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Read Ebook: Gertrude et Veronique by Theuriet Andr

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Ebook has 1273 lines and 65980 words, and 26 pages

--Il ne m'a pas mieux re?ue que vous, reprit Gertrude, il ne m'a m?me pas laiss?e parler, quand j'ai ?t? le visiter, ? mon arriv?e ? Lachalade; mais en le voyant se tra?ner p?niblement ce soir sur le chemin pierreux, j'ai ?t? touch?e de piti?, et si j'avais os?, je lui aurais offert mon bras jusqu'? sa porte.

--Oh! tu es fine, toi! s'?cria Gaspard en ricanant.

--Ce n'est pas de la finesse, c'est du coeur! r?pondit Gertrude bless?e, et en m?me temps des larmes roul?rent dans ses yeux.

Xavier la regarda d'un air ?mu et charm? ? la fois.

--Gertrude a raison, dit-il enfin d'une voix sourde, et j'aurais fait comme elle.

Gaspard le toisa des pieds ? la t?te.

--Silence, morveux, lui cria-t-il; quand on a du coeur, on reste fier; il n'y a que les ?mes basses qui pardonnent les injures!

--Gertrude, dit froidement la veuve en enfon?ant une de ses aiguilles dans ses cheveux gris, la sensibilit? ne doit jamais faire oublier la dignit?; ton oncle t'a repouss?e et nous t'avons accueillie, malgr? nos ressources born?es. En insistant comme tu le fais, tu as l'air de ne pas t'en souvenir.

--Ma tante, ne le croyez pas! s'?cria Gertrude, et, s'agenouillant pr?s de la veuve, elle lui baisa les mains.--Vous avez ?t? bonne pour moi, et mon coeur vous en remercie tout bas ? chaque instant. En disant ces mots elle voulut passer ses bras autour du cou de sa tante, et r?pandre au dehors l'?motion qui gonflait sa poitrine, mais d'un geste, madame de Maupri? ?carta les mains de la jeune fille.

--Assez, mon enfant, tu sais que je n'aime pas les sc?nes sentimentales! dit-elle s?chement.

Gertrude se sentit glac?e, et refoulant sa tendresse au fond de son coeur, elle s'en alla tristement s'asseoir pr?s de la chemin?e.

--Je ne veux faire de le?on ? personne, poursuivit la veuve de son ton emphatique et tranchant, seulement je pense qu'une famille hospitali?re et g?n?reuse a droit ? d'autres ?gards qu'un parent avare et d?natur?, et que se montrer tendre avec lui, c'est nous donner tort ? nous. Je ne fais point parade des sacrifices que je m'impose, mais personne n'ignore que nous vivons de privations depuis cinq ans; depuis cinq ans la vie est dure pour nous,--mes filles en savent quelque chose!...

Gertrude aussi ne l'ignorait pas. Elle ?tait arriv?e ? quatorze ans dans la maison de sa tante, et depuis lors, elle avait silencieusement d?vor? plus d'une humiliation. Elle se le disait, assise sur sa chaise basse, ?touffant ses sanglots et br?lant aux ardeurs du brasier ses paupi?res gonfl?es de larmes. La brass?e de bois vert qu'Honorine venait de jeter sur les chenets se tordait sur la braise et lan?ait de bruyants jets de flamme. Gertrude songeait aux pauvres femmes qui vont dans la for?t ramasser des branches mortes et rentrent le soir, courb?es sous leur fagot. Elle pensait aux filles des charbonniers, qui veillent toute la nuit, accroupies autour des fournaises grondantes. Elle aurait voulu ?tre l'une d'elles. Leur vie si p?nible lui semblait moins mis?rable que la sienne. Elles, au moins, gagnaient leur journ?e, et personne ne leur reprochait le pain qu'elles mangeaient le soir... Pendant qu'elle pensait ? toutes ces tristes choses, sa tante poursuivait impitoyablement l'?num?ration de ses bienfaits et la glorification de sa conduite. Une fois sur cette pente, elle ne s'arr?tait plus, m?lant dans son discours les choses les plus respectables aux d?tails les plus vulgaires. Elle parlait avec le m?me accent des souvenirs de famille, des devoirs de parent? et des menues privations qu'elle s'imposait:--on avait vendu le piano de Reine; elle avait supprim? son chocolat du matin; les bougies avaient ?t? remplac?es par de la chandelle, bien que l'odeur du suif lui f?t insupportable... Puis venaient des retours m?lancoliques vers les jours meilleurs d'autrefois, et des comparaisons navrantes entre le pass? et le pr?sent...

