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Read Ebook: Gertrude et Veronique by Theuriet Andr

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Ebook has 1273 lines and 65980 words, and 26 pages

GERTRUDE ET V?RONIQUE

PAR

ANDR? THEURIET

PARIS

G. CHARPENTIER ET Cie, ?DITEURS

LE SECRET DE GERTRUDE

La journ?e tirait ? sa fin--une pluvieuse journ?e de f?vrier--et bien que le ciel se f?t ?clairci, la lumi?re p?n?trait d?j? avec peine ? travers les carreaux verd?tres de la pi?ce o? se r?unissait chaque soir la famille de Maupri?. Les fen?tres donnaient sur l'unique rue du village; en soulevant le rideau, on pouvait apercevoir la route d?tremp?e par la pluie, la rue tournante, les maisons basses aux toits moussus, l'abside de la vieille ?glise de Lachalade, et dans le fond, la for?t d'Argonne voil?e d'une brume violette. Pr?s de l'une des crois?es, la veuve de David de Maupri? se tenait droite dans son fauteuil et raide dans ses v?tements noirs; sa figure affil?e et pointue se profilait sur la mousseline du rideau, et l'on voyait ses mains s?ches agiter m?caniquement les aiguilles. Sa fille a?n?e, Honorine, ?lanc?e et maigre, surveillait devant la chemin?e la cuisson d'un opiat pour le teint; elle devait avoir pass? la trentaine; la flamme du brasier ?clairait ? demi son visage couperos? et ses yeux noirs encore beaux sous leurs paupi?res d?j? fatigu?es. Un gar?on de vingt-trois ans, nomm? Xavier, ?tait assis ? une table ronde devant un dessin qu'il terminait rapidement. Pr?s de lui, dans l'embrasure de la seconde fen?tre, sa soeur cadette, Reine, les coudes sur les genoux et les mains enfonc?es dans ses ?pais cheveux bruns, profitait des derni?res heures du jour pour d?vorer un roman qui absorbait toute son attention.

L'ombre envahissait de plus en plus la salle, et les meubles qui la garnissaient disparaissaient noy?s dans l'obscurit?. Parfois seulement le feu se ranimait, un jet de flamme lan?ait ?? et l? de l?g?res touches lumineuses, et on distinguait un coin de miroir, un panneau de tapisserie, un portrait enfum? dans son cadre terni, une console ventrue ? poign?es de cuivre, un r?telier d'armes de chasse... Puis la flamme s'?vanouissait et tout se replongeait dans l'ombre, ? l'exception des silhouettes immobiles pr?s des fen?tres.

--Allons, fit Xavier en posant son crayon, on n'y voit plus.

--Reine, dit la soeur a?n?e d'une voix aigre-douce, le souper ne sera jamais pr?t!... Laisse donc ton livre, tu finiras par te perdre les yeux.

Reine feuilleta les derni?res pages de son roman et releva la t?te d'un air de mauvaise humeur.--Si tu as peur pour mes yeux, r?pondit-elle, allume la lampe.

--Nous br?lons d?j? trop d'huile, reprit s?chement Honorine, et tu sais bien que la buire doit nous faire une semaine.

--Reine, dit alors madame de Maupri? d'un ton emphatique, tu ne devrais pas oublier que nous avons de lourdes charges et que nous devons ?tre ?conomes.... Laisse ton roman et occupe-toi des choses utiles.

--Bien parl?, ma m?re! cria une voix rude, et au m?me moment la porte entr'ouverte livra passage au fils a?n?, Gaspard de Maupri?, tandis qu'un chien de chasse vint secouer son poil mouill? jusque sur les jupes de Reine.

Elle jeta son livre avec d?pit, et, repoussant l'?pagneul:--Emm?ne-donc ton chien, dit-elle ? Gaspard, sa place est au chenil et non dans la salle.

--Tout beau, ma pr?cieuse soeur, r?pliqua celui-ci en faisant r?sonner la crosse de son fusil sur les carreaux, Phanor n'est d?plac? nulle part, il gagne sa journ?e, lui, et ne perd pas son temps ? bayer aux corneilles!

Tout en parlant, le chasseur tira de son carnier deux vanneaux qu'il jeta sur la table:--Honorine, porte cela au garde-manger, et mets le couvert, car je meurs de faim.

