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Read Ebook: Le secret de l'échafaud by Villiers De L Isle Adam Auguste Comte De

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Ebook has 708 lines and 45600 words, and 15 pages

COMTE DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM

LE SECRET DE L'?CHAFAUD

L'AMOUR SUPR?ME

ST-BERNARD.

Ainsi l'humanit?, subissant, ? travers les ?ges, l'enchantement du myst?rieux Amour, palpite ? son seul nom sacr?.

Toujours elle en divinisa l'immuable essence, transparue sous le voile de la vie,--car les espoirs inapais?s ou d??us que laissent au coeur humain les fugitives illusions de l'amour terrestre, lui font toujours pressentir que nul ne peut poss?der son r?el id?al sinon dans la lumi?re cr?atrice d'o? il ?mane.

Et c'est pourquoi bien des amants--oh! les pr?destin?s!--ont su, d?s ici-bas, au d?dain de leurs sens mortels, sacrifier les baisers, renoncer aux ?treintes et, les yeux perdus en une lointaine extase nuptiale, projeter, ensemble, la dualit? m?me de leur ?tre dans les mystiques flammes du Ciel. A ces coeurs ?lus, tout tremp?s de foi, la Mort n'inspire que des battements d'esp?rance; en eux, une sorte d'Amour-ph?nix a consum? la poussi?re de ses ailes pour ne rena?tre qu'immortel: ils n'ont accept? de la terre que l'effort seul qu'elle n?cessite pour s'en d?tacher.

Si donc il est vrai qu'un tel amour ne puisse ?tre exprim? que par qui l'?prouve, et puisque l'aveu, l'analyse ou l'exemple n'en sauraient ?tre qu'auxiliateurs et salubres, celui-l? m?me qui ?crit ces lignes, favoris? qu'il f?t de ce sentiment d'en haut, n'en doit-il pas la fraternelle confidence ? tous ceux qui portent, dans l'?me, un exil?

En v?rit?, ma conscience ne pouvant se d?fendre de le croire, voici, en toute simplicit?, par quels cha?nons de circonstances, de futiles hasards mondains, cette sublime aventure m'arriva.

Ce fut gr?ce ? la parfaite courtoisie de M. le duc de Marmier que je me trouvai, par ce beau soir de printemps de l'ann?e 1868, ? cette f?te donn?e ? l'h?tel des Affaires ?trang?res.

Le duc ?tait alli? ? la maison de M. le marquis de Moustiers, alors aux Affaires. Or, la surveille, ? table, chez l'un de nos amis, j'avais manifest? le d?sir de contempler, par occasion, le monde imp?rial, et M. de Marmier avait pouss? l'urbanit? jusqu'? me venir prendre chez moi, rue Royale, pour me conduire ? cette f?te, o? nous entr?mes sur les dix heures et demie.

Apr?s les pr?sentations d'usage, je quittai mon aimable introducteur et m'orientai.

Le coup d'oeil du bal ?tait ?clatant; les cristaux des lustres lourds flambaient sur des fronts et des sourires officiels; les toilettes fastueuses jetaient des parfums; de la neige vivante palpitait aux bords tout en fleur des corsages; le satin? des ?paules, que des diamants mouillaient de lueurs, miroitait.

Dans le salon principal, o? se formaient des quadrilles, des habits noirs, somm?s de visages c?l?bres, montraient ? demi, sous un parement, l'?clair d'une plaque aux rayons d'or neuf. Des jeunes filles, assises, en toilette de mousseline aux tra?nes enguirland?es, attendaient, le carnet au bout des gants, l'instant d'une contredanse. Ici, des attach?s d'ambassade, aux boutonni?res surcharg?es d'ordres en pierreries, passaient; l?, des officiers g?n?raux, cravat?s de moire rouge et la croix de commandeur en sautoir, complimentaient ? voix basse d'aristocratiques beaut?s de la cour. Le triomphe se lisait dans les yeux de ces ?lus de l'inconstante Fortune.

