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Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 4) by Guizot Fran Ois

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Ebook has 1041 lines and 153579 words, and 21 pages

M?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS

PARIS MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES-?DITEURS. RUE VIVIENNE, 2 BIS.

M?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS

PAR

M. GUIZOT

TOME QUATRI?ME

POLITIQUE EXT?RIEURE .

J'ai retrac?, depuis sa formation jusqu'? sa dissolution, la politique et les actes du cabinet du 11 octobre 1832 au dedans de l'?tat. Je dirai maintenant ce qu'il a fait au dehors, quelle conduite il a tenue, quel r?le il a jou? et il a fait jouer ? la France dans le monde europ?en.

Pour les peuples comme pour les rois, pour les hommes d'?tat comme pour les hommes de guerre, la politique ext?rieure est le champ o? se d?ploient, dans leurs libres fantaisies, l'imagination, l'ambition et l'orgueil. Au dedans de l'?tat, des int?r?ts pr?sents et ?vidents, des droits reconnus, des pouvoirs l?gaux contiennent imp?rieusement dans certaines limites les pr?tentions et les esp?rances. Au dehors, dans les relations avec les ?trangers, et devant des perspectives de puissance et de gloire, pour soi-m?me comme pour la patrie, la tentation est grande de se livrer ? la passion, d'en appeler ? la force et de se promettre le succ?s. Que sera-ce si on a v?cu dans un temps d'entreprises et de guerres prodigieuses, si on a vu les ?tats, grands ou petits, voisins ou lointains, incessamment envahis, conquis, d?membr?s, partag?s, changeant coup sur coup d'?tendue, de forme, de nom, de ma?tre? De tels spectacles, m?me quand, ? la fin du drame, des revers ?clatants les ont d?cri?s, laissent un grand nombre d'esprits en proie ? la fi?vre ambitieuse et belliqueuse; ils se complaisent dans les combinaisons diplomatiques et militaires, dans les plans d'alliance et de campagne; les exploits gigantesques suscitent les projets chim?riques; les souvenirs enfantent les r?ves.

D?s sa naissance et dans tout le cours de sa vie, le gouvernement de 1830 a eu ? lutter contre cette passion posthume d'aventures et de conqu?tes. La d?cadence ?tait grande: au lieu de la Convention nationale et de l'empereur Napol?on, c'?tait un avocat sophiste et un soldat d?clamateur qui se portaient les patrons de la politique ambitieuse et guerri?re; mais malgr? leur m?diocrit? emphatique, M. Mauguin et le g?n?ral Lamarque exprimaient des sentiments fort r?pandus dans le pays, et ils exer?aient, ? ce titre, une puissance r?elle; ils parlaient au nom des traditions r?volutionnaires et militaires; ils unissaient et confondaient, dans un incoh?rent mais brillant amalgame, les promesses de la libert? et les prestiges de la force, la R?volution et l'Empire. La France ne voulait recommencer ni l'un ni l'autre de ces terribles r?gimes; elle sentait, au fond de son ?me, que, pour ?chapper ? leurs d?sastres en jouissant de leurs bienfaits, il fallait r?pudier hautement leurs erreurs et leurs crimes; mais encore ?blouie et troubl?e, elle se plaisait ? les entendre c?l?brer confus?ment et sous de beaux noms; c'?tait l?, disait-on, l'esprit lib?ral et l'esprit national, pour la France la grandeur, pour l'Europe le progr?s.

Je ne connais point d'id?e plus radicalement fausse et funeste, plus d?mentie par l'exp?rience, plus contraire aux vraies tendances de notre temps et ? la grandeur de la France comme au progr?s g?n?ral de l'Europe.

L'Europe est une soci?t? de peuples et d'?tats ? la fois divers et semblables, s?par?s et point ?trangers, non-seulement voisins, mais parents, unis entre eux par des liens moraux et mat?riels qu'ils ne sauraient rompre, par le m?lange des races, la communaut? de religion, l'analogie des id?es et des moeurs, par de nombreux et continuels rapports industriels, commerciaux, politiques, litt?raires, par des progr?s de civilisation vari?s et in?gaux mais qui tendent aux m?mes fins. Les peuples europ?ens se connaissent, se comprennent, se visitent, s'imitent, se modifient incessamment les uns les autres. A travers toutes les diversit?s et toutes les luttes du monde moderne, une unit? sup?rieure et profonde r?gne dans sa vie morale comme dans ses destin?es. On dit la Chr?tient?. C'est l? notre caract?re original et notre gloire.

Ce grand fait a eu pour cons?quence naturelle la formation progressive d'un droit public europ?en et chr?tien; c'est-?-dire l'?tablissement de certains principes compris et accept?s comme la r?gle des relations des ?tats. Ce droit, longtemps et aujourd'hui encore tr?s-imparfait, tr?s-souvent m?connu et viol?, n'en est pas moins r?el, et devient de plus en plus clair et imp?rieux ? mesure que la civilisation g?n?rale se d?veloppe et que les rapports mutuels des peuples deviennent plus fr?quents et plus intimes.

Les maximes essentielles et incontest?es du droit public europ?en sont en petit nombre. Parmi les principales se rangent celles-ci:

Ces salutaires maximes ont ?t? mises, de nos jours, aux plus rudes ?preuves. Tant?t on les a outrageusement foul?es aux pieds pour donner un libre cours aux passions qu'elles ont pr?cis?ment pour objet de contenir; tant?t on en a scandaleusement abus? pour servir des desseins qu'elles condamnent express?ment. Nous avons assist? aux plus immenses guerres entreprises sans motif l?gitime, par une ambition ?go?ste et d?r?gl?e, ou pour r?aliser des combinaisons arbitraires et frivoles sous un air de grandeur. Nous avons vu une propagande envahissante porter au loin ses violences et sa tyrannie au nom de la libert?. De grands gouvernements ont opprim? l'ind?pendance de petites nations pour maintenir, chez elles comme chez eux-m?mes, les principes et les formes du pouvoir absolu. D'autres se sont jou?s des droits et de l'existence des pouvoirs ?tablis, sous pr?texte de r?tablir les droits des nations. Des conspirateurs r?volutionnaires ont r?clam? le principe de non-intervention pour couvrir leurs men?es contre la s?curit? de tous les ?tats. Indign?s de tant d'exc?s divers, d'honn?tes et superficiels esprits voudraient supprimer la politique ext?rieure et mettre l'ind?pendance des peuples comme la s?curit? des ?tats sous la garantie de la paix perp?tuelle et de l'inaction diplomatique. On ne lutte pas contre la violence et l'hypocrisie avec des chim?res; on n'annulera pas l'action ext?rieure des gouvernements au moment m?me o? s'?tendent et se multiplient les relations ext?rieures des nations; ce qu'il faut demander, c'est que cette action s'exerce selon la justice et le bon sens. C'est l? l'objet du droit public europ?en tel qu'il s'est form? ? travers les si?cles. Ce droit n'a point p?ri dans ses ?checs; malgr? les graves et nombreuses atteintes qu'il a re?ues, ? raison m?me de ces atteintes et de leurs funestes cons?quences, ses maximes sont devenues et deviennent de jour en jour plus pr?cises et plus pressantes; c'est de leur empire seul qu'on peut esp?rer, autant que le permet l'imperfection des choses humaines, le maintien habituel de la paix et de l'ind?pendance mutuelle comme de la s?curit? des ?tats.

C'est le caract?re fondamental du gouvernement de 1830 d'avoir pris le droit public europ?en pour r?gle de sa politique ext?rieure. Non pas seulement en paroles et dans la diplomatie officielle, mais en fait et dans la conduite r?elle. Nous n'avons pas hypocritement soutenu et pratiqu? telle ou telle maxime sp?ciale de ce droit qui e?t pu convenir au pouvoir nouveau que nous avions ? fonder; nous avons loyalement accept? et respect? toutes ses maximes ensemble, les plus difficiles ? concilier entre elles comme les plus simples, celles qui consacrent l'ordre ?tabli entre les ?tats divers aussi bien que celles qui prot?gent l'ind?pendance et le libre d?veloppement int?rieur de chaque ?tat. Nous nous sommes trouv?s, apr?s 1830, en pr?sence de toutes les questions qui ont fait et qui font encore en Europe tant de bruit, en pr?sence des questions de nationalit?, des questions d'insurrection, des questions d'intervention, des questions d'agrandissement territorial et de fronti?res naturelles. En Allemagne, en Pologne, en Italie, en Suisse, en Espagne, en Belgique, toutes ces questions s'?levaient alors, soit s?par?ment, soit plusieurs ensemble. Nous les avons toutes r?solues selon les principes du droit public europ?en: tant?t nous avons respect? ce droit avec scrupule, tant?t nous l'avons exerc? sans h?sitation; ici nous sommes intervenus, l? nous nous sommes abstenus, ailleurs nous avons d?clar? d'avance que nous interviendrions si d'autres intervenaient. Nous avons mis partout au service de la politique humaine et lib?rale l'influence morale dont nous pouvions disposer; mais nulle part nous n'avons m?connu ni d?pass? les limites du droit international.