Puis, d'un geste de ma?tre, il frotta une allumette contre sa manche et alluma la lampe, objet de la contestation. L'apparition de la lumi?re r?tablit le calme dans la salle. La veuve s'approcha avec son tricot, Reine reprit sa lecture, Honorine se mit ? filtrer la liqueur qu'elle avait retir?e du feu; Xavier, seul, resta pr?s de la crois?e, le front appuy? contre la vitre et regardant la route d?serte. Quant ? Gaspard, apr?s avoir d?boucl? ses gu?tres, il avait pris un chiffon de laine et frottait le canon de son fusil en sifflant un air de chasse. La lueur de la lampe ?clairait sa figure osseuse et h?l?e, sa barbe touffue et ses yeux gris per?ants. Personne ne parlait plus et le silence n'?tait interrompu que par le sifflet du chasseur, le balancier de l'horloge dans sa longue bo?te, et les soupirs de l'?pagneul qui s'?tait ?tendu pr?s des chenets.

Quand le fusil fut nettoy?, Gaspard releva la t?te.

--Eh bien! et ce souper? demanda-t-il d'un ton bourru.

--J'attends le lait que Gertrude est all?e chercher ? la Louvi?re, r?pondit Honorine.

--Elle y met le temps, la cousine Gertrude! grommela Gaspard; au sortir du bois je l'ai vue de loin, trottant menu et sautillant de pierre en pierre, comme si le sable du chemin n'?tait pas digne de toucher ses pieds de princesse.... Elle se sera sans doute arr?t?e ? coqueter avec le fils du fermier.

Honorine haussa les ?paules.

--Fi donc! Gaspard, dit-elle, est-ce qu'une fille bien ?lev?e fait attention ? ces gens-l??

Gaspard ?clata de rire:

--Faute de grives on mange des merles, et il faut bien que vous vous contentiez du seul gibier qui soit ? votre port?e.... Toi-m?me, ma soeur, pourquoi uses-tu les oeufs du poulailler ? fabriquer du lait virginal, si ce n'est pour que la blancheur de ton teint ?blouisse ces gens-l??

--Des paysans! fit Reine, et son minois chiffonn? prit une expression d?daigneuse.

--Je ne parle pas pour toi, Reine, continua Gaspard, je connais tes go?ts; tu attends que le fils d'un roi vienne ? deux genoux t'offrir sa main, mais Gertrude est moins ambitieuse.

--Oui, elle est peuple, soupira la cadette, et elle se replongea dans sa lecture.

--Est-ce pour moi que vous dites cela, ma m?re? reprit celui-ci d'un ton rude; pourtant si la verrerie des Bas-Bruaux a ?t? vendue en justice dix ans apr?s votre mariage avec mon p?re, je n'y suis pour rien, et vous en savez l?-dessus plus long que moi... Vous me r?pondrez que j'aurais pu travailler aux Senades, chez les du Tertre; mais j'ai des pr?jug?s, moi aussi, et je n'aime pas ? servir chez les autres!

En entendant cette br?ve repartie, la veuve releva la t?te; ses yeux rencontr?rent ceux de son fils a?n? et une l?g?re rougeur colora ses joues fl?tries.

--A Dieu ne plaise, soupira-t-elle, que je vous adresse un reproche, Gaspard! Vous ?tiez trop jeune lors de la faillite des Bas-Bruaux pour savoir comment les choses se sont pass?es, et je voulais justement vous dire que notre d?confiture ne serait pas arriv?e, si Jacques de Maupri? avait consenti ? s'associer avec nous.... Mais le p?re de Gertrude n'avait pas le culte des traditions de famille; c'?tait un soldat, et sous un certain rapport, il est presque heureux que sa mort ait ramen? ma ni?ce dans un milieu convenable.

--Heureux! murmura Gaspard en se promenant de long en large, heureux!.... pour Gertrude, c'est possible; mais pour nous, qui ?tions d?j? r?duits ? la portion congrue, je ne vois pas quel bonheur l'arriv?e de cette sixi?me bouche a pu apporter dans le m?nage!

--Gertrude est doublement ma ni?ce, r?pliqua la veuve. C'?tait un devoir pour moi de recueillir la fille de Jacques de Maupri? et de ma propre soeur... Qu'eut dit le monde si nous l'eussions laiss?e ? l'abandon? Songez, Gaspard, que vous ?tes son tuteur et que nous sommes responsables de son avenir.

