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Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 3) by Guizot Fran Ois

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Ebook has 833 lines and 135990 words, and 17 pages

En prenant le minist?re de l'instruction publique, je fus le premier ? demander qu'on en d?tach?t les cultes. Protestant, il ne me convenait pas, et il ne convenait pas que j'en fusse charg?. J'ose croire que l'?glise catholique n'aurait pas eu ? se plaindre de moi; je l'aurais peut-?tre mieux comprise et plus efficacement d?fendue que beaucoup de ses fid?les; mais il y a des apparences qu'il ne faut jamais accepter. L'administration des cultes passa dans les attributions du ministre de la justice. Ce fut, ? mon sens, une faute de n'en pas former un d?partement s?par?; c'est un honneur d? ? l'importance et ? la dignit? des int?r?ts religieux. Pr?cis?ment de nos jours et apr?s tant de victoires, le pouvoir la?que ne saurait trop m?nager la fiert? susceptible du clerg? et de ses chefs. C'est d'ailleurs une combinaison malhabile de placer les rapports de l'?glise avec l'?tat dans les mains de ses rivaux ou de ses surveillants officiels. On ne t?moigne pas la m?fiance sans l'inspirer, et le meilleur moyen de bien vivre avec l'?glise, c'est d'accepter franchement sa grandeur et de lui faire largement sa place et sa part.

R?duites ? l'instruction publique, les attributions du d?partement que j'allais occuper ?taient, sous ce rapport, tr?s-incompl?tes; il avait eu l'Universit? pour berceau et n'en ?tait pas sorti; le grand-ma?tre de l'Universit? avait pris le titre de ministre de l'instruction publique en g?n?ral, mais sans le devenir effectivement. Je r?clamai pour ce minist?re ses possessions et ses limites naturelles. D'une part, tous les grands ?tablissements d'instruction fond?s en dehors de l'Universit?, le Coll?ge de France, le Mus?um d'histoire naturelle, l'?cole des chartes, les ?coles sp?ciales de langues orientales et d'arch?ologie; d'autre part, les ?tablissements consacr?s, non ? l'enseignement, mais ? la gloire et au progr?s des sciences et des lettres, l'Institut, les diverses soci?t?s savantes, les biblioth?ques, les encouragements scientifiques et litt?raires furent plac?s sous la main du ministre de l'instruction publique. Quelques lacunes restent encore dans les attributions qui sont en quelque sorte le droit de ce d?partement; il n'a pas entre autres, dans la direction et l'encouragement des beaux-arts, la part d'influence qui devrait lui appartenir; les arts ont, avec les lettres, des liens naturels et n?cessaires; ce n'est que par ce commerce intime et habituel qu'ils sont assur?s de conserver leur propre et grand caract?re qui est le culte du beau, et sa manifestation aux yeux des hommes. Si L?onard de Vinci et Michel-Ange n'avaient pas ?t? des lettr?s, passant leur vie dans le monde lettr? de leur temps, ni leur influence, ni m?me leur g?nie ne se seraient d?ploy?s avec un si pur et si puissant ?clat. Plac?s hors de la sph?re des lettres et dans le domaine de l'administration ordinaire, les arts courent grand risque de tomber sous le joug, ou de la seule utilit? mat?rielle, ou des petites fantaisies du public. Le d?partement de l'instruction publique a encore, sous ce rapport, et dans l'int?r?t des arts eux-m?mes, une importante conqu?te ? faire. A tout prendre cependant, ce d?partement re?ut, au moment o? j'y entrai, son extension l?gitime et son organisation rationnelle; de 1824 ? 1830, il n'avait gu?re ?t? qu'un exp?dient; en 1832, il devint, dans l'ensemble de nos institutions, un rouage complet et r?gulier, capable de rendre ? la soci?t? et au pouvoir, dans l'ordre intellectuel et moral, les services dont, aujourd'hui moins que jamais, ils ne sauraient se passer.

Le cabinet ainsi constitu? et les attributions de tous les ministres r?gl?es, chacun de nous se mit ? l'oeuvre pour accomplir sa mission particuli?re dans la politique commune dont nous poursuivions le succ?s. Le duc de Broglie entra en n?gociation intime avec le cabinet de Londres pour r?soudre enfin, par l'action concert?e des deux puissances sur Anvers, la question belge que la r?sistance du roi de Hollande aux instances de l'Europe tenait encore en suspens. Le mar?chal Soult et l'amiral de Rigny se h?t?rent d'organiser l'un l'arm?e, l'autre la flotte qui devaient ?tre charg?es de cette d?licate op?ration. M. Thiers porta, sur les moyens de mettre fin aux troubles des d?partements de l'Ouest, tout l'effort de sa fertile et habile activit?. Nous entrepr?mes, M. Humann, M. Barthe, M. d'Argout et moi, la prompte pr?paration des divers projets de loi dont il avait ?t? convenu que nous occuperions les Chambres dans leur prochaine session. Elle devait s'ouvrir le 19 novembre. Le discours d'ouverture du Roi ?tait, pour la couronne et pour le cabinet, d'une grande importance; la politique de r?sistance et de libert?, d'ind?pendance et de paix, tent?e d?s le lendemain de la R?volution et ?nergiquement pratiqu?e par M. Casimir P?rier, y devait ?tre hautement adopt?e au nom des diverses nuances d'opinion qui venaient de s'unir autour du tr?ne pour former le Gouvernement. Je fus charg? d'en pr?parer la r?daction.

C'est une t?che qui m'est presque toujours ?chue dans les divers cabinets dont j'ai fait partie. T?che difficile en elle-m?me, car peu de choses le sont davantage que de r?sumer, dans quelques phrases ? la fois g?n?rales et pr?cises, et significatives sans ?tre compromettantes, la situation et la politique d'un gouvernement, ? un moment donn? et au milieu m?me de l'action. Ce qui est plus difficile encore, c'est de faire parler en m?me temps, parla bouche royale, le Roi et ses conseillers, de fa?on ? satisfaire ? la dignit? comme ? la vraie pens?e des uns et des autres, en ?cartant les dissidences qui peuvent exister entre eux, pour ne laisser para?tre que l'action harmonique du pouvoir qu'ils exercent ensemble. Malgr? ces embarras, et pr?cis?ment ? cause de ces embarras, cette ?preuve que le r?gime constitutionnel impose p?riodiquement au prince et ? ses ministres est bonne et salutaire; elle leur rappelle, ? jour fixe et solennel, leur situation mutuelle et la n?cessit? o? ils sont de se montrer unis et de parler comme d'agir en commun. Il y a, dans cette manifestation publique du Gouvernement tout entier devant le pays, un hommage au rang qu'y tient la royaut? et une garantie pour l'influence du pays aupr?s de la royaut?. C'est beaucoup d'?tre oblig? de para?tre tel qu'il est ? souhaiter qu'on soit en effet. La publicit? in?vitable d?termine souvent la bonne conduite et pr?vient bien plus de fautes qu'elle n'en r?v?le.

Ni pour le roi Louis-Philippe, ni pour ses conseillers, cette obligation n'avait, en novembre 1832, rien d'embarrassant; ils ?taient parfaitement d'accord et sur les maximes g?n?rales de la politique, et sur la conduite ? suivre dans les questions particuli?res qu'ils avaient ? r?soudre. Ni de la part du Roi, ni de celle des ministres, aucune pr?tention exorbitante, aucune susceptibilit? jalouse ne g?naient entre eux les rapports. Le cabinet se r?unissait tant?t chez son pr?sident, le mar?chal Soult, tant?t aux Tuileries autour du Roi, selon la nature et l'?tat des affaires dont il avait ? s'occuper; et dans l'une comme dans l'autre de ces r?unions, la libert? de la discussion ?tait enti?re sans grand'peine, car elle n'avait point de profonds dissentiments ? surmonter. La r?daction du discours de la couronne n'offrait donc, quant au fond m?me de la politique, point de difficult? grave; restait seulement l'obligation, toujours difficile, de se mettre d'accord, et entre ministres et avec le Roi, sur la mesure, les convenances et les nuances du langage qu'? propos des diverses questions ? l'ordre du jour, le Roi devait tenir, au nom de la France devant l'Europe, au nom du gouvernement devant la France. Avant, d'arriver devant le cabinet tout entier, c'?tait entre le Roi et moi que cette difficult? se rencontrait, et ici ma t?che ne laissait pas d'?tre laborieuse. Non-seulement le roi Louis-Philippe prenait fort au s?rieux ses devoirs de Roi et les affaires du pays; il avait de plus l'esprit singuli?rement abondant, soudain, vif, mobile, et chaque id?e, chaque impression exer?ait sur lui, au moment o? elle lui arrivait, un grand empire. Clairvoyant et judicieux dans le but qu'il se proposait d'atteindre en parlant, il ne pressentait pas toujours avec justesse l'effet de ses paroles sur le public auquel elles s'adressaient, et ne se pr?occupait gu?re que de satisfaire sa propre et actuelle pens?e ? laquelle il attachait souvent plus d'importance qu'elle n'en avait r?ellement. Je lui remis mon projet de discours dans les premiers jours de novembre, et pendant quinze jours, nous e?mes, sur chaque paragraphe, presque sur chaque mot, des discussions sans cesse d?rout?es et renouvel?es par quelque nouvelle intention ou quelque nouveau doute qui venait se jeter ? la traverse des r?solutions adopt?es la veille. Je recevais chaque jour, et souvent plusieurs fois dans la journ?e, de petits billets du Roi qui me transmettaient les r?sultats de cet incessant travail de son esprit, et m'obligeaient ? remanier incessamment le mien. Par respect monarchique, et aussi dans la conviction qu'en d?finitive le r?sultat en serait bon, j'acceptais de bonne gr?ce cette longue controverse, souvent assez insignifiante quoique assez vive. Mon esp?rance ne fut pas tromp?e; en relisant au bout de vingt-sept ans, et comme dans une ancienne histoire, ce discours d'ouverture de la session de 1832, je le trouve digne du gouvernement sens? d'un peuple libre; et si je ne m'abuse, tout juge impartial en recevrait encore aujourd'hui la m?me impression.

