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Read Ebook: Simone: Histoire d'une jeune fille moderne by Tissot Victor

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Ebook has 2438 lines and 68976 words, and 49 pages

SIMONE

HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE MODERNE

Par VICTOR TISSOT

Paris E. Dentu, ?diteur 3, Place Du Palais-Royal, 3

PREMI?RE PARTIE

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<> Dans la joie de son triomphe sur les fabricants de poup?es anglaises, M. Gosselet, gesticulant, avec sa canne, faillit casser le bras ? un Amour en pl?tre qui tirait des fl?ches tout en se tenant en ?quilibre sur un orteil,--ce qui est une bien mauvaise position pour un tireur, m?me pour un tireur d'arc.

M. Gosselet qui accouchait, bon an mal an, de trois ? quatre cent mille poup?es, se sentait les reins assez robustes pour enfanter un million de b?b?s, maintenant qu'il pouvait leur donner des yeux de rechange.

Brusquement il s'arr?ta, se gratta le bout du nez, devint grave et se mit ? palper tous les doigts de sa main gauche entre le pouce et l'index de sa main droite comme pour s'assurer de la souplesse de ses articulations.

En r?alit? M. Gosselet se livrait ? un calcul tr?s compliqu? et se servait de ses phalanges, de ses phalanges seulement, alors que d'autres emploient des tables de logarithmes. Il parlait haut puis murmurait, puis poussait de petits grognements quand l'op?ration se brouillait comme un quadrille dans? par des jeunes gens frais ?chapp?s du coll?ge.

--A cent francs la douzaine, prix de revient... A mille francs la douzaine, prix de vente, je gagne...

Le gain pr?vu par M. Gosselet ?tait si consid?rable, qu'il enjamba, par distraction, les petits arcs en bois qui bordaient l'all?e sabl?e de jaune et fit deux ou trois enjamb?es dans le gazon. Or le gazon de M. Gosselet ?tait de ces gazons bourgeois que nul pied ne doit fouler, gazons faits pour la joie de l'oeil comme les petits sapins que les enfants exhument des bo?tes de jouets.

Le marchand de poup?es regagna vite l'all?e, confus d'avoir ?t? surpris en ce mauvais pas par Tant-Seulement, le jardinier.

En effet, ? dix m?tres de l?, Tant-Seulement, qui taillait au cordeau des buis de bordure, regardait son patron bouche b?e. M. Gosselet lui faisait chausser des espadrilles deux fois par an, pour la tondaison de la pelouse, pr?textant que les sabots de bois du bonhomme creusaient des trous dans le sol, et voil? que le fabricant de poup?es foulait l'herbe haute comme un poulain l?ch?!

Tant-Seulement--on avait affubl? Jean Patard de ce sobriquet, parce qu'il avait la manie de mettre beaucoup d'adverbes dans les phrases qu'il adressait aux bourgeois, pour cacher son ignorance, comme les mauvaises cuisini?res prodiguent les oignons dans leurs plats pour dissimuler la fadeur de l'appr?t,--Tant-Seulement ?tait stup?fait. M. Gosselet vint ? lui, souriant:

--Mon pauvre Tant-Seulement, il faut que j'augmente tes gages. Tout pousse ? souhait, ici. Le gazon--je l'ai mesur?--me monte jusqu'au genou! Tes mosa?ques de fleurs sont d'une couleur et d'un dessin merveilleux. As-tu d?barbouill? au papier de verre les deux Neptunes du bassin? Ma femme pr?tend que les teintes sales et les moisissures leur si?ent bien, mais je veux, moi, que mes statues soient blanches comme neige.

--Oui, monsieur. Mais je ne peux plus toucher ? l'enfant nu qui lance des fl?ches. La fossette du menton s'en va. Encore un tant-seulement petit peu et il va devenir maigre.