--Morbleu! s'?cria Gaspard, vous me la baillez belle, avec votre responsabilit?!.... N'aviez-vous pas assez ? faire de surveiller Reine qui a la t?te farcie de romans!... Je ne parle pas d'Honorine, qui se garde toute seule, maintenant qu'elle est mont?e en graine....

Honorine eut un beau mouvement d'indignation et laissa tomber son filtre.

--Gaspard, commen?a-t-elle de sa voix la plus aigre, je ne r?pondrai pas ? vos grossi?ret?s, seulement....

Elle allait en dire long, quand Xavier, qui n'avait cess? de regarder dans la rue, tourna vivement la t?te. <> murmura-t-il, et tous se turent.

On entendit en effet un fr?lement de robe et un pas l?ger dans le corridor, puis Gertrude entra dans la salle, son pot au lait ? la main. Elle ?tait blonde, svelte et pouvait avoir dix-neuf ans. Une fanchon de laine blanche, pos?e en pointe sur ses cheveux abondants, encadrait l'ovale d?licatement allong? de son visage, puis retombait sur ses belles ?paules larges et sur sa poitrine doucement agit?e. Elle avait couru; de folles m?ches soyeuses, ?chapp?es ? ses bandeaux, s'?taient soulev?es et formaient une sorte d'aur?ole autour de son front. L'air froid du soir avait aviv? les nuances roses de ses joues, et ses grands yeux brillaient comme de limpides aigues-marines. Tout en elle, depuis la ligne fi?re de sa petite bouche aux coins retrouss?s, jusqu'aux mignonnes attaches de ses mains effil?es et de ses pieds cambr?s, r?v?lait la finesse de sa race. Elle ?tait si charmante, m?me ? la maigre lueur de la lampe, que Xavier ne put retenir un geste d'admiration, ni ses cousines un regard de d?pit.

--Tu es rest?e bien longtemps ? la ferme, dit Honorine en lui prenant des mains le pot au lait.

--Suis-je en retard? r?pondit Gertrude. Attends, je vais t'aider, et nous aurons bien vite rattrap? le temps perdu.--Elle se d?barrassa de sa fanchon, et alla embrasser madame de Maupri? qui lui tendit froidement sa joue.

--Figurez-vous, continua-t-elle, que j'ai rencontr? l'oncle Renaudin!...

A ce nom, toutes les t?tes se lev?rent et chacun ?couta d'un air plus attentif.

--Il suivait la chauss?e de l'?tang, poursuivit Gertrude, j'ai eu peur de me trouver avec lui face ? face, et je suis rest?e ? la lisi?re du bois jusqu'? ce qu'il e?t pass?.... Le pauvre homme ne peut presque plus marcher et j'ai d? attendre longtemps. Il se tra?nait tout courb?.... cela m'a serr? le coeur!

--Je t'engage ? t'apitoyer! s'?cria Reine: il a ?t? si aimable pour nous tous!

--N'importe, c'est notre oncle.... Et il a l'air si cass? et si souffrant!

--Il se fait vieux, dit la veuve, on pr?tend m?me que son esprit se d?range. Il ?tait pourtant bien alerte quand il est revenu ? Lachalade, il y a dix ans.... Je vois encore sa taille droite drap?e dans sa longue redingote, et son air imposant....

--Oui, interrompit Gaspard d'un ton sarcastique, cet air avec lequel il nous cong?dia brutalement d?s notre seconde visite.... Il s'est conduit comme un manant!

--Oh! Gaspard... fit Gertrude.

--Oui, comme un manant, je le r?p?te, car je ne sais pas dorer mes paroles et je ne m?che pas ce que j'ai sur le coeur.... Je le hais!

--Il ne m'a pas mieux re?ue que vous, reprit Gertrude, il ne m'a m?me pas laiss?e parler, quand j'ai ?t? le visiter, ? mon arriv?e ? Lachalade; mais en le voyant se tra?ner p?niblement ce soir sur le chemin pierreux, j'ai ?t? touch?e de piti?, et si j'avais os?, je lui aurais offert mon bras jusqu'? sa porte.

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