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Read Ebook: Les aventures de M. Colin-Tampon by Girardin Jules

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Ebook has 180 lines and 11661 words, and 4 pages

Azor proteste par une s?rie de petits cris inarticul?s.

<> lui dit M. Colin-Tampon. Azor continue ? crier.

<>

Tout en parlant ainsi, il arpente la luzerne, dont il froisse sans piti? les tiges d?licates sous la dure semelle de ses souliers ferr?s.

D?j? il entrevoit le poil roux de son li?vre, qui g?t immobile au pied de l'arbre. S?r d?sormais d'avoir bien vis?, il s'arr?te pour s'?ponger le front, et, tout en s'?pongeant le front, il se dit en lui-m?me: <>

Il avance de quelques pas; le li?vre lui semble gonfl? comme un li?vre hydropique, mais qu'importe? c'est probablement l'effet du coup de feu.

Tout ? coup il recule en poussant un cri de terreur: le li?vre hydropique s'est enlev? comme un ballon et a disparu dans les branches de l'arbre.

M. Colin-Tampon eut bient?t l'explication de cet ?trange ph?nom?ne.

Apr?s s'?tre ?lev? d'un bond jusqu'aux premi?res branches de l'arbre, le li?vre retomba sur le sol avec un son mat.

Alors seulement M. Colin-Tampon reconnut que son li?vre ?tait une vieille peau de li?vre, bourr?e de foin. Elle ?tait attach?e ? une ficelle qui passait par-dessus l'une des branches. A l'autre bout, il y avait, ou plut?t il y avait eu un gamin fac?tieux qui faisait danser la peau de li?vre pour tenter la convoitise des chasseur inexp?riment?s.

Au moment m?me o? la vieille peau de li?vre retombait sur le sol, M. Colin-Tampon entendit un rire moqueur, suivi d'un bruit de sabots qui s'enfuyaient.

Il aper?ut un gamin qui disparaissait derri?re une cl?ture, il vit la ficelle et comprit tout.

<>, s'?cria alors le chasseur, dont la poitrine ?tait gonfl?e d'une l?gitime indignation.

<> r?p?ta-t-il d'une voix forte; mais le gamin, qui sans doute n'?tait pas curieux de savoir ce que M. Colin-Tampon pouvait avoir ? lui dire, n'attendit ni un peu ni beaucoup, et continua ? arpenter la plaine.

M. Colin-Tampon frissonna d'horreur ? l'id?e qu'il aurait pu blesser de quelques grains de plomb l'auteur de cette indigne com?die. Et alors, malgr? son innocence, on l'aurait tra?n?, lui, conseiller municipal, devant les tribunaux, et on l'aurait accus? de ne pas savoir se servir d'un fusil.

Payer l'amende n'e?t rien ?t?, mais de quel front aurait-il abord? d?sormais l'ami Sauvageot, apr?s avoir donn? raison ? tous ses pronostics?

Ayant fait un ferme propos de se d?fier ? l'avenir des li?vres empaill?s, M. Colin-Tampon, avant de reprendre le cours de ses exploits, donna une seconde accolade ? la bouteille cliss?e.

<>

Il siffla Azor, et s'enfon?a dans la solitude.

Au bout de deux cents pas, il s'arr?ta court, essuya les verres de ses lunettes, et regarda devant lui, le coeur tremblant d'?motion.

Au fait, je suis peut-?tre bien hardi d'oser ?crire que les lunettes de M. Colin-Tampon trembl?rent d'?motion. La po?sie seule a le droit de pr?ter la vie et le sentiment aux objets inanim?s. Je me reprends donc et je dis: <> Me voil? en r?gle, et je continue.

Le plomb a fait balle, le chapeau aux larges bords tournoie dans l'espace; le merle d?capit? reste perch? sur sa branche, comme s'il avait encore son chapeau sur la t?te et sa t?te sur ses ?paules. Peut-?tre une violente contraction nerveuse rive-t-elle les pattes de l'infortun? ? la branche de l'arbre?

Quand la contraction nerveuse cessera, le gibier ne peut manquer de tomber. C'est l'avis d'Azor, qui a franchi d'un bond la cl?ture du champ, et qui attend, le nez en l'air, la chute du merle ? chapeau.

Emport? par son ardeur cyn?g?tique, et aussi par sa curiosit?, M. Colin-Tampon franchit la cl?ture ? son tour et se pr?cipite du c?t? de l'arbre.