--Encore, ajouta-t-elle en terminant, tout cela ne serait rien si Reine et Honorine ?taient ?tablies. Ah! mes pauvres filles, je crains bien que vous ne coiffiez sainte Catherine!

Cette perspective mettait Reine en fureur.

--Et songer, s'?cria-t-elle avec un geste de d?pit, que si ce ladre d'oncle Renaudin avait voulu, nous aurions pu faire un beau mariage! Cela lui aurait si peu co?t? de nous doter!... Il ne d?pense rien et sa maison regorge de tout.

--Oui, soupira Honorine, lorsque nous lui avons fait visite pour la derni?re fois, les armoires de la salle ?taient ouvertes... Je vois encore les belles piles de linge et les paniers pleins d'argenterie...

--Et le cellier plein de provisions! ajouta la veuve.

--Et les meubles de soie entass?s dans la chambre de r?serve! murmura la cadette.

--Ah! dit Honorine, qui devenait enrag?e rien qu'en ?coutant cette ?num?ration, si l'oncle ne veut plus nous voir, c'est bien votre faute, ? toi et ? Gaspard! Il fallait l'adoucir et le gagner par des ?gards, tandis que vous l'avez irrit? avec vos grands airs et vos plaisanteries. Au lieu de le traiter tout haut d'Harpagon, si Gaspard lui avait port? un li?vre de temps ? autre, tout se serait raccommod?.

Gaspard bondit d'indignation.

--Moi, donner un li?vre ? ce pince-maille! Je pr?f?rerais le jeter ? la gueule de Phanor!... Pour qui me prends-tu? Est-ce qu'un Maupri? se couche ? plat ventre devant un h?ritage?... Tu sais le dicton: <> Mon p?re l'?tait, et bon chien chasse de race. J'aimerais mieux crever dans un foss? que de mendier les bonnes gr?ces d'un croquant qui s'est enrichi en tondant ses moutons et ses d?biteurs, et qui aujourd'hui encore trouverait ? tondre sur un oeuf... Assez sur ce chapitre, ne m'en parle plus et sers-nous ? souper!

Le souper ?tait abondant, et on sentait que le bien vivre ?tait le seul luxe auquel les Maupri? n'avaient pas renonc?.--Un p?t? de li?vre dans sa terrine, un jambonneau dans sa gel?e, une salade de m?ches et un fromage du pays composaient le menu. Gaspard et sa m?re l'arrosaient d'un petit vin du Verdunois; Xavier et les trois filles buvaient de la piquette. Tous avaient bon app?tit, ? l'exception de Gertrude, qui se for?ait pour avaler une bouch?e, et qui semblait absorb?e par ses r?flexions. Gaspard, le dos au feu et son chien Phanor entre les jambes, mangeait comme quatre, buvait d'autant et semblait rass?r?n? par le rayonnement de l'?tre qui lui chauffait les reins, et les rasades de vin qui lui ?gayaient le cerveau; son verbe tranchant s'?tait adouci, et parfois un large ?clat de rire entrecoupait ses propos de chasseur. La conversation roulait le plus souvent sur les souvenirs du temps pass? et sur les familles de verriers avec lesquelles les Maupri? entretenaient des relations de voisinage. Au dessert, Gaspard, mis compl?tement en bonne humeur, fredonna un air de chasse et conta ses exploits de la journ?e. Il ?tait tard quand on se leva de table; Honorine et Gertrude enlev?rent le couvert et chacun s'appr?ta ? gagner son dortoir. Les trois jeunes filles all?rent embrasser madame de Maupri?; Gaspard baisa bruyamment les joues de ses soeurs, puis s'avan?a vers Gertrude.

--Allons, petite cousine, dit-il en lui tendant la main, pas de bouderie!... Faisons la paix!

Gertrude le regarda fixement et r?pondit d'une voix br?ve:

--Cousin Gaspard, je suis fille de verrier, moi aussi, et j'ai de la rancune... Bonsoir.

Gaspard demeurait ?bahi. Elle passa rapidement devant lui pour aller rejoindre ses cousines, puis elle s'approcha de Xavier et murmura, tout en lui souhaitant le bonsoir:

--J'ai besoin de te parler; sois demain de bonne heure ? ton atelier.

