Read Ebook: Le dernier des mohicans: Le roman de Bas-de-cuir by Cooper James Fenimore Defauconpret A J B Auguste Jean Baptiste Translator
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Ebook has 2394 lines and 162334 words, and 48 pages
Translator: A.J.B. Defauconpret
James Fenimore Cooper
LE DERNIER DES MOHICANS
Le roman de Bas-de-cuir
Traduction par A. J. B. Defauconpret
Table des mati?res
Introduction de la nouvelle ?dition du Dernier des Mohicans
L'auteur avait pens? jusqu'ici, que la sc?ne o? se passe l'action de cet ouvrage, et les diff?rents d?tails n?cessaires pour comprendre les allusions qui y ont rapport, sont suffisamment expliqu?s au lecteur dans le texte lui-m?me, ou dans les notes qui le suivent. Cependant, il existe tant d'obscurit? dans les traditions indiennes, et tant de confusion dans les noms indiens, que de nouvelles explications seront peut-?tre utiles.
Peu de caract?res d'hommes pr?sentent plus de diversit?, ou, si nous osons nous exprimer ainsi, de plus grandes antith?ses que ceux des premiers habitants du nord de l'Am?rique. Dans la guerre, ils sont t?m?raires, entreprenants, rus?s, sans frein, mais d?vou?s et remplis d'abn?gation d'eux-m?mes; dans la paix, justes, g?n?reux, hospitaliers, modestes, et en g?n?ral chastes; mais vindicatifs et superstitieux. Les natifs de l'Am?rique du Nord ne se distinguent pas ?galement par ces qualit?s, mais elles pr?dominent assez parmi ces peuples remarquables pour ?tre caract?ristiques.
On croit g?n?ralement que les aborig?nes de l'Am?rique sont d'origine asiatique. Il existe beaucoup de faits physiques et moraux qui donnent du poids ? cette opinion, quelques autres semblent prouver contre elle.
L'auteur croit que la couleur des Indiens est particuli?re ? ce peuple. Les os de ses joues indiquent d'une mani?re frappante l'origine tartare, tandis que les yeux de ces deux peuples n'ont aucun rapport. Le climat peut avoir eu une grande influence sur le premier point, mais il est difficile de d?cider pourquoi il a produit la diff?rence immense qui existe dans le second. L'imagination des Indiens, soit dans leur po?sie, soit dans leurs discours, est orientale, et leurs compositions sont rendues plus touchantes peut-?tre par les bornes m?mes de leurs connaissances pratiques. Ils tirent leurs m?taphores des nuages, des saisons, des oiseaux, des animaux et du r?gne v?g?tal. En cela, ils ne font pas plus que toute autre race ? imagination ?nergique, dont les images sont limit?es par l'exp?rience; mais il est remarquable que les Indiens du nord de l'Am?rique rev?tent leurs id?es de couleurs tout ? fait orientales, et enti?rement oppos?es ? celles des Africains. Leur langage a toute la richesse et toute la pl?nitude sentencieuse de celui des Chinois. Il exprime une phrase en un mot, et il qualifiera la signification d'une sentence enti?re par une syllabe; quelquefois m?me il indiquera diff?rents sens par la seule inflexion de la voix.