Quand nous en f?mes ? peu pr?s tomb?s d'accord, le Roi et moi, le cabinet, que j'avais tenu au courant de nos petits d?bats, adopta sur-le-champ mon projet de discours, avec de l?g?res modifications.

Je tiens ? dire qu'en y ins?rant, ? propos de la politique de r?sistance, cette phrase en l'honneur de M. Casimir P?rier: <> je ne rencontrai, de la part du Roi, aucune objection.

Les ?v?nements servirent bien le discours. Quand le jour de l'ouverture des Chambres arriva, le 19 novembre, la politique ext?rieure et int?rieure du cabinet avait d?j? r?ussi. L'entente et l'action commune de la France et de l'Angleterre pour mettre fin ? la question belge ?taient conclues; les flottes fran?aise et anglaise bloquaient ensemble les c?tes de Hollande; l'arm?e fran?aise entrait en Belgique; les ducs d'Orl?ans et de Nemours venaient de partir pour aller prendre place dans ses rangs. Madame la duchesse de Berry avait ?t? d?couverte ? Nantes et aussit?t transf?r?e ? Blaye. Un incident, fort inattendu alors, vint ajouter ? l'effet d?j? grand de ces succ?s du pouvoir: au moment m?me o? le Roi entrait dans la salle du Palais-Bourbon et commen?ait ? prononcer son discours, l'assembl?e apprit qu'un coup de pistolet venait d'?tre tir? sur lui, comme il passait sur le pont des Tuileries; l'?motion fut aussi vive et aussi g?n?rale que soudaine: ?motion d'indignation encore plus que d'alarme; le public n'?tait pas encore blas? sur l'assassinat.

J'assistais, avec mes coll?gues, ? la s?ance royale. Ce fut de ma part un effort; j'?tais atteint, depuis trois semaines, d'une bronchite que la pr?paration du discours de la couronne et toutes les all?es et venues, les conversations et les discussions auxquelles elle donnait lieu avaient fort aggrav?e. Je me mis au lit en rentrant de la s?ance, am?rement triste de me sentir hors d'?tat de prendre part aux d?bats qui allaient s'ouvrir.

INSTRUCTION PRIMAIRE.

Je suis malade pendant six semaines.--Prise d'Anvers.--Arrestation de S. A. R. madame la duchesse de Berry.--De la politique du cabinet dans cette circonstance.--Je reprends les affaires.--Pr?sentation ? la Chambre des d?put?s du projet de loi sur l'instruction primaire.--Ma vie domestique.--Des projets et des progr?s en fait d'instruction primaire de 1789 ? 1832.--Questions essentielles.--L'instruction primaire doit-elle ?tre obligatoire?--Doit-elle ?tre gratuite?--De la libert? dans l'instruction primaire.--Des objets et des limites de l'instruction primaire.--De l'?ducation et du recrutement des instituteurs primaires.--De la surveillance des ?coles primaires.--Concours n?cessaire de l'?tat et de l'?glise.--Que l'instruction primaire doit ?tre essentiellement religieuse.--Mesures administratives pour assurer l'ex?cution et l'efficacit? de la loi.--Mesures morales.--Promulgation de la loi du 28 juin 1833,--Ma circulaire ? tous les instituteurs primaires.--Visite g?n?rale des ?coles primaires.--?tablissement des inspecteurs des ?coles primaires.--Mes rapports avec les corporations religieuses vou?es ? l'instruction primaire.--Le fr?re Anaclet.--L'abb? J. M. de la Mennais.--L'abb? F. de la Mennais.--Mon rapport au Roi en avril 1834 sur l'ex?cution de la loi du 28 juin 1833.--De l'?tat actuel de l'instruction primaire.

Je fus malade et condamn? ? l'inaction pendant plus de six semaines. Mon mal fut assez grave pour qu'on dout?t un moment de ma gu?rison. Le bruit courut que j'?tais parti pour Nice et que le s?jour dans le midi me serait longtemps n?cessaire. Pendant que j'?tais confin? dans mon lit, et que non-seulement toute action, mais toute conversation m'?tait interdite, les ?v?nements se d?veloppaient, les d?bats se succ?daient. Les deux Chambres discut?rent et vot?rent leurs adresses en r?ponse au discours du tr?ne. L'action concert?e de la France et de l'Angleterre pour consommer enfin la s?paration de la Belgique et de la Hollande atteignit son but; Anvers fut pris. Quand, le 24 d?cembre au soir, le Roi en re?ut les f?licitations, j'?tais encore hors d'?tat de sortir; ma femme alla seule porter les miennes aux Tuileries: <> Quelques jours apr?s, le cabinet eut ? d?fendre, ? la Chambre des d?put?s, sa r?solution de ne point traduire madame la duchesse de Berry devant les tribunaux: le d?bat fut grave; le duc de Broglie et M. Thiers en port?rent seuls le poids; j'?tais ?tranger aux luttes comme aux f?tes.

Il ne m'est rest? pourtant, de cette retraite forc?e, point de mauvais souvenirs: j'?tais entour? des soins les plus tendres; mes coll?gues dans le cabinet ne n?gligeaient rien pour att?nuer mon d?plaisir de ne pouvoir prendre ma part de leur fardeau et pour ?loigner de moi toute pr?occupation irritante. Le duc de Broglie, quoique le moins d?monstratif des hommes, est plein de d?licatesse et de scrupule dans ses affections. M. Thiers, avec qui je n'avais point de lien intime, voulut aussi que j'eusse confiance dans son fid?le int?r?t; il ?crivit ? ma femme: <> J'?tais touch? de ces manifestations amicales. Il n'est pas dans ma nature de m'irriter, m?me des maux auxquels je ne me r?signe pas; je n'aggravais pas mon impuissance par mon agitation; mais je la subissais avec un profond chagrin; au fond de mon lit et dans mon silence, je passais mon temps ? r?fl?chir sur les ?v?nements qui s'accomplissaient, sur les batailles qui se livraient sans moi; je discutais en moi-m?me ce que j'aurais fait ou dit, je sentais ce que j'aurais senti si j'y avais assist?. C'est le puissant attrait de la vie politique qu'elle emploie l'homme ? des desseins infiniment plus grands que lui-m?me, et m?le un sentiment d?sint?ress? aux joies et aux peines personnelles qu'il ?prouve en les poursuivant. Je me soulageais dans ma tristesse et je l'oubliais presque en occupant ma pens?e solitaire des int?r?ts publics pour lesquels je ne pouvais rien en ce moment.

