'abb? Frayssinous grand-ma?tre; l'instruction publique ?tait sous la direction d'un ?v?que; pour satisfaire le clerg? et pour l'attirer en m?me temps sous son influence, il fallait ? M. de Vill?le quelque chose de plus; il associa l'?glise au gouvernement de l'?tat; il fit l'?v?que d'Hermopolis ministre des affaires eccl?siastiques, mais en lui donnant au m?me moment le titre et les fonctions, non plus seulement de grand-ma?tre de l'Universit?, mais de ministre de l'instruction publique. L'instruction publique fut ainsi officiellement class?e parmi les grandes affaires publiques; l'Universit? entra, ? la suite de l'?glise, dans les cadres et dans les conditions du r?gime constitutionnel.

Moins de quatre ans apr?s, elle fit un nouveau pas. Partout redout?e et vivement combattue, la pr?pond?rance eccl?siastique ?tait particuli?rement suspecte en mati?re d'instruction publique; le mouvement lib?ral qui, en 1827, renversa M. de Vill?le et amena le cabinet Martignac aux affaires, eut l? aussi son effet; l'ordonnance royale du 4 janvier 1828, en nommant les nouveaux ministres, d?clara <> et le 10 f?vrier suivant, elle devint, dans les conseils de l'?tat, un d?partement sp?cial et ind?pendant qui fut confi? ? M. de Vatimesnil.

Cette intelligente et prudente organisation ne fut alors qu'?ph?m?re; avec M. de Polignac, les passions de parti reprirent leur pouvoir; l'Universit? rentra sous la main de l'?glise; il n'y eut plus qu'un ministre des affaires eccl?siastiques et de l'instruction publique. La R?volution de 1830 laissa d'abord subsister cet ?tat de choses; seulement, par une mauvaise concession ? la vanit? de l'esprit la?que et comme pour marquer sa victoire, elle changea les mots et d?pla?a les rangs; l'Universit? prit le pas sur l'?glise; il y eut un ministre de l'instruction publique et des cultes. Ce fut sous ce titre et avec ces attributions que le duc de Broglie, M. M?rilhou, M. Barthe, le comte de Montalivet et M. Girod de l'Ain occup?rent ce d?partement jusqu'au moment o? le cabinet du 11 octobre 1832 se forma.

En prenant le minist?re de l'instruction publique, je fus le premier ? demander qu'on en d?tach?t les cultes. Protestant, il ne me convenait pas, et il ne convenait pas que j'en fusse charg?. J'ose croire que l'?glise catholique n'aurait pas eu ? se plaindre de moi; je l'aurais peut-?tre mieux comprise et plus efficacement d?fendue que beaucoup de ses fid?les; mais il y a des apparences qu'il ne faut jamais accepter. L'administration des cultes passa dans les attributions du ministre de la justice. Ce fut, ? mon sens, une faute de n'en pas former un d?partement s?par?; c'est un honneur d? ? l'importance et ? la dignit? des int?r?ts religieux. Pr?cis?ment de nos jours et apr?s tant de victoires, le pouvoir la?que ne saurait trop m?nager la fiert? susceptible du clerg? et de ses chefs. C'est d'ailleurs une combinaison malhabile de placer les rapports de l'?glise avec l'?tat dans les mains de ses rivaux ou de ses surveillants officiels. On ne t?moigne pas la m?fiance sans l'inspirer, et le meilleur moyen de bien vivre avec l'?glise, c'est d'accepter franchement sa grandeur et de lui faire largement sa place et sa part.

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