Des philologistes, qui ont consacr? beaucoup de temps ? des recherches sur ce sujet, assurent qu'il n'existe que deux ou trois idiomes parmi les nombreuses tribus occupant autrefois le pays qui compose aujourd'hui les ?tats-Unis. Ils attribuent les difficult?s que ces tribus ?prouvent ? se comprendre les unes les autres, ? la corruption des langages primitifs, et aux dialectes qui se sont form?s. L'auteur se rappelle avoir ?t? pr?sent ? une entrevue entre deux chefs des grandes Prairies, ? l'ouest du Mississipi; les guerriers paraissaient de la meilleure intelligence et causaient beaucoup ensemble en apparence; cependant, d'apr?s le r?cit de l'interpr?te qui avait ?t? n?cessaire, chacun d'eux ne comprenait pas un mot de ce que disait l'autre. Ils appartenaient ? des tribus hostiles, ?taient amen?s l'un vers l'autre par l'influence du gouvernement am?ricain, et il est digne de remarque qu'une politique commune les porta ? adopter le m?me sujet de conversation. Ils s'exhort?rent mutuellement ? se secourir l'un l'autre, si les chances de la guerre les jetaient entre les mains de leurs ennemis. Quelle que soit la v?rit? touchant les racines et le g?nie des langues indiennes, il est certain qu'elles sont maintenant si distinctes dans leurs mots, qu'elles ont tous les inconv?nients des langues ?trang?res: de l? naissent les difficult?s que pr?sente l'?tude de l'histoire des diff?rentes tribus, et l'incertitude de leurs traditions.
Comme les nations d'une plus haute importance, les Indiens d'Am?rique donnent sur leur propre caste des d?tails bien diff?rents de ceux qu'en donnent les autres tribus. Ils sont tr?s port?s ? estimer leurs perfections aux d?pens de celles de leurs rivaux ou de leurs ennemis; trait qui rappellera sans doute l'histoire de la cr?ation par Mo?se.
Les blancs ont beaucoup aid? ? rendre les traditions des aborig?nes plus obscures, par leur manie de corrompre les noms. Ainsi, le nom qui sert de titre ? cet ouvrage a subi les divers changements de Mahicanni, Mohicans et Mohegans; ce dernier est commun?ment adopt? par les blancs. Lorsqu'on se rappelle que les Hollandais, qui s'?tablirent les premiers ? New-York, les Anglais et les Fran?ais, donn?rent tous des noms aux tribus qui habit?rent le pays o? se passe la sc?ne de ce roman, et que les Indiens non seulement donnaient souvent diff?rents noms ? leurs ennemis, mais ? eux-m?mes, on comprendra facilement la cause de la confusion.
Dans cet ouvrage, Lenni, Lenape, Lenope, Delawares, Wapanachki et Mohicans sont le m?me peuple, ou tribus de la m?me origine. Les Mengwe, les Maguas, les Mingoes et les Iroquois, quoique n'?tant pas absolument les m?mes, sont confondus fr?quemment par l'auteur de ce roman, ?tant r?unis par une m?me politique, et oppos?s ? ceux que nous venons de nommer. Mingo ?tait un terme de reproche, ainsi que Mingwe et Magua dans un moindre degr?. Oneida est le nom d'une tribu particuli?re et puissante de cette conf?d?ration.
Les Mohicans ?taient les possesseurs du pays occup? d'abord par les Europ?ens dans cette partie de l'Am?rique. Ils furent en cons?quence les premiers d?poss?d?s, et le sort in?vitable de ces peuples, qui disparaissaient devant les approches, ou, si nous pouvons nous exprimer ainsi, devant l'invasion de la civilisation, comme la verdure de leurs for?ts vierges tombait devant la gel?e de l'hiver, avait ?t? d?j? accompli ? l'?poque o? commence l'action de ce roman. Il existe assez de v?rit? historique dans le tableau pour justifier l'usage que l'auteur en a fait.
Avant de terminer cette Introduction, il n'est peut-?tre pas inutile de dire un mot d'un personnage important de cette l?gende, et qui est aussi acteur dans deux autres ouvrages du m?me auteur. Repr?senter un individu comme batteur d'estrade dans les guerres pendant lesquelles l'Angleterre et la France se disput?rent l'Am?rique; comme chasseur ? cette ?poque d'activit? qui succ?da si rapidement ? la paix de 1783; et comme un vieux Trappeur dans la Prairie, lorsque la politique de la r?publique abandonna ces immenses solitudes aux entreprises de ces ?tres ? demi sauvages, suspendus entre la soci?t? et les d?serts, c'est fournir po?tiquement un t?moin de la v?rit? de ces changements merveilleux, qui distinguent les progr?s de la nation am?ricaine, ? un degr? jusqu'ici inconnu, et que pourraient attester des centaines de t?moins encore vivants. En cela le roman n'a aucun m?rite comme invention.