C'?tait l?, d?s le premier moment, l'avis et le d?sir du roi Louis-Philippe; il avait vu avec d?plaisir la loi du 10 avril 1832, ne la jugeant n?cessaire ni pour la s?ret? de la France, ni pour la sienne propre, et la trouvant f?cheuse d?s qu'elle n'?tait pas indispensable; ses ministres ne l'avaient point propos?e; malgr? les att?nuations qu'elle avait subies ? travers les d?bats des deux Chambres, il avait tard? longtemps ? la sanctionner, d?testant sinc?rement la moindre apparence et jusqu'aux simples mots de proscription et de confiscation. Quand le jour vint d'en faire l'application, le Roi e?t souhait? qu'on se born?t ? la stricte observation du texte l?gal; la loi interdisait ? Charles X et ? ses descendants le territoire de la France; elle ?tait satisfaite si madame la duchesse de Berry ?tait imm?diatement reconduite hors de France: <> Mais dans l'?tat des esprits en 1832, apr?s les conspirations et les insurrections de Paris et de la Vend?e, aucun cabinet n'e?t pu mettre sur-le-champ madame la duchesse de Berry en libert? ? la fronti?re, et tout en laissant entrevoir sa pens?e, le Roi ne nous le demanda point. La m?fiance est le fl?au des r?volutions; elle h?b?te les peuples, m?me quand elle ne leur fait plus commettre des crimes. Pas plus que mes coll?gues, je ne jugeai possible, en 1833, de ne pas retenir madame la duchesse de Berry: des esprits grossiers ou l?gers ont pu croire que les incidents de sa captivit? avaient tourn? au profit de la monarchie de 1830; je suis convaincu qu'on aurait bien mieux servi cette monarchie en agissant avec une hardiesse g?n?reuse, et que tous, pays, Chambres et cabinet, nous aurions fait acte de sage comme de grande politique en nous associant au d?sir impuissant, mais clairvoyant, du Roi.

Dans les premiers jours de janvier, je me sentis en ?tat de rentrer dans la vie active, et je la repris en pr?sentant ? la Chambre des d?put?s le projet de loi que, depuis la formation du cabinet, j'?tais occup? de pr?parer sur l'instruction primaire. J'?tais encore si faible que je ne pus lire moi-m?me ? la tribune ni l'expos? des motifs, ni le projet m?me. M. Renouard, l'un de mes amis particuliers dans la Chambre, et sur qui je comptais avec raison pour me seconder dans cette discussion, s'en acquitta pour moi. J'abordais avec plaisir et confiance cette grande question tant de fois soulev?e, jamais r?solue, et ? laquelle je me croyais en mesure d'apporter une solution vraiment efficace. Je ne savais pas quelles ?preuves m'attendaient avant que je fusse appel? ? d?battre le projet de loi que je pr?sentais.

Je n'ai nul penchant ? entretenir le public de ma vie priv?e; plus les sentiments intimes sont profonds et doux, moins ils aiment ? se montrer, car il leur est impossible de se montrer tels qu'ils sont. Les rois livrent aux regards des curieux les diamants de leur couronne; on n'?tale pas les tr?sors dont ceux-l? seuls qui les poss?dent connaissent le prix. Mais quand arrive le jour fatal o? ces tr?sors nous sont ravis, ce serait leur manquer de respect et de foi que de ne pas laisser voir ce qu'ils ?taient pour nous et quel vide ils nous laissent. J'ai beaucoup aim? la vie politique; je m'y suis adonn? avec ardeur; j'ai fait, sans compter, les sacrifices et les efforts qu'elle m'a demand?s; mais elle a toujours ?t? loin, bien loin de me suffire. Non que je me plaigne de ses ?preuves: beaucoup d'hommes publics ont parl? avec amertume des m?comptes qu'ils avaient ?prouv?s, des revers qu'ils avaient subis, des rigueurs du sort et de l'ingratitude des hommes. Je n'ai rien de semblable ? dire, car je n'ai pas connu de tels sentiments: quelque violemment que j'aie ?t? atteint, je n'ai pas trouv? les hommes plus aveugles ou plus ingrats, ni ma destin?e politique plus rude que je ne m'y attendais; elle avait eu ses grandes joies, elle a eu ses grandes tristesses; c'est la loi de l'humanit?. C'est dans les plus heureux jours et au milieu des meilleurs succ?s de ma carri?re que j'ai toujours trouv? la vie politique insuffisante; le monde politique est froid et sec; les affaires des soci?t?s humaines sont grandes et s'emparent puissamment de la pens?e; mais elles ne remplissent point l'?me; elle a des ambitions autres, et plus vari?es, et plus exigeantes que celle des plus ambitieux politiques; elle veut un bonheur plus intime, et plus doux que tous les travaux et tous les triomphes de l'activit? et de la grandeur sociale n'en peuvent donner. Ce que je sais aujourd'hui, au terme de ma course, je l'ai senti quand elle commen?ait et tant qu'elle a dur?; m?me au milieu des grandes affaires, les affections tendres sont le fond de la vie, et la plus glorieuse n'a que des joies superficielles et incompl?tes si elle est ?trang?re au bonheur de la famille et de l'intimit?.

Je le poss?dais bien complet en 1832, quand je pris place dans le cabinet du 11 octobre. Je me permets, non sans quelque h?sitation, mais sans scrupule, le douloureux plaisir d'en citer ici un t?moignage qui en dit plus que je ne pourrais et n'en voudrais dire moi-m?me. Le 22 octobre, ma femme ?crivait ? sa soeur: <>

Moins de trois mois apr?s cette lettre, le 11 janvier 1833, ma femme me donna un fils, son plus vif d?sir au milieu de son bonheur, et l'objet, ? peine entrevu, de son jeune orgueil maternel. Elle semblait se r?tablir parfaitement; onze jours apr?s ses couches, elle se leva, pleine de confiance, et tous autour d'elle confiants comme elle. M. Royer-Collard vint me voir; elle voulut le voir, et causa gaiement avec lui. Il me dit en sortant: <> Trois jours apr?s, la fi?vre la reprit; elle se remit au lit; six semaines apr?s, le 11 mars, je l'avais perdue.

Il en est du malheur intime comme du bonheur; on ne peut ni en parler, ni s'en taire absolument. Je me h?tai de reprendre mes travaux; je rentrai au conseil et aux Chambres d?s que je le pus avec convenance et efficacit?. Chaque jour, quand j'en avais fini avec mes affaires et mes devoirs, je restais seul avec mes enfants, ma m?re, et souvent avec la duchesse de Broglie dont la sympathique amiti? me fut, dans cette ?preuve, tr?s-douce et secourable. M. Royer-Collard venait aussi me voir quelquefois, et je prenais plaisir ? sa conversation, sans lui parler de moi et sans qu'il m'en parl?t. Vers la fin du mois de juillet suivant, pendant qu'il ?tait dans sa terre de Ch?teauvieux, je lui ?crivis, sans doute dans un acc?s d'am?re tristesse et avec plus d'effusion que je n'avais jamais fait; il me r?pondit: <>

Cette lettre ? la fois sympathique et fortifiante me fut bonne, et aujourd'hui encore, je ne la relis pas sans ?motion. Elle est du 6 ao?t 1833.

Ce fut pour moi, ? cette douloureuse ?poque, une circonstance propice que le projet de loi sur l'instruction primaire se trouv?t ? l'ordre du jour, et m'impos?t des efforts assidus. En entrant au minist?re de l'instruction publique, j'avais cette oeuvre-l? particuli?rement ? coeur. Parce que j'ai combattu les th?ories d?mocratiques et r?sist? aux passions populaires, on a dit souvent que je n'aimais pas le peuple, que je n'avais point de sympathie pour ses mis?res, ses instincts, ses besoins, ses d?sirs. Il y a, dans la vie publique comme dans la vie priv?e, des amours de plus d'une sorte; si ce qu'on appelle aimer le peuple, c'est partager toutes ses impressions, se pr?occuper de ses go?ts plus que de ses int?r?ts, ?tre en toute occasion enclin et pr?t ? penser, ? sentir et ? agir comme lui, j'en conviens, ce n'est pas l? ma disposition; j'aime le peuple avec un d?vouement profond, mais libre et un peu inquiet; je veux le servir, mais pas plus m'asservir ? lui que me servir de lui pour d'autres int?r?ts que les siens; je le respecte en l'aimant, et parce que je le respecte, je ne me permets ni de le tromper, ni de l'aider ? se tromper lui-m?me. On lui donne la souverainet?; on lui promet le complet bonheur; on lui dit qu'il a droit ? tous les pouvoirs de la soci?t? et ? toutes les jouissances de la vie. Je n'ai jamais r?p?t? ces vulgaires flatteries; j'ai cru que le peuple avait droit et besoin de devenir capable et digne d'?tre libre, c'est-?-dire d'exercer, sur ses destin?es priv?es et publiques, la part d'influence que les lois de Dieu accordent ? l'homme dans la vie et, la soci?t? humaines. C'est pourquoi, tout en ressentant pour les d?tresses mat?rielles du peuple une profonde sympathie, j'ai ?t? surtout touch? et pr?occup? de ses d?tresses morales, tenant pour certain que, plus il se gu?rirait de celles-ci, plus il lutterait efficacement contre celles-l?, et que, pour am?liorer la condition des hommes, c'est d'abord leur ?me qu'il faut ?purer, affermir et ?clairer.

