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Read Ebook: Le dernier des mohicans: Le roman de Bas-de-cuir by Cooper James Fenimore Defauconpret A J B Auguste Jean Baptiste Translator

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Ebook has 2394 lines and 162334 words, and 48 pages

Il ne resta donc plus aucun doute sur les intentions de Webb, et pendant une heure ou deux, on ne vit que des figures inqui?tes et des soldats courant ?? et l? avec pr?cipitation. Les novices dans l'art militaire allaient et venaient d'un endroit ? l'autre, et retardaient leurs pr?paratifs de d?part par un empressement dans lequel il entrait autant de m?contentement que d'ardeur. Le v?t?ran, plus exp?riment?, se disposait au d?part avec ce sang- froid qui d?daigne toute apparence de pr?cipitation; quoique ses traits annon?assent le calme, son oeil inquiet laissait assez voir qu'il n'avait pas un go?t bien prononc? pour cette guerre redout?e des for?ts, dont il n'?tait encore qu'? l'apprentissage.

Enfin le soleil se coucha parmi des flots de lumi?re derri?re les montagnes lointaines situ?es ? l'occident, et lorsque l'obscurit? ?tendit son voile sur la terre en cet endroit retir?, le bruit des pr?paratifs de d?part diminua peu ? peu. La derni?re lumi?re s'?teignit enfin sous la tente de quelque officier; les arbres jet?rent des ombres plus ?paisses sur les fortifications et sur la rivi?re, et il s'?tablit dans tout le camp un silence aussi profond que celui qui r?gnait dans la vaste for?t.

Suivant les ordres donn?s la soir?e pr?c?dente, le sommeil de l'arm?e fut interrompu par le roulement du tambour, que les ?chos r?p?t?rent, et dont l'air humide du matin porta le bruit de toutes parts jusque dans la for?t, ? l'instant o? le premier rayon du jour commen?ait ? dessiner la verdure sombre et les formes irr?guli?res de quelques grands pins du voisinage sur l'azur plus pur de l'horizon oriental. En un instant tout le camp fut en mouvement, jusqu'au dernier soldat; chacun voulait ?tre t?moin du d?part de ses camarades, des incidents qui pourraient l'accompagner, et jouir d'un moment d'enthousiasme.

Le d?tachement choisi fut bient?t en ordre de marche. Les soldats r?guliers et soudoy?s de la couronne prirent avec fiert? la droite de la ligne, tandis que les colons, plus humbles, se rangeaient sur la gauche avec une docilit? qu'une longue habitude leur avait rendue facile. Les ?claireurs partirent; une forte garde pr?c?da et suivit les lourdes voitures qui portaient le bagage; et d?s le point du jour le corps principal des combattants se forma en colonne, et partit du camp avec une apparence de fiert? militaire qui servit ? assoupir les appr?hensions de plus d'un novice qui allait faire ses premi?res armes. Tant qu'ils furent en vue de leurs camarades, on les vit conserver le m?me ordre et la m?me tenue. Enfin le son de leurs fifres s'?loigna peu ? peu, et la for?t sembla avoir englouti la masse vivante qui venait d'entrer dans son sein.

La brise avait cess? d'apporter aux oreilles des soldats rest?s dans le camp le bruit de la marche de la colonne invisible qui s'?loignait; le dernier des tra?neurs avait d?j? disparu ? leurs yeux; mais on voyait encore des signes d'un autre d?part devant une cabane construite en bois, d'une grandeur peu ordinaire, et devant laquelle ?taient en faction des sentinelles connues pour garder la personne du g?n?ral anglais. Pr?s de l? ?taient six chevaux capara?onn?s de mani?re ? prouver que deux d'entre eux au moins ?taient destin?s ? ?tre mont?s par des femmes d'un rang qu'on n'?tait pas habitu? ? voir p?n?trer si avant dans les lieux d?serts de ce pays. Un troisi?me portait les harnais et les armes d'un officier de l'?tat-major. La simplicit? des accoutrements des autres et les valises dont ils ?taient charg?s prouvaient qu'ils ?taient destin?s ? des domestiques qui semblaient attendre d?j? le bon plaisir de leurs ma?tres. ? quelque distance de ce spectacle extraordinaire il s'?tait form? plusieurs groupes de curieux et d'oisifs; les uns admirant l'ardeur et la beaut? du noble cheval de bataille, les autres regardant ces pr?paratifs avec l'air presque stupide d'une curiosit? vulgaire. Il y avait pourtant parmi eux un homme qui, par son air et ses gestes, faisait une exception marqu?e ? ceux qui composaient cette derni?re classe de spectateurs.