L'auteur ne dira rien de plus de ce caract?re, sinon qu'il appartient ? un homme naturellement bon, ?loign? des tentations de la vie civilis?e, bien qu'il n'ait pas enti?rement oubli? ses pr?jug?s, ses le?ons, transplant? parmi les habitudes de la barbarie, peut-?tre am?lior? plut?t que g?t? par ce m?lange, et trahissant alternativement les faiblesses et les vertus de sa situation pr?sente et celles de sa naissance. Un meilleur observateur des r?alit?s de la vie lui aurait peut-?tre donn? moins d'?l?vation morale, mais il e?t ?t? alors moins int?ressant, et le talent d'un auteur de fictions est d'approcher de la po?sie autant que ses facult?s le lui permettent. Apr?s cet aveu, il est presque inutile d'ajouter que l'histoire n'a rien ? d?m?ler avec ce personnage imaginaire. L'auteur a cru qu'il avait assez sacrifi? ? la v?rit? en conservant le langage et le caract?re dramatique n?cessaire ? son r?le.
Le pays qui est indiqu? comme ?tant le th??tre de l'action, a subi quelques changements depuis les ?v?nements historiques qui s'y sont pass?s, ainsi que la plupart des districts d'une ?gale ?tendue, dans les limites des ?tats-Unis. Il y a des eaux ? la mode et o? la foule abonde, dans le m?me lieu o? se trouve la source ? laquelle OEil-de-Faucon s'arr?te pour se d?salt?rer, et des routes traversent la for?t o? il voyageait ainsi que ses amis sans rencontrer un sentier trac?. Glenn a un petit village, et tandis que William-Henry, et m?me une forteresse d'une date plus r?cente, ne se retrouvent plus que comme ruines, il y a un autre village sur les terres de l'Horican. Mais outre cela, un peuple ?nergique et entreprenant, qui a tant fait en d'autres lieux, a fait bien peu dans ceux-ci. L'immense terrain sur lequel eurent lieu les derniers incidents de cette l?gende est presque encore une solitude, quoique les Peaux-Rouges aient enti?rement d?sert? cette partie des ?tats-Unis. De toutes les tribus mentionn?es dans ces pages, il ne reste que quelques individus ? demi civilis?s des Oneidas, ? New-York. Le reste a disparu, soit des r?gions qu'habitaient leurs p?res, soit de la terre enti?re.
Pr?face de la premi?re ?dition
Le lecteur qui commence la lecture de ces volumes dans l'espoir d'y trouver le tableau romanesque et imaginaire de ce qui n'a jamais exist?, l'abandonnera sans doute lorsqu'il se verra tromp? dans son attente. L'ouvrage n'est autre chose que ce qu'annonce son titre, un r?cit, une relation. Cependant, comme il renferme des d?tails qui pourraient n'?tre pas compris de tous les lecteurs, et surtout des lectrices qu'il pourrait trouver, en passant pour une fiction, il est de l'int?r?t de l'auteur d'?claircir ce que les allusions historiques pourraient pr?senter d'obscur. Et c'est pour lui un devoir d'autant plus rigoureux, qu'il a souvent fait la triste exp?rience que, lors m?me que le public ignorerait compl?tement les faits qui vont lui ?tre racont?s, d?s l'instant que vous les soumettez ? son tribunal redoutable, il se trouve individuellement et collectivement, par une esp?ce d'intuition inexplicable, en savoir beaucoup plus que l'auteur lui-m?me. Ce fait est incontestable; eh bien! cependant, qu'un ?crivain se hasarde ? donner ? l'imagination des autres la carri?re qu'il n'aurait d? donner qu'? la sienne, par une contradiction nouvelle il aura presque toujours ? s'en repentir. Tout ce qui peut ?tre expliqu? doit donc l'?tre avec soin, au risque de m?contenter cette classe de lecteurs qui trouvent d'autant plus de plaisir ? parcourir un ouvrage, qu'il leur offre plus d'?nigmes ? deviner ou plus de myst?res ? ?claircir. C'est par l'expos? pr?liminaire des raisons qui l'obligent d?s le d?but ? employer tant de mots inintelligibles que l'auteur commencera la t?che qu'il s'est impos?e. Il ne dira rien que ne sache d?j? celui qui serait le moins vers? du monde dans la connaissance des antiquit?s indiennes.