C'est ? l'instinct de cette v?rit? qu'est due l'importance qu'on attache partout aujourd'hui ? l'instruction populaire. D'autres instincts, moins purs et moins sains, se m?lent ? celui-l?, l'orgueil, une confiance pr?somptueuse dans le m?rite et la puissance de l'intelligence seule, une ambition sans mesure, la passion d'une pr?tendue ?galit?. Mais en d?pit de ce m?lange dans les sentiments qui la recommandent, en d?pit de ses difficult?s intrins?ques et des inqui?tudes qu'elle inspire encore, l'instruction populaire n'en est pas moins, de nos jours, fond?e en droit comme en fait, une justice envers le peuple et une n?cessit? pour la soci?t?. Pendant sa mission en Allemagne, l'un des hommes qui ont le mieux ?tudi? cette grande question, M. Eug?ne Rendu demandait ? un savant et respectable pr?lat, le cardinal de Diepenbrock, prince-?v?que de Breslau, <>

Il y avait en 1832 autre chose encore ? faire, parmi nous, que de diriger le wagon; il fallait le mettre vraiment en mouvement, en mouvement effectif et durable. Quand on regarde de pr?s ? ce qui s'est pass? de 1789 ? 1832 en fait d'instruction primaire, on est frapp? ? la fois de la puissance de cette id?e et de la vanit? des essais tent?s pour la r?aliser. Elle pr?occupe tous les hommes qui gouvernent ou aspirent ? gouverner la France. Quand elle s'?clipse un moment, c'est devant d'autres pr?occupations plus pressantes, et elle ne tarde pas ? repara?tre. Elle p?n?tre jusqu'au sein des partis et des pouvoirs qui semblent la redouter; de 1792 ? 1795, la Convention nationale rend sept d?crets pour d?clarer qu'il y aura partout des ?coles primaires et pour prescrire ce qu'elles seront; paroles st?riles, et pourtant sinc?res. L'Empire parle et s'occupe peu de l'instruction primaire; c'est l'instruction secondaire qui est l'objet favori de sa sollicitude et de ses habiles soins. Pourtant un homme se rencontre dans les conseils de l'Empire o? il ne tient qu'un rang modeste, mais d'un esprit et d'un renom assez ?lev?s pour attirer l'attention publique sur ses travaux et ses id?es, quel qu'en soit l'objet; M. Cuvier voyage en Hollande, en Allemagne, en Italie, et rend compte, ? son retour, des ?tablissements d'instruction publique qu'il a visit?s, notamment des ?coles primaires hollandaises dont la bonne et efficace organisation l'a frapp?; un vif int?r?t se r?veille pour ces institutions; on y pense, on en parle, on compare, on regrette. L'Empire tombe; la Restauration arrive; les grandes luttes politiques recommencent; mais au milieu de leur bruit, le gouvernement de l'instruction publique est dans les mains d'hommes qui veulent s?rieusement le bien du peuple sans lui faire la cour; M. Royer-Collard y pr?side; M. Cuvier y exerce une grande influence; ils s'appliquent ? multiplier, ? am?liorer, ? surveiller efficacement les ?coles primaires; sur leur provocation, le Roi rend des ordonnances qui r?clament et r?glent le concours des autorit?s et des sympathies locales; le Conseil de l'instruction publique entretient une correspondance assidue pour en assurer l'ex?cution. De nouvelles m?thodes s'annoncent en Europe avec quelque fracas, l'enseignement mutuel, l'enseignement simultan?, le docteur Bell, M. Lancaster; elles inspirent aux uns de l'enthousiasme, aux autres de l'inqui?tude; sans prendre parti, sans rien ?pouser comme sans rien proscrire, le Conseil de l'instruction publique accueille, encourage, surveille. Le pouvoir politique change de mains; il passe dans celles d'un parti qui se m?fie de cet ?lan lib?ral; mais en m?me temps qu'ils m?nagent les m?fiances et font de funestes concessions aux exigences de leurs adh?rents, les chefs intelligents de ce parti ne veulent pas qu'on les tienne pour ennemis de l'instruction populaire; ils sentent qu'il y a l? une force qui ne se laissera pas ?touffer, et ils essayent de la diriger ? leur profit en lui donnant satisfaction. De 1821 ? 1826, huit ordonnances du Roi, contre-sign?es par M. Corbi?re, ministre de l'int?rieur, autorisent, dans quatorze d?partements, des congr?gations religieuses sinc?rement vou?es ? l'instruction primaire, et qui instituent un certain nombre de nouvelles ?coles; les Fr?res de l'instruction chr?tienne fond?s en Bretagne par l'abb? J.-M. de la Mennais, les Fr?res de la doctrine chr?tienne de Strasbourg, de Nancy, de Valence, les Fr?res de Saint-Joseph dans le d?partement de la Somme, les Fr?res de l'instruction chr?tienne du Saint-Esprit dans cinq d?partements de l'Ouest, datent de cette ?poque et l'honorent. En 1827, une nouvelle secousse politique reporte vers d'autre rangs le gouvernement de la France; le minist?re Martignac remplace le minist?re Vill?le; un des premiers soins du nouveau ministre de l'instruction publique, M. de Vatimesnil, est non-seulement de donner aux ?coles primaires de nouveaux encouragements, mais de rappeler dans leur administration l'esprit lib?ral des ordonnances provoqu?es en 1816 et 1820 par M. Cuvier. La crise fatale de la Restauration approche; son mauvais g?nie pr?vaut dans sa politique g?n?rale; appel? en novembre 1829, comme ministre de l'instruction publique, dans le cabinet du prince de Polignac, M. Guernon de Ranville y propose cependant, pour l'extension des ?coles primaires et le meilleur sort des instituteurs, des mesures excellentes; il rencontre des doutes, des objections, une r?sistance timide, mais r?p?t?e; il persiste, et sur sa demande le roi Charles X signe une ordonnance remarquable non-seulement par ses prescriptions pratiques, mais par les id?es et les sentiments dont l'expression officielle les accompagne. On ne peut pas dire que, de 1814 ? 1830, l'instruction primaire ne se soit pas ressentie des atteintes de la politique; mais elle n'a point p?ri dans ce dangereux contact; soit ?quit?, soit prudence, les pouvoirs m?me qui s'inqui?taient de ses pr?tentions ont cru devoir la traiter avec bienveillance et seconder ses progr?s.

Le gouvernement de 1830 lui devait ?tre et lui fut, d?s son origine, hautement favorable. M. Barthe, sous le minist?re de M. Laffitte, et M. de Montalivet, sous celui de M. Casimir P?rier, s'empress?rent de pr?senter, l'un ? la Chambre des pairs, l'autre ? la Chambre des d?put?s, des projets de loi destin?s ? multiplier rapidement les ?coles primaires, ? leur donner des garanties d'avenir, et ? introduire dans ce premier degr? de l'enseignement, la libert? promise par la Charte. Il y avait rivalit? entre le gouvernement et les Chambres pour entreprendre cette oeuvre; au m?me moment o? ces projets de loi ?taient pr?sent?s, deux propositions spontan?es naissaient dans la Chambre des d?put?s, con?ues dans des principes un peu diff?rents, mais inspir?es par le m?me esprit et tendant au m?me dessein. M. Daunou fit, sur l'un des projets de loi, un rapport remarquable par un sentiment profond?ment lib?ral, un langage habilement mod?r? et une antipathie visible, quoique discr?tement contenue, pour l'Universit? imp?riale. Mais aucun de ces projets n'alla jusqu'? une discussion publique: le mouvement ?tait imprim?, les obstacles ?cart?s, le public impatient de voir enfin l'instruction primaire fond?e; quand le cabinet du 11 octobre 1832 se forma, l'oeuvre ?tait de toutes parts r?clam?e et solennellement promise, mais ? peine commenc?e.

J'avais autour de moi, dans le Conseil royal de l'instruction publique, toutes les lumi?res et tout l'appui que je pouvais souhaiter pour l'accomplir. Investis dans les lettres, dans les sciences, dans le monde, de cette autorit? librement accept?e que donnent le talent sup?rieur et la longue exp?rience, les membres de ce conseil ?taient de plus mes confr?res et mes amis. Nous vivions dans une grande et naturelle intimit?. Quelle que f?t la diversit? de nos ?tudes et de nos travaux, nous avions tous, quant ? l'instruction populaire, les m?mes id?es et les m?mes d?sirs. M. Villemain et M. Cousin, M. Poisson et M. Th?nard, M. Gu?neau de Mussy et M. Rendu portaient, au projet de loi que nous pr?parions ensemble, presque autant d'int?r?t que moi. M. Cousin, pendant son voyage en Allemagne en 1831 et dans le beau rapport publi? ? son retour, en avait pos? et ?tudi? avec soin toutes les questions. Je doute qu'elles aient jamais ?t? plus s?rieusement d?battues qu'elles ne le furent dans notre conseil int?rieur, avant la pr?sentation du projet de loi.

