bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: En Kabylie: Voyage d'une Parisienne au Djurjura by Vilbort J Joseph

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 1028 lines and 69097 words, and 21 pages

J. Vilbort

EN KABYLIE VOYAGE D'UNE PARISIENNE AU DJURJURA

Paris Charpentier et Cie, Libraires-?diteurs 28, quai du Louvre

CHAPITRE PREMIER

D'ALGER AU FORT NATIONAL.

Et Sidi-Yzem , Madame! Si tout ? coup il se dressait devant vous, h?rissant sa terrible crini?re, dardant sur vous ses prunelles de feu, voudriez-vous, ? la mani?re des femmes kabyles, d?sarmer sa col?re en lui disant:

<>

Madame Elvire haussa l?g?rement les ?paules et s'?cria: Je pars demain vendredi 7 avril; que les courageux me suivent!

Partir un vendredi! Cependant nous nous trouv?mes trois au point du jour sur la place Bresson, autour du G?n?ral: trois, les braves des braves, mais aussi quel g?n?ral! De grands yeux gris un peu enfonc?s sous leurs arcades orgueilleuses, tour ? tour na?fs et doux comme des yeux de gazelle, ou brillants comme des yeux d'aigle; le nez aquilin et fier, surmontant une petite bouche souriante; le front large, couronn? d'un magnifique diad?me de cheveux bruns. Grande, svelte, avec des pieds d'enfant et les plus belles mains que les fils d'Adam admir?rent depuis ?ve. Le bon sens d'un vieux juge et la fantaisie d'une petite ma?tresse, l'esprit du diable et le coeur d'une soeur de charit?; enfin, le courage du lion dans une enveloppe fragile, car le docteur Andral avait envoy? madame Elvire en Alg?rie pour y r?tablir sa sant? alt?r?e par les hivers de Paris.

Son habit de voyage ?tait des plus pittoresques sur un ample v?tement d'?toffe anglaise, elle portait un manteau doubl? de petit-gris qui l'enveloppait tout enti?re, la prot?geant contre la pluie, la poussi?re et le vent. Elle avait un grand chapeau de feutre aux larges bords, recouvert d'une coiffe blanche qui retombait sur les ?paules. Un voile vert, flottant au vent, pouvait au besoin fermer la fen?tre que la coiffe laissait ouverte devant un visage blanc et rose, qui se trouvait ainsi d?fendu contre l'ardeur du soleil ou la curiosit? des indig?nes. <> nous dit-elle en nous abordant. Certes, il fallait qu'elle f?t belle pour I'?tre encore dans cet appareil bizarre; mais il est des femmes dou?es de la gr?ce originelle qui embellit tout.

Un des trois braves ?tait le mari de madame Elvire. D?s la premi?re ?tape, et d'une voix unanime, on l'appela le Conscrit; car nous reconn?mes que, r?veur et distrait, absorb? en lui-m?me, il ?tait incapable de nous conduire. D'ailleurs, le G?n?ral paraissait lui inspirer une admiration sans bornes. Si merveilleux que f?t le paysage, ses yeux, apr?s s'y ?tre arr?t?s un instant, se tournaient toujours vers madame Elvire comme pour chercher en elle un point de comparaison. Bient?t aussi il manifesta, dans sa fa?on d'envisager les hommes et les choses du monde africain, une tendance paradoxale qui lui valut par surcro?t le beau surnom de Philosophe. Voici l'homme en trois lignes: de moyenne taille, blond, assez sentimental, tr?s-myope, et le mari le plus amoureux de sa femme qui se soit jamais vu.

Quand la diligence quitta la place Bresson, emport?e dans la rue de Constantine par ses six chevaux lanc?s au galop, le soleil sortait radieux de son lit d'or et de pourpre. Un grand calme r?gne sur la mer qui, ? l'horizon, embrasse le ciel derri?re le magique rideau des brouillards iris?s. A gauche, la rade d'Alger, du cap Matifou ? la pointe Pescade, ressemble ? une ?norme coquille de nacre de perle aux reflets changeants; ? droite, les cr?tes de la Bou-Zar?ah et de Mustapha-Sup?rieur se dorent et se d?coupent en ar?tes vives sur un azur ? teintes d'opale. Les villas ?parses brillent comme autant de perles dans le collier d'?meraudes des collines, dont le pied demeure envelopp? de vapeurs noires. Derri?re nous, coiff?e comme d'un turban maure par les maisons de sa ville haute superpos?es en terrasse, Alger, inond?e de lumi?re, caress?e par les brises marines, parfum?e par la flore orientale, semble vouloir d?ployer toutes ses s?ductions pour nous retenir dans ses murs hospitaliers.