A mesure qu'il s'en approche, ses traits expriment toutes les nuances du d?sappointement. Vu de pr?s, le merle n'est pas un merle, c'est un amas informe de chiffons et de brins de paille grossi?rement enroul?s autour d'un b?ton transversal. En un mot, le merle ? chapeau n'est autre chose qu'un ?pouvantail destin? ? effrayer les moineaux et ? les ?carter du cerisier ? l'?poque o? les cerises rougissent.

M. Colin-Tampon regarde longuement Azor, et Azor regarde longuement M. Colin-Tampon. Les yeux d'Azor sont souriants, comme si Azor se rendait compte de la mystification et en prenait son parti. Les yeux de M. Colin-Tampon ne sourient pas, ils expriment une violente indignation.

Ne sachant quel parti prendre, il approche de ses l?vres la bouteille cliss?e.

Alors la facult? de r?fl?chir lui revient. Lui, conseiller municipal, il est sur le champ d'autrui, apr?s en avoir franchi la cl?ture, comme un gamin qui va voler des pommes; lui, conseiller municipal, il a d?t?rior? la chose d'autrui, le bien d'autrui. Priv? de son chapeau, qui ?tait son plus bel ornement, l'?pouvantail ne peut plus ?pouvanter personne. Sentant toute l'?tendue de sa faute, le coupable jette un regard furtif autour de lui, s'attendant ? voir appara?tre le propri?taire du cerisier ou le garde champ?tre. Il siffle Azor, enjambe la cl?ture et se pr?cipite ? travers champs, press? de s'?loigner du th??tre de son forfait. Tout en arpentant les gu?rets ? grandes enjamb?es, il fait des voeux pour que le premier gibier qu'il rencontrera soit un vrai gibier, bien vivant et non pas empaill?.

Les anciens l'ont dit avec juste raison, les dieux ne sont jamais plus cruels envers nous, pauvres mortels ignorants et aveugles, que quand ils accomplissent nos voeux ? la lettre!

Il aper?oit ? cinquante pas de lui un ours ?norme qui, le nez au vent, semble guetter une proie. Ah! malheureux Colin-Tampon! Tu te repens maintenant de ton imprudence, et tu donnerais tout ce que tu poss?des au monde pour que cet ours f?t une vieille peau d'ours, rembourr?e de foin, de paille ou de n'importe quoi!

Dans cette peau d'ours il y a un ours bien vivant, un ours qui trottine, un ours qui remue la t?te; juste ciel! un ours qui regarde de son c?t?.

<> C'?tait bon ? dire quand il n'y avait point d'ours ? l'horizon. Pour le moment, le roi de la cr?ation tremble comme la feuille, ses yeux demeurent fixes et immobiles comme ceux d'une statue, ses cheveux se h?rissent sous le d?me de son chapeau, une sueur froide inonde son gilet de flanelle, et, comme pour se conformer ? sa triste pens?e, les trois petites plumes qui ornent son chapeau se mettent ? pendre dans l'attitude du d?couragement. Le roi de la cr?ation a la bouche am?re et la gorge s?che, mais il n'ose pas porter ? ses l?vres la bouteille cliss?e. L'ennemi qui l'observe pourrait s'offenser du moindre geste et s'imaginer que le roi de la cr?ation le brave et le provoque.

Le roi de la cr?ation n'a que deux partis ? prendre: marcher droit ? l'ennemi et le foudroyer, ou bien battre prudemment en retraite.

Marcher ? l'ennemi, il n'y faut pas songer; depuis quand foudroie-t-on les ours avec le menu plomb destin? aux li?vres et aux perdrix? Faire feu sur lui! Dieu nous en pr?serve, ce serait exciter sa col?re sans paralyser ses mouvements.

Volontiers le roi de la cr?ation e?t battu en retraite. Mais, pour battre en retraite, il faut pouvoir mettre un pied devant l'autre, et la terreur paralyse tous ses membres.

Si Azor comprenait mieux son devoir, si Azor avait conserv? un souvenir reconnaissant de toutes les bont?s que le roi de la cr?ation a eues pour lui, Azor pousserait droit ? l'ennemi, et, pendant qu'il attirerait son attention, le roi de la cr?ation pourrait prendre le large. Mais Azor demeure en arr?t, regardant avec un m?lange de curiosit? et d'appr?hension cette grosse b?te dont il ignore le nom. Il arr?te, c'est tout ce qu'on peut demander au chien d'arr?t le mieux dress?; que le roi de la cr?ation fasse feu; on verra apr?s!