La plus grande difficult? contre laquelle ait ? lutter quiconque veut ?tudier l'histoire des sauvages indiens, c'est la confusion qui r?gne dans les noms. Si l'on r?fl?chit que les Hollandais, les Anglais et les Fran?ais, en leur qualit? de conqu?rants, se sont permis tour ? tour de grandes libert?s sous ce rapport; que les naturels eux-m?mes parlent non seulement diff?rentes langues, et m?me les dialectes de ces m?mes langues, mais qu'ils aiment en outre ? multiplier les d?nominations, cette confusion causera moins de surprise que de regret; elle pourra servir d'excuse pour ce qui para?trait obscur dans cet ouvrage, quels que soient d'ailleurs les autres d?fauts qu'on puisse lui reprocher.
Les Europ?ens trouv?rent cette r?gion immense qui s'?tend entre le Penobscot et le Potomac, l'Oc?an atlantique et le Mississipi, en la possession d'un peuple qui n'avait qu'une seule et m?me origine. Il est possible que sur un ou deux points les limites de ce vaste territoire aient ?t? ?tendues ou restreintes par les nations environnantes; mais telles en ?taient du moins les bornes naturelles et ordinaires. Ce peuple avait le nom g?n?rique de Wapanachki, mais il affectionnait celui de Lenni Lenape, qu'il s'?tait donn?, et qui signifie <
La tribu poss?dant la contr?e qui forme ? pr?sent la partie sud- ouest de la Nouvelle-Angleterre, et cette portion de New-York qui est ? l'est de la baie d'Hudson, ainsi qu'une grande ?tendue de pays qui se prolongeait encore plus vers le sud, ?tait un peuple puissant appel? <
Les Mohicans ?taient encore subdivis?s en peuplades. Collectivement, ils le disputaient, sous le rapport de l'antiquit?, m?me ? leurs voisins qui poss?daient <
La tribu qui gardait l'enceinte sacr?e de la maison du conseil fut distingu?e pendant longtemps par le titre flatteur de Lenape; mais lorsque les Anglais eurent chang? le nom du fleuve en celui de <
Dans un espace de plusieurs centaines de milles, le long des fronti?res septentrionales de la tribu des Lenapes, habitait un autre peuple qui offrait les m?mes subdivisions, la m?me origine, le m?me langage, et que ses voisins appelaient Mengwe. Ces sauvages du nord ?taient d'abord moins puissants et moins unis entre eux que les Lenapes. Afin de rem?dier ? ce d?savantage, cinq de leurs tribus les plus nombreuses et les plus guerri?res qui se trouvaient le plus pr?s de la maison du conseil de leurs ennemis se ligu?rent ensemble pour se d?fendre mutuellement; et ce sont, par le fait, les plus anciennes R?publiques Unies dont l'histoire de l'Am?rique septentrionale offre quelque trace. Ces tribus ?taient les Mohawks, les Oneidas, les Cenecas, les Cayugas et les Onondagas. Par la suite, une tribu vagabonde de la m?me race, qui s'?tait avanc?e pr?s du soleil, vint se joindre ? eux, et fut admise ? participer ? tous les privil?ges politiques. Cette tribu augmenta tellement leur nombre, que les Anglais chang?rent le nom qu'ils avaient donn? ? la conf?d?ration, et ils ne les appel?rent plus les Cinq, mais les six Nations. On verra dans le cours de cette relation que le mot nation s'applique tant?t ? une tribu et tant?t au peuple entier, dans son acception la plus ?tendue. Les Mengwes ?taient souvent appel?s par les Indiens leurs voisins Maquas, et souvent m?me, par forme de d?rision, Mingos. Les Fran?ais leur donn?rent le nom d'Iroquois, par corruption sans doute de quelqu'une des d?nominations qu'ils prenaient.
