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Read Ebook: Marie; ou l'Esclavage aux Etats-Unis: Tableau de moeurs américaines by Beaumont Gustave De

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Ebook has 1735 lines and 137729 words, and 35 pages

En pronon?ant ces mots, le solitaire se leva... sa physionomie attestait un trouble int?rieur. Alors le voyageur, cherchant des paroles qui pussent sourire ? son h?te:

-- Je serais charm?, lui dit-il, de conna?tre tout votre ?tablissement, les terres qui l'avoisinent et les for?ts qui l'entourent.

Cette demande fut agr?able ? Ludovic, qui s'empressa d'y satisfaire et parut heureux de montrer au voyageur toute l'?tendue de ses possessions. Celui-ci avait remarqu? d?s l'abord que le solitaire ?vitait avec soin de s'approcher de la jolie cabane dont, en arrivant, il avait admir? l'?l?gante construction; sa curiosit? s'en ?tait accrue. -- Cette cabane fait partie de votre domaine? dit-il ? Ludovic. -- Oui, r?pondit celui-ci. -- J'en admire le bon go?t, reprit le voyageur, et je serais charm? de la voir... -- Non! non! r?pliqua vivement le solitaire... jamais! jamais! -- Est-ce que quelqu'un l'habite? Ludovic resta d'abord silencieux... -- Oui, r?pondit-il enfin d'une voix triste et myst?rieuse... Et il entra?na le voyageur du c?t? oppos?.

Chemin faisant, les deux Fran?ais ?taient revenus au sujet principal de leur entretien, l'Am?rique. Le voyageur avait repris le cours de ses admirations, que le solitaire combattait par des r?flexions sages, quelquefois m?me par de piquantes railleries... Ils pass?rent ainsi en revue tous les objets qui, dans la soci?t? am?ricaine, attirent les regards de l'?tranger.

-- Oh! arr?tons-nous ici quelques instants, s'?cria le voyageur quand ils se trouv?rent sur le bord du lac. Quel air embaum?! quelle douce fra?cheur! quelles impressions pures! comme le ciel est beau sur nos t?tes! et comme, en face de nous, la for?t forme ? l'horizon un charmant rideau de verdure! Combien ce paysage est encore embelli par le toit de votre chaumi?re, qui retrace aux yeux l'image du modeste asile d'une tranquille f?licit?! Qui demeurerait insensible ? ce tableau? Eh bien! dites; parlez sans pr?vention... que manquerait-il au bonheur dans cette retraite solitaire, si l'amour d'une jeune Am?ricaine y venait r?pandre ses charmes et ses enchantements?

Tout en parlant ainsi, le voyageur s'?tait assis sur un banc de verdure; Ludovic, plein d'?motions bien diff?rentes, avait pris place aupr?s de lui...

S'abandonnant ? cette impression po?tique: -- En Europe, dit le voyageur, tout est souillure et corruption!... Les femmes y sont assez viles pour se vendre, et les hommes assez stupides pour les acheter. Quand une jeune fille prend un mari, ce n'est pas une ?me tendre qu'elle cherche pour unir ? la sienne, ce n'est pas un appui qu'elle invoque pour soutenir sa faiblesse; elle ?pouse des diamants, un rang, la libert?: non qu'elle soit sans coeur; une fois elle aima, mais celui qu'elle pr?f?rait n'?tait pas assez riche. On l'a marchand?e; on ne tenait plus qu'? une voiture, et le march? a manqu?. Alors on a dit ? la jeune fille que l'amour ?tait folie; elle l'a cru, et s'est corrig?e; elle ?pouse un riche idiot... Quand elle a quelque peu d'?me, elle se consume et meurt. Commun?ment elle vit heureuse. Telle n'est point la vie d'une femme en Am?rique. Ici le mariage n'est point un trafic, ni l'amour une marchandise; deux ?tres ne sont point condamn?s ? s'aimer ou ? se ha?r parce qu'ils sont unis, ils s'unissent parce qu'ils s'aiment. Oh! qu'elles sont belles et attirantes ces jeunes filles aux yeux d'azur, aux sourcils d'?b?ne, ? l'?me candide et pure!... quel doux parfum sort de leur chevelure que l'art n'a point fl?trie! ... que d'harmonie dans leur faible voix qui ne fut jamais l'?cho des passions cupides! Ici du moins, quand vous allez vers une jeune fille, et lorsqu'elle vient ? vous, ce sont de tendres sympathies qui se rencontrent, et non des calculs int?ress?s. Ne serait-ce point m?priser la chance d'une f?licit? tranquille, mais d?licieuse, que de ne pas rechercher l'amour d'une jeune Am?ricaine?