Si du moins le chaos pr?c?dait la cr?ation! si les ruines se transformaient en de nouveaux ?difices! Mais il n'en est rien: qu'est-il rest? de tous les bouleversements territoriaux, de toutes les combinaisons diplomatiques, de tous les ?tats invent?s par la politique ext?rieure de la Convention nationale et de l'Empire? Tout est tomb?, fondations et conqu?tes. Tant d'imagination, de hardiesse et de force, d?ploy?es avec un immense m?pris du droit public, n'a servi qu'? perdre les grands acteurs de ces oeuvres ?ph?m?res, et ? amener la r?action du congr?s de Vienne et de la Sainte-Alliance. On parle beaucoup du nouvel ?tat des soci?t?s, de l'esprit nouveau qui les anime, de la n?cessit? de comprendre et de satisfaire leurs besoins, leurs aspirations, leurs tendances; et pourtant, dans ce qui tient aux rapports mutuels des ?tats, on m?conna?t absolument ces pr?ceptes d'innovation clairvoyante; on se tra?ne toujours dans l'orni?re o? s'est longtemps agit?e la politique ext?rieure de l'Europe. L'ambition et la force sans frein ont eu des si?cles favorables, non-seulement ? leurs succ?s passagers, mais ? leurs solides triomphes: au sein de moeurs grossi?res et violentes, quand la plupart des ?tats ?taient encore flottants et en travail de formation, entre des peuples que n'unissaient ?troitement ni leurs int?r?ts de tous les jours, ni des communications r?guli?res et continues; en l'absence de cette publicit? universelle et rapide, qui fait aujourd'hui de toutes les nations un grand public incessamment pr?sent et attentif au spectacle des ?v?nements, la guerre, m?me d?nu?e de motifs l?gitimes ou sp?cieux, m?me d?mesur?e dans ses pr?tentions et ses entreprises, a pu d?cider p?remptoirement des souverainet?s et des territoires, et aboutir ? des r?sultats durables. Alexandre et Charlemagne n'avaient, ? coup s?r, ni plus de g?nie, ni plus de puissance que Napol?on, et leurs empires aussi sont tomb?s avec eux, mais non pas comme le sien; l'empire d'Alexandre s'est bris? en royaumes pour ses g?n?raux et celui de Charlemagne s'est partag? entre ses descendants; ? l'une et ? l'autre ?poque, l'?difice gigantesque s'est ?croul?, mais de ses d?bris se sont form?s imm?diatement des ?difices qui ont dur?. Des ?tats conquis et des tr?nes ?lev?s par Napol?on, rien ne lui a surv?cu, et par un ph?nom?ne ?trange, le seul de ses g?n?raux qui soit rest? roi a ?t? celui qui ne tenait pas de lui sa royaut?. C'est que Napol?on, dans sa politique ext?rieure, a m?connu les vraies tendances actuelles de l'humanit?: le temps n'est plus des grands bouleversements territoriaux accomplis par les seuls coups de la guerre et r?gl?s selon la seule volont? des vainqueurs; ? peine leur main se retire que leurs oeuvres sont mises en question et attaqu?es par les deux puissances qui sont, l'une le bon, l'autre le mauvais g?nie de notre ?poque, l'esprit de civilisation et l'esprit de r?volution; l'esprit de civilisation veut l'empire du droit au sein de la paix: l'esprit de r?volution, ?voque incessamment la force, et poursuit ? tout hasard, tant?t par l'anarchie, tant?t par la tyrannie, ce qu'il appelle le r?gne de la d?mocratie pure. C'est entre ces deux puissants esprits qu'est engag?e la lutte qui travaille aujourd'hui l'Europe et qui d?cidera de son avenir. Dans cet ?tat de la soci?t? europ?enne, le respect du droit public europ?en est, pour tout gouvernement r?gulier, un devoir imp?rieux et une pr?voyance n?cessaire; de nos jours; l'ambition qui remue le monde au m?pris de ce droit, et pour la seule satisfaction de ses d?sirs, est aussi ?tourdie que criminelle.

Quand le cabinet du 11 octobre 1832 se forma, la plupart des questions internationales qui avaient agit? l'Europe ?taient, sinon vid?es, du moins assoupies: la Pologne avait succomb?; l'Italie semblait se rendormir; l'Espagne demeurait immobile devant son roi malade; la Suisse d?lib?rait r?guli?rement sur la r?forme de sa constitution f?d?rale. La question belge seule restait encore incompl?tement r?solue et causait quelque inqui?tude pour la paix europ?enne. J'ai d?j? rappel?, et tout le monde sait quelle fut, ? l'av?nement du cabinet, la transaction diplomatique entre la France et l'Angleterre qui amena le si?ge et la prise d'Anvers. Je n'ai pas ? en raconter les d?tails; je n'?cris pas l'histoire g?n?rale de ce temps; je ne veux qu'en caract?riser la politique et marquer la part que j'y ai prise. C'est surtout dans la question belge que notre sinc?re et ferme adh?sion aux principes du droit public europ?en a ?t? plus compl?te et plus ?vidente. Nous avons eu l? ? nous d?fendre de toutes les tentations qui peuvent assaillir un gouvernement le lendemain d'une r?volution: tentation r?volutionnaire, tentation dynastique, tentation d'agrandissement territorial; nous les avons toutes repouss?es. Et, en m?me temps, nous avons fait pr?valoir et admettre en Europe les int?r?ts de s?curit? et de dignit? qu'a la France sur cette fronti?re; nous avons second? l'?lan de la population belge vers l'ind?pendance nationale et la libert? politique dont elle jouit depuis trente ans. Grand espace, m?me dans la vie d'une nation.

Dans cette affaire, comme dans toutes leurs relations avec le gouvernement du roi Louis-Philippe, les trois puissances du Nord, et ? leur suite les puissances secondaires qui leur sont comme des satellites, manqu?rent, non pas de sagesse, mais de cette fermet? cons?quente qui fait porter ? la sagesse tous ses fruits. L'Autriche, la Prusse et la Russie ne s'oppos?rent point ? la s?paration de la Belgique et de la Hollande; elles si?g?rent en conf?rence avec la France et l'Angleterre pour faire entrer dans l'ordre europ?en le fait accompli et r?gler les rapports des deux nouveaux ?tats; elles accept?rent ou elles laiss?rent passer sans r?sistance effective, et elles finirent par sanctionner toutes les transactions laborieusement d?battues dont cette question fut successivement l'objet. Mais en reconnaissant la n?cessit?, elles la subissaient avec cette h?sitation et cette humeur qui enl?vent ? la mod?ration son m?rite et d?truisent la confiance qu'elle devrait inspirer. Que, dans les n?gociations sur l'affaire belge, ces puissances soutinssent les int?r?ts du roi de Hollande; qu'elles veillassent au respect g?n?ral des trait?s, en m?me temps qu'elles consentaient ? les modifier de concert; que l'entente particuli?re de la France et de l'Angleterre leur caus?t un vif d?plaisir, rien de plus simple; mais ? travers ces cons?quences naturelles de leur situation, leur politique envers le nouveau gouvernement fran?ais aurait pu et d? ?tre nette, uniforme, exempte de contradictions et d'arri?re-pens?es. Il n'en fut rien: les gouvernements absolus, quand ils n'ont pas un grand homme ? leur t?te, sont plus courb?s sous leurs pr?jug?s et plus incertains dans leurs actes que les gouvernements libres; malgr? leur fastueuse irresponsabilit?, le fardeau du pouvoir leur p?se, et pour l'all?ger ils se r?fugient volontiers dans l'incons?quence et l'inertie. Tout en acceptant ce qui se passait, depuis 1830, en France et autour de la France, le bon sens des puissances continentales fut ?troit et court, sans hardiesse et sans grandeur; l'origine de la nouvelle monarchie fran?aise, la confusion et la lutte de ses principes, les d?sordres qui avaient assailli son berceau et qui la poursuivaient encore, les mauvaises traditions et le mauvais langage d'une partie de ses adh?rents, toutes ces circonstances offusquaient et troublaient la vue des anciens gouvernements du continent; ils ne pressentirent pas, et m?me apr?s des ann?es d'?preuve ils ne surent pas appr?cier ? sa valeur ce qui a fait le m?rite pratique et ce qui fera l'honneur historique du gouvernement du roi Louis-Philippe; issu d'une r?volution, ce gouvernement rompit nettement, au dehors comme au dedans, avec l'esprit r?volutionnaire; il ne prit point ? son service la politique du d?sordre aussi bien que celle de l'ordre, les pratiquant tour ? tour l'une et l'autre, selon les d?sirs de son ambition ou les embarras de sa situation; il a constamment r?gl? ses actes dans un esprit conservateur et selon le droit public europ?en. Les puissances continentales ne pay?rent pas cette difficile constance d'un juste retour; de leur part, l'attitude ext?rieure envers la monarchie de 1830 fut autre que la conduite r?elle, et les paroles libres autres que le langage officiel; le mauvais vouloir tant?t per?ait, tant?t s'?talait derri?re les relations et les d?clarations pacifiques: <> et le 28 novembre suivant: <> Quoique l'accord f?t g?n?ral et permanent entre l'Autriche, la Prusse et la Russie, le caract?re et les sentiments personnels des chefs de ces ?tats, souverains et ministres, diff?raient beaucoup, et apportaient, dans leurs rapports avec le gouvernement du roi Louis-Philippe, de notables diff?rences.