L'ours, ayant fait dix pas en avant, s'arr?ta; le roi de la cr?ation s'arr?ta aussi, apr?s avoir fait dix pas en arri?re.

L'ours se remit en marche, le roi de la cr?ation s'?loigna, toujours ? reculons, et s'arr?ta quand l'ennemi s'arr?ta. En termes militaires, cela s'appelle, je crois, <>.

Mais n'abusons pas des termes. Si le roi de la cr?ation faisait face ? l'ennemi, c'est qu'il avait une peur Horrible que l'ennemi ne lui saut?t sur le dos dans le cas o? il le perdrait de vue un seul instant; s'il reculait ? pas compt?s au lieu de fuir ? toutes jambes, c'est qu'il craignait qu'un mouvement trop brusque ne f?t consid?r? par l'ennemi comme une invitation ? le poursuivre. M. Colin-Tampon avait entendu dire par sa nourrice que les loups ne se jettent sur les voyageurs que quand les voyageurs font mine de se sauver. Il pensait que ce qui ?tait vrai pour les loups ?tait peut-?tre vrai pour les ours aussi, et il agissait en cons?quence.

Un spectateur plus d?sint?ress? dans la question et plus ma?tre de lui-m?me que ne l'?tait M. Colin-Tampon, aurait peut-?tre remarqu? que les regards de l'ours ?taient fix?s sur un objet plac? derri?re M. Colin-Tampon, et non pas sur le conseiller municipal lui-m?me. Ses haltes successives t?moignaient, en r?alit?, que son ?me d'ours ?tait en proie ? l'h?sitation.

Il souriait par moments, en voyant que le chasseur et le chien, au lieu de lui barrer le passage et de l'emp?cher d'atteindre l'objet de sa convoitise, reculaient peu ? peu et semblaient ainsi l'inviter ? s'approcher sans faire tant de c?r?monies.

M. Colin-Tampon, lui, se figurait que Martin avait soif de sang humain, tandis que Martin guignait tout le temps les pommes vermeilles d'un pommier vers lequel M. Colin-Tampon battait en retraite sans le voir, puisqu'il lui tournait le dos.

Quand le chasseur et le chien furent au pied de l'arbre, Martin s'arr?ta, se mit sur son s?ant, passa ? plusieurs reprises sa patte gauche sur son estomac, renifla avec violence et ouvrit une gueule d?mesur?e d'o? sortit un rugissement de joie.

Quels crochets! messeigneurs, quels crochets!

M. Colin-Tampon pensa que sa derni?re heure ?tait venue; ses forces l'abandonn?rent subitement et il tomba en arri?re; il avait l?ch? son arme inutile, et il avait fait voler ses lunettes dans l'espace, par la violence du coup qu'il avait appliqu? sur son chapeau, pr?s de choir. Azor, affol?, tomba ? la renverse comme son ma?tre.

De sa vie ni de ses jours, Martin n'avait vu un conseiller faire la cabriole et montrer au ciel les semelles de ses bottes. Il faut croire qu'il avait le sens du comique, car il se mit ? rire ou du moins il fit une grimace qui ressemblait ? un sourire. Ses l?vres s'?taient retrouss?es, il montrait toutes ses dents, et il clignait ses yeux clairs d'un air de connaisseur.

Un seul point le tenait embarrass?: que signifiait, dans la pantomime des hommes, cette remarquable culbute? ?tait-ce une mani?re ? eux de dire aux ours qu'ils ?taient les bienvenus ? croquer les pommes vermeilles? ?tait-ce au contraire une d?fense formelle de faire un pas de plus vers l'arbre qui portait de pareils tr?sors? Martin se gratta le mollet gauche et resta, jusqu'? plus ample information, dans la position qu'il occupait. Le poil de son front descendit sur ses yeux clignotants: signe de perplexit?, et sa langue pendit d'un demi-pied: signe de convoitise.

L'ours, ?pouvant?, demeura tout interdit, et m?me il poussa un grognement de terreur, que M. Colin-Tampon prit pour un cri de rage.

Avec une agilit? surprenante, le chasseur grimpa dans le pommier. Azor, qui ne savait pas grimper dans les pommiers, chercha son salut dans la fuite et se mit ? arpenter les gu?rets, aussi ahuri et aussi rapide dans sa course que si on lui avait attach? une casserole ? la queue.

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