Une tradition authentique a conserv? le d?tail des moyens peu honorables que les Hollandais d'un c?t?, et les Mengwes de l'autre, employ?rent pour d?terminer les Lenapes ? d?poser les armes, ? confier enti?rement aux derniers le soin de leur d?fense, en un mot ? n'?tre plus, dans le langage figur? des naturels, que des femmes. Si la politique suivie par les Hollandais ?tait peu g?n?reuse, elle ?tait du moins sans danger. C'est de ce moment que date la chute de la plus grande et de la plus civilis?e des nations indiennes qui occupaient l'emplacement actuel des ?tats- Unis. D?pouill?s par les blancs, opprim?s et massacr?s par les sauvages, ces malheureux continu?rent encore quelque temps ? errer autour de leur maison du conseil, puis, se s?parant par bandes, ils all?rent se r?fugier dans les vastes solitudes qui se prolongent ? l'occident. Semblable ? la clart? de la lampe qui s'?teint, leur gloire ne brilla jamais avec plus d'?clat qu'au moment o? ils allaient ?tre an?antis.
On pourrait donner encore d'autres d?tails sur ce peuple int?ressant, surtout sur la partie la plus r?cente de son histoire; mais l'auteur ne les croit pas n?cessaires au plan de cet ouvrage. La mort du pieux et v?n?rable Heckewelder est sous ce rapport une perte qui ne sera peut-?tre jamais r?par?e. Il avait fait une ?tude particuli?re de ce peuple; longtemps il prit sa d?fense avec autant de z?le que d'ardeur, non moins pour venger sa gloire que pour am?liorer sa condition morale.
Apr?s cette courte Introduction, l'auteur livre son ouvrage au lecteur. Cependant la justice ou du moins la franchise exige de lui qu'il recommande ? toutes les jeunes personnes dont les id?es sont ordinairement resserr?es entre les quatre murs d'un salon, ? tous les c?libataires d'un certain ?ge qui sont sujets ? l'influence du temps, enfin ? tous les membres du clerg?, si ces volumes leur tombent par hasard entre les mains, de ne pas en entreprendre la lecture. Il donne cet avis aux jeunes personnes qu'il vient de d?signer, parce qu'apr?s avoir lu l'ouvrage elles le d?clareraient inconvenant; aux c?libataires, parce qu'il pourrait troubler leur sommeil; aux membres du clerg?, parce qu'ils peuvent mieux employer leur temps.
LE DERNIER DES MOHICANS
HISTOIRE DE MIL SEPT CENT CINQUANTE-SEPT
Ne soyez pas choqu?s de la couleur de mon teint; c'est la livr?e un peu fonc?e de ce soleil br?lant pr?s duquel j'ai pris naissance.
Chapitre premier
Mon oreille est ouverte. Mon coeur est pr?par?; quelque perte que tu puisses me r?v?ler, c'est une perte mondaine; parle, mon royaume est-il perdu?
Shakespeare.