Apr?s la question de l'instruction primaire obligatoire venait celle de l'instruction primaire libre. Sur celle-ci, il ne pouvait y avoir de doute; la Charte avait promis la libert? de l'enseignement, et ce n'?tait pas en fait d'instruction primaire que cette promesse pouvait donner lieu ? des interpr?tations diverses et ? de longues contestations. Personne ne songeait ? vouloir que l'instruction primaire f?t compl?tement livr?e ? l'industrie particuli?re ?videmment incapable d'y suffire et peu tent?e de l'entreprendre. L'oeuvre est immense et sans brillantes perspectives; l'action de l'?tat y est indispensable. La libre concurrence entre l'?tat et les particuliers, les ?coles priv?es ouvertes ? c?t? des ?coles publiques et aux m?mes conditions, c'?tait l? tout ce que demandaient les lib?raux les plus exigeants, et ce que ne contestaient pas les plus prudents amis du pouvoir.

Ces questions g?n?rales et en quelque sorte pr?liminaires ainsi r?solues, restaient les questions sp?ciales dont la solution devait devenir le texte et le commandement de la loi. Quels doivent ?tre les objets et les limites de l'instruction primaire? Comment se formeront et se recruteront les instituteurs publics? Quelles autorit?s seront charg?es de la surveillance des ?coles primaires? Quels seront les moyens et les garanties pour l'ex?cution efficace de la loi?

Parmi les sentiments qui peuvent animer un peuple, il en est un dont il faudrait d?plorer l'absence s'il n'existait pas, mais qu'il faut se garder de flatter ou d'exciter l? o? il existe, c'est l'ambition. J'honore les g?n?rations ambitieuses; il y a beaucoup ? en attendre, pourvu qu'elles ne puissent pas tenter ais?ment tout ce qu'elles d?sirent. Et comme de toutes les ambitions, la plus ardente de nos jours, sinon la plus apparente, surtout dans les classes populaires, c'est l'ambition de l'esprit, dont elles esp?rent ? la fois des plaisirs d'amour-propre et des moyens de fortune, c'est surtout de celle-l? qu'il faut, tout en la traitant avec bienveillance, surveiller et diriger avec soin le d?veloppement. Je ne connais rien de plus nuisible aujourd'hui pour la soci?t?, et pour le peuple lui-m?me, que le mauvais petit savoir populaire, et les id?es vagues, incoh?rentes et fausses, actives pourtant et puissantes, dont il remplit les t?tes.

Pour lutter contre ce p?ril, je distinguai dans le projet de loi deux degr?s d'instruction primaire: l'une ?l?mentaire et partout n?cessaire, dans les campagnes les plus retir?es et pour les plus humbles conditions sociales; l'autre sup?rieure et destin?e aux populations laborieuses qui, dans les villes, ont ? traiter avec les besoins et les go?ts d'une civilisation plus compliqu?e, plus riche et plus exigeante. Je renfermai strictement l'instruction ?l?mentaire dans les connaissances les plus simples et d'un usage vraiment universel. Je donnai ? l'instruction primaire sup?rieure plus de vari?t? et d'?tendue; et tout en en d?terminant d'avance les principaux objets, le projet de loi ajoutait <> J'assurais ainsi les progr?s les plus ?tendus de l'instruction primaire l? o? ils seraient naturels et utiles, sans les porter l? o? leur inutilit? est peut-?tre leur moindre d?faut. La Chambre des d?put?s demanda que la perspective d'une extension variable et ind?finie f?t ouverte ? l'instruction primaire ?l?mentaire, aussi bien qu'? l'instruction primaire sup?rieure. Je ne crus pas devoir lutter obstin?ment contre cet amendement qui rencontra une approbation presque g?n?rale; mais il indiquait peu d'intelligence du but que se proposait le projet de loi en distinguant les deux degr?s d'instruction primaire. Pr?cis?ment parce qu'elle est partout n?cessaire, l'instruction primaire ?l?mentaire doit ?tre fort simple, et partout ? peu pr?s la m?me. C'?tait faire assez pour la vari?t? des situations et pour l'esprit d'ambition dans l'?ducation populaire que de leur ouvrir les ?coles primaires sup?rieures. La tendance ? ?tendre, par fantaisie d'esprit plut?t que par besoin r?el, l'instruction primaire universelle ne m?rite pas d'encouragement l?gal; les lois ont pour objet de pourvoir ? ce qui est n?cessaire, non d'aller au-devant de ce qui peut devenir possible, et leur mission est de r?gler les forces sociales, non de les exciter indistinctement.

L'?ducation des instituteurs eux-m?mes est ?videmment l'un des plus importants objets d'une loi sur l'instruction populaire. J'adoptai sans h?siter, pour y pourvoir, le syst?me des ?coles normales primaires dont les premiers essais avaient commenc? en France en 1810, et qui comptait d?j? en 1833 quarante-sept ?tablissements de ce genre cr??s par le libre bon vouloir des d?partements ou des villes et les encouragements du gouvernement. J'en fis une institution g?n?rale et obligatoire. Dans l'?tat actuel et avec le caract?re essentiellement la?que de notre soci?t?, c'est l? le seul moyen d'avoir toujours, pour l'instruction primaire, un nombre suffisant de ma?tres, et d'avoir des ma?tres form?s pour leur mission. C'est de plus une carri?re intellectuelle ouverte ? ces classes de la population qui n'ont gu?re devant elles, ? leur entr?e dans la vie, que des professions de travail mat?riel; c'est enfin une influence morale plac?e au milieu de ce peuple sur qui le pouvoir n'agit plus gu?re aujourd'hui que par les percepteurs, les commissaires de police et les gendarmes. A coup s?r, l'?ducation des instituteurs dans les ?coles normales o? ils se forment, et leur influence, quand ils sont form?s, peuvent ?tre mauvaises; il n'y a point de bonne institution qui, mal dirig?e, ne puisse tourner ? mal, et qui, m?me bien dirig?e, n'ait ses inconv?nients et ses p?rils; mais ce n'est l? que la condition g?n?rale de toutes les oeuvres humaines, et on n'en accomplirait aucune si l'on ne se r?signait et ? leur imperfection, et ? la n?cessit? de veiller toujours pour emp?cher que l'ivraie ne s'empare du champ et n'y ?touffe le bon grain.

En faisant des ?coles normales primaires une institution publique et l?gale, j'?tais loin de vouloir d?truire ou seulement affaiblir les autres p?pini?res d'instituteurs que forment les associations religieuses vou?es ? l'?ducation populaire; je souhaitais, au contraire, que celles-l? aussi se d?veloppassent largement, et qu'une salutaire concurrence s'?tabl?t entre elles et les ?coles normales la?ques. J'aurais m?me d?sir? faire un pas de plus et donner, aux associations religieuses vou?es ? l'instruction primaire, une marque publique de confiance et de respect. Dans la plupart des ordonnances royales rendues de 1821 ? 1826 pour autoriser des associations de ce genre, notamment pour la congr?gation de l'instruction chr?tienne fond?e par l'abb? de la Mennais dans les d?partements de Bretagne, pour la congr?gation de m?me nom ? Valence, pour les Fr?res de Saint-Joseph dans le d?partement de la Somme, il ?tait prescrit que <> Il n'y avait, selon moi, dans cette dispense d'un nouvel examen accord?e aux membres des associations religieuses que l'?tat avait formellement reconnues et autoris?es pour l'?ducation populaire, rien que de parfaitement juste et convenable, et je l'aurais volontiers ?crite dans mon projet de loi; mais elle e?t ?t? certainement repouss?e par le public de ce temps et par les Chambres; le d?bat qui s'y ?leva, quand nous en v?nmes ? examiner quelles autorit?s devaient ?tre charg?es de la surveillance des ?coles primaires, r?v?la clairement l'esprit qui y pr?valait.