C'?tait ce qu'avait fait le capitaine Jacques de Maupri?, p?re de Gertrude; mais ses efforts pour tirer sa famille de l'orni?re n'avaient pas r?ussi. Il ?tait mort trop t?t, et Gertrude, confi?e aux soins de sa tante, ?tait pr?cis?ment tomb?e dans ce milieu d'o? le capitaine avait si ?nergiquement cherch? ? sortir. Comme on l'a vu plus haut, la veuve de Maupri?, qui vivait maigrement d'une rente viag?re de deux mille francs, avait accueilli sa ni?ce sans enthousiasme, et la vie que l'orpheline menait ? Lachalade ?tait des plus p?nibles. Sa nature expansive et affectueuse ?tait sans cesse refoul?e et froiss?e, tant?t par la rudesse de Gaspard ou les m?chancet?s de Reine et d'Honorine, tant?t par les glaciales rebuffades de la veuve. Un seul membre de la famille, Xavier, lui avait toujours montr? de la sympathie.

Xavier de Maupri? venait d'entrer dans sa vingt-troisi?me ann?e. Il avait ?t? ?lev? jusqu'? dix-huit ans au petit s?minaire de Verdun, et sa premi?re impression, ? son retour au logis, fut la vue de cette charmante cousine de quatorze ans qui lui sauta au cou le plus gentiment du monde. Madame de Maupri? avait eu l'espoir qu'il entrerait dans les ordres; mais la vocation ne venant pas, Xavier s'en retourna ? Lachalade sans avoir une id?e arr?t?e au sujet d'une carri?re quelconque. La famille ?tait trop pauvre pour le pousser dans un emploi public, sa m?re n'e?t jamais consenti ? faire de lui un commer?ant; d'ajournements en ajournements, il resta ? Lachalade, menant une vie dont l'inutilit? lui pesait. Sous l'influence du milieu vulgaire dans lequel il grandissait, ses nerfs ?taient devenus plus irritables, et son esprit de moins en moins communicatif. Gertrude seule aurait pu l'apprivoiser et le rendre expansif; mais, avec elle, un autre sentiment arr?tait son ?lan et paralysait sa langue,--la timidit?.

La gr?ce primesauti?re, l'esprit vif et naturel de la jeune fille imposaient ? ce gar?on sauvage et gauche. Il br?lait de confier ? sa cousine les inqui?tudes et les ambitions qui agitaient son ?me, et tout le temps qu'il ?tait seul, il trouvait mille fa?ons de traduire ses aspirations confuses; mais une fois en face de Gertrude, les mots ne venaient plus. Il commen?ait une phrase, balbutiait en voyant les grand yeux de la jeune fille se fixer sur les siens, puis brusquement il s'arr?tait et redevenait silencieux. Plus Gertrude croissait en ?ge et plus Xavier se repliait sur lui-m?me; celle-ci, d?courag?e par les airs farouches et le ton parfois bourru de son cousin, commen?ait ? imiter sa r?serve. Ils se sentaient toujours sympathiques l'un ? l'autre; mais ils se parlaient peu, se bornant ? ?changer un sourire ou un regard, en signe de tacite alliance.

Humili? de son inaction, las des distractions du village et des ineptes conversations de ses soeurs, Xavier s'?tait consol? en se livrant ? son go?t tr?s vif pour le dessin. Comme son fr?re Gaspard, il s'?tait mis ? courir les bois, mais ce n'?tait pas le m?me attrait qui le retenait dans les gorges de l'Argonne.--Il ?tait devenu amoureux de la for?t.--Les arbres aux attitudes majestueuses, les terrains mouvement?s, la riche coloration des bruy?res roses ou des foug?res dor?es par l'automne; le monde toujours bruissant, gazouillant ou bondissant des insectes, des oiseaux et des fauves, tout cela le charmait et le passionnait. La f?e des bois l'avait touch? de sa baguette de coudrier; elle l'avait ramen?, s?duit et asservi sous les vo?tes verdoyantes de la for?t enchant?e. Il y passait des journ?es enti?res ? dessiner. Il avait fait connaissance avec les charbonniers et les sabotiers de la Gorge-aux-Couleuvres, et ces silvains demi-sauvages, tout poss?d?s de l'esprit forestier, l'avaient initi? aux myst?res des bois. Le soir, au long des fournaises flamboyantes, le ma?tre charbonnier lui avait appris le nom de toutes les essences d'arbres, le chant de toutes les esp?ces d'oiseaux, et c'?tait en voyant le sabotier de la Poiri?re tailler le h?tre et le bouleau, qu'une pr?occupation nouvelle avait agit? son esprit.