C'?tait un des caract?res particuliers des guerres qui ont eu lieu dans les colonies de l'Am?rique septentrionale, qu'il fallait braver les fatigues et les dangers des d?serts avant de pouvoir livrer bataille ? l'ennemi qu'on cherchait. Une large ceinture de for?ts, en apparence imp?n?trables, s?parait les possessions des provinces hostiles de la France et de l'Angleterre. Le colon endurci aux travaux et l'Europ?en disciplin? qui combattait sous la m?me banni?re, passaient quelquefois des mois entiers ? lutter contre les torrents, et ? se frayer un passage entre les gorges des montagnes, en cherchant l'occasion de donner des preuves plus directes de leur intr?pidit?. Mais, ?mules des guerriers naturels du pays dans leur patience, et apprenant d'eux ? se soumettre aux privations, ils venaient ? bout de surmonter toutes les difficult?s; on pouvait croire qu'avec le temps il ne resterait pas dans le bois une retraite assez obscure, une solitude assez retir?e pour offrir un abri contre les incursions de ceux qui prodiguaient leur sang pour assouvir leur vengeance, ou pour soutenir la politique froide et ?go?ste des monarques ?loign?s de l'Europe.
Sur toute la vaste ?tendue de ces fronti?res il n'existait peut- ?tre aucun district qui p?t fournir un tableau plus vrai de l'acharnement et de la cruaut? des guerres sauvages de cette ?poque, que le pays situ? entre les sources de l'Hudson et les lacs adjacents.
Les facilit?s que la nature y offrait ? la marche des combattants ?taient trop ?videntes pour ?tre n?glig?es. La nappe allong?e du lac Champlain s'?tendait des fronti?res du Canada jusque sur les confins de la province voisine de New-York, et formait un passage naturel dans la moiti? de la distance dont les Fran?ais avaient besoin d'?tre ma?tres pour pouvoir frapper leurs ennemis. En se terminant du c?t? du sud, le Champlain recevait les tributs d'un autre lac, dont l'eau ?tait si limpide que les missionnaires j?suites l'avaient choisie exclusivement pour accomplir les rites purificateurs du bapt?me, et il avait obtenu pour cette raison le titre de lac du Saint-Sacrement. Les Anglais, moins d?vots, croyaient faire assez d'honneur ? ces eaux pures en leur donnant le nom du monarque qui r?gnait alors sur eux, le second des princes de la maison de Hanovre. Les deux nations se r?unissaient ainsi pour d?pouiller les possesseurs sauvages des bois de ses rives, du droit de perp?tuer son nom primitif de lac Horican.
Baignant de ses eaux des ?les sans nombre, et entour? de montagnes, le <
Tandis qu'en poursuivant leurs plans audacieux d'agression et d'entreprise, l'esprit infatigable des Fran?ais cherchait m?me ? se frayer un passage par les gorges lointaines et presque impraticables de l'Alleghany, on peut bien croire qu'ils n'oubli?rent point les avantages naturels qu'offrait le pays que nous venons de d?crire. Il devint de fait l'ar?ne sanglante dans laquelle se livr?rent la plupart des batailles qui avaient pour but de d?cider de la souverainet? sur les colonies. Des forts furent construits sur les diff?rents points qui commandaient les endroits o? le passage ?tait le plus facile, et ils furent pris, repris, ras?s et reconstruits, suivant les caprices de la victoire ou les circonstances. Le cultivateur, s'?cartant de ce local dangereux, reculait jusque dans l'enceinte des ?tablissements plus anciens; et des arm?es plus nombreuses que celles qui avaient souvent dispos? de la couronne dans leurs m?res-patries s'ensevelissaient dans ces for?ts, dont on ne voyait jamais revenir les soldats qu'?puis?s de fatigue ou d?courag?s par leurs d?faites, semblables enfin ? des fant?mes sortis du tombeau.
