Read Ebook: Éric le Mendiant by Zaccone Pierre
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Ebook has 840 lines and 23714 words, and 17 pages
Pierre Zaccone
?RIC LE MENDIANT
Table des mati?res
Le 15 juin 1848, un paysan et une jeune fille sortirent de bon matin du bourg de Lanmeur, et s'achemin?rent vers le petit village de Saint-Jean-du-Doigt, situ? ? quelques lieues de l?, sur le bord de la mer.
Il pouvait ?tre sept heures.
La journ?e promettait d'?tre superbe; le ciel ?tendait au-dessus de leurs t?tes son ?clatante tenture bleue, frang?e de nuages blancs; le soleil sortait ?tincelant des montagnes lointaines; le souffle frais du matin courbait les arbres en fleur, et semait sur la route les gouttes odorantes que la ros?e venait d'y verser. Il r?gnait de toutes parts un calme, une paix, une sorte de recueillement pieux, m?l? de doux et ineffables tressaillements; on e?t dit que la terre encore ? demi assoupie luttait en soupirant contre les derni?res ?treintes de la nuit, et qu'elle murmurait doucement sa pri?re au dieu du jour.
Cet homme pouvait avoir une cinquantaine d'ann?es environ; mais il ?tait encore si extraordinairement bien taill?, son visage, qui rappelait dans son ovale anguleux, le type primitif des Kimris, pr?sentait un cachet si ?clatant de fermet? et d'ardeur, il y avait dans son regard tant de feu, dans son allure, tant d'activit?, que c'est ? peine si on lui e?t donn? quarante ans.
On l'appelait dans le pays le p?re Tanneguy, et c'?tait le dernier descendant m?le de la famille des Tanneguy-Duch?tel.
Marguerite avait seize ans: belle, comme doivent l'?tre les anges, elle n'avait point encore r?veill? son ?me, qui dormait envelopp?e dans les douces illusions de l'enfance. Elle vivait aupr?s de son p?re, heureuse, souriante, folle, et ne cherchait point ? deviner pourquoi, ? de certains moments, elle sentait son coeur battre avec pr?cipitation, pourquoi une tristesse ind?finie impr?gnait parfois sa pens?e d'amertume et de m?lancolie: quand ces vagues aspirations s'emparaient d'elle, ouvrant tout ? coup sous ses pas des routes ignor?es, elle accourait aupr?s de son p?re, lui racontait avec na?vet? ses tourments et ses d?sirs; et trouvant alors une force surnaturelle dans la parole douce et grave du vieillard, la temp?te passionnelle soulev?e dans son coeur se taisait, et la tristesse fuyait, la laissant candide et calme comme auparavant!...
Le jour elle courait, suivant dans ses capricieux d?tours la petite rivi?re artificielle qui alimentait les prairies d?pendantes de la ferme: elle allait gaie, rieuse, fol?tre, cueillant les pervenches et les bluets, pourchassant le papillon aux ailes diapr?es, ?coutant le chant des oiseaux ou le cri des b?tes fauves.
Si elle rencontrait un malheureux qui lui tendait la main, elle ouvrait sans h?siter la petite bourse o? elle renfermait le tr?sor de ses modestes ?pargnes, et jetait g?n?reusement une petite pi?ce d'argent dans la main du mendiant.
Bien souvent elle rentrait ? la ferme sans la moindre obole; et alors si son p?re lui disait, en prenant un air grondeur:
-- Marga?t! Marga?t! vous avez fait bien des folies!
-- Bon p?re, r?pondait-elle avec candeur, j'ai rencontr? tant de malheureux!
Et son p?re l'embrassait; il ?tait fier d'elle, comme elle ?tait heureuse de lui.
Les vieillards saluaient le p?re qui passait gravement au milieu d'eux.
Les jeunes gens souriaient ? la jeune fille dont le regard ?clatait de franche gaiet?.
C'?tait un doux murmure o? l'admiration et le respect ?taient m?l?s et confondus, et qui les accompagnait jusqu'au seuil de la vieille ?glise gothique, comme un pieux et touchant concert!
Telle ?tait Marga?t.
Jamais le moindre souci n'?tait venu mettre une ride sur son front si pur; jamais la plus l?g?re inqui?tude n'avait troubl? la s?r?nit? calme de son coeur.