A Vienne, la situation du gouvernement de 1830 et de son repr?sentant ?tait plus difficile: les principes et les passions absolutistes dominaient ? la cour, et semblaient ne rencontrer, dans le public autrichien, aucune objection. La r?volution de Juillet ?tait vue de tr?s-mauvais oeil, et la soci?t? de Vienne avait, pour les hommes du gouvernement que cette r?volution avait fond?, ces froideurs mondaines qui, malgr? leur frivolit?, embarrassent et enveniment s?rieusement les relations des ?tats. L'empereur Fran?ois II, mod?r? par caract?re et par exp?rience, et tr?s-sinc?re dans son d?sir de la paix, n'en avait pas moins, pour les gouvernements libres issus des mouvements r?volutionnaires, une profonde antipathie, et se tenait pour quitte envers eux pourvu que sa politique f?t ?trang?re ? toute men?e hostile. Aupr?s de ce souverain, plus influent lui-m?me dans ses affaires qu'on ne l'a cru en g?n?ral, et au milieu d'une aristocratie ind?pendante et fi?re quoique sans institutions de libert?, le prince de Metternich gouvernait depuis plus de vingt ans la politique ext?rieure de l'Autriche: esprit sup?rieur qui mettait son honneur et son plaisir ? se montrer en toute occasion, avec un peu d'?talage, impartial et libre, mais qui, tout en comprenant et en admettant, quand la n?cessit? l'y contraignait, les nouvelles faces des ?tats, n'aspirait qu'? maintenir intact l'?difice europ?en tel que l'avait construit le congr?s de Vienne, apog?e de son influence et de sa gloire. Nul homme n'a port? en lui-m?me autant de mouvement intellectuel en se vouant ? d?fendre l'immobilit? politique; quand il parlait, et encore plus quand il ?crivait, ? travers un langage long, diffus, charg? de p?riphrases et ambitieusement philosophique, on voyait se d?ployer une intelligence riche, vari?e, profonde, empress?e ? saisir et ? discuter les id?es g?n?rales, les th?ories abstraites, et en m?me temps remarquablement pratique, sagace, habile ? d?m?ler ce que commandaient ou permettaient l'?tat des faits ou les dispositions des hommes, et se contenant toujours s?v?rement dans les ?troites limites du possible tout en ayant l'air de se jouer dans les vastes r?gions de la pens?e. Quand il ?tait de loisir et dans le laisser-aller de la conversation, M. de Metternich prenait ? toutes choses, ? la litt?rature, ? la philosophie, aux sciences, aux arts, un int?r?t curieux; il avait et il se complaisait ? d?velopper, sur toutes choses, des go?ts, des id?es, des syst?mes; mais, d?s qu'il entrait dans l'action politique, c'?tait le praticien le moins hasardeux, le plus attach? aux faits ?tablis, le plus ?tranger ? toute vue nouvelle et moralement ambitieuse. De cette aptitude ? tout comprendre, combin?e avec cette prudence quand il fallait agir, et des longs succ?s que lui avait valus ce double m?rite, ?tait r?sult?e pour le prince de Metternich une confiance ?trangement, je dirais volontiers na?vement orgueilleuse dans ses vues et dans son jugement; en 1848, pendant notre retraite commune ? Londres, <> et son air me disait qu'il approuvait ma modestie sans ?tre, au fond de son coeur, ?branl? dans sa pr?somption. La qualit? qui manquait le plus ? son habilet? politique, c'?tait le courage; j'entends le courage d'impulsion et d'entreprise; il n'avait nul go?t pour la lutte, et il en redoutait les p?rils plus qu'il ne d?sirait les succ?s auxquels elle e?t pu aboutir. C'?tait l?, dans ses rapports avec le gouvernement du roi Louis-Philippe, son principal embarras; il lui rendait justice, reconnaissait son importance dans l'ordre europ?en, et, quoique peu bienveillant pour quelques-uns de ses principes, il n'avait garde de rien faire qui p?t lui nuire, et il e?t volontiers contribu? ? l'affermir; mais, pour y contribuer efficacement, il e?t fallu d?plaire ? des membres de la famille imp?riale, ? la soci?t? de Vienne, ? l'empereur Nicolas dont l'hostilit? envers le roi Louis-Philippe, bien que peu hardie, ?tait affich?e et hautaine; M. de Metternich ne voulait engager aucun de ces conflits ni courir aucun de ces risques; de l?, dans sa politique envers le gouvernement fran?ais, des h?sitations, des obscurit?s, des r?serves qui rendaient souvent son impartialit? vaine et sa sagesse de moindre valeur qu'elle n'e?t pu ?tre s'il e?t os? davantage pour la faire pr?valoir.

M. de Sainte-Aulaire, que le duc de Broglie fit envoyer comme ambassadeur ? Vienne, peu de mois apr?s la formation du cabinet, convenait parfaitement ? cette mission: noblement lib?ral, digne et doux, poli et courageux, z?l? pour son devoir sans ?tre faiseur, et homme du monde sans mauvaise complaisance mondaine, il se fit accueillir la t?te haute dans la soci?t? viennoise, et s'?tablit aupr?s du prince de Metternich sur le pied d'une franchise ais?e, en homme qui n'a rien ? taire et rien ? demander que ce qui lui est d?. Il n'e?t pas fallu charger M. de Sainte-Aulaire de d?cider le prince de Metternich ? quelque grande r?solution ou ? quelque effort difficile auxquels celui-ci n'e?t pas ?t? spontan?ment dispos?; personne n'exer?ait sur le chancelier d'Autriche une telle influence; mais M. de Sainte-Aulaire entretenait avec lui des rapports bienveillants et confiants qui suffisaient au cours r?gulier des affaires, et pr?venaient, entre les deux gouvernements, toute complication et tout embarras.

C'?tait surtout l'empereur Nicolas qui pesait, comme un cauchemar, sur le prince de Metternich et l'emp?chait souvent de r?gler sa conduite selon toute sa raison. D?cid? ? maintenir, en tous cas, l'union des trois puissances du Nord, M. de Metternich faisait, ? cette id?e, en Occident comme en Orient, plus de sacrifices qu'il n'e?t ?t? n?cessaire, et l'empereur Nicolas exploitait, au profit de ses vues ou de ses passions personnelles, la prudence inqui?te du chancelier d'Autriche. Nul souverain peut-?tre n'a exerc?, dans ses ?tats et en Europe, autant d'empire, en ayant si peu fait pour l'acqu?rir et en en faisant un si m?diocre emploi. L'empereur Nicolas n'?tait ni un grand militaire, ni un grand politique, ni un grand esprit, ni m?me un grand ambitieux; il n'a ni agrandi ses ?tats, ni fait faire ? ses peuples, en prosp?rit?, en civilisation, en lumi?res, en puissance et renomm?e europ?enne, de grands progr?s; et pourtant il a r?gn? au dedans avec force, au dehors avec ?clat. Il avait en lui-m?me les instincts, et, devant le monde, tous les prestiges du pouvoir, la beaut? personnelle, l'?loignement et l'?tendue de son empire, le nombre de ses sujets, leur discipline d?vou?e, leur soumission silencieuse. Dans deux ou trois occasions solennelles, o? il avait ?t? personnellement mis en jeu, il avait montr? de la pr?sence d'esprit, du courage, et exerc? un ascendant efficace; depuis, il avait ?vit? plut?t que cherch? les ?preuves, et il craignait plus de se compromettre qu'il ne se plaisait ? se d?ployer. C'?tait un despote dur et hautain, mais prudent, et un grand acteur royal qui avait plus de go?t aux effets de th??tre qu'aux ?v?nements du drame. La fortune l'avait merveilleusement servi; en montant sur le tr?ne, il avait trouv? la Russie grande et l'Europe ? la fois en repos et encore fatigu?e; il avait profit? des brillants succ?s de l'empereur Alexandre son fr?re pour la gloire comme pour la s?curit? de son empire, et ni ses peuples ni ses alli?s n'exigeaient beaucoup de lui; au dedans, ses travaux de r?forme se bornaient ? des efforts sinc?res pour introduire dans l'administration de ses ?tats plus de probit?; au dehors, une immobilit? superbe suffisait ? son influence; en Occident, les ?v?nements ne lui donnaient rien ? faire; en Orient, ses premiers coups contre la Turquie avaient r?ussi sans l'engager bien avant. Au milieu de cette situation prosp?re et facile, la r?volution de Juillet vint choquer son orgueil de souverain, le g?ner dans ses vues d'avenir et l'inqui?ter sur son repos; il lui voua une haine passionn?e, mais sans oser le dire hautement et sans se porter l'adversaire de l'?v?nement qu'il d?testait. Et pour satisfaire sa passion sans compromettre sa politique, il s?para avec affectation le roi Louis-Philippe de la France, caressant pour la nation fran?aise, apr?s comme avant 1830, en m?me temps qu'hostile ? son nouveau chef. Attitude peu digne pour un si puissant prince et ?trange incons?quence pour un despote, car c'est le soin ordinaire du pouvoir absolu de confondre intimement le souverain et le peuple, et de prendre le souverain pour le repr?sentant, et en quelque sorte l'incarnation des millions d'hommes qui vivent sous sa loi. Esprit superficiel, malgr? sa fastueuse rigueur, l'empereur Nicolas oubliait cette maxime vitale de son propre syst?me de gouvernement, et ne sentait pas combien il ?tait pu?ril de s'obstiner ? ne pas traiter le roi Louis-Philippe comme les autres rois, tout en s'inclinant devant la r?volution qui l'avait fait roi.