Quoique les arts de la paix fussent inconnus dans cette fatale r?gion, les for?ts ?taient anim?es par la pr?sence de l'homme. Les vallons et les clairi?res retentissaient des sons d'une musique martiale, et les ?chos des montagnes r?p?taient les cris de joie d'une jeunesse vaillante et inconsid?r?e, qui les gravissait, fi?re de sa force et de sa gaiet?, pour s'endormir bient?t dans une longue nuit d'oubli.
Ce fut sur cette sc?ne d'une lutte sanglante que se pass?rent les ?v?nements que nous allons essayer de rapporter, pendant la troisi?me ann?e de la derni?re guerre que se firent la France et la Grande-Bretagne, pour se disputer la possession d'un pays qui heureusement ?tait destin? ? n'appartenir un jour ni ? l'une ni ? l'autre.
L'incapacit? de ses chefs militaires, et une fatale absence d'?nergie dans ses conseils ? l'int?rieur, avaient fait d?choir la Grande-Bretagne de cette ?l?vation ? laquelle l'avaient port?e l'esprit entreprenant et les talents de ses anciens guerriers et hommes d'?tat. Elle n'?tait plus redout?e par ses ennemis, et ceux qui la servaient perdaient rapidement cette confiance salutaire d'o? na?t le respect de soi-m?me. Sans avoir contribu? ? amener cet ?tat de faiblesse, et quoique trop m?pris?s pour avoir ?t? les instruments de ses fautes, les colons supportaient naturellement leur part de cet abaissement mortifiant. Tout r?cemment ils avaient vu une arm?e d'?lite, arriv?e de cette contr?e, qu'ils respectaient comme leur m?re-patrie, et qu'ils avaient regard?e comme invincible; une arm?e conduite par un chef que ses rares talents militaires avaient fait choisir parmi une foule de guerriers exp?riment?s, honteusement mise en d?route par une poign?e de Fran?ais et d'Indiens, et n'ayant ?vit? une destruction totale que par le sang-froid et le courage d'un jeune Virginien dont la renomm?e, grandissant avec les ann?es, s'est r?pandue depuis jusqu'aux pays les plus lointains de la chr?tient? avec l'heureuse influence qu'exerce la vertu.
Ce d?sastre inattendu avait laiss? ? d?couvert une vaste ?tendue de fronti?res, et des maux plus r?els ?taient pr?c?d?s par l'attente de mille dangers imaginaires. Les colons alarm?s croyaient entendre les hurlements des sauvages se m?ler ? chaque bouff?e de vent qui sortait en sifflant des immenses for?ts de l'ouest. Le caract?re effrayant de ces ennemis sans piti? augmentait au del? de tout ce qu'on pourrait dire les horreurs naturelles de la guerre. Des exemples sans nombre de massacres r?cents ?taient encore vivement grav?s dans leur souvenir; et dans toutes les provinces il n'?tait personne qui n'e?t ?cout? avec avidit? la relation ?pouvantable de quelque meurtre commis pendant les t?n?bres, et dont les habitants des for?ts ?taient les principaux et les barbares acteurs. Tandis que le voyageur cr?dule et exalt? racontait les chances hasardeuses qu'offraient les d?serts, le sang des hommes timides se gla?ait de terreur, et les m?res jetaient un regard d'inqui?tude sur les enfants qui sommeillaient en s?ret?, m?me dans les plus grandes villes. En un mot, la crainte, qui grossit tous les objets, commen?a ? l'emporter sur les calculs de la raison et sur le courage. Les coeurs les plus hardis commenc?rent ? croire que l'?v?nement de la lutte ?tait incertain, et l'on voyait s'augmenter tous les jours le nombre de cette classe abjecte qui croyait d?j? voir toutes les possessions de la couronne d'Angleterre en Am?rique au pouvoir de ses ennemis chr?tiens, ou d?vast?es par les incursions de leurs sauvages alli?s.