Dans les salons voisins devisaient des groupes diplomatiques, parmi lesquels on distinguait un camail de pourpre. Des ?trang?res marchaient, attentives, l'?ventail aux l?vres, aux bras de <> de chancelleries; ici, les regards glissaient avec le froid de la pierre. Un vague souci semblait d'ordonnance sur tous les fronts.--En r?sum?, la f?te me paraissait un bal de fant?mes, et je m'imaginais que, d'un moment ? l'autre, l'invisible montreur de ces ombres magiques allait s'?crier fantastiquement dans la coulisse, le sacramentel: <>

Avec l'indolence ennuy?e qu'impose l'?tiquette, je traversai donc cette pi?ce encore et parvins en un petit salon ? peu pr?s d?sert, dont j'entrevoyais ? peine les h?tes. Le balcon d'une vaste crois?e grand'ouverte invitait mon d?sir de solitude; je vins m'y accouder. Et, l?, je laissai mes regards errer au dehors sur tout ce pan du Paris nocturne qui, de l'Arc-de-l'?toile ? Notre-Dame, se d?roulait ? la vue.

Ah! l'?tincelante nuit! De toutes parts, jusqu'? l'horizon, des myriades de lueurs fixes ou mouvantes peuplaient l'espace. Au del? des quais et des ponts sillonn?s de lueurs d'?quipages, les lourds feuillages des Tuileries, en face de la crois?e, remuaient, vertes clart?s, aux souffles du Sud. Au ciel, mille feux br?laient dans le bleu-noir de l'?tendue. Tout en bas, les astrals reflets frissonnaient dans l'eau sombre: la Seine fluait, sous ses arches, avec des lenteurs de lagune. Les plus proches papillons de gaz, ? travers les feuilles claires des arbustes, en paraissaient les fleurs d'or. Une rumeur, dans l'immensit?, s'enflait ou diminuait, respiration de l'?trange capitale: cette houle se m?lait ? cette illumination.

Et des mesures de valses s'envolaient, du brillant des violons, dans la nuit.

Au brusque souvenir du roi dans l'exil, il me vint des pensers de deuil, une tristesse de vivre et le regret de me trouver, moi aussi, le passant de cette f?te. D?j? mon esprit se perdait en cette songerie, lorsque de subits et d?licieux effluves de lilas blancs, tout aupr?s de moi, me firent d?tourner ? demi vers la f?minine pr?sence que, sans doute, ils d?celaient.

Dans l'embrasure, ? ma droite, une jeune femme appuyait son coude gant? ? la draperie de velours grenat ploy?e sur la balustrade.

En v?rit?, son seul aspect, l'impression qui sortait de toute sa personne, me troubl?rent, ? l'instant m?me, au point que j'oubliai toutes les ?blouissantes visions environnantes! O? donc avais-je vu d?j? ce visage?

Oh! comment se pouvait-il qu'une physionomie d'un charme si ?lev?, respirant une si chaste dignit? de coeur, comment se pouvait-il que cette sorte de B?atrix aux regards p?n?tr?s seulement du mystique espoir--c'?tait lisible en elle--se trouv?t ?gar?e en cette mondaine f?te?

Au plus profond de ma surprise, il me sembla, tout ? coup, reconna?tre cette jeune femme; oui, des souvenirs, anciens d?j?, pareils ? des adieux, s'?voquaient autour d'elle! Et, confus?ment, au loin, je revoyais des soir?es d'un automne, pass?es ensemble, jadis, en un vieux ch?teau perdu de la Bretagne, o? la belle douairi?re de Locmaria r?unissait, ? de certains anniversaires, quelques amis familiers.

Peu ? peu, les syllabes, p?lies par la brume des ann?es, d'un nom oubli?, me revinrent ? l'esprit:

--Mademoiselle d'Aubelleyne! me dis-je.

