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Read Ebook: Marie; ou l'Esclavage aux Etats-Unis: Tableau de moeurs américaines by Beaumont Gustave De

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Ebook has 1735 lines and 137729 words, and 35 pages

Les querelles religieuses qui, durant le seizi?me si?cle, troubl?rent l'Europe et firent na?tre les pers?cutions du si?cle suivant, ont peupl? l'Am?rique du Nord de ses premiers habitants civilis?s.

La paix continue aujourd'hui l'oeuvre de la guerre: quand de longues ann?es de repos se succ?dent chez les nations, les populations s'accumulent outre mesure; les rangs se serrent; la soci?t? s'encombre de capacit?s oisives, d'ambitions d??ues, d'existences pr?caires. Alors l'indigence et l'orgueil, le besoin de pain et d'activit? morale, le malaise du corps et le trouble de l'?me, chassent les plus mis?rables du lieu o? ils souffrent, et les poussent ? l'aventure par-del? les mers dans des r?gions moins pleines d'hommes o? il se rencontre encore des terres inoccup?es et des postes vacants .

Les premi?res migrations furent des exils de conscience les secondes sont des exils de raison. Et pourtant tous ceux qui, de nos jours, vont aux ?tats-Unis chercher une condition meilleure ne la trouvent pas.

Vers l'ann?e 1851, un Fran?ais r?solut de passer en Am?rique dans l'intention de s'y fixer. Ce projet lui fut inspir? par des causes diverses.

Plein de convictions g?n?reuses, il avait salu? la r?volution nouvelle comme le symbole d'une grande r?forme sociale. Alors il s'?tait mis ? l'oeuvre... Mais bient?t il avait ?t? seul au travail. Les plus hardis novateurs ?taient devenus subitement des hommes prudents et circonspects. Les ap?tres de libert? pr?chaient la servitude: il s'en trouvait d'assez cyniques pour se vanter de l'apostasie comme d'une vertu.

D?go?t? du monde politique, il essaya de se cr?er une existence industrielle; mais la fortune ne lui fut point propice... ? l'?ge de vingt-cinq ans il se trouva sans carri?re, n'ayant dans l'avenir d'autre chance que le partage d'un modique patrimoine. Un jour donc, repoussant du pied sa terre natale, il monta sur un vaisseau qui du Havre le conduisit ? New York.

Il ne fit point un long s?jour dans cette ville; il n'y passa que le temps n?cessaire pour s'enqu?rir de la route ? suivre afin de p?n?trer dans l'ouest.

Les uns lui conseillaient de se rendre dans l'Ohio, o?, disaient- ils, l'on vit mieux ? bon march? que dans aucun autre ?tat; ceux- l? lui recommandaient Illinois et Indiana o? il ach?terait ? vil prix les terres les plus fertiles de la vall?e du Mississipi. Un autre lui dit: <>

Le voyageur pr?f?ra ce dernier conseil, dont l'ex?cution ?tait d'autant plus facile que, pour se rendre dans le Michigan, il n'avait qu'? suivre le courant de l'?migration europ?enne, alors dirig?e de ce c?t?.

Il remonta la rivi?re du Nord qui coule majestueuse entre deux cha?nes de montagnes, passa par une infinit? de petites villes qui portent de grands noms, telles que Rome, Utique, Syracuse, Waterloo. Apr?s avoir travers? le lac ?ri?, long de cent lieues, et franchi le d?troit , il vit s'?tendre devant lui l'immense plaine du lac Huron, fameux par la puret? de ses ondes et par ses ?les consacr?es au grand Manitou; et c?toyant la rive gauche de ce lac, il p?n?tra dans l'int?rieur du Michigan par la grande baie de Saginaw, en remontant la rivi?re dont cette baie tire son nom.