Ludovic ?coutait avec calme; quand le voyageur eut fini de parler:

-- Je plains vos erreurs, lui dit le solitaire. Je n'entreprendrai point de les combattre; car je sais combien est vaine pour les hommes l'exp?rience d'autrui...; je suis cependant afflig? de voir votre ardeur ? poursuivre des chim?res... Je pourrais, par un seul exemple, vous prouver combien vous ?tes ?gar?. Vous venez d'exalter devant moi le m?rite des femmes am?ricaines. Le tableau que vous avez esquiss? n'est pas tout ? fait d?pourvu de v?rit?; mais il manque des riantes couleurs que lui pr?te votre imagination... Je crois qu'il me serait facile de tracer, sans passion, le portrait fid?le des femmes de ce pays; car je n'ai re?u d'elles ni bienfaits ni injures...

Le voyageur fit un signe d'incr?dulit?; cependant, par une sorte de courtoisie due ? l'hospitalit?, il t?moigna le d?sir de conna?tre le sentiment du solitaire qui, apr?s un instant de r?flexion, s'exprima en ces termes.

Chapitre II Les femmes

Les femmes am?ricaines ont en g?n?ral un esprit orn?, mais peu d'imagination, et plus de raison que de sensibilit? .

Elles sont jolies; celles de Baltimore sont renomm?es pour leur beaut? parmi toutes les autres.

Leurs yeux bleus attestent une origine anglaise, et leur chevelure noire l'influence des ?t?s br?lants. Leur constitution fr?le et d?licate soutient une lutte in?gale contre les rigueurs d'un climat s?v?re, et les variations subites de la temp?rature. On ne peut se d?fendre d'une impression douloureuse en pensant que cette beaut?, cette fra?cheur, et toutes ces gr?ces de la jeunesse se fl?triront avant l'?ge, et seront frapp?es d'une destruction cruelle et pr?matur?e .

L'?ducation des femmes aux ?tats-Unis diff?re enti?rement de celle qui leur est donn?e chez nous.

En France, une jeune fille demeure, jusqu'? ce qu'elle se marie, ? l'ombre de ses parents: elle repose paisible et sans d?fiance, parce qu'elle a pr?s d'elle une tendre sollicitude qui veille et ne s'endort jamais; dispens?e de r?fl?chir, tandis que quelqu'un pense pour elle; faisant ce que fait sa m?re; joyeuse ou triste comme celle-ci, elle n'est jamais en avant de la vie, elle en suit le courant: telle la faible liane, attach?e au rameau qui la prot?ge, en re?oit les violentes secousses ou les doux balancements.

En Am?rique, elle est libre avant d'?tre adolescente; n'ayant d'autre guide qu'elle-m?me, elle marche comme ? l'aventure dans des voies inconnues. Ses premiers pas sont les moins dangereux; l'enfance traverse la vie comme une barque fragile se joue sans p?rils sur une mer sans ?cueils.

Mais quand arrive la vague orageuse des passions du jeune ?ge, que va devenir ce fr?le esquif avec ses voiles qui se gonflent, et son pilote sans exp?rience?