Elle allait ? travers la ville comme le voyageur ? travers les for?ts vierges de l'Am?rique, ?coutant avec ravissement les douces harmonies de la nature, admirant les merveilles de cette vigoureuse et f?conde v?g?tation, s'oubliant, enfin, dans la contemplation de sublimes beaut?s que l'art ne peut ?galer.
Marga?t ne se doutait pas m?me des am?res douleurs qui peuvent faire la vie triste et d?sesp?r?e, et elle buvait sans crainte ? la coupe d'or des joies terrestres dans laquelle, jusqu'alors, aucune larme n'?tait encore tomb?e de ses beaux yeux!
Depuis quelque temps cependant Marga?t grandissait ? vue d'oeil, ses formes se d?veloppaient avec gr?ce, ses ?paules s'arrondissaient comme sous l'amoureux ciseau d'un sculpteur invisible, une flamme discr?te brillait sous ses paupi?res brunies.
La pauvre enfant ne comprenait pas bien encore ce qui se passait dans son coeur; elle s'?tonnait na?vement de ces changements merveilleux, et s'effrayait m?me quelquefois, en admirant le triple diad?me de jeunesse, de gr?ce et de candeur dont la nature couronnait son beau front.
Le vieux Tanneguy et sa fille march?rent ainsi pendant une heure environ, le premier, saluant de la voix et du geste les paysans que l'aube matinale appelait aux champs, la seconde, envoyant un bonjour et un sourire aux jeunes filles du bourg qui partaient pour le march?. -- Toutefois, il est bon de remarquer que ces ?changes de politesse empruntaient, de la part des passants, un caract?re particulier de contrainte et de froideur; mais le p?re Tanneguy n'y prit point garde... Peu ? peu, la route devint plus solitaire; ils ne rencontr?rent, ? de longs intervalles, que quelques voyageurs isol?s, dont le visage leur ?tait inconnu, et quand le soleil s'?leva ? l'horizon, ils se trouv?rent seuls, ? un endroit o? la route se bifurque tout d'un coup.
Il y a, en cet endroit deux chemins qui conduisent par des d?tours diff?rents, ? un m?me but. L'un, plus roide et plus rocailleux, offre au voyageur les sites pittoresques, mais nus et d?sol?s de la c?te; l'autre, qui n'est qu'un petit sentier creux, descend par une pente insensible jusqu'? la mer.
Le vieux Tanneguy se tourna alors vers sa fille, et lisant d'avance dans ses yeux:
-- Marga?t, lui dit-il, avec un tendre et paternel sourire, quel chemin prendrons-nous aujourd'hui?...
Marga?t battit des mains sans r?pondre, frappa la terre de ses petits pieds impatients, et s'?lan?a en poussant un doux cri de joie vers le chemin creux.
Le soleil s'?tait lev?, et sa vive lumi?re semblait tomber en pluie d'or, ? travers les branches d'arbres qui s'arrondissaient en berceau au-dessus du sentier: les oiseaux cach?s sous les feuilles vertes saluaient les premi?res splendeurs du printemps; et les deux ruisseaux qui c?toient le sentier, passaient en chantant, sous les fleurs embaum?es de leurs rives!
La nature a un langage inconnu et m?lodieux qui remue profond?ment le coeur et fait doucement r?ver.
Le vieux Tanneguy sentit une singuli?re tristesse s'emparer de son esprit, et il laissa sa pens?e s'envoler un moment vers les mondes infinis de l'imagination.
Elle avait d?tach? le chapeau de paille aux larges bords, par lequel elle avait remplac? ce jour-l? la coiffe traditionnelle des filles de Bretagne; ses longs cheveux flottaient au vent sur ses ?paules, et la blonde enfant courait devant elle, avec un fol enivrement.
De temps en temps seulement, quand apr?s avoir arrach? aux revers du chemin, bon nombre de fleurs bleues et jaunes, elle se retournait tout ? coup, et n'apercevait plus derri?re elle la silhouette aim?e du vieux Tanneguy, elle remontait en courant la pente qu'elle venait de descendre et s'empressait de reprendre, pour un moment, sa place accoutum?e aupr?s de son p?re.