L'ext?rieur de ce personnage ?tait d?favorable au dernier point, sans offrir aucune difformit? particuli?re. Debout, sa taille surpassait celle de ses compagnons; assis, il paraissait r?duit au-dessous de la stature ordinaire de l'homme. Tous ses membres offraient le m?me d?faut d'ensemble. Il avait la t?te grosse, les ?paules ?troites, les bras longs, les mains petites et presque d?licates, les cuisses et les jambes gr?les, mais d'une longueur d?mesur?e, et ses genoux monstrueux l'?taient moins encore que les deux pieds qui soutenaient cet ?trange ensemble.

Les v?tements mal assortis de cet individu ne servaient qu'? faire ressortir encore davantage le d?faut ?vident de ses proportions. Il avait un habit bleu de ciel, ? pans larges et courts, ? collet bas; il portait des culottes collantes de maroquin jaune, et nou?es ? la jarreti?re par une bouffette fl?trie de rubans blancs; des bas de coton ray?s, et des souliers ? l'un desquels ?tait attach? un ?peron, compl?taient le costume de la partie inf?rieure de son corps. Rien n'en ?tait d?rob? aux yeux; au contraire, il semblait s'?tudier ? mettre en ?vidence toutes ses beaut?s, soit par simplicit?, soit par vanit?. De la poche ?norme d'une grande veste de soie plus qu'? demi us?e et orn?e d'un grand galon d'argent terni, sortait un instrument qui, vu dans une compagnie aussi martiale, aurait pu passer pour quelque engin de guerre dangereux et inconnu. Quelque petit qu'il f?t, cet instrument avait excit? la curiosit? de la plupart des Europ?ens qui se trouvaient dans le camp, quoique la plupart des colons le maniassent sans crainte et m?me avec la plus grande familiarit?. Un ?norme chapeau, de m?me forme que ceux que portaient les eccl?siastiques depuis une trentaine d'ann?es, pr?tait une sorte de dignit? ? une physionomie qui annon?ait plus de bont? que d'intelligence, et qui avait ?videmment besoin de ce secours artificiel pour soutenir la gravit? de quelque fonction extraordinaire.

Tandis que les diff?rents groupes de soldats se tenaient ? quelque distance de l'endroit o? l'on voyait ces nouveaux pr?paratifs de voyage, par respect pour l'enceinte sacr?e du quartier g?n?ral de Webb, le personnage que nous venons de d?crire s'avan?a au milieu des domestiques, qui attendaient avec les chevaux, dont il faisait librement la censure et l'?loge, suivant que son jugement trouvait occasion de les louer ou de les critiquer.

-- Je suis port? ? croire, l'ami, dit-il d'une voix aussi remarquable par sa douceur que sa personne l'?tait par le d?faut de ses proportions, que cet animal n'est pas n? en ce pays, et qu'il vient de quelque contr?e ?trang?re, peut-?tre de la petite ?le au del? des mers. Je puis parler de pareilles choses, sans me vanter, car j'ai vu deux ports, celui qui est situ? ? l'embouchure de la Tamise et qui porte le nom de la capitale de la vieille Angleterre, et celui qu'on appelle Newhaven; et j'y ai vu les capitaines de senaux et de brigantins charger leurs b?timents d'une foule d'animaux ? quatre pieds, comme dans l'arche de No?, pour aller les vendre ? la Jama?que; mais jamais je n'ai vu un animal qui ressembl?t si bien au cheval de guerre d?crit dans l'?criture:

-- <> -- Il semblerait que la race des chevaux d'Isra?l s'est perp?tu?e jusqu'? nos jours. Ne le pensez-vous pas, l'ami?