L'?ducation am?ricaine pare ? ce danger: la jeune fille re?oit de bonne heure la r?v?lation des emb?ches qu'elle trouvera sur ses pas. Ses instincts la d?fendraient mal: on la place sous la sauvegarde de sa raison; ainsi ?clair?e sur les pi?ges qui l'environnent, elle n'a qu'elle seule pour les ?viter. La prudence ne lui manque jamais.

Ces lumi?res donn?es ? l'adolescente sont une cons?quence oblig?e de la libert? dont elle jouit; mais elles lui font perdre deux qualit?s charmantes dans le jeune ?ge, la candeur et la na?vet?. L'Am?ricaine a besoin de science pour ?tre sage: elle sait trop pour ?tre innocente

Cette libert? pr?coce donne ? ses r?flexions un tour s?rieux, et imprime quelque chose de m?le ? son caract?re. Je me rappelle avoir entendu une jeune fille de douze ans traiter dans une conversation et r?soudre cette grande question: <> -- Elle pla?ait la r?publique au-dessus de tous les autres.

Celte froideur des sens, cet empire de la t?te, ces habitudes m?les chez les femmes, peuvent trouver gr?ce devant la raison; mais elles ne contentent point le coeur. Tel fut le premier jugement que je portai sur les femmes d'Am?rique; cependant je rencontrai dans le monde une jeune personne dont le caract?re, tout ? la fois imp?tueux et tendre, vint ?branler cette impression.

Arabella me parut dou?e d'une brillante vivacit? d'esprit, d'une touchante sensibilit? de coeur, et de ce noble enthousiasme de l'?me qui entra?ne et subjugue; ? l'entendre, elle aimait avec exc?s les belles-lettres et les beaux-arts; ses yeux se mouillaient de pleurs quand elle traitait, m?me th?oriquement, une question de sentiment; son go?t pour la musique ?tait un fanatisme; sa passion pour la po?sie un d?lire; elle ne parlait de l'une et de l'autre que dans les termes de l'admiration la plus exalt?e: c'?taient Corinne et Sapho r?unies dans une seule ?me. -- S?duit par tant de charmes, j'accusais la t?m?rit? de mon premier jugement, lorsqu'une circonstance toute naturelle vint dissiper le prestige qui environnait ma nouvelle idole. Nous assistions ensemble ? un concert; un instant auparavant, elle m'avait dit sur la musique en g?n?ral des choses qui m'avaient transport?; mais, quand elle en vint ? juger successivement les diff?rentes parties du concert, je fus saisi d'un ?tonnement que je ne saurais vous d?peindre. C'?tait de sa part une abondance d'?loges qui ne tarissait point; elle louait si souvent et avec tant de bruit qu'elle ne pouvait rien entendre: toutes ses admirations tombaient ? faux. Du reste, elle ne paraissait pas tenir ? faire preuve de discernement; elle avait ? son usage une somme d?termin?e d'enthousiasme, qu'elle d?pensait ? tout hasard, bien ou mal ? propos, ne s'arr?tant qu'apr?s en avoir achev? la distribution.

Ce caract?re, que je retrouvai plus tard dans un grand nombre de jeunes Am?ricaines, n'a rien qui plaise. Les femmes ? exaltation factice sont aussi froides que les autres, et, comme elles promettent davantage, elles donnent une d?ception de plus. Je revins ? ma premi?re opinion; mais ce fut pour y ?tre encore une fois troubl?. ? l'?ge de dix-huit ans, Alice n'?tait pas jolie, mais elle attirait vers elle par son esprit; elle n?gligeait l'art et les soins de la toilette; sa mise ?tait d?pourvue de gr?ce et d'?l?gance, et on e?t jug? qu'elle n'avait aucune pr?tention, car elle portait publiquement des besicles. Cependant elle plaisait et avait le d?sir de plaire: sa coquetterie ?tait tout intellectuelle; elle charmait ? force de saillies, de naturel et de vivacit?. Je la voyais environn?e d'adorateurs, et je me prenais quelquefois ? penser qu'elle ?tait vraiment digne des hommages qu'on lui adressait, lorsque je d?couvris que depuis longtemps elle ?tait secr?tement engag?e.