Son obstination, du reste, n'?tait pas toujours aussi intraitable qu'elle voulait le para?tre, et quand elle e?t pu entra?ner pour lui quelque inconv?nient grave, il savait la faire fl?chir. C'?tait, depuis 1830, sa coutume, quand il recevait l'ambassadeur de France, de le bien traiter personnellement et de s'entretenir avec lui des affaires des deux pays, mais sans jamais lui parler du Roi. En janvier 1833, le duc de Broglie, en faisant nommer le mar?chal Maison ambassadeur ? Saint-P?tersbourg, lui prescrivit de ne point accepter une telle attitude; et apr?s avoir ajout? ? ses instructions officielles d?j? fort nettes des instructions verbales encore plus pr?cises, il fit prier M. Pozzo di Borgo de passer chez lui, et lui dit qu'il se faisait un devoir de le pr?venir que si, en comblant le nouvel ambassadeur de politesses personnelles, l'empereur s'abstenait de prononcer le nom du Roi, le mar?chal avait ordre de quitter P?tersbourg dans les huit jours en prenant un pr?texte, et que le plus transparent serait le meilleur. Le mar?chal ?tait aussi charg? de confirmer cette confidence au comte Pozzo di Borgo, qui ne manqua pas d'en ?crire ? sa cour. L'empereur Nicolas n'eut garde de se brouiller avec la France pour le plaisir de persister dans une choquante impolitesse; ? la premi?re r?ception solennelle, il alla au-devant de l'ambassadeur, lui prit la main, lui demanda des nouvelles du Roi, et, sur ce point du moins, les convenances reprirent, entre les deux cours, leur empire.

Environ trois ans plus tard, et dans une circonstance secr?te, les dispositions personnelles de l'empereur Nicolas envers le roi Louis-Philippe et sa famille se manifest?rent avec un m?lange de r?ticence calcul?e, de susceptibilit? vaniteuse, d'insinuations d?tourn?es et d'emportement qui passait du caract?re de l'homme dans la politique du souverain. Vers la fin de l'?t? de 1835, M. de Barante quitta l'ambassade de Sardaigne pour occuper celle de Russie; il n'y avait, ? cette ?poque, entre les deux gouvernements, point de n?gociation pendante, point d'affaire sp?ciale ? traiter; l'attitude et le langage du nouvel ambassadeur ?taient le principal et presque le seul objet de ses instructions. On se pr?occupait alors du mariage futur de M. le duc d'Orl?ans. Avant de partir pour son poste, M. de Barante demanda au duc de Broglie ce qu'il aurait ? faire ou ? dire si, de fa?on ou d'autre, la possibilit? d'un mariage entre M. le duc d'Orl?ans et l'une des grandes-duchesses, filles de l'empereur Nicolas, se pr?sentait ? lui: <> Le Roi dit nettement ? M. de Barante qu'il ne souhaitait point pour son fils le mariage russe; outre le peu de go?t qu'il avait pour cette alliance, il ?tait d?s lors pr?occup? de la perspective d'un mariage entre M. le duc d'Orl?ans et une archiduchesse d'Autriche; M. de Barante tint la r?ponse du Roi pour p?remptoire, et en fit, sur ce point, la r?gle de son attitude.

Peu de jours apr?s cet entretien et ? la veille de son d?part pour Saint-P?tersbourg, il re?ut du duc de Broglie l'instruction de s'arr?ter ? Berlin et de s'assurer, de concert avec M. Bresson, que, si M. le duc d'Orl?ans et M. le duc de Nemours y faisaient une visite, ils recevraient, du roi de Prusse et de sa famille, un accueil bienveillant. Aucune question ne devait et ne pouvait ?tre officiellement pos?e; c'?tait mati?re de conversation discr?te et pas une ligne ne devait ?tre ?crite ? ce sujet; M. Bresson avait ordre de prendre un cong? et de venir rendre compte ? Paris. L'assurance arriva bient?t que les princes seraient re?us ? Berlin avec empressement et que le roi de Prusse leur ferait un accueil paternel. Et comme l'entente confidentielle entre la Prusse et l'Autriche ?tait telle que, sur de semblables questions, les deux cours ne d?cidaient rien que de concert, on eut ? Paris la certitude que les princes trouveraient ? Vienne, sinon la m?me cordialit? royale, du moins le m?me accueil qu'? Berlin. Lorsque, quelques mois apr?s, le voyage ainsi r?solu s'accomplit avec plein succ?s, on en fut tr?s-pr?occup? ? Saint-P?tersbourg; on se demandait si les princes viendraient aussi en Russie; on s'?tonnait qu'ils ne vinssent pas: <> dit un jour l'empereur Nicolas, et ce propos fut rapport? ? M. de Barante ? qui l'empereur ne laissa, du reste, entrevoir aucune nuance d'humeur; il lui parla m?me en fort bons termes de la situation de la France et du gouvernement du Roi, ce qui ne lui arrivait gu?re, quoiqu'il ne se perm?t jamais, ? ce sujet, aucune parole de bl?me ou de critique. Un sentiment tr?s-diff?rent de l'humeur se fit bient?t indirectement entrevoir; une personne tr?s-bien ?tablie ? la cour de Saint-P?tersbourg, l'une des dames d'honneur ? portrait et l'amie intime de l'imp?ratrice, la baronne Frederyks parla un jour ? madame de Barante, avec qui elle ?tait dans des rapports confiants et faciles, de la possibilit? d'un mariage entre M. le duc d'Orl?ans et la grande-duchesse Marie; M. de Barante n'attacha pas aux paroles de madame Frederyks grande importance; il eut m?me soin d'?viter avec elle, plut?t que de la rechercher, toute conversation ? ce sujet; il connaissait les vues du roi Louis-Philippe, et, convaincu en m?me temps que l'empereur Nicolas n'avait, pour une telle alliance, aucune intention s?rieuse, il tenait peu ? savoir si c'?taient l? des vell?it?s de femme ou si madame Frederyks ?tait charg?e de sonder, ? tout hasard, le terrain.

Pourtant, il lui revint que la grande-duchesse Marie elle-m?me parlait beaucoup de M. le duc d'Orl?ans, qu'elle s'enqu?rait de son caract?re, de son esprit, de l'agr?ment de sa personne, qu'elle avait voulu voir son portrait. A un bal o? M. de Barante se trouvait assis, ? souper, ? une petite table, aupr?s de l'imp?ratrice, et o? ?tait aussi la grande-duchesse, la conversation s'engagea sur M. le duc d'Orl?ans, et beaucoup de questions lui furent faites avec une curiosit? bienveillante. Peu apr?s, M. de Barante donna lui-m?me un bal o? l'empereur et l'imp?ratrice lui firent l'honneur de venir; il avait demand? la permission d'engager la grande-duchesse Marie, et son invitation avait ?t? accept?e. Mais elle ne vint pas, et l'empereur prit soin de l'excuser en disant ? l'ambassadeur, m?me avec quelque d?tail, qu'elle ?tait indispos?e. Quelques jours apr?s, ? un bal de cour, la grande-duchesse parla ? M. de Barante du chagrin qu'elle avait eu de ne pas venir ? l'ambassade: <>

Ces d?monstrations h?sitantes et incoh?rentes ne persuad?rent point ? M. de Barante que l'empereur Nicolas e?t la pens?e de donner sa fille ? M. le duc d'Orl?ans, et il se tint dans la r?serve que le roi Louis-Philippe lui avait prescrite. Quelque temps apr?s, on commen?a ? parler du mariage de M. le duc d'Orl?ans avec la princesse H?l?ne de Mecklembourg, et M. de Barante sut que l'empereur Nicolas s'exprimait, sur ce projet, avec une extr?me vivacit?; il voulait, disait-on, employer, pour le faire ?chouer, toute son influence, et il se servait, dans ce dessein, de sa correspondance habituelle avec le prince Charles de Mecklembourg-Strelitz, g?n?ral au service de Prusse, qui avait ? la cour de Berlin quelque cr?dit. Quand on apprit ? Saint-P?tersbourg que le roi de Prusse persistait invariablement dans un projet qui venait de lui, l'empereur Nicolas entra dans une ?trange col?re; il fit une sc?ne publique au baron de Boden, envoy? du duc de Mecklembourg-Schwerin en Russie, et parla en termes brutaux de la part que le roi de Prusse avait prise ? ce mariage. Dans un bal qui eut lieu vers cette ?poque et o? vint l'empereur, il n'adressa point la parole ? l'ambassadeur de France, ce qui ?tait contre son habitude et fut d'autant plus significatif que les ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre eurent avec lui, ce soir-l?, la conversation accoutum?e. Cet acc?s de mauvaise humeur ne dura pas longtemps, n'influa point sur les relations officielles de M. de Barante avec le comte de Nesselrode qui se tenait avec soin en dehors des boutades de son ma?tre, et bient?t on ne parla plus ? Saint-P?tersbourg du mariage de M. le duc d'Orl?ans.

