Read Ebook: Le Négrier Vol. I Aventures de mer by Corbi Re Edouard
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Ebook has 310 lines and 24595 words, and 7 pages
J'insiste un peu sur les principes de mon professeur; car c'est ? lui que je dus les seules notions de science qui aient jamais trouv? acc?s dans ma mauvaise t?te, et l'indiff?rence religieuse qui, pendant toute ma vie, a ?largi le cercle des scrupules au centre duquel les autres hommes restent encha?n?s.
L'?poque du concours, pour les candidats au grade d'aspirant, arriva. Mon fr?re se pr?senta: il fut admis par acclamation. Je me pr?sentai aussi, et je fus refus? d'embl?e. Mon caract?re irritable se raidit contre cette premi?re contrari?t?; je sentais une esp?ce de honte attach?e ? mon inf?riorit?. Ne pouvant vaincre la position, je la tournai: c'?tait d?j? la pente de mon humeur qui se r?v?lait dans le premier acte un peu important de ma vie.
Je regagnai le gaillard d'avant, en faisant d?j? de p?nibles r?flexions sur l'infraction que l'on commettait ? la police du bord, en s'avisant d'avoir le mal de mer.
--Pas le moindrement du monde, ma?tre Philippe, lui r?pondis-je de la mani?re la plus alerte qu'il me fut possible.
--Non, mais tu aurais tort de te g?ner, si tu es v?ritablement malade.
--Malade! pas le moindrement, je vous assure, ma?tre Philippe.
--Oui, ma?tre Philippe, tout de suite.
Et moi, malgr? la d?faillance de mes jarrets et la fr?quence de mes hoquets, de grimper dans la hune qu'?branlaient les plus rudes coups de tangage.
--J'ai dans l'id?e que ce morceau de chr?tien-l? fera un bon petit bougre, avec le temps, se prit ? dire ma?tre Philippe, en me voyant huch? sur le tenon du m?t de misaine, sans avoir pass? par le trou-du-chat.
Ce mot du ma?tre d'?quipage arriva ? mon oreille au moment o? je lan?ais sous le vent, et le plus adroitement du monde, le superflu d'un d?je?ner ? moiti? dig?r?. Je me tenais ? peine sur mes jambes affaiblies; mais le ma?tre venait de tirer mon horoscope: je descendis sur le pont avec un aplomb digne de la bonne opinion que ma?tre Philippe venait d'exprimer sur mon compte.
Le capitaine me fait demander derri?re, apr?s ma prouesse: je crus que c'?tait pour me fustiger.
--O? as-tu vu le navire?
--L?, sur l'avant ? nous, capitaine.
--Est-il loin?
--Je n'en sais rien, capitaine.
--Va te coucher.
--Oui, capitaine.
Mais comme je me disposais ? ob?ir ? cet ordre un peu brusque du capitaine, ma?tre Philippe, qui avait caus? quelques minutes avec le second, m'invite ? monter pr?s de lui sur l'aff?t d'une caronade, et d'un air moiti? s?rieux et moiti? burlesque, il m'adresse ces mots, que j'?coute en palpitant:
Un petit sifflet me fut attach? ? la ceinture, comme celui dont ma?tre Philippe ?tait d?cor?, et qu'il portait assez souvent de sa bouche corrod?e de tabac, dans les c?tes des matelots raisonneurs ou paresseux.
>>Tant plus grosse est une prise, >>Comm' tant plus gras est le lard, >>Et tant plus forte est la part, >>Et tant plus forte est la part.>>
D?s que le capitaine jugea que nous gagnions le navire aper?u, il ordonna le branle-bas g?n?ral de combat.
Ce n'est pas sans pertes que deux ?quipages se hachent pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure d'abordage. Vingt-trois hommes avaient p?ri de notre c?t?. Le pont du navire captur? ?tait couvert de cadavres. C'?tait un trois-m?ts arm? en guerre et en marchandises, qui se rendait de Calcutta ? Londres, charg? d'indigo et de salp?tre.