Madame Elvire est ?mue: un diamant ?tincelle entre les cils de sa paupi?re, et elle dit en soupirant: <> La conqu?te de 1830 n'est-elle pas justifi?e par ce regret et cette larme?

Nous saluons de la main, comme un ami, le palmier de la rue de Constantine qui, sous le souffle de la premi?re brise, s'incline pour nous souhaiter un bon voyage. A Mustapha-lnf?rieur, nous prenons la route de la Maison-Carr?e, qui contourne ? gauche le champ des manoeuvres. Le Conscrit, qui est mont? sur le si?ge pour fumer, cherche ? distraire le G?n?ral de sa m?lancolie.

--Ami, demanda madame Elvire, assise dans le coup? entre M. Jules et moi, y a-t-il une moralit? ? ton petit conte?

--Assur?ment, r?pondit le philosophe, et la voici: la superstition est un chancre qui ronge tous les peuples du monde. Aussi longtemps qu'on ne l'aura pas extirp?, il n'y aura rien de raisonnable ? attendre des hommes. Que les fanatiques d'Europe donnent la main aux fanatiques d'Afrique! ils se valent, ils sont fr?res. Ceux-ci b?atifient Bou-Kobrin et Lalla-Khr?didga, la sainte du Thamgouth ; ceux-l? canonisent Labre, un fain?ant sordide, et Marie Alacocque, une nonne hyst?rique. Les j?suites font la guerre aux libres penseurs et ? toutes nos libert?s; les marabouts excitent les grands enfants d'Afrique ? d?tester les Roumis qui leur apportent l'instruction et le bien-?tre. Les uns et les autres conspirent contre la civilisation moderne; entre leurs mains la religion n'est qu'une arme politique, un instrument de r?action universelle.

Madame Elvire fit entendre une petite toux s?che qui lui ?tait famili?re et ajoutait je ne sais quoi de touchant ? sa beaut?.

--Ah! l'air est trop vif pour vous, Madame, dit M. Jules en lui tendant un pan de son manteau. Elle, dans le m?me instant, s'?cria:

Le g?n?ral poussa un cri.

--Bah! dit le postillon, ?a leur apprendra ? se garer une autre fois, et ce n'est pas l'Arabe qu'il faut plaindre, mais son bourrico qui n'est pas la plus grosse des deux b?tes.

--Je crois en v?rit?, observai-je, que les ?nes de ce pays ont la bosse de la fatalit? aussi d?velopp?e que leurs ma?tres, et s'en tiennent comme eux ? ceci: <>

--Assur?ment, ajouta le Philosophe, l'Arabe en tombant dans le foss? a dit: C'?tait ?crit! le bourrico l'a pens?, et voil? pourquoi la grosse b?te est remont?e sur la petite, tandis que celle-ci reprenait le haut du pav?. C'est le fond de l'islamisme et de toutes les doctrines politiques, religieuses ou sociales qui reposent sur le dogme de l'immuable. Pour le g?n?ral de l'ordre de Loyola, l'?me de tous les complots tram?s contre la raison, comme pour le Khalifa des Moule?-Ta?eb qui, dans sa petite ville d'Ouazan, au Maroc, tient le fil de toutes les conspirations africaines contre le progr?s apport? par la France, cet Arabe et son bourrico atteignent ? la perfection divine et terrestre.

--Tais-toi! Conscrit, fit le G?n?ral en riant, et regarde! Voici mes beaux palmiers du jardin d'Essai! Ah! qu'ils me donnent envie d'?tre au D?sert! mais quel dommage qu'il faille quitter ma ch?re M?diterran?e! Si j'?tais f?e, j'emporterais ? Paris, d'abord cette mer bleue, puis cette lumi?re ?blouissante, la f?te de l'?me comme celle des yeux; enfin ces palmiers, et encore ces superbes orangers charg?s ? la fois de fruits d'or et de fleurs odorantes.

--Est-ce tout? demandai-je.

--Non, non, j'emporterais aussi cet air doux comme une caresse d'enfant, ces grands rochers qui se dressent l?-bas devant nous, et dont les cr?tes aigu?s et neigeuses resplendissent au soleil comme des lances d'argent.

--Le Djurjura! nous n'en sommes plus qu'? trente-neuf lieues, Madame, et nous y arriverons demain soir.

--Quel bonheur! s'?cria-t-elle en frappant des mains.

Pauvre Alger! d?j? cette belle inconstante ne te regrettait plus.