Aux ?tats-Unis, quand deux personnes ont reconnu qu'elles se conviennent, elles promettent de s'unir l'une ? l'autre, et sont ce qu'on appelle engag?es; c'est une esp?ce de fian?ailles qui se font sans solennit?, et n'ont d'autre sanction que le lien de la foi jur?e.

La jeune fianc?e, si peu soucieuse des moyens de plaire aux yeux, ?tait plus coquette qu'aucune autre, puisqu'elle l'?tait sans int?r?t: ce fut le terme de mes admirations.

Du reste, une excessive coquetterie est le trait commun ? toutes les jeunes Am?ricaines, et une cons?quence de leur ?ducation.

Pour toute fille qui a plus de seize ans, un mariage est le grand int?r?t de la vie. En France, elle le d?sire; en Am?rique, elle le cherche. Comme elle est de bonne heure ma?tresse d'elle-m?me et de sa conduite, c'est elle qui fixe son choix .

On sent combien est d?licate et p?rilleuse la t?che de la jeune fille, d?positaire de sa destin?e; il faut qu'elle ait pour elle- m?me la pr?voyance que chez nous un p?re et une m?re ont pour leur fille: en g?n?ral, on doit le dire, elle remplit sa mission, avec beaucoup de sagesse. Au sein de cette soci?t? toute positive, o? chacun exerce une industrie, les Am?ricaines ont aussi la leur: c'est de trouver un mari. Aux ?tats-Unis, les hommes sont froids et encha?n?s ? leurs affaires; il faut qu'on aille ? eux, ou qu'un charme puissant les attire. Ne soyons donc pas surpris si la jeune fille qui vit au milieu d'eux est prodigue de sourires ?tudi?s et de tendres regards; sa coquetterie est d'ailleurs ?clair?e et prudente; elle a mesur? l'espace dans lequel elle peut se jouer; elle sait la limite qu'elle ne doit point franchir. Si ses artifices m?ritent qu'on les censure, le but qu'elle poursuit est du moins irr?prochable; car elle ne veut que se marier.

Les occasions ne manquent point aux jeunes gens et aux jeunes filles qui ont ? se r?v?ler un sentiment tendre et un mutuel penchant. Celles-ci ont coutume de sortir seules, et les premiers, en les accompagnant, ne blessent aucune convenance: la seule forme qu'ils doivent observer, c'est de marcher s?par?ment; car, pour donner le bras ? une jeune personne, il faut lui ?tre fianc?. On voit r?gner dans les salons la m?me libert?. Il est rare que la m?re se m?le ? la conversation qu'entretient sa fille; celle-ci re?oit chez elle qui lui pla?t, donne seule ses audiences, et y admet quelquefois des jeunes gens qu'elle a rencontr?s dans le monde, et que ne connaissent pas ses parents. En agissant ainsi, elle ne fait point mal; car ce sont les moeurs du pays.

La coquetterie am?ricaine est d'une nature toute sp?ciale; en France, une fille coquette est moins d?sireuse de se marier que de plaire; en Am?rique, elle n'est impatiente de plaire que pour se marier. Chez nous, la coquetterie est une passion; en Am?rique, un calcul. Si la jeune personne engag?e continue ? se montrer coquette, c'est moins par go?t que par prudence; car il n'est pas sans exemple que le fianc? viole sa foi; quelquefois elle pr?voit cette chance funeste, et t?che de gagner des coeurs, non pour en poss?der plusieurs ? la fois, mais pour remplacer celui qu'elle court le risque de perdre.

Dans cette circonstance comme dans toutes les autres, elle provoque, encourage, ou repousse les soupirants avec une enti?re libert?.