En 1838, M. de Barante vint en cong? ? Paris et M. le duc d'Orl?ans, mari? et heureux, lui demanda de lui raconter tout ce qui s'?tait pass? et dit ? P?tersbourg au sujet de son mariage. Instruit des incidents que je viens de rappeler, le prince pensa que l'ambassadeur avait eu raison de ne pas croire que l'empereur Nicolas e?t vraiment pens? un seul instant ? lui donner sa fille en mariage. Pendant qu'on essayait d'en insinuer l'id?e ? M. de Barante, on avait voulu flatter aussi M. le duc d'Orl?ans lui-m?me de cette perspective; une personne, avec qui il avait des relations intimes, lui disait, ? Paris, ce qu'? P?tersbourg madame Frederyks disait ? madame de Barante, et elle l'engageait ? ne pas rechercher un autre mariage. Le prince resta aussi incr?dule que l'ambassadeur.

Ils avaient raison tous les deux; jamais l'empereur Nicolas n'avait s?rieusement accept?, m?me en pens?e, un mariage si contraire ? sa passion. Si la grande-duchesse Marie avait eu occasion de voir M. le duc d'Orl?ans, s'il lui avait plu, si elle avait elle-m?me vivement d?sir? cette union, peut-?tre l'empereur n'e?t-il pas r?sist? au voeu de sa fille; dur dans son empire, il avait, dans sa famille, le coeur paternel, et il ?tait en outre assez enclin ? se faire, dans les questions de mariage, un devoir de tenir grand compte des go?ts et des sentiments personnels de ses enfants. Mais aucun motif semblable ne pesait sur lui en 1836, et lorsque le voyage des princes fran?ais en Allemagne sugg?ra autour de lui cette id?e, l'empereur Nicolas venait nagu?re de s'engager, envers le roi Louis-Philippe, dans des manifestations et des d?marches qui devaient l'?loigner encore plus d'un tel rapprochement.

Apr?s la prise d'Anvers et devant cette brillante solution fran?aise de la question belge, l'humeur des trois cabinets du Nord, bien que contenue, avait ?t? profonde: c'?tait eux qui avaient eu ? faire successivement les plus grandes et les plus am?res concessions, des concessions ? la fois politiques et domestiques, de principe et de famille; le roi de Prusse et l'empereur de Russie avaient ?t? contraints d'abandonner, dans le roi de Hollande, l'un son beau-fr?re, l'autre le beau-p?re de sa soeur; l'empereur Nicolas ?tait all? jusqu'? envoyer en mission extraordinaire ? La Haye son plus intime confident, le comte Orloff, pour d?clarer au roi Guillaume cet abandon et dompter son opini?tre r?sistance au voeu de l'Europe. De tels sacrifices, m?me sinc?rement accomplis, laissent dans le coeur des plus froids politiques de poignantes blessures. L'Autriche, la Prusse et la Russie voyaient en outre l'entente et l'action commune de la France et de l'Angleterre s'affermir et s'?tendre de jour en jour. Et ce n'?tait pas seulement une entente accidentelle entre les deux gouvernements sur des questions sp?ciales; c'?tait, entre les deux pays, malgr? leur ancienne hostilit?, une sympathie g?n?rale d'id?es et de tendances bruyamment proclam?es; sympathie qui donnait, dans l'Europe enti?re, aux partisans des r?formes politiques et aux artisans de r?volutions, de vives tentations et des esp?rances de succ?s. Par amour-propre et par inqui?tude, les trois puissances du Nord sentaient le d?sir et le besoin d'opposer ostensiblement entente ? entente, force ? force, de se soutenir mutuellement en face d'un avenir obscur, et de prendre, si l'occasion s'en pr?sentait, une revanche des ?checs qu'elles venaient de subir.

Une cause plus directe et plus pressante les poussait aussi dans cette voie. Les tentatives de r?volution suscit?es en Italie, en Pologne et en Allemagne par la crise de 1830 avaient ?chou?; mais les conspirations continuaient, et elles avaient pour fauteurs ardents les r?fugi?s italiens, polonais, allemands, qui avaient trouv? en France, en Angleterre, en Belgique, en Suisse, un g?n?reux asile. J'ai d?j? dit ce que je pense du droit d'asile, de sa l?gitimit?, de son utilit? politique, et aussi des devoirs qui y sont attach?s, soit pour les gouvernements protecteurs, soit pour les r?fugi?s eux-m?mes. La question est aussi simple et claire en principe que d?licate et difficile dans l'application; mais les difficult?s de l'application ont trop souvent fait oublier le principe m?me et la n?cessit? de le respecter. Les r?fugi?s politiques, quelque naturelle et m?me patriotique qu'ait pu ?tre leur entreprise, n'ont ?videmment nul droit de poursuivre, du sein de l'asile qu'ils ont obtenu et au p?ril du gouvernement qui les a accueillis, leur guerre contre le gouvernement de leur patrie; et le pouvoir qui les prot?ge, quelle que soit pour eux sa sympathie, est ?videmment tenu de r?primer leurs attaques contre les pouvoirs avec lesquels il vit lui-m?me en paix. Ainsi le commande imp?rieusement le droit public qui est la morale et la loyaut? mutuelles des nations. Ce droit n'exclut ni la bienveillance t?moign?e aux r?fugi?s, ni les secours accord?s ? leur malheur; il n'interdit pas non plus le respect des affections et le maintien des relations priv?es dont les r?fugi?s peuvent ?tre l'objet; quand le comte Pozzo di Borgo se plaignait que la duchesse de Broglie re??t amicalement chez elle le prince Adam Czartorinski, ce noble chef de l'?migration polonaise, le comte Pozzo avait tort, et la duchesse de Broglie avait raison de dire avec sa vive fiert?: <> Les sentiments g?n?reux n'autorisent pas ? manquer, en pareille circonstance, aux devoirs de la politique, mais ils ne sont point condamn?s ? s'effacer devant des exigences dures ou hautaines; et les gouvernements qui r?clament contre les men?es des r?fugi?s sont eux-m?mes oblig?s de m?nager la dignit? comme la situation l?gale du pouvoir auquel ils demandent de les r?primer. Il y a l?, de part et d'autre, bien des convenances ? respecter, bien des mesures ? garder, bien des embarras ? prendre en consid?ration; mais, cela reconnu, le droit de r?clamation demeure entier d'une part et le devoir de r?pression de l'autre: devoir de probit? politique autant que de prudence, dont l'accomplissement est exig? par l'honneur des gouvernants comme par la s?ret? des ?tats, et qui ne saurait ?tre m?connu que par une faiblesse regrettable ou par une arrogance inexcusable. Malgr? nos sinc?res efforts pour nous acquitter de ce qui ?tait d? aux gouvernements europ?ens, ce fut l? pour nous, de 1832 ? 1836, dans nos rapports avec eux, une source de complications sans cesse renaissantes, et l'une des principales causes qui port?rent les trois puissances du Nord ? faire en commun des d?monstrations et des d?marches compromettantes pour les rapports pacifiques qu'elles voulaient maintenir, et m?me pour le redressement des griefs qu'elles ?levaient.

Au commencement d'avril 1833, un mouvement r?volutionnaire ?clata ? Francfort; un de ces mouvements si fr?quents de nos jours, s?rieux par les id?es et les sentiments qui les suscitent, frivoles par l'?tourderie et l'incapacit? de leurs auteurs. Au m?me moment, un complot semblable ?tait d?couvert ? Turin. Ils furent l'un et l'autre promptement r?prim?s. Mais la di?te germanique entama une grande enqu?te pour en rechercher les sources, les ramifications, les desseins; et comme il ?tait ais? de le pr?voir, l'enqu?te rencontra d?s ses premiers pas et mit au jour les men?es et les provocations des r?fugi?s. Pendant qu'elle suivait son cours, nous appr?mes que, le 14 ao?t, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, accompagn?s de leurs ministres, le prince de Metternich et M. Ancillon, s'?taient rencontr?s au ch?teau de Theresienstadt, pr?s de T?plitz; trois semaines plus tard, le roi de Prusse et l'empereur de Russie se rencontraient ? Schwedt-sur-l'Oder, et peu de jours apr?s, l'empereur Nicolas et l'empereur d'Autriche, aussi avec leurs ministres des affaires ?trang?res, se r?unissaient ? M?nchengraetz, petite ville de Boh?me, o? le prince royal de Prusse s'?tait d?j? rendu. Le r?sultat de ces conf?rences r?p?t?es ne se fit pas longtemps attendre; dans les premiers jours de novembre 1833, le baron de H?gel, charg? d'affaires d'Autriche en l'absence du comte Appony, le baron de Werther au nom de la Prusse et le comte Pozzo di Borgo pour la Russie, se rendirent successivement aupr?s du duc de Broglie, et lui communiqu?rent trois d?p?ches de leurs cours finissant toutes trois par d?clarer, dans les m?mes termes, que <>