Quand donc on apprit au fort qui couvrait la fin du portage situ? entre l'Hudson et les lacs, qu'on avait vu Montcalm remonter le Champlain avec une arm?e aussi nombreuse que les feuilles des arbres des for?ts, on ne douta nullement que ce rapport ne f?t vrai, et on l'?couta plut?t avec cette l?che consternation de gens cultivant les arts de la paix, qu'avec la joie tranquille qu'?prouve un guerrier en apprenant que l'ennemi se trouve ? port?e de ses coups.
Cette nouvelle avait ?t? apport?e vers la fin d'un jour d'?t? par un courrier indien charg? aussi d'un message de Munro, commandant le fort situ? sur les bords du Saint-Lac, qui demandait qu'on lui envoy?t un renfort consid?rable, sans perdre un instant. On a d?j? dit que l'intervalle qui s?parait les deux postes n'?tait pas tout ? fait de cinq lieues. Le chemin, ou plut?t le sentier qui communiquait de l'un ? l'autre, avait ?t? ?largi pour que les chariots pussent y passer, de sorte que la distance que l'enfant de la for?t venait de parcourir en deux heures de temps, pouvait ais?ment ?tre franchie par un d?tachement de troupes avec munitions et bagages, entre le lever et le coucher du soleil d'?t?.
Les fid?les serviteurs de la couronne d'Angleterre avaient nomm? l'une de ces citadelles des for?ts William-Henry, et l'autre ?douard, noms des deux princes de la famille r?gnante. Le v?t?ran ?cossais que nous venons de nommer avait la garde du premier avec un r?giment de troupes provinciales, r?ellement beaucoup trop faibles pour faire face ? l'arm?e formidable que Montcalm conduisait vers ses fortifications de terre; mais le second fort ?tait command? par le g?n?ral Webb, qui avait sous ses ordres les arm?es du roi dans les provinces du nord, et sa garnison ?tait de cinq mille hommes. En r?unissant les divers d?tachements qui ?taient ? sa disposition, cet officier pouvait ranger en bataille une force d'environ le double de ce nombre contre l'entreprenant Fran?ais, qui s'?tait hasard? si imprudemment loin de ses renforts.
Mais, domin?s par le sentiment de leur d?gradation, les officiers et les soldats parurent plus dispos?s ? attendre dans leurs murailles l'arriv?e de leur ennemi qu'? s'opposer ? ses progr?s en imitant l'exemple que les Fran?ais leur avaient donn?, au fort Duquesne, en attaquant l'avant-garde anglaise, audace que la fortune avait couronn?e.
Lorsqu'on fut un peu revenu de la premi?re surprise occasionn?e par cette nouvelle, le bruit se r?pandit dans toute la ligne du camp retranch? qui s'?tendait le long des rives de l'Hudson, et qui formait une cha?ne de d?fense ext?rieure pour le fort, qu'un d?tachement de quinze cents hommes de troupes d'?lite devait se mettre en marche au point du jour pour William-Henry, fort situ? ? l'extr?mit? septentrionale du portage. Ce qui d'abord n'?tait qu'un bruit devint bient?t une certitude, car des ordres arriv?rent du quartier g?n?ral du commandant en chef, pour enjoindre aux corps qu'il avait choisis pour ce service, de se pr?parer promptement ? partir.
Il ne resta donc plus aucun doute sur les intentions de Webb, et pendant une heure ou deux, on ne vit que des figures inqui?tes et des soldats courant ?? et l? avec pr?cipitation. Les novices dans l'art militaire allaient et venaient d'un endroit ? l'autre, et retardaient leurs pr?paratifs de d?part par un empressement dans lequel il entrait autant de m?contentement que d'ardeur. Le v?t?ran, plus exp?riment?, se disposait au d?part avec ce sang- froid qui d?daigne toute apparence de pr?cipitation; quoique ses traits annon?assent le calme, son oeil inquiet laissait assez voir qu'il n'avait pas un go?t bien prononc? pour cette guerre redout?e des for?ts, dont il n'?tait encore qu'? l'apprentissage.
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