Au temps dont j'avais m?moire, Lysiane d'Aubelleyne ?tait encore une enfant: je n'?tais, moi, qu'un assez ombrageux adolescent et, sous les s?culaires avenues de Locmaria, notre commune sauvagerie, au retour des promenades, nous avait m?nag?, plusieurs fois, des rencontres de hasard ? l'heure du lever des ?toiles. Et--je me rappelais!--la gravit?, si ?trange ? pareils ?ges, de nos causeries, la spiritualit? de leurs sujets pr?f?r?s, nous avaient r?v?l? l'un ? l'autre mille affinit?s d'?me, telles que souvent entre nous, de longs silences, extra-mortels peut-?tre! avaient pass?.

A cette ?poque, depuis d?j? deux ann?es, elle n'avait plus de m?re. Le baron d'Aubelleyne, aussit?t l'atteinte de ce grand deuil, ayant envoy? sa d?mission de commandant de vaisseau, s'?tait retir? tristement, avec ses deux filles, en son patrimonial domaine, et ce n'?tait plus qu'? de rares occasions que l'on se produisait dans le monde des alentours.

Cette r?clusion n'offrait rien qui d?t affliger une jeune fille <>, selon l'expression du pays. Le voeu de <>, que l'on savait ?tre son secret, se lisait en ses yeux aux lueurs de violettes apr?s un orage. En enfant sainte, elle se plaisait, au contraire, dans l'isolement o? sa radieuse primev?re se fanait aupr?s d'un vieillard dont elle all?geait les derni?res m?lancolies. C'?tait volontiers qu'elle s'accoutumait ? vivre ainsi, ?levant sa jeune soeur, s'occupant humblement du ch?teau, de ses chers indigents, des religieuses de la contr?e, d?daigneuse d'un autre avenir.

Dispensatrice, d?j?, d'oeuvres b?nies, elle se r?alisait en cette existence d'aum?nes, de travail et de cantiques, o? la virginit? de son ?tre, ? travers le pur encens de toutes ses pens?es, veillait comme une lampe d'or br?le dans un sanctuaire.

Or, ne nous ?tant jamais revus depuis les heures de ces vagues rencontres en ce ch?teau breton, voici que je la retrouvais, soudainement, ici, ? Paris, devant moi, sur cet officiel balcon nocturne--et que son apparition sortait de cette f?te!

Oui, c'?tait bien elle! Et, maintenant comme autrefois, la douceur des ?tres qui tiennent d?j? de leur ange caract?risait sa pensive beaut?. Elle devait ?tre de vingt-trois ? vingt-quatre ans. Une p?leur natale, inondant l'ovale exquis du visage, s'alliait, ?clair?e par deux rayonnants yeux bleus, ? ses noirs bandeaux lustr?s, orn?s de lilas blancs qui s'?panouissaient avant d'y mourir.

Sa toilette, d'une distinction myst?rieuse, et qui lui seyait par cela m?me, ?tait de soie lam?e, d'un noir ?teint, brod?e d'un fin semis de jais qu'une claire gaze violette voilait de sa sinueuse ?charpe.

Une fr?le guirlande de lilas blancs ondulait, sur son svelte corsage, de la ceinture ? l'?paule: la ti?deur de son ?tre avivait les d?licats parfums de cette parure. Son autre main, pendante sur sa robe, tenait un ?ventail blanc referm?: le tr?s mince fil d'or, qui faisait collier, supportait une petite croix de perles.

Je la consid?rai quelques instants avec une admiration aussi na?ve qu'?tonn?e de sa pr?sence en un milieu si loin d'elle!... Elle parut le comprendre, et aussi me reconna?tre, d'un sourire empreint de cl?mence et de candeur. En effet, les ?tres qui se sentent dignes d'inspirer la noblesse d'un pareil sentiment, l'acceptent avec une d?licatesse infinie. Leur auguste humilit? l'accueille comme un tribut tout simple, tr?s naturel et dont tout l'honneur revient ? Dieu.

Je fis un pas pour me rapprocher d'elle.