Cinq barils de piastres avaient ?t? trouv?s dans la chambre du capitaine anglais. On les pla?a sur notre gaillard d'arri?re, comme le troph?e de notre triomphe.
Assis sur un de ces barils, les bras crois?s sur sa poitrine velue et ? moiti? d?couverte, Arnaudault nous adressa ces mots, en daignant ? peine lever les yeux sur l'?quipage qui l'entourait:
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Des murmures se firent entendre parmi les matelots, dont les yeux flamboyans restaient fix?s sur les barils.
<
Cette pr?voyance ne devait pas lui ?tre inutile. Quatre jours apr?s il fut jet? lui-m?me ? la mer, et les pierres ? lest ne lui manqu?rent pas.
Cette prompte inhumation faite, on nous donna double ration. Un canonnier, dont le bras avait ?t? enlev? par un boulet, voulut, avant d'?tre amput?, recevoir sa part d'eau-de-vie, pour ne pas perdre, disait-il, ses droits apr?s avoir perdu une partie de son individu.
La nuit, nous ?prouv?mes un coup de vent, en cape sous le grand hunier. Nos prisonniers anglais se promenaient p?le-m?le avec nous sur le pont, l'air abattu, l'oeil morne; ils ?taient nombreux, mais on ne les craignait pas; car leur stup?faction ?tait au moins ?gale ? l'insouciance des corsaires. A leur place, des matelots fran?ais ne seraient pas rest?s prisonniers deux heures, sans chercher ? enlever le navire.
Le soir m?me du jour qui suivit notre combat avec le trois-m?ts anglais, nos matelots, pendant le coup de vent, ?taient assis ? l'abri des pavois, avec autant de tranquillit? que s'ils s'?taient trouv?s au cabaret. Les uns, bless?s dans l'affaire, se tra?nant sur le pont, la jambe entortill?e de linge ou le bras en ?charpe, chantaient ces complaintes de gaillard-d'avant, rauques comme le bruit des flots, monotones comme le mugissement des raffales qui hurlaient dans la m?ture et le gr?ement; les autres racontaient ces contes dont les marins de quart bercent leur ennui, pendant leurs longues heures de veille. Enfant comme je l'?tais alors, je me plaisais ? entendre ces vieilles histoires de la mer, tout empreintes du caract?re de leurs auteurs et de leur bizarre imagination. C'est par l'effet qu'elles produisaient, pour la premi?re fois, sur moi, que je les juge aujourd'hui. Pour un vieux marin, les moeurs des hommes de mer n'ont plus rien d'?trange; mais pour un passager, par exemple, elles offrent quelque chose d'original et de neuf, que, jusqu'ici, aucun ?crivain n'a su bien rendre. C'est en rappelant ici la premi?re impression que me firent ?prouver les usages du bord, que j'essaierai de retracer, de temps ? autre, ces habitudes ?tranges. Rien ne m'?tonna plus, entr'autres choses, que la mani?re dont les matelots relevaient le quart.