Ne recevant aucune r?ponse ? ce discours extraordinaire, qui ? la v?rit?, ?tant prononc? d'une voix sonore quoique douce, semblait m?riter quelque attention, celui qui venait d'emprunter ainsi le langage des livres saints leva les yeux sur l'?tre silencieux auquel il s'?tait adress? par hasard, et il trouva un nouveau sujet d'admiration dans l'individu sur qui tomb?rent ses regards. Ils restaient fix?s sur la taille droite et raide du coureur indien qui avait apport? au camp de si f?cheuses nouvelles la soir?e pr?c?dente. Quoique ses traits fussent dans un ?tat de repos complet, et qu'il sembl?t regarder avec une apathie sto?que la sc?ne bruyante et anim?e qui se passait autour de lui, on remarquait en lui, au milieu de sa tranquillit?, un air de fiert? sombre fait pour attirer des yeux plus clairvoyants que ceux de l'homme qui le regardait avec un ?tonnement qu'il ne cherchait pas ? cacher. L'habitant des for?ts portait le tomahawk et le couteau de sa tribu, et cependant son ext?rieur n'?tait pas tout ? fait celui d'un guerrier. Au contraire, toute sa personne avait un air de n?gligence semblable ? celle qui aurait pu ?tre la suite d'une grande fatigue dont il n'aurait pas encore ?t? compl?tement remis. Les couleurs dont les sauvages composent le tatouage de leur corps quand ils s'appr?tent ? combattre, s'?taient fondues et m?lang?es sur des traits qui annon?aient la fiert?, et leur donnaient un caract?re encore plus repoussant; son oeil seul, brillant comme une ?toile au milieu des nuages qui s'amoncellent dans le ciel, conservait tout son feu naturel et sauvage. Ses regards p?n?trants, mais circonspects, rencontr?rent un instant ceux de l'Europ?en, et chang?rent aussit?t de direction, soit par astuce, soit par d?dain.

Il est impossible de dire quelle remarque ce court instant de communication silencieuse entre deux ?tres si singuliers aurait inspir?e au grand Europ?en, si la curiosit? active de celui-ci ne se f?t port?e vers d'autres objets. Un mouvement g?n?ral qui se fit parmi les domestiques, et le son de quelques voix douces, annonc?rent l'arriv?e de celles qu'on attendait pour mettre la cavalcade en marche. L'admirateur du beau cheval de guerre fit aussit?t quelques pas en arri?re pour aller rejoindre une petite jument maigre ? tous crins, qui paissait un reste d'herbe fan?e dans le camp. Appuyant un coude sur une couverture qui tenait lieu de selle, il s'arr?ta pour voir le d?part, tandis qu'un poulain achevait tranquillement son repas du matin de l'autre c?t? de la m?re.

Un jeune homme, avec l'uniforme des troupes royales, conduisit vers leurs coursiers deux dames qui, ? en juger par leur costume, se disposaient ? braver les fatigues d'un voyage ? travers les bois. L'une d'elles, celle qui paraissait la plus jeune, quoique toutes deux fussent encore dans leur jeunesse, laissa entrevoir son beau teint, ses cheveux blonds, ses yeux d'un bleu fonc?, tandis qu'elle permettait ? l'air du matin d'?carter le voile vert attach? ? son chapeau de castor. Les teintes dont on voyait encore au-dessus des pins l'horizon charg? du c?t? de l'orient, n'?taient ni plus brillantes ni plus d?licates que les couleurs de ses joues, et le beau jour qui commen?ait n'?tait pas plus attrayant que le sourire anim? qu'elle accorda au jeune officier tandis qu'il l'aidait ? se mettre en selle. La seconde, qui semblait obtenir une part ?gale des attentions du galant militaire, cachait ses charmes aux regards des soldats avec un soin qui paraissait annoncer l'exp?rience de quatre ? cinq ann?es de plus. On pouvait pourtant voir que toute sa personne, dont la gr?ce ?tait relev?e par son habit de voyage, avait plus d'embonpoint et de maturit? que celle de sa compagne.