--Mademoiselle d'Aubelleyne, lui dis-je, n'a donc pas totalement oubli?, depuis des ann?es, le passant morose qu'elle a rencontr? dans le manoir de Locmaria?

--Je me souviens, en effet, monsieur.

--Vous ?tiez alors une tr?s jeune fille, plus songeuse que triste, plus douce que joyeuse, dont le sourire n'?tait jamais qu'une lueur rapide; et cependant, sous les pures transparences de vos regards d'enfant, oserais-je vous dire que j'avais d?j? presque devin? la femme future, toute voil?e de m?lancolie, qui m'appara?t ce soir?

--Aussi, tout en vous voyant m?l?e ? cette f?te, j'ai le pressentiment que vous en ?tes absente--et que je suis pour vous plus ?tranger que si jamais vous ne m'eussiez connu.--Vraiment, on dirait que, d?j?, vous avez... souffert de la vie?

Elle cessa d'?tre distraite, me regarda, comme pour se rendre compte de la port?e que je voulais donner ? mes paroles, et me r?pondit:

--Non, monsieur,--du moins comme on pourrait l'entendre. Je ne suis point une d?senchant?e, et si je n'ai r?clam?, si je ne d?sire aucune joie de la vie, je comprends que d'autres puissent la trouver belle. Ce soir, par exemple, ne fait-il pas une admirable nuit? Et, d'ici, quelles musiques douces! Tout ? l'heure, dans le salon du bal, j'ai vu deux fianc?s: ils se tenaient par la main, p?les de bonheur; ils s'?pouseront! Ah! ce doit ?tre une joie d'?tre m?re! Et de vivre aim?e, en ber?ant un doux enfant au sourire de lumi?re...

Elle eut comme un soupir et je la vis fermer les yeux.

--Oh! le parfum de ces lilas me fait mal, dit-elle.

Elle se tut, presque ?mue.

J'?tais sur le point de lui demander quel vague regret cachait cette ?motion, lorsque, comme un informe oiseau fait de vent, d'?chos sonores et de t?n?bres, minuit, s'envolant tout ? coup de Notre-Dame, tomba lourdement ? travers l'espace et, d'?glise en ?glise, heurtant les vieilles tours de ses ailes aveugles, s'enfon?a dans l'ab?me, vibra puis disparut.

--On dirait que vos pens?es accompagnent, jusqu'au plus lointain de l'ombre, ces heures qui s'enfuient!

A ces mots, je regardai ma voisine d'isolement avec une sorte d'inqui?te fixit?.

--Certes, r?pondis-je, en vous ?coutant, je reconnais l'?me de l'enfant d'autrefois! Mais, ce qui m'interdit un peu, c'est ce natal et si profond d?sir de d?tachement qui persiste en vous alors que la pleine ?closion de votre jeunesse et le charme myst?rieux de votre beaut? vous donnent des droits ? toutes les joies de ce monde!

--Oh! dit-elle, d'une voix qui me parut comme le son d'une source solitaire cach?e dans une for?t, quelle est la joie, selon le monde, qui ne s'?puise--et ne se noie, par cons?quent, elle-m?me--dans sa propre sati?t?? Est-ce donc m?conna?tre le bienfait de la vie que de n'en point vouloir ?prouver les d?go?ts?--Que sont des plaisirs qui ne se r?alisent jamais, sinon m?l?s d'un essentiel remords?... Et quel plus grand bonheur que de vivre son existence avec une ?me forte, pure, ind??ue--et s'?tant soustraite aux atteintes m?me de toutes mortelles concupiscences pour ne point d?choir de son id?al?

--Il est ais? de se dire forte en se d?robant ? l'?preuve de tous combats.

--Je ne suis qu'une cr?ature humaine, faite de chair et de faiblesses, p?chant, quand m?me, toujours; pourquoi voudrais-je d'autres luttes que celles-l? dont je suis s?re de sortir victorieuse?

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