En soi, la d?marche n'avait rien que de naturel et de conforme au droit des gens comme aux exigences du moment; mais le concert qui l'avait pr?par?e, l'uniformit? et le ton p?remptoire de la conclusion des trois d?p?ches donnaient trop ?videmment, ? l'acte des trois cours, le caract?re d'une tentative d'intimidation pour qu'? notre tour une fiert? froide ne f?t pas le caract?re de notre r?ponse. Les cabinets qui en avaient pris la r?solution et les agents diplomatiques charg?s de la communiquer au cabinet fran?ais l'avaient si bien senti que, tout en s'acquittant de leur mission, les plus mod?r?s s'?taient efforc?s de l'att?nuer. La d?p?che autrichienne prodiguait les ?loges ? l'habilet? et ? l'?nergie du gouvernement du Roi; la d?p?che prussienne, pleine envers lui de t?moignages d'estime et d'affection, rendait toute justice aux efforts qu'il avait d?j? faits pour contenir les r?fugi?s; et le comte Pozzo di Borgo, probablement peu satisfait des d?veloppements de la d?p?che russe, ne l'avait pas communiqu?e tout enti?re au duc de Broglie, et s'?tait content? de lui en lire la conclusion. En variant, selon ces diverses attitudes, son accueil et son langage, le duc de Broglie repoussa dignement la tentative d'intimidation, et maintint hautement, pour les divers cas de complications ou d'interventions europ?ennes qui pourraient se pr?senter ? l'avenir, la libert? d'action et la politique d?clar?e de la France. Quand il re?ut communication de cette r?ponse, le prince de Metternich essaya de ne la comprendre qu'? moiti?, et de croire que le Pi?mont n'?tait pas l'un des ?tats dans lesquels la France ne souffrirait pas, sans y intervenir elle-m?me, une intervention ?trang?re; mais M. de Sainte-Aulaire, par une prompte et franche r?partie, ne lui permit pas d'avoir l'air de se faire illusion ? cet ?gard. M. de Metternich n'insista point. A Berlin, ? Saint-P?tersbourg m?me, la ferme r?ponse du duc de Broglie n'amena point de r?plique; et toute cette affaire n'eut d'autre r?sultat que de manifester avec quelque faste le concert des trois cours et le travail de l'empereur Nicolas pour dominer ses alli?s, en r?v?lant en m?me temps leurs dissidences int?rieures et leur peu de penchant ? pousser jusqu'au bout leurs d?monstrations. Il n'y a gu?re de plus mauvais politiques que les esprits plus hautains que grands et plus passionn?s que s?rieux, qui recherchent la satisfaction momentan?e de leur passion bien plus que l'accomplissement r?el et durable de leur dessein.

Ind?pendamment des r?volutions de l'Occident, l'empereur Nicolas, peu de mois avant les entrevues de Theresienstadt, de Schwedt et de M?nchengaetz, avait trouv? en Orient, contre le gouvernement du roi Louis-Philippe, un nouveau sujet d'irritation. La lutte entre la Porte ottomane et le pacha d'?gypte avait ?clat?; M?h?met-Ali avait conquis la Syrie; son fils Ibrahim, vainqueur ? Koni?h, traversait en ma?tre l'Asie-Mineure, occupait Smyrne et mena?ait Constantinople. Le grand probl?me qui p?se et p?sera longtemps encore sur l'Europe, la question d'Orient touchait ? l'une de ses plus violentes crises. Je retracerai tout ? l'heure l'incendie qui fut alors pr?s de s'allumer; je ne veux, en ce moment, qu'en faire entrevoir les premi?res lueurs.

Que M?h?met-Ali aspir?t ? secouer le joug du sultan, et ? fonder, pour son propre compte, un ?tat ind?pendant, on n'en saurait douter. En vain il multipliait les protestations de fid?lit?; en vain il r?p?tait ? M. de Bois-le-Comte, qu'au printemps de 1833 le duc de Broglie avait charg? d'une mission en Orient: <> M. de Bois-le-Comte faisait observer au pacha que le sultan ?tait son souverain, et qu'il serait difficile aux puissances de donner une garantie qui les ?tablirait, le sultan et lui, sur le pied d'?galit?: <> Laissant alors de c?t? son propre int?r?t: <> M. de Bois-le-Comte soutenait alors qu'il n'y aurait pas de guerre et que l'Europe ?tait d?cid?e ? rester en paix; M?h?met-Ali paraissait comprendre et n'insistait pas; mais quelques jours apr?s, causant famili?rement avec l'envoy? fran?ais, il lui disait: <> Quelquefois, ayant l'air d'oublier la politique, le pacha racontait avec abandon ? M. de Bois-le-Comte les vicissitudes de sa vie et les difficult?s qu'il avait eues ? vaincre pour arriver o? il ?tait parvenu: <> Et il finissait en revenant ? son id?e fixe, la n?cessit? que la Porte lui conc?d?t le district d'Adana ou que les puissances lui garantissent la s?curit? de ses possessions: <>

Quand M?h?met-Ali cherchait ? se faire bien venir des puissances qu'il savait amies sinc?res de la Porte, il parlait de son d?sir d'aller, apr?s la paix, finir ses jours ? Constantinople et s'y consacrer tout entier ? relever et ? ranimer cet empire tombant en ruines. Dans cette hypoth?se, les politiques europ?ens rendaient eux-m?mes hommage ? la sup?riorit? de ses vues et de son caract?re: <>

Quel que f?t le tour de son ambition, ennemi ou protecteur, un tel homme ?tait insupportable au sultan et ? ses conseillers; l'un des membres les plus consid?rables du Divan, Khosrew-Pacha lui portait une vieille et violente haine. Qu'elle f?t, avec M?h?met-Ali, en paix ou en guerre, qu'elle lui f?t des refus ou des concessions, la Porte m?ditait constamment sa ruine, et cette hostilit? acharn?e, ce travail incessant contre lui, fournissaient toujours au pacha d'?gypte des motifs r?els ou des pr?textes plausibles pour engager la lutte o? le poussait son ambition: <>

Devant la question d'Orient ainsi brusquement pos?e, et au milieu des grandes puissances toutes empress?es, avec des sentiments tr?s-divers, d'y porter la main, la situation de la France ?tait la plus difficile. L'Angleterre et l'Autriche avaient une id?e simple et fixe; elles ne s'inqui?taient que de maintenir l'empire ottoman et de le d?fendre contre ses ennemis. La Russie aussi n'avait qu'une id?e, moins simple, mais ?galement exclusive et constante; elle voulait maintenir l'empire ottoman sans l'affermir et le dominer en le prot?geant. La Prusse, presque ?trang?re ? la question, inclinait habituellement vers l'Autriche et l'Angleterre en m?nageant la Russie. La politique de la France ?tait compliqu?e et alternative; elle voulait servir ? la fois le sultan et le pacha, maintenir l'empire ottoman et grandir l'?gypte. La Porte se trouvait en pr?sence de deux alli?s v?ritables, d'un protecteur hypocrite et d'un ami dont le coeur ?tait partag?.

Les raisonnements, quelques-uns s?rieux, d'autres sp?cieux, n'ont pas manqu? pour justifier cette double politique de la France. On a fait valoir l'importance de l'?gypte dans la M?diterran?e, l'appui que la France y pouvait trouver en cas de lutte, soit contre l'Angleterre, soit contre la Russie, surtout la n?cessit? que, dans l'?tat pr?caire de l'Orient, l'?gypte ne rest?t pas en des mains impuissantes ou ne pass?t pas en des mains ennemies. J'appr?cierai la valeur de ces raisons quand j'aurai ? parler des grands d?bats o? elles se sont produites; elles ont ?t? des arguments apr?s coup plut?t que des causes d?terminantes avant l'?v?nement: ? vrai dire, la politique de la France, dans cette question, a pris sa source dans notre brillante exp?dition de 1798 en ?gypte, dans le renom de nos g?n?raux, de nos soldats, de nos savants, dans les souvenirs et les impressions qui sont rest?s de leurs exploits et de leurs travaux, dans des ?lans d'imagination, non dans des calculs de s?curit? et d'?quilibre; un vif int?r?t s'est attach? au th??tre de cette gloire nationale et singuli?re; l'?gypte conquise par une arm?e fran?aise, d?crite par un Institut fran?ais, est devenue l'une des fantaisies populaires de la France; nous avons eu ? coeur ses destin?es; et le nouveau ma?tre, glorieux et singulier aussi, qui la gouvernait alors avec ?clat en se tournant vers nous, a ?t?, pour nous, un alli? naturel que nous avons soutenu par penchant et entra?nement bien plus que par r?flexion et int?r?t.