Les histoires des matelots me ravisaient: un joli petit novice, que le capitaine d'armes du corsaire avait embarqu? ? bord, se plaisait, malgr? les repr?sentations de son protecteur, ? se mettre ? cot? de moi, pendant que l'on disait des contes. La voix douce du novice, ses mains blanches et d?licates, m'avaient fait supposer d?j? qu'il pouvait y avoir quelque chose d'extraordinaire dans son s?jour ? bord. Amatelot? avec le capitaine d'armes, il faisait rarement son quart, et son protecteur obtenait facilement du ma?tre d'?quipage l'indulgence qui lui ?tait n?cessaire pour faire pardonner au prot?g? cet oubli de la r?gle commune du bord. Un matin, o? les grands yeux noirs de petit Jacques se r?veillaient avec le jour, je lui demandai, avec toute la na?vet? de mon ?ge:
< --Ah! c'est que le capitaine d'armes m'avait plac? ? la soute aux poudres. --Tu avais donc peur? --Je n'?tais pas trop rassur?.>> Mon intention ?tant d'engager, avec petit Jacques, une conversation dans laquelle l'emploi de quelques mots familiers aux femmes, p?t trahir un d?guisement que je soup?onnais, je continuai ainsi: < --Eh bien! qu'est-ce que cela prouve? me dit mon interlocuteur, tout d?contenanc?. --Cela prouve que tu n'es pas un gar?on! --Enfant que tu es! Quelle id?e!... --Je te parie que tu es une femme, et je m'en rapporte ? ma?tre Philippe qui vient, et ? qui j'ai dit d?j?.... --Au nom du ciel, tais-toi, malheureux.... Si tu savais combien je souffre...? Tu viens de d?couvrir un stratag?me qui, s'il ?tait connu, m'exposerait ? devenir la ris?e de tous ces hommes qui me font peur... Je suis... je suis la femme du capitaine d'armes... Pour le suivre, il a fallu me faire passer pour son parent, pour son cousin. Que sais-je, moi!.. Tu sauras tout; mais tu me promets bien de ne pas trahir la confiance que j'ai mise en toi? Tu m'as toujours paru mieux ?lev? que ces matelots, au milieu desquels je vis pour mon malheur. Tu te tairas, n'est-ce pas, mon ami?... Tu ne voudras pas me perdre tout-?-fait?...>> LA CROISI?RE. Acalmie.--Combats.--Amours.--Le capitaine Bon-Bord.--Le matelot Ivon.--Histoire de petit Jacques.--Prise d'un navire anglais.--Son explosion.--Tisozon.--L'ile de Bas. Il n'est peut-?tre pas de position plus p?nible ? la mer, que celle dans laquelle on se trouve ? la suite d'un coup de vent, lorsque le b?timent, n'?tant plus couch? par la force de la brise irrit?e, se voit assailli par de grosses lames qui, se heurtant avec lourdeur, semblent se le disputer comme pour le d?molir dans leur choc. Tout se brise, tout craque ? bord, et les pi?ces dont le navire est compos?, et les objets d'arrimage qui jouent avec effort. Le gr?ement fatigue, se d?tord et se rompt; la m?ture re?oit, dans le roulis et le tangage, des secousses horribles qui ?branlent la coque. Le navire, fatigu? dans toutes ses parties, devient pour ainsi dire l'objet de la fureur derni?re des flots harass?s par la tourmente. Il faut qu'une brise s'?l?ve sur le sommet des vagues pour les niveler et rendre ? la mer, encore si violemment ?mue, ce mouvement uniforme qu'a d?truit le d?lire de la temp?te. Nous nous trouvions pr?s des A?ores. Le point du capitaine nous indiquait le voisinage de ce petit archipel. La quantit? de go?lands et de mauves qui voltigeaient autour de nous, et les nuages qui paraissaient s'amonceler comme pour aller couvrir au loin la terre, auraient suffi, ? d?faut d'autres indices plus s?rs, pour nous signaler l'approche des parages o? nous voulions ?tablir notre croisi?re. Nous esp?rions faire, dans ces latitudes, quelques bonnes rencontres. Nous cr?mes bient?t avoir trouv? ce que nous cherchions. --O?? demanda le capitaine. --Sous le vent ? nous! r?pondirent les vigies. Ces mots firent succ?der le calme le plus profond au tumulte des conversations particuli?res, qui vont toujours grand train ? bord des navires aussi mal tenus que le sont, en g?n?ral, les corsaires. Arnaudault mit, sans rien dire, sa longue-vue en bandouli?re, et grimpa sur les barres du grand perroquet, pour observer le b?timent signal?. C'?tait la premi?re fois, depuis notre sortie, qu'on l'avait vu monter dans les haubans; et, sans trop savoir encore pourquoi, l'?quipage pensa que la circonstance ?tait solennelle.
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