L'?tat et l'?glise sont, en fait d'instruction populaire, les seules puissances efficaces. Ceci n'est pas une conjecture fond?e sur des consid?rations morales; c'est un fait historiquement d?montr?. Les seuls pays et les seuls temps o? l'instruction populaire ait vraiment prosp?r? ont ?t? ceux o? soit l'?glise, soit l'?tat, soit mieux encore l'un et l'autre ensemble s'en sont fait une affaire et un devoir. La Hollande, l'Allemagne, catholique ou protestante, et les ?tats-Unis d'Am?rique sont l? pour l'attester: il faut, ? une telle oeuvre, l'ascendant d'une autorit? g?n?rale et permanente, comme celle de l'?tat et de ses lois, ou d'une autorit? morale partout pr?sente et permanente aussi, comme celle de l'?glise et de sa milice.

En m?me temps que l'action de l'?tat et de l'?glise est indispensable pour que l'instruction populaire se r?pande et s'?tablisse solidement, il faut aussi, pour que cette instruction soit vraiment bonne et socialement utile, qu'elle soit profond?ment religieuse. Et je n'entends pas seulement par l? que l'enseignement religieux y doit tenir sa place et que les pratiques de la religion y doivent ?tre observ?es; un peuple n'est pas ?lev? religieusement ? de si petites et si m?caniques conditions; il faut que l'?ducation populaire soit donn?e et re?ue au sein d'une atmosph?re religieuse, que les impressions et les habitudes religieuses y p?n?trent de toutes parts. La religion n'est pas une ?tude ou un exercice auquel on assigne son lieu et son heure; c'est une foi, une loi qui doit se faire sentir constamment et partout, et qui n'exerce qu'? ce prix, sur l'?me et la vie, toute sa salutaire action. C'est dire que, dans les ?coles primaires, l'influence religieuse doit ?tre habituellement pr?sente; si le pr?tre se m?fie ou s'isole de l'instituteur, si l'instituteur se regarde comme le rival ind?pendant, non comme l'auxiliaire fid?le du pr?tre, la valeur morale de l'?cole est perdue, et elle est pr?s de devenir un danger.

Quand je proposai mon projet de loi, et avant m?me que l'exp?rience e?t port? dans mon esprit sa grande lumi?re, j'?tais d?j? profond?ment convaincu de ces v?rit?s, et elles avaient pr?sid? ? mon travail, quoique, par instinct des pr?jug?s publics, je ne les eusse pr?sent?es et appliqu?es qu'avec m?nagement. C'?tait sur l'action pr?pond?rante et unie de l'?tat et de l'?glise que je comptais pour fonder l'instruction primaire. Or le fait dominant que je rencontrai, dans la Chambre des d?put?s comme dans le pays, fut pr?cis?ment un sentiment de m?fiance et presque d'hostilit? contre l'?glise et contre l'?tat; ce qu'on redoutait surtout dans les ?coles, c'?tait l'influence des pr?tres et du pouvoir central; ce qu'on avait ? coeur de prot?ger d'avance et par la loi, c'?tait l'action des autorit?s municipales et l'ind?pendance des instituteurs envers le clerg?. L'opposition soutenait ouvertement ce syst?me, et le parti conservateur, trop souvent domin?, au fond du coeur et presque ? son insu, par les id?es m?mes qu'il redoute, ne le repoussait que mollement. J'avais propos? que le cur? ou le pasteur f?t de droit membre du comit? charg?, dans chaque commune, de surveiller l'?cole, et qu'il appart?nt au ministre de l'instruction publique d'instituer d?finitivement les instituteurs. ? la Chambre des d?put?s, ces deux dispositions furent rejet?es dans un premier d?bat, et il fallut le vote de la Chambre des pairs et mon insistance lors d'un second d?bat pour les faire r?tablir dans la loi. On semblait s'inqui?ter du mauvais esprit qui pouvait envahir les instituteurs; on parlait beaucoup de la n?cessit? qu'ils fussent efficacement dirig?s; et on s'appliquait ? ?nerver dans leurs ?coles, on voulait ? peine y laisser entrer l'?glise et l'?tat, c'est-?-dire les seules autorit?s capables d'?touffer les mauvais germes que le si?cle y semait ? pleines mains.

Malgr? ces luttes et ces faiblesses, je n'eus, ? vrai dire, dans cette circonstance, nul droit de me plaindre ni du public, ni des Chambres; la loi sur l'instruction primaire fut accueillie, discut?e et vot?e avec faveur, et sans alt?ration capitale. Restait la grande ?preuve devant laquelle toutes les lois sur cette mati?re avaient jusque-l? succomb?; quelle en serait l'ex?cution?

Elle exigeait des mesures de deux sortes: des mesures administratives et des mesures morales. Il fallait que les prescriptions de la loi pour la cr?ation, l'entretien, la surveillance des ?coles et le sort des instituteurs, devinssent des faits r?els et durables. Il fallait que les instituteurs eux-m?mes fussent appel?s ? l'intelligence et anim?s de l'esprit de cette loi dont ils devaient ?tre les derniers et v?ritables ex?cuteurs.

Quant aux mesures administratives, la loi avait pourvu d'avance aux plus essentielles: loin de se borner ? prescrire, dans toutes les communes du royaume, l'?tablissement des ?coles primaires, ?l?mentaires ou sup?rieures, elle avait d?cr?t? qu'un logement convenable et un traitement fixe seraient partout fournis aux instituteurs, et qu'en cas d'insuffisance des revenus ordinaires des communes, il y serait pourvu au moyen de deux impositions sp?ciales obligatoires, vot?es, l'une par les conseils municipaux, l'autre par les conseils g?n?raux de d?partement, et qui, ? d?faut de ces votes, seraient ?tablies par ordonnance royale. Si ces impositions locales ?taient elles-m?mes insuffisantes, le ministre de l'instruction publique devrait combler le d?ficit par une subvention pr?lev?e sur le cr?dit port? annuellement pour l'instruction primaire au budget de l'?tat. L'existence permanente des ?coles et les moyens de satisfaire ? leurs besoins mat?riels ?taient ainsi assur?s, ind?pendamment m?me de l'intelligence ou du z?le des populations appel?es ? en recueillir le bienfait, et le pouvoir central ne restait jamais d?sarm? devant leur mauvais vouloir ou leur apathie.

Je n'aurais pu r?ussir dans ce dessein un peu compliqu? si je n'avais trouv? dans M. Thiers cette largeur d'esprit et ce go?t du bien public qui font taire les ombrageuses rivalit?s d'attributions et les mesquines jalousies personnelles; il se pr?ta de bonne gr?ce aux petites alt?rations que je demandais dans les habitudes du minist?re de l'int?rieur, et rendit facile cette action commune de nos deux d?partements dont la loi sur l'instruction primaire avait besoin pour son prompt et complet succ?s.

Les meilleures lois, les meilleures instructions, les meilleurs livres sont peu de chose tant que les hommes charg?s de les mettre en oeuvre n'ont pas l'esprit plein et le coeur touch? de leur mission, et n'y apportent pas eux-m?mes une certaine mesure de passion et de foi. Je n'ai nul d?dain du travail l?gislatif et du m?canisme administratif; pour ?tre insuffisants, ils n'en sont pas moins n?cessaires; ce sont les plans et les ?chafaudages de l'?difice; mais les ouvriers, des ouvriers intelligents et d?vou?s y importent bien plus encore, et ce sont surtout les hommes qu'il faut former et animer au service des id?es quand on veut qu'elles deviennent des faits r?els et vivants. Je tentai de p?n?trer jusqu'? l'?me des instituteurs populaires, et d'y susciter quelques notions claires et un respect affectueux pour la t?che ? laquelle ils ?taient appel?s. Trois semaines apr?s que la loi sur l'instruction primaire eut ?t? publi?e, je l'envoyai directement ? 39,300 ma?tres d'?cole, en l'accompagnant d'une lettre o? je m'appliquais non-seulement ? leur en faire bien comprendre l'intention et les dispositions, mais encore ? ?lever leurs sentiments au niveau moral de leur humble situation sociale, sans leur donner le pr?texte ni la tentation d'en sortir. Je leur demandai de m'accuser personnellement r?ception de cette lettre, d?sirant avoir quelque indice de l'impression qu'ils en avaient re?ue. 13,850 r?ponses me parvinrent, et beaucoup me donn?rent lieu de penser que je n'avais pas toujours frapp? en vain ? la porte de ces modestes demeures o? des milliers d'enfants obscurs devaient venir recevoir d'un homme ignor? les premi?res, et pour la plupart d'entre eux les seules le?ons de la vie. Cette exp?rience et d'autres encore m'ont appris que, lorsqu'on veut agir un peu puissamment sur les hommes, il ne faut pas craindre de leur montrer un but et de leur parler un langage au-dessus de leur situation et de leurs habitudes, ni se d?courager si beaucoup d'entre eux ne r?pondent pas ? ces provocations inaccoutum?es; elles atteignent bien plus d'?mes qu'on ne pense, et il faut savoir croire ? la vertu des germes, m?me quand on ne voit pas les fruits.