En Am?rique, cette libert?, sit?t donn?e ? la femme, lui est tout ? coup ravie. Chez nous, la jeune fille passe des langes de l'enfance dans les liens du mariage; mais ces nouvelles cha?nes lui sont l?g?res. En prenant un mari, elle gagne le droit de se donner au monde; elle devient libre en s'engageant. Alors commencent pour elle les f?tes, les plaisirs, les succ?s. En Am?rique, au contraire, la vie brillante est ? la jeune fille; en se mariant, elle meurt aux joies mondaines pour vivre dans les devoirs aust?res du foyer domestique. On lui adressait des hommages, non parce qu'elle ?tait femme, mais parce qu'elle pouvait devenir ?pouse. Sa coquetterie, apr?s avoir trouv? un mari, n'a plus rien ? faire, et, depuis qu'elle a donn? sa main, on n'a plus rien ? lui demander.

Aux ?tats-Unis, la femme cesse d'?tre libre le jour o?, en France, elle le devient.

Ces privil?ges de la jeune fille et ce n?ant pr?coce de la femme mari?e accroissent beaucoup le nombre des personnes qui s'engagent avant de se marier. En g?n?ral, le contrat purement moral, qui na?t de ces sortes de fian?ailles, se ratifie peu de temps apr?s par le mariage; mais il n'est pas rare de voir les jeunes filles s'efforcer d'en ajourner l'accomplissement. En agissant ainsi, elles atteignent un double but: engag?es, elles sont s?res de se marier, et ne sont pas encore ?pouses; elles gagnent la certitude d'un avenir de femme, en conservant leur libert? de fille.

Rien, dans les femmes am?ricaines, ne parle ? l'imagination... cependant il est un c?t? de leur caract?re qui produit sur tout esprit grave une profonde impression.

On sait la moralit? d'une population, quand on conna?t celle des femmes, et l'on ne contemple point la soci?t? des ?tats-Unis sans admirer quel respect y entoure le lien du mariage. Le m?me sentiment n'exista jamais ? un aussi haut degr? chez aucun peuple ancien, et les soci?t?s d'Europe, dans leur corruption, n'ont point l'id?e d'une pareille puret? de moeurs.

En Am?rique on n'est pas plus s?v?re qu'ailleurs envers les d?sordres et m?me les d?bauches du c?libat: beaucoup de jeunes gens s'y rencontrent, dont on sait les moeurs dissolues, et dont la r?putation n'en re?oit aucune atteinte; mais leurs exc?s, pour ?tre pardonn?s, doivent se commettre en dehors des familles. Indulgente pour les plaisirs qu'on demande ? des prostitu?es, la soci?t? condamne sans piti? ceux qui s'obtiendraient aux d?pens de la foi conjugale; elle est ?galement inflexible pour l'homme qui provoque la faute, et pour la femme qui la commet. Tous deux sont bannis de son sein; et, pour encourir ce ch?timent, il n'est pas n?cessaire d'avoir ?t? coupable, il suffit d'avoir fait na?tre le soup?on. Le foyer domestique est un sanctuaire inviolable que nul souffle impur ne doit souiller.

La moralit? des femmes am?ricaines, fruit d'une ?ducation grave et religieuse, est encore prot?g?e par d'autres causes.

Envahi par les int?r?ts positifs, l'Am?ricain n'a ni temps ni ?me ? donner aux sentiments tendres et aux galanteries; il est galant une seule fois dans sa vie, lorsqu'il veut se marier. C'est qu'alors il ne s'agit pas d'une intrigue, mais d'une affaire.

Il n'a point le loisir d'aimer, encore moins celui d'?tre aimable. Le go?t des beaux-arts, qui s'allie si bien aux jouissances du coeur, lui est interdit. Si, sortant de sa sph?re industrielle, un jeune homme se prend de passion pour Mozart ou pour Michel-Ange, il se perd dans l'opinion publique. On ne fait point fortune ? ?couter des sons ou ? regarder des couleurs. Et comment fixer au comptoir celui qui connut une fois les charmes d'une vie po?tique?