Malgr? leur peau de suie, madame Elvire les pr?f?rait de beaucoup aux Arabes d'Alger, paresseux, sordides et filous, aux Maures ? la face blafarde, aux Koulourlis, fils ?tiol?s des Turcs et des Mauresques, et m?me aux Juifs industrieux, qui ont l'art de s'enrichir o? tant d'autres s'appauvrissent et poss?dent aujourd'hui la moiti? de la ville. Elle n'aimait gu?re non plus les Mzabis ou Mozabites, gens au nez pointu, ? la l?vre mince, fanatiques, remuants et perfides, venus du Mzab sous le m?ridien, pour gagner l'argent du Roumi en attendant qu'ils pussent lui couper la gorge. Mais ceux qui avaient su gagner toute sa sympathie, c'?taient le Biskris et surtout les Kabyles, que la mis?re chasse, les premiers, des oasis du Ziban, les seconds des roches djurjuriennes: presque tous ces hommes-l? ont un bon visage.

A mesure que nous avan?ons sur la route, l'heure matinale nous fait rencontrer un nombre consid?rable d'Arabes auxquels se m?lent quelques Maures et quelques Kabyles. Tous portent des l?gumes au march? d'Alger. Chacun pousse devant soi un ou plusieurs bourricos ployant sous la charge. Les bourreaux! Et quand donc la Soci?t? protectrice des animaux viendra-t-elle en aide ? leurs victimes? Le ma?tre stimule sa b?te en la piquant sans cesse, avec la pointe d'un b?ton, ? un m?me endroit de la cuisse qui, ? force d'?tre ainsi aiguillonn?e, pr?sente une large plaie saignante; et le pauvre petit ?ne, qui n'a que la taille d'un grand veau, va trottinant toujours, sous un fardeau trop lourd, jusqu'? ce qu'il tombe mort. Que mange-t-il? et quand mange-t-il? On ne l'a jamais su.

Quel regard triste! et comme sa t?te se penche m?lancoliquement! mais il para?t pourtant r?sign? ? son sort. Ah! c'est heureux vraiment qu'il soit fataliste! Mahomet aurait bien d? lui r?server une place dans son paradis!

L'autorit?, qui se m?le de tout en Alg?rie comme en France, ne peut-elle rien pour l'infortun? bourrico? Elle ordonne aux gendarmes de briser, dans la main de l'Arabe, l'instrument de torture chaque fois qu'il est arm? d'une pointe en fer. La pointe en bois est-elle donc moins cruelle?

Nous nous croisons avec de vieilles haridelles charg?es de fruits superbes: des oranges exquises qui m?rissent, apr?s celles d'Alger et de Blidah, chez les Amaraoua, tribus de la basse Kabylie. Puis ce sont de l?g?res carrioles conduites par de jolies petites femmes au teint brun, ? l'oeil noir, ? la mine tr?s-?veill?e: les mara?ch?res mahonnaises du fort de l'Eau. Cette colonie, fond?e en 1850 par des familles de Mahon, est tr?s-florissante; elle approvisionne le march? d'Alger de l?gumes excellents, elle exporte en France des primeurs d'artichauts et de petits pois. A Bougie, ? Philippeville, ? B?ne comme ? Alger et sur tout le littoral, les Mahonnais, colons ? demeure fixe, out trouv? une veine d'or dans la culture mara?ch?re et dans celle des arbres fruitiers. Voici de grands chariots tra?n?s par quatre chevaux qui conduisent au vapeur en partance pour Marseille un million d'artichauts r?colt?s au fort de l'Eau et dans les champs tr?s-fertiles des deux rives de l'Arrach. Nous passons sous la Maison-Carr?e. Ce fortin turc construit sur une ?minence est devenu un p?nitencier d'indig?nes rebelles.

La diligence s'arr?te devant l'auberge du Roulage. Le conducteur demande un champoreau: m?lange de caf? noir, d'eau-de-vie et de sucre que l'ouvrier de Paris appelle un gloria. Il nous engage ? faire comme lui: nous allons traverser un pays de broussailles vierges et de mares stagnantes, o? habite une alli?e des Arabes hostiles: la fi?vre!

--O fille d'?ve! dis-je, vous faites perdre ? ce pauvre diable sa place dans le paradis.

Pour toute r?ponse l'Arabe lui montre les trous de son burnous ? travers lesquels reluit sa peau cuivr?e. Nous lui jetons quelques sous qu'il ramasse d'une main rapace. Beaucoup d'Arabes demandent l'aum?ne; tous ou presque tous la re?oivent sans vergogne.