--Bien, tu le frotteras moins fort, mon gar?on. On a l'habitude de voir des enfants un peu mal mouch?s: ?a n'offusque personne. Soigne la toilette des grandes personnes, soigne les pieds surtout. C'est aux pieds, vois-tu, que l'on reconna?t les gens chics de ceux qui ne sont pas... chics. Mais tu ne connais rien aux choses tr?s compliqu?es du savoir-vivre, Tant-Seulement. Ma femme est extraordinaire l? dessus.

--C'est vrai de vrai, et Mlle Simone est quasiment plus forte que Madame. Je vous remercie bien, monsieur. Je vous remercie bien. Je n'avais pas ?t? augment? depuis quatre ans... aujourd'hui, c'est-?-dire depuis la noyade du petit chien de Madame.

--Je me souviens... Je suis content du gazon. Il est haut, ?pais; on pourrait se rouler dessus comme le font les paysans; il me monte ? mi-jambe: je l'ai mesur?. Aussi j'augmente tes gages de vingt francs par an.

--Je remercie infiniment monsieur.

Courb? sur la bordure de buis, Tant-Seulement se mit ? la besogne, taillant les ramilles ? grands coups de s?cateur, peu satisfait de son augmentation. Et M. Gosselet se dirigea ? petits pas vers son usine, se frottant les mains.

Le fabricant de poup?es qui avait un nom honorablement connu sur la place de Paris avait convaincu son jardinier qu'il n'avait mis le pied sur la pelouse que pour mesurer la hauteur du gazon. Un homme qui est dans les affaires n'a pas le droit d'?tre distrait. Le rival de M. Gosselet, le fabricant Tuffard aurait fait, s'il l'avait su, des r?flexions d?sobligeantes sur les ?carts de pens?e de M. Gosselet, et, dame, la fabrique de b?b?s aurait p?riclit?. Vingt francs donn?s tous les ans ? ce pauvre Tant-Seulement et la maison ?tait sauv?e!

Le fabricant de poup?es, tout r?joui par la d?couverte des yeux de rechange, se permit ce matin-l? un petit extra de promenade dans le parc.

Le parc de M. Gosselet, qui occupait, entre la gare de Bel-Air et la place de la Bastille, cinq ou six hectares d'un terrain de banlieue, ?tait un parc rectangulaire entour? de murailles en briques rougies chaperonn?es de larges dalles blanches. Il longeait la rue Michel-Bizot et la rue Claude Decaen sur deux faces, le chemin de fer et l'usine sur les deux autres c?t?s.

Malgr? son nom pr?tentieux de parc, l'enclos du fabricant renfermait un petit potager que l'architecte avait malencontreusement dessin? le long de la voie ferr?e. Tous les matins, Tant-Seulement devait ?pousseter les escarbilles de charbon tomb?es sur ses salades.

A part ce l?ger inconv?nient, le parc de M. Gosselet avait fort bon air. Sur la grille, des b?b?s en or dansaient des farandoles ou se laissaient glisser au bas des barreaux en fer. Les grandes all?es ?taient couvertes d'un sable blond ? peu pr?s vierge de traces, parce que les propri?taires se promenaient de pr?f?rence dans les petits sentiers dits de service. Les arbres d'ornement ?taient taill?s en rond, en carr?s, en pain de sucre, en pyramides, en hexagones. Les arbres ? fruit ?taient crucifi?s comme tous les arbres ? fruit qui se respectent. Des massifs de fusains entour?s de sentes en lacis formaient des labyrinthes inextricables pour des coccinelles. Des poissons qui n'?taient pas rouges nageaient dans des bassins servant de bains-de-pieds ? une demi-douzaine de dieux aquatiques.

Au milieu du parc s'?levait, en un bouquet d'acacias plant?s ? la diable, une maison d'habitation d'une grande simplicit?, perc?e de larges baies ? deux glaces. Un balcon de pierre ajour?e faisait le tour du deuxi?me ?tage. Des logettes en fer forg? encadraient toutes les fen?tres de l'?tage sup?rieur. Un double escalier en granit conduisait au perron dall? de bleu du rez-de chauss?e, perron que ne prot?geait pas une marquise en fer-blanc. Ce chalet, ? faces irr?guli?res, n'?tait pas flanqu? de tourelles comme de b?quilles. Le toit en tuiles rouges n'?tait pas surcharg? de girouettes, le pauvre!