Ce n'est pas que Marga?t e?t peur de se trouver ainsi seule au milieu du sentier; Marga?t n'avait peur que des farfadets et des sorci?res, et elle savait bien que les sorci?res et les farfadets ne battent pas la campagne pendant le jour. Mais Marga?t aimait son p?re, et quand les papillons, la brise ou les fleurs ne lui inspiraient plus de graves distractions, son coeur tout entier revenait ? son p?re bien-aim?!
C'?tait une noble enfant que Marguerite, et le vieux Tanneguy n'ignorait pas quel pur tr?sor Dieu lui avait envoy?!...
Dans un de ces moments, o? emport?e loin de son p?re, par l'?lan de sa course, la blonde enfant ne songeait plus qu'? pourchasser les papillons et les vertes demoiselles, elle atteignit un endroit solitaire o? la route se d?gage tout ? coup des petites haies vives qui jusque-l? masquent l'horizon et permet au regard de planer au loin sur les vastes gr?ves de l'Oc?an.
Soit que Marguerite se sent?t touch?e de la beaut? du spectacle qui s'offrait si inopin?ment ? ses yeux, soit qu'une autre cause e?t fait na?tre en elle un sentiment m?l? de crainte et de joie, elle s'arr?ta aussit?t et croisa ses deux bras demi-nus sur sa poitrine! Puis, comme si la gaiet? qui l'avait accompagn?e jusqu'alors, l'e?t tout ? coup abandonn?e, comme si m?me une certaine terreur se f?t empar?e d'elle, elle regarda instinctivement ? ses c?t?s ne sachant si elle devait avancer ou reculer!...
Enfin, elle parut prendre son parti en brave, tourna vivement sur elle-m?me, et apr?s un nouveau mouvement d'h?sitation, elle reprit sa course, et s'en alla rejoindre son p?re qu'elle ne tarda pas d'ailleurs ? apercevoir.
La cause des craintes et des h?sitations de Marguerite, est trop naturelle et a trop d'importance dans cette histoire, pour que nous en fassions plus longtemps un secret au lecteur.
Disons donc de suite, qu'au moment o? la jeune fille atteignait l'extr?mit? du sentier o? nous l'avons vue s'arr?ter, un jeune homme, v?tu d'un costume ?l?gant du matin, venait ? elle, mont? sur un magnifique cheval de race.
C'?tait presque un enfant encore... Il avait des yeux vifs et noirs, de longs cheveux bruns qui tombaient en boucles le long de ses tempes, et la petite moustache noire qui d?crivait une courbe gracieuse sur sa l?vre, faisait ressortir la belle p?leur de sa peau...
Le jeune cavalier n'avait point remarqu? Marguerite, ou s'il l'avait remarqu?e, il ne l'avait assur?ment pas reconnue, car il continua sa route, sans chercher ? acc?l?rer le pas tranquille de sa monture.
Son regard errait vaguement ? droite et ? gauche et sa pens?e suivait son regard.
Il r?vait!...
Il r?vait... ? ces mille choses douces ou graves, charmantes ou terribles, qui se pr?sentent fatalement ? tout homme qui entre dans la vie!...
Il se disait qu'il avait vingt-deux ans d?j?, que la vie s'ouvrait devant lui, et qu'il ne savait quelle route choisir, parmi toutes ces routes qui s'offraient ? lui.
Il se demandait quel sentiment inconnu, ?trange, ?voquait en son coeur enthousiaste le spectacle de l'Oc?an, ou cette sublime et triste harmonie des grandes solitudes.
C'?tait un enfant encore, et devant le probl?me insondable et irr?solu de la vie humaine, il se sentait h?siter, et il avait peur!...
Quand le vieux Tanneguy et le jeune cavalier se rencontr?rent, le visage du premier parut s'?panouir, et il lui fit un signe de t?te plein de bienveillance et de sympathie. -- Bonjour, monsieur Octave, lui dit-il en le saluant de la main, j'esp?re que vous voil? matinal aujourd'hui.
Le jeune cavalier avait arr?t? son cheval, et apr?s s'?tre inclin? devant le p?re de Marguerite, il avait envoy? ? cette derni?re un sourire particulier qui t?moignait de relations ant?rieures.
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