C'?tait l? qu'il passait des journ?es enti?res, tout absorb? par des tentatives auxquelles personne dans la famille ne s'int?ressait, sauf Gertrude. Ce fut l? qu'il vint attendre sa cousine au lendemain de la sc?ne qui ouvre ce r?cit. Cette visite matinale, annonc?e si brusquement et si myst?rieusement par la jeune fille, l'avait pr?occup? toute la nuit; il allait et venait dans l'atelier d'un air impatient, et son inqui?tude se peignait sur sa physionomie aux traits mobiles. C'?tait, ? cette ?poque, un gar?on maigre et brun, de taille moyenne et de mine r?veuse. Ses beaux yeux noirs, enfonc?s dans l'orbite, avaient parfois l'air de regarder en dedans. Il ne portait pas sa barbe, et l'expression fine, un peu triste, de sa bouche ressortait mieux encore sur son visage soigneusement ras?. Les flammes sombres de ses yeux creux et la ligne rouge de ses l?vres tranchaient vivement sur la p?leur oliv?tre de son teint, et donnaient un caract?re saisissant ? sa figure encadr?e de longs cheveux noirs.

Il tressaillit tout ? coup en entendant crier le sable de l'all?e; un fr?lement de jupe et un l?ger bruit de pas annon?aient l'arriv?e de Gertrude. Il courut ouvrir ? sa cousine et l'amena jusqu'aupr?s de l'?tabli o? un petit po?le ronflait joyeusement.

--Je t'ai fait un bon feu, lui dit-il, assieds-toi l? et chauffe tes pieds... L'air est humide ce matin.--Tout en tourmentant un morceau de bois avec son ciseau, il la regardait d'un air embarrass?, Gertrude ?tait rest?e debout pr?s de l'?tabli. Ses l?vres ?taient serr?es, ses regards s?rieux, et elle pressait nerveusement contre sa poitrine les pointes de sa fanchon.

--Comme tu es p?le! s'?cria Xavier.

--Je n'ai pas dormi, r?pondit-elle; j'ai pens? toute la nuit ? une chose ? laquelle je me suis d?cid?e.

--Que veux-tu dire, Gertrude, et qu'y a-t-il de nouveau?

--Je ne puis plus supporter la vie que je m?ne, Xavier, je ne le puis plus!... Je sens chaque jour davantage combien je suis ici ? charge ? tout le monde.

--A tout le monde?... interrompit Xavier en la regardant d'un air de reproche.

--Non, pas ? toi! s'?cria-t-elle en se rapprochant de lui, tu as toujours ?t? bon pour moi, cousin Xavier. Mais les autres!... Tu as entendu Gaspard, hier, et tu sais qu'il m'a prise en aversion... Mes cousines sont m?chantes avec moi et ma tante ne m'aime pas. Je fais pourtant ce que je puis pour qu'on m'aime, et je n'y r?ussis pas! Je sens que je leur p?se. Je ne suis qu'une enfant, mais j'ai de l'orgueil, moi aussi, et je souffre... Je veux partir.

--Partir!... Xavier laissa tomber son ciseau et demeura muet. Il regardait sa cousine sans pouvoir parler, et ses mains ?taient toutes tremblantes. Pour lui, Gertrude ?tait la seule joie de la maison, le seul point lumineux dans la vie grise et terne de tous les jours.--Partir! reprit-il enfin d'une voix sourde, seule! ? ton ?ge!... Y penses-tu?

--Il y a longtemps que j'y pense, poursuivit Gertrude, et j'avais h?sit? jusqu'? hier soir, mais ce matin mon parti est pris. Je suis courageuse, je travaillerai. Voil? un an que je vais coudre chez la modiste du village; c'est une bonne fille qui m'a appris ce qu'elle sait et qui s'est d?j? occup?e de me chercher une place ? la ville.

--Elle l'a trouv?e? demanda-t-il avec anxi?t?.

--Oui, et c'est pourquoi je me suis d?cid?e ? te parler ce matin avant que tu ne partes pour les Islettes... Voici une lettre que je te prie de mettre ? la poste l?-bas.

Xavier demeurait silencieux. Ses yeux sombres avaient pris une expression d'angoisse passionn?e. Il contemplait tristement Gertrude, qui s'?tait approch?e du po?le et tendait vers la plaque de fonte ses petites mains glac?es.

--Dans trois jours, reprit-elle, quand tu retourneras aux Islettes, il faudra que tu aies la complaisance de passer de nouveau au bureau de poste. La ma?tresse du magasin o? je d?sire travailler doit r?pondre ? cette lettre poste restante, et tu me rapporteras sa r?ponse.

--Je ferai ce que tu demandes, dit-il en soupirant profond?ment; mais songes-y bien encore, Gertrude... La vie est dure chez les autres!

--Je le sais, r?pondit-elle avec amertume... Puis comme elle craignait de l'avoir bless?, elle lui prit la main et la serra.

--Merci, dit-elle, ami Xavier! Garde-moi le secret jusqu'? nouvel ordre.

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