D?s qu'elles furent en selle, le jeune officier sauta lestement sur son beau cheval de bataille, et tous trois salu?rent Webb, qui, par politesse, resta ? la porte de sa cabane jusqu'? ce qu'ils fussent partis. D?tournant alors la t?te de leurs chevaux, ils prirent l'amble, suivis de leurs domestiques, et se dirig?rent vers la sortie septentrionale du camp.

Pendant qu'elles parcouraient cette courte distance, on ne les entendit pas prononcer une parole; seulement la plus jeune des deux dames poussa une l?g?re exclamation lorsque le coureur indien passa inopin?ment pr?s d'elle pour se mettre en avant de la cavalcade sur la route militaire. Ce mouvement subit de l'Indien n'arracha pas un cri d'effroi ? la seconde, mais dans sa surprise elle laissa aussi son voile se soulever, et ses traits indiquaient en m?me temps la piti?, l'admiration et l'horreur, tandis que ses yeux noirs suivaient tous les mouvements du sauvage. Les cheveux de cette dame ?taient noirs et brillants comme le plumage du corbeau; son teint n'?tait pas brun, mais color?; cependant il n'y avait rien de vulgaire ni d'outr? dans cette physionomie parfaitement r?guli?re et pleine de dignit?. Elle sourit comme de piti? du moment d'oubli auquel elle s'?tait laiss? entra?ner, et en souriant, elle montra des dents d'une blancheur ?clatante. Rabattant alors son voile, elle baissa la t?te, et continua ? marcher en silence, comme si ses pens?es eussent ?t? occup?es de toute autre chose que de la sc?ne qui l'entourait.

Chapitre II

Seule, seule! Quoi! seule?

Shakespeare.

Tandis qu'une des aimables dames dont nous venons d'esquisser le portrait, s'?garait ainsi dans ses pens?es, l'autre se remit promptement de la l?g?re alarme qui avait excit? son exclamation; et souriant elle-m?me de sa faiblesse, elle dit sur le ton du badinage, au jeune officier qui ?tait ? son c?t?:

-- Voit-on souvent dans les bois des apparitions de semblables spectres, Heyward? ou ce spectacle est-il un divertissement sp?cial qu'on a voulu nous procurer? En ce dernier cas, la reconnaissance doit nous fermer la bouche; mais, dans le premier, Cora et moi nous aurons grand besoin de recourir au courage h?r?ditaire que nous nous vantons de poss?der, m?me avant que nous rencontrions le redoutable Montcalm.

-- Cet Indien est un coureur de notre arm?e, r?pondit le jeune officier auquel elle s'?tait adress?e, et il peut passer pour un h?ros ? la mani?re de son pays. Il s'est offert pour nous conduire au lac par un sentier peu connu, mais plus court que le chemin que nous serions oblig?s de prendre en suivant la marche lente d'une colonne de troupes, et par cons?quent beaucoup plus agr?able.

-- Cet homme ne me pla?t pas, r?pondit la jeune dame en tressaillant avec un air de terreur affect?e qui en cachait une v?ritable. Sans doute vous le connaissez bien, Duncan, sans quoi vous ne vous seriez pas si enti?rement confi? ? lui?

-- Dites plut?t, Alice, s'?cria Heyward avec feu, que je ne vous aurais pas confi?e ? lui. Oui, je le connais, ou je ne lui aurais pas accord? ma confiance, et surtout en ce moment. Il est, dit-on, Canadien de naissance, et cependant il a servi avec nos amis les Mohawks qui, comme vous le savez, sont une des six nations alli?es. Il a ?t? amen? parmi nous, ? ce que j'ai entendu dire, par suite de quelque incident ?trange dans lequel votre p?re se trouvait m?l?, et celui-ci le traita, dit-on, avec s?v?rit? dans cette circonstance. Mais j'ai oubli? cette vieille histoire; il suffit qu'il soit maintenant notre ami.

-- S'il a ?t? l'ennemi de mon p?re, il me pla?t moins encore, s'?cria Alice, maintenant s?rieusement effray?e. Voudriez-vous bien, lui dire quelques mots, major Heyward, afin que je puisse entendre sa voix? C'est peut-?tre une folie, mais vous m'avez souvent entendue dire que j'accorde quelque confiance au pr?sage qu'on peut tirer du son de la voix humaine.