--Cela leur donne sur nous une incontestable sup?riorit?, observe le Philosophe: la pauvret? n'est pas pour eux un sujet de honte, puisqu'ils n'en rougissent pas.

Nous sommes ? la Regha?a. En 1837, ce n'?tait qu'une ferme naissante qui fut vigoureusement attaqu?e le 9 mai de cette ann?e-l? par les Kabyles du bas pays, ayant ? leur t?te le fr?re d'Abd-el-Kader, Mustapha-el-Hadj . Ce coup de main, qui ?tait une provocation, motiva la premi?re exp?dition en territoire kabyle. Le village borde un ruisseau ombrag? de lauriers roses et dont l'eau verte ne coule que tr?s-lentement.

Deux ou trois habitants sont sur leur porte; ils ont le visage d'un blanc jaun?tre. Est-ce le reflet du ruisseau? Leurs joues creuses nous serrent le coeur; et pourtant nous apercevons l?-bas des plantations vigoureuses, des champs bien cultiv?s et en plein rapport. Le pain ne manque pas ? la Regha?a, ni m?me le bien-?tre; mais ? quoi bon faire double r?colte et avoir sa grange pleine, quand la fi?vre vous coupe la faim?

Pourquoi a-t-on couch? ce village dans ce bas-fond, au lieu de l'?riger sur cette colline o? l'air est salubre? Partout o? les colons ont ?t? ?tablis sur la hauteur, ils n'ont pas pay? ? la camarde palud?enne cet effroyable tribut de deux g?n?rations d'hommes qu'elle pr?leva sur Boufarik, avant que le d?frichement et l'am?nagement des eaux eussent fait de ce campement empest? o? <> le march? le plus florissant de la Mitidja.

La voici! L'immense plaine de deux cent mille hectares se d?roule devant nous, jusqu'au pied de l'Atlas: ? notre gauche, vers la mer, jusqu'? la pointe du cap Matifou; ? notre droite, jusqu'aux massifs du Sahel. Elle baigne enti?rement dans un brouillard ?pais que les premiers rayons du soleil ont pr?cipit? des hauteurs du ciel, en condensant les sueurs nocturnes de la terre. Le jeu de la lumi?re produit des effets merveilleux dans cette mer profonde de vapeurs accumul?es: d'un bleu d'ardoise au raz du sol, elle offre au regard, ? mesure qu'il s'?l?ve, des ondes lumineuses d'un gris d'argent travers?es ?? et l? par des rayons solaires pareils ? des fl?ches d'or. Les plus hautes montagnes de l'Atlas, vigoureusement dessin?es sur le ciel o? s'effacent les derni?res ?toiles, s'?lancent comme des ?lots de ces flots diaphanes dans lesquels s'enfoncent leurs grandes ombres noires. Les cultures ont disparu. Ce sont partout d'imp?n?trables maquis de lentisques, de lauriers-roses, de gen?ts ?pineux, de bruy?res g?antes, d'asphod?les dont les distillateurs alg?riens font de la fine-champagne. Il y a l? aussi des ch?nes-li?ges, et quelques ch?nes-zen, mais petits et rabougris. Nul autre vestige de civilisation que la route empierr?e, nouveau sillon ouvert dans ce sol abandonn?. De chaque c?t? de la pierre concass?e par les n?gres ? veste rouge qu'on rencontre sur toutes les grandes routes, martelant le gris sous un soleil vertical, se presse une herbe courte et drue, tout ?maill?e d'une flore sauvage.

On dirait un tapis de velours vert o? la main d'une f?e a brod?, avec les couleurs de l'arc-en-ciel, les arabesques les plus bizarres.

Madame Elvire s'extasie sur ce paysage enchant?.

--Euh! exclame le Philosophe, nous respirons la peste. Des broussailles vierges aux portes d'Alger! et l'on r?pond aux colons qui demandent de la terre qu'on n'en a pas ? leur donner! Et la France ne peut pas nourrir ses habitants dans les ann?es m?diocres! Et dans les meilleures, l'Angleterre et la Belgique sont oblig?es d'aller acheter aux ?tats-Unis ou en Russie le tiers de la r?colte qui leur manque! Et...

--Un chacal! fit madame Elvire, en d?signant du doigt un animal qui traversa la route comme une fl?che.

--Pardon, Madame! dit le postillon, mais ce chacal est tout bonnement...

--Quoi donc?

--Un lapin!

Un peu plus loin, deux oiseaux s'envol?rent.

--Des perdrix! fis-je.

--Oui, Monsieur, ajouta le postillon, des perdrix rouges.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top