Les bords de la Saginaw sont plats comme toutes les terres qui avoisinent les grands lacs de l'Am?rique du Nord; ses eaux, dans un cours lent et paisible, s'avancent parmi des prairies qu'elles fertiliseraient de leur fra?cheur si, par de trop longs s?jours, elles ne les changeaient en mar?cages. L'aspect de ces lieux est froid et s?v?re; ? travers une atmosph?re charg?e de vapeurs, le soleil ne projette qu'une d?bile clart?; ses rayons sont p?les comme des reflets. Des joncs tremblants ? la surface de l'onde; d'innombrables roseaux rang?s en haie sur chaque rive, et au-del?, de longues herbes que la faux n'a jamais tranch?es, telle est la sc?ne monotone qui, de toutes parts, s'offre aux yeux. L'oscillation de ces joncs, le murmure de ces roseaux, le bruissement des herbes et le cri rare de quelques oiseaux plongeurs, cach?s parmi les plantes flottantes, forment tout le mouvement et toute la vie de ces sauvages solitudes. En regardant au plus haut des cieux, on peut y voir un aigle qui plane avec majest?; il suit la barque du voyageur; tant?t immobile au-dessus d'elle, tant?t entra?n? dans un vol sublime, il semble, roi du d?sert, observer le t?m?raire ?tranger qui p?n?tre dans son empire. De temps en temps appara?t une hutte sauvage; non loin d'elle, se tient debout un Indien, impassible et muet comme le tronc d'un vieux ch?ne; on dirait une antique ruine de la for?t.

Quelquefois les bords du fleuve se resserrent; alors, sur des rives plus ?lev?es, se montre une v?g?tation pauvre et rachitique; une faible couche de terre recouvre d'immenses rochers de marbre et de granit, o? vivent mis?rablement des ?rables jaunes, des pins gris?tres, des h?tres charg?s de mousse; leur verdure terne ne r?jouit point la vue; leur front chauve attriste les regards; ils sont petits comme de jeunes arbres et sont ? moiti? morts de vieillesse.

Cependant ? soixante milles au-dessus de son embouchure, le fleuve et ses entours prennent un autre aspect. L'atmosph?re devient pure, le ciel bleu, le sol fertile; l'influence des grands lacs a cess?; le soleil a repris son empire. ? la droite du fleuve se d?roulent au loin de vastes prairies dont les inondations se retirent apr?s les avoir f?cond?es; sur la rive gauche s'?l?vent des arbres gigantesques, au tronc antique et ? la cime jeune et hardie; magnifique futaie primitive, dont les nombreuses clairi?res attestent la pr?sence de l'homme civilis?.

L? s'arr?ta le voyageur, qui ne cherchait point une solitude profonde, mais seulement le voisinage du d?sert.

? peine avait-il fait quelques pas ? travers les ombres d'une v?g?tation s?culaire, qu'il aper?ut les traces d'un ?tablissement; ici se voyait un champ de ma?s entour? de barri?res form?es ? l'aide d'arbres renvers?s; l? des d?bris de pins incendi?s; plus loin des troncs de ch?nes coup?s ? hauteur d'homme.

En marchant, il d?couvrit le toit d'une chaumi?re; on y arrivait par un ?troit sentier sur lequel il distingua l'empreinte r?cente de pas humains. Bient?t un plus riant paysage s'offrit ? sa vue: au pied de l'habitation s'?tendait un lac charmant, bord? de tous c?t?s par la for?t; c'?tait comme un vaste miroir encadr? dans la verdure; sa surface, parfaitement calme, ?tincelait aux feux d'un soleil ardent; et sa riche ceinture, embellie par toutes les nuances du feuillage, trouvait un ?clatant reflet dans le cristal des eaux.

Un petit canot fait d'?corce, ? la mani?re des Indiens, ?tait couch? sur le rivage et paraissait abandonn?.

La chaumi?re pr?sentait un singulier m?lange d'?l?gance dans sa forme et de grossi?ret? dans ses mat?riaux.

Quelques b?ches couch?es les unes sur les autres faisaient toute sa construction; cependant il y avait dans leur arrangement quelque chose qui r?v?lait le go?t de l'architecte. Elles ?taient rang?es avec sym?trie, et dispos?es de fa?on ? figurer un certain nombre d'arceaux gothiques: ? l'ext?rieur, ou remarquait le m?me m?lange de nature sauvage et d'industrie humaine. Ici, un banc de verdure; l?, un si?ge form? de branches d'?rable ?l?gamment entrelac?es; plus loin, un parterre de fleurs adoss? ? la for?t vierge.