Quand l'id?e me vint de cette circulaire aux instituteurs, j'en parlai ? M. de R?musat et je le priai d'en essayer, pour moi, la r?daction. C'est de lui, en effet, que je la re?us ? peu pr?s telle qu'elle fut envoy?e ? sa destination et bient?t publi?e. Je prends plaisir ? le rappeler aujourd'hui: les amiti?s rares, m?me quand elles ont paru en souffrir, survivent aux incertitudes de l'esprit et aux troubles de la vie.

Un autre moyen, inattendu et d'une assez difficile ex?cution, me parut n?cessaire et efficace pour entrer en rapport avec les instituteurs dispers?s sur toute la face de la France, pour les conna?tre r?ellement et agir sur eux autrement que par des paroles vagues et au hasard. Un mois apr?s la promulgation de la loi nouvelle, j'ordonnai une inspection g?n?rale de toutes les ?coles primaires du royaume, publiques ou priv?es. Je ne voulais pas seulement constater les faits ext?rieurs et mat?riels qui sont commun?ment l'objet des recherches statistiques en fait d'instruction primaire, tels que le nombre des ?coles, celui des ?l?ves, leur classification, leur ?ge, les d?penses de ce service; je donnai surtout pour mission aux inspecteurs d'?tudier le r?gime int?rieur des ?coles, l'aptitude, le z?le, la conduite des instituteurs, leurs relations avec les ?l?ves, les familles, les autorit?s locales, civiles et religieuses, l'?tat moral en un mot de l'instruction primaire et ses r?sultats. Les faits de ce genre ne peuvent ?tre recueillis de loin, par voie de correspondance et de tableaux; des visites sp?ciales, des conversations personnelles, la vue imm?diate des choses et des hommes sont indispensables pour les observer et les appr?cier. Quatre cent quatre-vingt-dix personnes, la plupart fonctionnaires de tout ordre dans l'Universit?, se livr?rent pendant quatre mois ? ce rude travail. Trente-trois mille quatre-cent-cinquante-six ?coles furent effectivement visit?es et moralement d?crites dans les rapports qui me furent adress?s par les inspecteurs. L'un d'entre eux, dont j'avais depuis longtemps ?prouv? la rare capacit? et l'infatigable z?le, M. Lorain, aujourd'hui recteur honoraire, tira de tous ces rapports un Tableau de l'instruction primaire en France, en 1833, encore plus remarquable par les vues morales et pratiques qui y sont d?velopp?es que par le nombre et la vari?t? des faits qu'il contient. Cette laborieuse mesure n'eut pas seulement pour effet de me donner une connaissance plus compl?te et plus pr?cise de l'?tat et des besoins de l'instruction primaire; elle fut, pour le public, jusque dans les coins les plus recul?s du pays, un t?moignage vivant de l'active sollicitude du gouvernement pour l'?ducation populaire, et elle remua fortement les instituteurs eux-m?mes en leur donnant le sentiment de l'int?r?t qu'on leur portait et de la vigilance avec laquelle on les observait.

Deux ans plus tard, sur ma proposition, une ordonnance du Roi transforma cette visite accidentelle et unique des ?coles primaires en une institution permanente. Dans chaque d?partement, un inspecteur fut charg? de visiter r?guli?rement ces ?coles et d'en faire bien conna?tre au ministre, aux recteurs, aux pr?fets, aux conseils g?n?raux et municipaux, l'?tat et les besoins. Depuis cette ?poque, et ? travers des d?bats r?p?t?s soit dans les Chambres, soit dans les conseils locaux et ?lectifs, l'utilit? de cette institution est devenue si ?vidente que, sur la demande de la plupart de ces conseils, un inspecteur a ?t? ?tabli dans chaque arrondissement, et que l'inspection p?riodique des ?coles primaires a pris place dans l'administration de l'instruction publique comme l'une des plus efficaces garanties de leurs m?rites et de leurs progr?s.

C'est quelquefois l'erreur du pouvoir, quand il entreprend une oeuvre importante, de vouloir l'accomplir seul, et de se m?fier de la libert?, comme d'une rivale, ou m?me une ennemie. J'?tais loin de ressentir cette m?fiance; j'avais au contraire la conviction que le concours du z?le libre, surtout du z?le religieux, ?tait indispensable et pour la propagation efficace de l'instruction populaire, et pour sa bonne direction. Il y a, dans le monde la?que, des ?lans g?n?reux, des acc?s d'ardeur morale qui font faire aux grandes bonnes oeuvres publiques de rapides et puissants progr?s; mais l'esprit de foi et de charit? chr?tienne porte seul, dans de tels travaux, ce complet d?sint?ressement, ce go?t et cette habitude du sacrifice, cette pers?v?rance modeste qui en assurent et en ?purent le succ?s. Aussi pris-je grand soin de d?fendre les associations religieuses vou?es ? l'instruction primaire contre les pr?ventions et le mauvais vouloir dont elles ?taient souvent l'objet. Non-seulement je les prot?geai dans leur libert?, mais je leur vins en aide dans leurs besoins, les consid?rant comme les plus honorables concurrents et les plus s?rs auxiliaires que, dans ses efforts pour l'?ducation populaire, le pouvoir civil p?t rencontrer. Et je leur dois la justice de dire que, malgr? la susceptibilit? ombrageuse que ressentaient naturellement ces congr?gations pieuses envers un gouvernement nouveau et un ministre protestant, elles prirent bient?t confiance dans la s?rieuse sinc?rit? de la bienveillance que je leur t?moignais, et v?curent avec moi dans les meilleurs rapports. Au moment m?me o? la loi du 28 juin 1833 ?tait discut?e dans les Chambres, pour en marquer nettement l'esprit, et donner ? la principale de ces associations, aux Fr?res de la doctrine chr?tienne, un t?moignage public d'estime, je fis demander au fr?re Anaclet, leur sup?rieur g?n?ral, si les statuts de sa congr?gation lui permettaient de recevoir la croix d'honneur. Il me r?pondit par cette lettre que je prends plaisir ? publier:

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Notre saint instituteur n'a rien mis dans nos r?gles qui nous interdise formellement d'accepter l'offre que vous avez eu la bont? de nous faire, sans aucun m?rite de notre part; parce qu'il n'a pu pr?voir que ses humbles disciples pourraient avoir un jour ? refuser des offres aussi flatteuses. Mais, en consultant l'esprit de ses r?gles, qui tendent toutes ? nous inspirer l'?loignement du monde et le renoncement ? ses honneurs et ? ses distinctions, nous croyons devoir vous remercier humblement, Monsieur le ministre, de l'offre si honorable que vous avez daign? nous faire, et vous prier d'agr?er nos excuses et nos actions de gr?ces en m?me temps que notre refus. Nous ne conserverons pas moins, tant que nous vivrons, le souvenir et la reconnaissance de vos inappr?ciables bont?s, et nous publierons hautement, comme nous le faisons tous les jours, les marques de bienveillance et de protection que nous recevons, ? chaque instant, du gouvernement du Roi, et en particulier de M. le ministre de l'instruction publique et de Messieurs les membres du Conseil royal.>>

Chaque fois que je voyais cet honn?te et ferme Breton, devenu un pieux eccl?siastique et un ardent instructeur du peuple, et si absolument enferm? dans son ?tat et dans son oeuvre, ma pens?e se reportait tristement vers son fr?re, ce grand esprit ?gar? dans ses passions, tomb? parmi les malfaiteurs intellectuels de son temps, lui qui semblait n? pour ?tre l'un de ses guides les plus s?v?res. Je n'ai point connu, je n'ai jamais vu l'abb? F?licit? de la Mennais; je ne le connais que par ses ?crits, par ce qu'ont dit de lui ses amis, et par cette image bilieuse, haineuse, malheureuse, qu'a trac?e de lui Ary Scheffer, le peintre des ?mes. J'admire autant que personne cet esprit ?lev? et hardi qui avait besoin de s'?lancer jusqu'au dernier terme de son id?e, quelle qu'elle f?t, ce talent grave et passionn?, brillant et pur, amer et m?lancolique, ?pre avec ?l?gance et quelquefois tendre avec tristesse. J'ai la confiance qu'il y avait dans cette ?me, o? l'orgueil bless? ? mort semblait seul r?gner, beaucoup de nobles penchants, de bons d?sirs et de douloureux combats. A quoi ont abouti tous ces dons? Ce sera l'un des griefs les plus s?rieux contre notre ?poque que ce qu'elle a fait de cette nature sup?rieure, et de quelques autres de m?me rang que je ne veux pas nommer, et qui, sous nos yeux, se sont ?galement perverties et perdues. Sans doute, ces anges d?chus ont eu eux-m?mes leur part dans leur chute; mais ils ont subi tant de pernicieuses tentations, ils ont assist? ? des spectacles si troublants et si corrupteurs, ils ont v?cu au milieu d'un tel d?r?glement de la pens?e, de l'ambition et de la destin?e humaines; ils ont obtenu, par leurs ?garements m?mes et en flattant les passions et les erreurs de leur temps, de si faciles et si brillants succ?s, qu'il n'y a pas ? s'?tonner beaucoup que les mauvais germes se soient d?velopp?s et aient fini par dominer en eux. Pour moi, en contemplant ces quelques hommes rares, mes illustres et funestes contemporains, je ressens plus de tristesse que de col?re, et je demande gr?ce pour eux, au moment m?me o? je ne puis m'emp?cher de prononcer dans mon ?me, sur leurs oeuvres et leur influence, une s?v?re condamnation.