Ainsi condamn?s par les moeurs du pays ? se renfermer dans l'utile, les jeunes Am?ricains ne sont ni pr?occup?s de plaire aux femmes, ni habiles ? les s?duire.

Il est d'ailleurs un ?l?ment de corruption, puissant dans les soci?t?s d'Europe, et qui ne se rencontre point aux ?tats-Unis: ce sont les oisifs n?s avec une grande fortune, et les militaires en garnison. Ces riches sans profession et ces soldats sans gloire n'ont rien ? faire: leur seul passe-temps est de corrompre les femmes; jeunesse bouillante et g?n?reuse, ? laquelle il ne manque que de l'espace et de l'action; pareille aux grandes eaux du Mississipi: bienfaisantes quand elles roulent imp?tueuses, mortelles d?s qu'elles sont stagnantes.

En Am?rique, tout le monde travaille, parce que nul n'apporte en naissant de grandes richesses , et l'on n'y conna?t point la funeste oisivet? des garnisons, parce que ce pays n'a point d'arm?e.

Les femmes ?chappent ainsi aux p?rils de la s?duction: si elles sont pures, on ne saurait dire qu'elles sont vertueuses; car elles ne sont point attaqu?es.

L'extr?me facilit? de s'enrichir vient encore au secours des bonnes moeurs; la fortune n'est jamais une consid?ration essentielle dans les mariages; le commerce, l'industrie, l'exercice d'une profession, assurant aux jeunes gens une existence et un avenir. Ils s'unissent ? la premi?re femme qu'ils aiment, et rien n'est plus rare aux ?tats-Unis qu'un vieux gar?on de vingt-cinq ans. La soci?t? y gagne des existences morales d'hommes mari?s ? la place des vies licencieuses du c?libat. Enfin l'?galit? des conditions prot?ge les mariages auxquels la diff?rence des rangs est chez nous un obstacle. Aux ?tats-Unis il n'y a qu'une classe, et aucune barri?re de convenance sociale ne s?pare le jeune homme et la jeune fille qui sont d'accord pour s'unir. Cette ?galit?, propice aux unions l?gitimes, g?ne beaucoup celles qui ne le sont pas. Le s?ducteur d'une jeune fille devient n?cessairement son ?poux, quelle que soit la diff?rence des positions, parce que, s'il existe des sup?riorit?s de fortune, il n'y a point de diff?rence de rang .

Cette r?gularit? de moeurs, qui tient moins aux individus qu'? l'?tat social lui-m?me, r?pand une teinte grave sur toute la soci?t? am?ricaine.

Il existe dans tout pays une opinion publique dominante, ? l'empire de laquelle nulle femme ne peut se soustraire.

Impitoyable en Italie pour la coquetterie qui ment, elle y pardonne la faiblesse qui succombe; elle exige en Angleterre des d?licatesses de pudeur qu'elle bannit en Espagne, et n'est pas plus s?v?re ? Madrid pour les ?carts des sens, qu'elle ne l'est ? Londres pour les mouvements du coeur. En Am?rique, cette opinion condamne sans piti? toutes les passions, et n'autorise que les calculs; indiff?rente sur les sentiments, elle n'est exigeante que pour les devoirs.

L'amour, dont le charme fait seul toute la vie de quelques peuples d'Europe, n'est point compris aux ?tats-Unis.

Si quelque ?me ardente y ressent le besoin d'aimer et s'y abandonne avec passion, c'est un accident aussi rare que l'apparition d'un roc ?lev? sur la plage am?ricaine. Malheur ? cet ?tre isol? au milieu de tous! Pas une sympathie qui vienne le trouver! pas un ?cho qui lui r?ponde! pas une force sur laquelle il puisse se reposer! En ce pays, on n'estime les choses que suivant leur valeur arithm?tique. Comment r?duire en dollars les ?lans de l'?me et les battements du coeur?

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