Cependant la Russie d'une part et M?h?met-Ali de l'autre poursuivaient leur travail, point compliqu? quoique peu sinc?re: en apprenant le refus du pacha de se contenter des offres de la Porte, l'empereur Nicolas mettait de nouveau ses vaisseaux et ses troupes ? la disposition du sultan, et M?h?met-Ali prodiguait ? Constantinople ses moyens ordinaires de persuasion pour d?terminer la Porte ? lui c?der, non-seulement toute la Syrie, mais aussi le district d'Adana, c'est-?-dire la porte de l'Asie-Mineure, dernier objet de contestation. Apr?s beaucoup de pourparlers secrets et d'oscillations confuses, l'un et l'autre r?ussirent dans leurs efforts: le 5 avril, une flotte russe, jetant l'ancre dans le Bosphore, d?barquait cinq mille soldats sur la c?te d'Asie pendant qu'un corps d'arm?e russe marchait vers le Danube, et le 16 mai cent coups de canon annon?aient ? Alexandrie qu'un firman du 5 c?dait au pacha le district d'Adana avec la Syrie, et que l'arm?e ?gyptienne se mettait en marche pour ?vacuer l'Asie-Mineure. L'arrangement tenu alors pour d?finitif, entre la Porte et le pacha, avait ?t? en effet conclu le 5 mai ? Kutai?h; Ibrahim-Pacha op?ra sa retraite, et l'on put dire que la paix ?tait r?tablie en Orient.

Elle ?tait r?tablie ? un prix qui semait en Europe la discorde: le 6 mai, le lendemain m?me du jour o? venait d'?tre publi? le firman pacifique du sultan, le comte Orloff entrait avec grand apparat ? Constantinople, rev?tu des titres d'ambassadeur extraordinaire et de commandant g?n?ral des forces russes dans l'empire ottoman. Il venait, au moment o? la Porte semblait hors de p?ril, constater solennellement la protection que lui avait donn?e la Russie, et lui promettre que cette protection la couvrirait, en tout cas, dans l'avenir. L'inutilit? apparente et l'?clat inusit? de cette ambassade inspir?rent aux autres cours une juste m?fiance; elles demand?rent ? la Porte des explications; la Porte se plaignit de la demande comme d'une injure, et affirma que la venue du comte Orloff <> Le comte Orloff passa plus de deux mois ? Constantinople, attendant, disait-il, que l'arm?e ?gyptienne e?t enti?rement ?vacu? les ?tats du sultan. A la fin de juin, cette ?vacuation ?tait accomplie; Ibrahim-Pacha avait repass? le Taurus, et le 10 juillet, les vaisseaux et les troupes russes se retir?rent ? leur tour de Turquie; mais deux jours auparavant, le 8, un trait?, dit le trait? d'Unkiar-Skelessi, avait ?t? sign? ? Constantinople portant : <> Et, en retour de cette promesse, un article secret, annex? au trait?, ajoutait: <> Ainsi le cabinet de Saint-P?tersbourg, convertissant en droit ?crit le fait de sa pr?pond?rance ? Constantinople, faisait de la Turquie son client officiel, et de la mer Noire un lac russe dont ce client gardait l'entr?e contre les ennemis possibles de la Russie, sans que rien la g?n?t elle-m?me pour en sortir et lancer dans la M?diterran?e ses vaisseaux et ses soldats.

Pendant le cours de cette n?gociation et quand on commen?a ? en pressentir le r?sultat, l'amiral Roussin, esprit hardi et entier, toujours domin? par une seule id?e, fut tent? de se mettre ouvertement en travers, et de signifier ? la Porte, si elle se livrait ainsi ? la Russie, l'hostilit? de la France. Il en fut d?tourn? par son coll?gue l'ambassadeur d'Angleterre ? Constantinople, lord Ponsonby, aussi passionn? que lui contre la Russie, mais qui portait plus de calcul dans sa passion: <> Telles ?taient, en effet, la col?re du sultan et de ses conseillers au seul nom de M?h?met-Ali, et ils ?taient si convaincus qu'il se pr?parait ? recommencer contre eux la guerre que tr?s-probablement rien n'e?t pu les emp?cher de s'assurer, contre lui, le puissant protecteur qui s'offrait ? eux. Un conseiller courageux essaya un jour, au nom du repos de Constantinople et de la dignit? de l'empire, d'inqui?ter le sultan sur les desseins des Russes: <> Mais quand le trait? d'Unkiar-Sk?lessi, ainsi conclu dans un acc?s de peur turque, devint public en Europe, les cabinets fran?ais et anglais tinrent peu de compte des alarmes de la Porte, et lui en inspir?rent ? leur tour de nouvelles en lui t?moignant leur ressentiment de son l?che abandon. Ils n'adress?rent pas leurs protestations ? la Porte seule; M. de Lagren?, charg? d'affaires de France ? Saint-P?tersbourg en l'absence du mar?chal Maison, eut ordre de remettre au comte de Nesselrode une note par laquelle le gouvernement fran?ais, apr?s avoir ?tabli <> d?clarait que <> Le gouvernement anglais tint ? Constantinople et ? P?tersbourg le m?me langage. Et les deux cabinets ne se born?rent pas ? des paroles; ils donn?rent ? leurs forces navales dans la M?diterran?e un grand d?veloppement; une partie de l'escadre anglaise parut devant Smyrne; on parlait de d?marches encore plus d?cisives; on se demandait si le jour n'?tait pas venu de forcer les Dardanelles, d'entrer dans la mer Noire et d'aller br?ler cette flotte russe toujours pr?s d'envahir Constantinople sous pr?texte de la prot?ger. La r?ponse du cabinet de Saint-P?tersbourg aux notes qu'il avait re?ues de Paris et de Londres vint aggraver encore la col?re et la m?fiance qui inspiraient ces menaces, car le langage en ?tait aussi rude que celui qu'il repoussait; le trait? d'Unkiar-Sk?lessi ne contenait, selon M. de Nesselrode, rien qui ne f?t dans le droit des parties contractantes, <>

Tant d'irritation et de mouvement alarma les prudents gardiens de la paix europ?enne: le trait? d'Unkiar-Sk?lessi avait fort d?plu au prince de Metternich qui s'inqui?tait, comme nous, de la domination des Russes ? Constantinople; mais encore plus inquiet de toute querelle s?rieuse entre l'Autriche et la Russie, il n'avait eu garde de laisser ?clater son humeur, et ses agents avaient pour instruction de bl?mer l'explosion de la n?tre: <> Quand l'aigreur eut amen? des actes qui mena?aient visiblement la paix de l'Europe, le chancelier d'Autriche se pr?valut du p?ril pour agir sur l'empereur Nicolas qui n'avait, au fond, nulle envie de la guerre, et pour lui faire sentir les inconv?nients du trait? d'Unkiar-Sk?lessi, d?monstration plus brillante qu'utile, et qui excitait contre la Russie plus de col?re qu'elle ne lui valait de force r?elle. M. de Metternich excellait ? se servir des changements apport?s par le temps dans l'?tat des faits et des esprits pour insinuer les v?rit?s qu'il n'avait pas d'abord voulu dire, et pour att?nuer les dangers qu'il n'avait pas os? combattre au moment de la crise. Les conf?rences de M?nchengraetz lui fournirent une occasion favorable pour exercer cette influence calmante; il obtint de l'empereur Nicolas des paroles qui, sans abolir le trait? d'Unkiar-Sk?lessi, en repoussaient les cons?quences et contenaient presque un engagement de n'en r?clamer, en aucun cas, l'application. Ce n'?tait l? qu'une d?monstration pacifique mise en balance d'une d?monstration ambitieuse; en r?alit?, les situations et les intentions restaient les m?mes; mais aucune des puissances qui se mesuraient ainsi de l'oeil n'avait, ? vrai dire des craintes bien pressantes, ni le d?sir de pousser jusqu'au bout ses menaces; le chancelier d'Autriche fit beaucoup valoir ? Paris et ? Londres les concessions verbales de l'empereur Nicolas et sa propre insistance ? les lui arracher; le bruit s'apaisa, les armements se ralentirent, les vaisseaux rentr?rent dans les ports; et quand l'ann?e 1834 s'ouvrit, il ne restait plus, de cette premi?re phase des affaires d'Orient, que l'hostilit? permanente entre la Porte et M?h?met-Ali, la situation difficile dans laquelle s'?tait engag?e entre eux la France, les nuages que sa faveur d?clar?e pour le pacha jetait d?j? entre elle et l'Angleterre, et le redoublement de malveillance que cette lutte avait suscit? dans l'?me de l'empereur Nicolas contre le roi Louis-Philippe et son gouvernement.

Que ferait le gouvernement de la reine Isabelle pour s'organiser et s'affermir en donnant satisfaction aux voeux de ses partisans? Quel genre et quelle mesure d'appui serions-nous appel?s ? lui pr?ter? Nous nous v?mes, d?s les premiers jours, en pr?sence de ces deux questions, et elles ne tard?rent pas ? nous inspirer, l'une et l'autre, de vives inqui?tudes.