-- Ce serait peine perdue, r?pliqua le jeune major; il ne r?pondrait probablement que par quelque exclamation. Quoiqu'il comprenne peut-?tre l'anglais, il affecte, comme la plupart des sauvages, de ne pas le savoir, et il daignerait moins que jamais le parler dans un moment o? la guerre exige qu'il d?ploie toute sa dignit?. Mais il s'arr?te: le sentier que nous devons suivre est sans doute pr?s d'ici.

Le major Heyward ne se trompait pas dans sa conjecture. Lorsqu'ils furent arriv?s ? l'endroit o? l'Indien les attendait, celui-ci leur montra de la main un sentier si ?troit que deux personnes ne pouvaient y passer de front, et qui s'enfon?ait dans la for?t qui bordait la route militaire.

-- Voil? donc notre chemin, dit le major en baissant la voix. Ne montrez point de d?fiance, ou vous pourriez faire na?tre le danger que vous appr?hendez.

-- Qu'en pensez-vous, Cora? demanda Alice agit?e par l'inqui?tude; si nous suivions la marche du d?tachement, ne serions-nous pas plus en s?ret?, quelque d?sagr?ment qu'il p?t en r?sulter?

-- Ne connaissant pas les coutumes des sauvages, Alice, dit Heyward, vous vous m?prenez sur le lieu o? il peut exister quelque danger. Si les ennemis sont d?j? arriv?s sur le portage, ce qui n'est nullement probable puisque nous avons des ?claireurs en avant, ils se tiendront sur les flancs du d?tachement pour attaquer les tra?neurs et ceux qui pourront s'?carter. La route du corps d'arm?e est connue, mais la n?tre ne peut l'?tre, puisqu'il n'y a pas une heure qu'elle a ?t? d?termin?e.

-- Faut-il nous m?fier de cet homme parce que ses mani?res ne sont pas les n?tres, et que sa peau n'est pas blanche? demanda froidement Cora.

Alice n'h?sita plus, et donnant un coup de houssine ? son narrangaset, elle fut la premi?re ? suivre le coureur et ? entrer dans le sentier ?troit et obscur, o? ? chaque instant des buissons g?naient la marche. Le jeune homme regarda Cora avec une admiration manifeste, et laissant passer sa compagne plus jeune, mais non plus belle, il s'occupa ? ?carter lui-m?me les branches des arbres pour que celle qui le suivait p?t passer avec plus de facilit?. Il para?t que les domestiques avaient re?u leurs instructions d'avance, car au lieu d'entrer dans le bois, ils continu?rent ? suivre la route qu'avait prise le d?tachement. Cette mesure, dit Heyward, avait ?t? sugg?r?e par la sagacit? de leur guide, afin de laisser moins de traces de leur passage, si par hasard quelques sauvages canadiens avaient p?n?tr? si loin en avant de l'arm?e.

Pendant quelques minutes le chemin fut trop embarrass? par les broussailles pour que les voyageurs pussent converser; mais lorsqu'ils eurent travers? la lisi?re du bois, ils se trouv?rent sous une vo?te de grands arbres que les rayons du soleil ne pouvaient percer, mais o? le chemin ?tait plus libre. D?s que le guide reconnut que les chevaux pouvaient s'avancer sans obstacle, il prit une marche qui tenait le milieu entre le pas et le trot, de mani?re ? maintenir toujours ? l'amble les coursiers de ceux qui le suivaient.

Le jeune officier venait de tourner la t?te pour adresser quelques mots ? sa campagne aux yeux noirs, quand un bruit, annon?ant la marche de quelques chevaux, se fit entendre dans le lointain. Il arr?ta son coursier sur-le-champ, ses deux compagnes l'imit?rent, et l'on fit une halte pour chercher l'explication d'un ?v?nement auquel on ne s'attendait pas.