M. Gosselet avait d? se faire violence pour permettre la construction d'une maison si humble d'aspect au centre d'un parc si g?om?triquement beau.

Le ch?let communiquait avec l'usine par une all?e de tilleuls longue de deux cents pas, all?e close au mur d'enceinte par une porte en ch?ne orn?e de t?tes de clous grosses comme des soucoupes.

Cette porte avec ses croix en fer, ses gonds ?normes, semblait avoir ?t? construite pour prot?ger ce parc bourgeois contre les r?bellions possibles du monstre ouvrier crachant des pierres et de la fum?e. Cependant elle n'avait point l'air terrible, encadr?e dans le vert de lilas en fleur plac?s pr?s de ses portants comme deux br?le-parfums purifiant l'air empuanti d'odeurs de r?sine et de houille.

Dans l'all?e de tilleuls, toujours souriant, M. Gosselet lorgnait la grande chemin?e de son usine se dressant par-dessus le mur.

Il n'?tait plus qu'? dix m?tres de la porte enferraill?e quand un gazouillis de voix f?minines attira son attention.

--J'ai de quoi faire un bouquet, Berthe! Encore cette grosse branche et je descends. Si le p?re Gosselet m'attrapait, ma ch?re... Pousse un peu... L?, je suis assise sur le mur.

Le fabricant de poup?es voulut surprendre les chipeuses de lilas mais le gravier craquant sous son pied, il n'aper?ut que deux grands yeux noirs sous un casque blond. Il entendit:

--L?che tout, Berthe, voici le p?re Gosselet.

Il cria:

--Voleuses! Je saurai bien vous reconna?tre ? l'atelier.

Mais il ne songea pas ? les poursuivre. Le temps d'ouvrir la porte solidement cadenass?e et les petites ouvri?res seraient pench?es sur leur ?tabli, bien sages, coiffant les poup?es ou vermillonnant avec un pinceau les l?vres exsangues en carton p?te. Pas respectueuses ces gamines! Il n'?tait pour elles que le <>.

Brusquement, il revint sur ses pas, la canne lev?e comme pour ch?tier l'insolence de ces petites filles.

--Tant-Seulement!

--Monsieur!

--Je t'ai promis vingt francs d'augmentation, mon gar?on. Ce n'est pas tout.

Tant-Seulement, surpris, laissa tomber son s?cateur et sourit large.

--Tant-Seulement, mes ouvri?res viennent baguenauder dans la cour sous toutes sortes de pr?textes, puis elles grimpent sur le mur et cassent des branches de lilas, le lilas de ma fille.

--Ah! monsieur, c'est des Parisiennes. Et les petites Parisiennes ?a vous a des nez de millionnaire, quasiment. Mais le lilas de mademoiselle, vrai, ce n'est pas pour leurs museaux.

--Aux heures de rentr?es et de sorties des ateliers, tu te cacheras le long du mur. Tant Seulement. Tu seras arm? d'une baguette et taperas sur les menottes qui s'accrocheront aux dalles. Tu ne taperas pas trop fort, mon gar?on. Elles me feraient payer la casse. Connais-tu les polisseuses?

--Oh! presque toutes, monsieur. Il y a Fricass?e, la Grande-Bob?che, la Petite-Souris, Mouron-pour-les-petits-oiseaux, l'Embaum?e... ?a pourrait bien ?tre l'Embaum?e qui vous vole vos fleurs, monsieur. Quand elle a une rose au corsage, elle n'a pas toujours deux sous de petit-noir dans l'estomac... Il y a encore...

--Bien, cela suffit.

--C'est que je les connais bien, allez. Je les rencontre tous les soirs, vraisemblablement, ? la station des tramways... Ce qu'elle est fi?re, cette l'Embaum?e, malgr? sa bosse!

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