Je reviens ? l'instruction primaire. Le 15 avril 1834, moins d'un an apr?s la promulgation de la loi du 28 juin 1833, je rendis compte au Roi des commencements de son ex?cution, dans un rapport d?taill? o? j'en recueillis les actes, les documents et les r?sultats. Je r?sume ici, en quelques paroles et en quelques chiffres, ceux de ces r?sultats qui peuvent s'exprimer sous cette forme. Dans le cours de cette ann?e, le nombre des ?coles primaires de gar?ons avait ?t? port? de 31,420 ? 33,695, et celui des ?l?ves pr?sents dans ces ?coles de 1,200,715 ? 1,654,828. Dans 1,272 communes, des maisons d'?cole avaient ?t? construites, ou achet?es ou compl?tement r?par?es. Enfin 15 nouvelles ?coles normales primaires avaient ?t? institu?es. Treize ans plus tard, ? la fin de 1847, gr?ce aux efforts soutenus de mes successeurs dans le d?partement de l'instruction publique, le nombre des ?coles primaires de gar?ons s'?tait ?lev? de 33,695 ? 43,514; celui des ?l?ves de 1,654,828 ? 2,176,079, et celui des maisons d'?cole appartenant aux communes de 10,316 ? 23,761. Soixante-seize ?coles normales primaires fournissaient des ma?tres ? tous les d?partements. Je passe sous silence tout ce qui avait ?t? commenc? ou d?j? accompli pour les ?coles de filles, les salles d'asile, les ouvroirs et les divers ?tablissements directement ou indirectement affect?s ? l'?ducation populaire. Tels ?taient, au bout de quinze ans, les r?sultats de la loi du 28 juin 1833, et du mouvement qu'elle avait, non pas cr??, mais fait aboutir ? une v?ritable et efficace institution.

L'ann?e 1848 mit cette loi, comme toutes nos lois, et les ?coles comme la France, ? une terrible ?preuve. D?s que la temp?te fut un peu apais?e, une forte r?action s'?leva contre l'instruction primaire, comme contre la libert?, le mouvement et le progr?s. Les instituteurs primaires furent en masse accus?s d'?tre des fauteurs ou des instruments de r?volution. Le mal ?tait r?el, quoique moins g?n?ral qu'on ne l'a cru et dit. Je demandai un jour, ? un respectable et judicieux ?v?que qui connaissait tr?s-bien l'histoire des ?coles dans l'un de nos grands d?partements, combien d'instituteurs, ? son avis, s'y ?taient livr?s ? l'esprit r?volutionnaire: <> me r?pondit-il. C'?tait beaucoup, beaucoup trop, et le sympt?me d'un mal bien digne de rem?de. Comment ce mal n'e?t-il pas atteint les ?coles quand il r?gnait partout? J'ai dit quels germes de faiblesse morale et politique ?taient rest?s, malgr? mes efforts, dans la loi et dans toute l'organisation de l'instruction primaire; on y avait redout? et affaibli les autorit?s naturelles et efficaces, l'?glise et l'?tat. Et quand la r?volution ?clata, l'?tat lui-m?me, les pouvoirs publics du jour provoqu?rent les instituteurs primaires ? devenir les associ?s de tous les r?ves, les complices de tous les d?sordres r?volutionnaires. Nous nous en prenons aux institutions et aux lois du mal que nous nous faisons nous-m?mes; nous les en accusons pour nous en acquitter; comme ferait un homme qui maudirait sa maison et n'en voudrait plus, apr?s y avoir lui-m?me mis le feu. L'instruction primaire n'est point une panac?e qui gu?risse toutes les maladies morales du peuple, ni qui suffise ? sa sant? intellectuelle; c'est une puissance salutaire ou nuisible selon qu'elle est bien ou mal dirig?e et contenue dans ses limites ou pouss?e hors de sa mission. Quand une grande force nouvelle, mat?rielle ou morale, vapeur ou esprit, est entr?e dans le monde, on ne l'en chasse plus; il faut apprendre ? s'en servir; elle porte partout p?le-m?le la f?condit? et la destruction. A notre degr? et dans notre ?tat de civilisation, l'instruction du peuple est une n?cessit? absolue, un fait ? la fois indispensable et in?vitable. Et la conscience publique en est ?videmment convaincue, car dans la catastrophe o? les infirmit?s de l'instruction primaire ont ?clat?, au milieu de la grande alarme qui s'est ?lev?e ? son sujet, elle n'a point succomb?; beaucoup de gens l'ont accus?e; personne n'a cru qu'on p?t ni qu'on d?t l'abolir. La loi du 28 juin 1833 a re?u diverses modifications, quelques-unes salutaires, d'autres contestables; mais tous ses principes, toutes ses dispositions essentielles sont rest?s debout et en vigueur. Fond?e par cette loi, l'instruction primaire est maintenant, parmi nous, une institution publique et un fait acquis. Il reste, ? coup s?r, beaucoup ? faire pour le bon gouvernement des ?coles, pour faire dominer dans leur sein les influences de religion et d'ordre, de foi et de loi, qui font la dignit? comme la s?ret? d'un peuple: mais si, comme j'en ai la confiance, Dieu n'a pas condamn? la soci?t? fran?aise ? s'user, tant?t bruyamment, tant?t silencieusement, dans de st?riles alternatives de fi?vre ou de sommeil, de licence ou d'apathie, ce qui reste ? faire pour la grande oeuvre de l'?ducation populaire se fera; et quand l'oeuvre sera accomplie, elle n'aura pas co?t? trop cher.

INSTRUCTION SECONDAIRE.

J'avais, en fait d'instruction secondaire, la m?me question ? r?soudre qu'en fait d'instruction primaire; l? aussi il fallait ?tablir la libert? promise par la Charte. Mais si le devoir ?tait le m?me, la situation ?tait bien diff?rente. Dans l'instruction primaire, tout ?tait ? fonder; l'?tablissement public aussi bien que le droit priv?; il fallait cr?er les ?coles de l'?tat en m?me temps que garantir la libert? des ?coles particuli?res. Et dans cette oeuvre double que j'avais ? accomplir, je rencontrais peu d'adversaires ou de rivaux; la fondation des ?coles publiques ?tait ma grande mission; command?e par la Charte et au nom d'un principe, la libert? des ?coles particuli?res n'?tait point r?clam?e ni soutenue par des int?r?ts puissants et des passions ardentes; c'?tait surtout du gouvernement que le public attendait l'accomplissement de ses voeux; en fait d'instruction primaire, l'industrie priv?e avait des droits, mais peu de pr?tentions et de cr?dit.

Dans l'instruction secondaire, au contraire, j'?tais en pr?sence d'un grand ?tablissement public tout fond?, syst?matique, complet, en pleine activit?, et en pr?sence aussi des rivaux, je ne veux pas dire des ennemis de cet ?tablissement, nombreux, puissants, r?clamant la libert? pour eux-m?mes et avec passion. Et la libert? qu'ils r?clamaient ?tait, pour l'?tablissement qu'ils attaquaient, un fait nouveau, ?tranger ? son origine et ? ses principes constitutifs. Fond?e au nom de cette maxime que l'?ducation appartient ? l'?tat, l'Universit? reposait sur la double base du privil?ge et du pouvoir absolu. J'avais ? introduire la libert? dans une institution o? elle n'existait pas naturellement, et en m?me temps ? d?fendre cette institution elle-m?me contre de redoutables assaillants. Il fallait ? la fois garder la place et en ouvrir les portes.

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