Apr?s quelques instants, ils virent un poulain courant comme un daim ? travers les troncs des pins, et le moment d'apr?s ils aper?urent l'individu dont nous avons d?crit la conformation singuli?re dans le chapitre pr?c?dent, s'avan?ant avec toute la vitesse qu'il pouvait donner ? sa maigre monture sans en venir avec elle ? une rupture ouverte. Pendant le court trajet qu'ils avaient eu ? faire depuis le quartier g?n?ral de Webb jusqu'? la sortie du camp, nos voyageurs n'avaient pas eu occasion de remarquer le personnage bizarre qui s'approchait d'eux en ce moment. S'il poss?dait le pouvoir d'arr?ter les yeux qui par hasard tombaient un instant sur lui, quand il ?tait ? pied avec tous les avantages glorieux de sa taille colossale, les gr?ces qu'il d?ployait comme cavalier n'?taient pas moins remarquables.

Quoiqu'il ne cess?t d'?peronner les flancs de sa jument, tout ce qu'il pouvait obtenir d'elle ?tait un mouvement de galop des jambes de derri?re, que celles de devant secondaient un instant, apr?s quoi celles-ci, reprenant le petit trot, donnaient aux autres un exemple qu'elles ne tardaient pas ? suivre. Le changement rapide de l'un de ces deux pas en l'autre formait une sorte d'illusion d'optique, au point que le major, qui se connaissait parfaitement en chevaux, ne pouvait d?couvrir quelle ?tait l'allure de celui que son cavalier pressait avec tant de pers?v?rance pour arriver de son c?t?.

Les mouvements de l'industrieux cavalier n'?taient pas moins bizarres que ceux de sa monture. ? chaque changement d'?volution de celle-ci, le premier levait sa grande taille sur ses ?triers, ou se laissait retomber comme accroupi, produisant ainsi, par l'allongement ou le raccourcissement de ses grandes jambes, une telle augmentation ou diminution de stature, qu'il aurait ?t? impossible de conjecturer quelle pouvait ?tre sa taille v?ritable. Si l'on ajoute ? cela qu'en cons?quence des coups d'?peron r?it?r?s et qui frappaient toujours du m?me c?t?, la jument paraissait courir plus vite de ce c?t? que de l'autre, et que le flanc maltrait? ?tait constamment indiqu? par les coups de queue qui le balayaient sans cesse, nous aurons le tableau de la monture et du ma?tre.

Le front m?le et ouvert d'Heyward ?tait devenu sombre; mais il s'?claircit peu ? peu quand il put distinguer cette figure originale, et ses l?vres laiss?rent ?chapper un sourire quand l'?tranger ne fut plus qu'? quelques pas de lui. Alice ne fit pas de grands efforts pour retenir un ?clat de rire, et les yeux noirs et pensifs de Cora brill?rent m?me d'une gaiet? que l'habitude plut?t que la nature parut contribuer ? mod?rer.

-- Cherchez-vous quelqu'un ici? demanda Heyward ? l'inconnu, quand celui-ci ralentit son pas en arrivant pr?s de lui. J'esp?re que vous n'?tes pas un messager de mauvaises nouvelles?

-- Oui, sans doute, r?pondit celui-ci en se servant de son castor triangulaire pour produire une ventilation dans l'air concentr? de la for?t, et laissant ses auditeurs incertains ? laquelle des deux questions du major cette r?ponse devait s'appliquer. -- Oui, sans doute, r?p?ta-t-il apr?s s'?tre rafra?chi le visage et avoir repris haleine, je cherche quelqu'un. J'ai appris que vous vous rendiez ? William-Henry, et comme j'y vais aussi, j'ai conclu qu'une augmentation de bonne compagnie ne pouvait qu'?tre agr?able des deux c?t?s.

-- Le partage des voix ne pourrait se faire avec justice; nous sommes trois, et vous n'avez ? consulter que vous-m?me.

-- Il n'y aurait pas plus de justice ? laisser un homme seul se charger du soin de deux jeunes dames, r?pliqua l'?tranger d'un ton qui semblait tenir le milieu entre la simplicit? et la causticit? vulgaire. Mais si c'est un v?ritable homme, et que ce soient de v?ritables femmes, elles ne songeront qu'? se d?piter l'une l'autre, et adopteront par esprit de contradiction l'avis de leur compagnon. Ainsi donc vous n'avez pas plus de consultation ? faire que moi.