? mesure qu'il approchait de la demeure solitaire, le voyageur comprenait moins quel pouvait en ?tre l'habitant; il se perdait en vaines conjectures, lorsqu'il vit para?tre un homme... Son costume ?tait celui d'un Europ?en, sa mise, simple sans ?tre commune; ses traits contenaient beaucoup de noblesse, quoique leur alt?ration f?t sensible; et son front, jeune encore, portait l'empreinte de ces m?lancolies froides et r?sign?es qui sont l'oeuvre des longues infortunes et des vieilles douleurs.

Le voyageur s'approchait timidement. -- Dieu me garde! dit-il au solitaire, de troubler votre retraite! -- Soyez le bienvenu, r?pondit avec politesse l'habitant du d?sert.

Ce peu de mots avaient prouv? ? l'un et ? l'autre qu'ils ?taient Fran?ais, et une douce ?motion ?tait descendue dans leurs ?mes; car c'est une grande joie pour l'exil? de retrouver la voix de la patrie sur la terre ?trang?re.

Le solitaire prend le voyageur par la main, le conduit dans une petite cabane voisine de la chaumi?re et construite plus simplement que celle-ci; l?, il le fait asseoir, l'engage ? se reposer quelque temps, lui sert un frugal repas et lui donne tous les soins d'une hospitalit? bienveillante.

L'habitant de la for?t ressentait une joie r?elle de la pr?sence du voyageur; cependant il redevenait de temps en temps sombre et pensif... Tout annon?ait qu'il avait dans l'?me de tristes souvenirs qui sommeillaient quelquefois, mais dont le r?veil ?tait toujours douloureux.

Les deux Fran?ais parl?rent d'abord de la France, et bient?t ils convers?rent ensemble comme deux amis.

-- Qui peut vous amener dans ce d?sert? dit le solitaire au voyageur.

LE VOYAGEUR.

Je cherche une contr?e qui me plaise... Je viens de parcourir un pays qui me semble charmant... Oh! j'ai vu de beaux lacs, de belles for?ts, de belles prairies!...

LE SOLITAIRE.

Mais o? allez-vous?

LE VOYAGEUR.

Je ne sais pas encore. Cette solitude me remplit d'?motions... je n'en ai point encore vu qui me s?duise autant; la vie doit s'?couler douce et paisible dans ce lieu. Je serais tent? de m'y arr?ter.

LE SOLITAIRE.

Dans quel but?

LE VOYAGEUR.

Mais pour y demeurer...

LE SOLITAIRE.

Quoi vous renonceriez ? la France? pour toujours! pour vivre en Am?rique! Y avez-vous bien song??

LE VOYAGEUR.

Oui... C'est un sujet auquel j'ai beaucoup r?fl?chi... j'aime les institutions de ce pays; elles sont lib?rales et g?n?reuses... chacun y trouve la protection de ses droits...

LE SOLITAIRE.

Savez-vous si, dans ce pays de libert?, il n'y a point de tyrannie... et si les droits les plus sacr?s n'y sont pas m?connus? ...

LE VOYAGEUR.

Il y a d'ailleurs dans les moeurs des Am?ricains une simplicit? qui me pla?t... Voici quel est mon projet: je me placerai sur la limite qui s?pare le monde sauvage de la soci?t? civilis?e; j'aurai d'un c?t? le village, de l'autre la for?t; je serai assez pr?s du d?sert pour jouir en paix des charmes d'une solitude profonde, et assez voisin des cit?s pour prendre part aux int?r?ts de la vie politique...

LE SOLITAIRE.

Il est des illusions qui nous co?tent quelquefois bien des larmes!

LE VOYAGEUR.

Pourquoi ne serais-je pas heureux?... Vous-m?me...

LE SOLITAIRE.

N'invoquez point mon exemple..., et prenez garde de m'imiter... J'ai d?j? pass? cinq ann?es dans ce d?sert, et le sentiment que je viens d'?prouver en revoyant un Fran?ais est le seul plaisir qui, durant ce temps, soit entr? dans le coeur de l'infortune Ludovic.

En pronon?ant ces mots, le solitaire se leva... sa physionomie attestait un trouble int?rieur. Alors le voyageur, cherchant des paroles qui pussent sourire ? son h?te:

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