Nous re??mes ? Paris, du manifeste espagnol, la m?me impression que M. de Rayneval ? Madrid; peu en harmonie avec notre propre politique, il nous parut, pour la reine Isabelle et son ministre, une imprudence, et une imprudence inutile: le duc de Broglie ne le laissa pas ignorer ? M. de Rayneval et par lui au gouvernement espagnol: <>

A la lecture de cet article et des d?p?ches qui l'inform?rent du sens qu'on attachait ? Madrid aux termes de ses instructions, le duc de Broglie s'en inqui?ta vivement. Le gouvernement du Roi n'avait jamais entendu se mettre ainsi ? la disposition absolue du gouvernement espagnol, ni s'engager ? intervenir pour lui en Espagne <> Dans sa correspondance avec notre ambassadeur ? Madrid et dans ses entretiens avec le comte de Colombi, charg? d'affaires d'Espagne ? Paris et fr?re de M. Z?a, le duc de Broglie se h?ta de redresser l'erreur et de rendre ? ses instructions leur juste port?e: <> Le duc de Broglie avait grande raison de faire ainsi la r?serve expresse de ce droit, car avant d'avoir re?u avis de ses explications et en se fondant sur le sens qu'il attribuait aux instructions premi?res, M. Z?a adressa, le 21 octobre, au gouvernement fran?ais la demande exorbitante que les troupes fran?aises vinssent imm?diatement se placer sur la fronti?re, et que le g?n?ral qui les commanderait f?t mis aux ordres de l'ambassadeur de France en Espagne, leur entr?e ne d?pendant plus d?s lors que d'un avis envoy? de Madrid. Le gouvernement du Roi consentit ? faire approcher ses troupes de la fronti?re, mais il se refusa formellement ? remettre ainsi le droit d'intervention aux mains de son ambassadeur.

Le duc de Broglie ne s'en tint pas l?; en s'entretenant avec M. de Colombi, il aborda au fond la question de l'intervention arm?e de la France, et lui exposa les grandes raisons qui devaient d?tourner l'Espagne d'y recourir: <>

Si les peuples qui veulent ?tre libres se croyaient tenus d'?tre sens?s, les Espagnols auraient reconnu que leur humeur au sujet des lenteurs de M. Martinez de la Rosa avait ?t? excessive, et le m?rite de son oeuvre leur e?t fait oublier qu'elle s'?tait fait un peu attendre. Il n'y avait pas encore trois mois que le cabinet ?tait form?, et il avait eu ? gouverner et ? pr?parer un nouveau gouvernement au milieu d'une guerre civile. Le statut royal attestait une rare intelligence des conditions de la libert? renaissante au sein d'une ancienne soci?t?. M. Martinez de la Rosa ne s'?tait point laiss? aller ? la pr?somptueuse et chim?rique manie de la cr?ation; il n'avait point pr?tendu organiser ? nouveau l'?tat tout entier; il avait pris la soci?t? et la monarchie espagnoles comme des faits pr?existants et incontest?s qu'il ?tait appel? ? r?former et ? compl?ter selon les besoins et les lumi?res de notre temps, mais en les respectant et en les affermissant, non en les d?truisant pour les reconstruire. Le statut royal n'?tait ni une d?claration abstraite de principes et de droits, ni une constitution g?n?rale et syst?matique; c'?tait la r?surrection forte des Cort?s du royaume constitu?es de fa?on non-seulement ? contr?ler le pouvoir, mais ? exercer sur toute la marche du gouvernement une influence efficace, et ? amener successivement les r?formes dont le voeu public, contr?l? ? son tour par la discussion et le temps, ferait sentir la n?cessit?. On n'y rencontrait ni le dogme, ni le langage de la souverainet? du peuple; c'?tait l'intervention du pays dans son gouvernement, r?gl?e avec une sinc?rit? patriotique et loyale, sans pr?ventions m?ticuleuses comme sans pr?tentions arrogantes; et le rapport adress? ? la reine r?gente, qui pr?c?dait le statut, ?tait un expos? grave et ?l?gant, quoique un peu diffus, des conditions essentielles du r?gime repr?sentatif telles qu'elles apparaissent de nos jours aux esprits s?rieux, apr?s les discussions de la science et les exp?riences de la politique.

Au moment de sa publication, cet acte fut accueilli en Espagne par une approbation g?n?rale; les royalistes constitutionnels ?taient r?ellement satisfaits; leur satisfaction et l'impression commune du public imposaient aux plus ardents lib?raux le silence et m?me l'apparence du contentement; les journaux, nombreux et tr?s-libres en fait, ?taient presque unanimes dans leurs ?loges. M. Martinez de la Rosa eut sans doute alors, comme politique et comme auteur, une de ces joies ? la fois personnelles et pures qui font succ?der, aux troubles et aux fatigues d'un difficile travail, le sentiment d'une grande oeuvre accomplie et digne de dur?e. Mais les oeuvres constitutionnelles ont, de nos jours, le sort qu'avaient, au dire de Tacite, les amours du peuple romain; leurs succ?s sont courts et de mauvais augure. Le statut royal de M. Martinez de la Rosa avait en Espagne un rival qui pouvait se taire un moment, mais qui n'attendait que le jour propice pour lui d?clarer la guerre; c'?tait la constitution d?cr?t?e en 1812 ? Cadix par les Cort?s de la lutte pour l'ind?pendance nationale et restaur?e ? Madrid en 1820 par les Cort?s de la r?volution: oeuvre inspir?e par des id?es et des passions essentiellement contraires ? celles qui avaient dict? le statut royal. L'enti?re reconstruction ? nouveau de l'?difice politique, l'absolue souverainet? du peuple, c'est-?-dire du nombre, l'unit? de l'assembl?e repr?sentative, le suffrage universel et sans condition, la compl?te s?paration du pouvoir l?gislatif et du pouvoir ex?cutif, l'interdiction aux membres des Cort?s d'?tre r??lus aux Cort?s imm?diatement suivantes, toutes les th?ories radicales et r?volutionnaires ?taient proclam?es et r?dig?es en lois dans la constitution de 1812, avec plus de rigueur qu'elles ne l'avaient ?t? en France en 1791, et m?me par la Convention nationale. C'?tait la R?publique une et indivisible abaissant sous son joug et prenant ? son service l'ancienne royaut?. Et elle avait pour soutenir sa cause un parti tout form?, dress? ? la lutte, habitu? ? la domination, conduit par des chefs connus du pays et qui avaient, dans les mauvais temps, d?fendu son ind?pendance et r?clam? ses droits, pleins d'id?es fausses et de sentiments nobles, mauvais publicistes, patriotes sinc?res et orgueilleux auteurs. Le statut royal choquait leurs convictions politiques et blessait leur amour-propre personnel. Bien loin de les satisfaire, M. Martinez de la Rosa, en le publiant, les avait irrit?s et ralli?s contre lui; il se trouva d?s lors plac? entre les carlistes et les r?volutionnaires; il eut ? soutenir deux guerres civiles, l'une en pleine effervescence, l'autre pr?s d'?clater.

Les affaires ext?rieures et les succ?s qu'il y obtint vers cette ?poque apport?rent un moment, aux discordes de l'Espagne, quelque distraction. Quoique chass? de Lisbonne comme d'Oporto, don Miguel entretenait encore en Portugal, contre sa ni?ce dona Maria, une lutte obstin?e. Il avait aupr?s de lui l'infant don Carlos qui, de la fronti?re portugaise, correspondait avec ses partisans en Espagne et fomentait leurs insurrections avec leurs esp?rances. M. Martinez de la Rosa r?solut de mettre un terme ? cette hostilit? anarchique entre les deux royaumes; il se concerta avec don P?dre, encore r?gent pour sa fille; et le 16 avril 1834, au moment m?me o? le statut royal venait d'?tre publi? ? Madrid, une arm?e espagnole, sous le commandement du g?n?ral. Rodil, entra en Portugal pour en chasser don Carlos avec don Miguel. Le ministre d'Espagne ? Londres, le comte de Florida-Blanca, re?ut en m?me temps, comme le charg? d'affaires de Portugal, M. Moraez Sarmento, ordre de demander au gouvernement anglais son concours pour atteindre ? ce but. Les deux desseins eurent un ?gal et prompt succ?s; le g?n?ral Rodil avan?a rapidement en Portugal, poussant devant lui et dispersant les troupes de don Miguel; et le 15 avril, un trait?, auquel il ne manquait plus que les signatures, ?tait conclu ? Londres entre l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal, stipulant que les deux reines uniraient leurs forces pour expulser les deux infants de la P?ninsule, et que l'Angleterre enverrait des vaisseaux sur les c?tes de Portugal pour les seconder dans leur entreprise.

La n?gociation en ?tait d?j? ? ce point lorsque M. de Talleyrand en fut inform? par le comte de Florida-Blanca, disent les uns, et selon d'autres, par lord Palmerston lui-m?me qui lui proposa un peu inopin?ment la simple accession de la France au trait? d?j? convenu entre les trois puissances; l'ambassadeur rendit compte au cabinet de ce qui se passait et demanda des instructions. Ce ne fut pas sans surprise que nous re??mes cette communication tardive, et l'amiral de Rigny, ministre des affaires ?trang?res depuis la retraite du duc de Broglie, en ?crivit sur-le-champ ? M. de Rayneval: <>

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