La jolie Alice baissa la t?te presque sur la bride de son cheval, pour se livrer en secret ? un nouvel acc?s de gaiet?; elle rougit quand les roses plus vives des joues de sa belle compagne p?lirent tout ? coup, et elle se remit en marche au petit pas, comme si elle e?t d?j? ?t? ennuy?e de cette entrevue.

-- Si vous avez dessein d'aller au lac, dit Heyward avec hauteur, vous vous ?tes tromp? de route. Le chemin est au moins ? un demi- mille derri?re vous.

-- Je le sais, r?pliqua l'inconnu sans se laisser d?concerter par ce froid accueil; j'ai pass? une semaine ? ?douard, et il aurait fallu que je fusse muet pour ne pas prendre des informations sur la route que je devais suivre; et si j'?tais muet, adieu ma profession. Apr?s une esp?ce de grimace, mani?re indirecte d'exprimer modestement sa satisfaction d'un trait d'esprit qui ?tait parfaitement inintelligible pour ses auditeurs, il ajouta avec le ton de gravit? convenable: -- Il n'est pas ? propos qu'un homme de ma profession se familiarise trop avec ceux qu'il est charg? d'instruire, et c'est pourquoi je n'ai pas voulu suivre la marche du d?tachement. D'ailleurs, j'ai pens? qu'un homme de votre rang doit savoir mieux que personne quelle est la meilleure route, et je me suis d?cid? ? me joindre ? votre compagnie, pour vous rendre le chemin plus agr?able par un entretien amical.

-- C'est une d?cision tr?s arbitraire et prise un peu ? la h?te, s'?cria le major, ne sachant s'il devait se mettre en col?re ou ?clater de rire. Mais vous parlez d'instruction, de profession; seriez-vous adjoint au corps provincial comme ma?tre de la noble science de la guerre? ?tes-vous un de ces hommes qui tracent des lignes et des angles pour expliquer les myst?res des math?matiques?

L'?tranger regarda un instant avec un ?tonnement bien prononc? celui qui l'interrogeait ainsi; et changeant ensuite son air satisfait de lui-m?me pour donner ? ses traits une expression d'humilit? solennelle, il lui r?pondit:

-- J'esp?re n'avoir commis d'offense contre personne, et je n'ai pas d'excuses ? faire, n'ayant commis aucun p?ch? notable depuis la derni?re fois que j'ai pri? Dieu de me pardonner mes fautes pass?es. Je n'entends pas bien ce que vous voulez dire relativement aux lignes et aux angles; et quant ? l'explication des myst?res, je la laisse aux saints hommes qui en ont re?u la vocation. Je ne r?clame d'autre m?rite que quelques connaissances dans l'art glorieux d'offrir au ciel d'humbles pri?res et de ferventes actions de gr?ces par le secours de la psalmodie.

-- Cet homme est ?videmment un disciple d'Apollon, s'?cria Alice qui, revenue de son embarras momentan?, s'amusait de cet entretien. Je le prends sous ma protection sp?ciale. Ne froncez pas le sourcil, Heyward, et par complaisance pour mon oreille curieuse, permettez qu'il voyage avec nous. D'ailleurs, ajouta-t- elle en baissant la voix et en jetant un regard sur Cora qui marchait ? pas lents sur les traces de leur guide sombre et silencieux, ce sera un ami ajout? ? notre force en cas d'?v?nement.

-- Croyez-vous, Alice, que je conduirais tout ce que j'aime par un chemin o? je supposerais qu'il pourrait exister le moindre danger ? craindre?

-- Ce n'est pas ? quoi je songe en ce moment, Heyward; mais cet ?tranger m'amuse, et puisqu'il a de la musique dans l'?me, ne soyons pas assez malhonn?tes pour refuser sa compagnie.

Elle lui adressa un regard persuasif, et ?tendit sa houssine en avant. Leurs yeux se rencontr?rent un instant; le jeune officier retarda son d?part pour le prolonger, et Alice ayant baiss? les siens, il c?da ? la douce influence de l'enchanteresse, fit sentir l'?peron ? son coursier, et fut bient?t ? c?t? de Cora.

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