Read Ebook: Le Négrier Vol. I Aventures de mer by Corbi Re Edouard
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Ebook has 310 lines and 24595 words, and 7 pages
Arnaudault mit, sans rien dire, sa longue-vue en bandouli?re, et grimpa sur les barres du grand perroquet, pour observer le b?timent signal?. C'?tait la premi?re fois, depuis notre sortie, qu'on l'avait vu monter dans les haubans; et, sans trop savoir encore pourquoi, l'?quipage pensa que la circonstance ?tait solennelle.
Toute l'attention ?tait port?e sur les mouvemens du capitaine.
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Les officiers qui, comme le capitaine, avaient observ? le navire que nous approchions en laissant courir un peu largue, pensaient que ce ne pouvait ?tre qu'un grand trois-m?ts marchand, ou peut-?tre bien un navire de la Compagnie des Indes. Lorsqu'on court les chances p?rilleuses de la fortune sur mer, on tourne presque toujours les circonstances les plus douteuses, dans le sens des conjectures les plus favorables aux d?sirs que l'on forme.
< LE SECOND. Nous avons ? bord des boulets qui seront encore plus durs? LE CAPITAINE. Mais, s'il a plus de canons que nous? LE SECOND. Nous jouerons des jambes. LE CAPITAINE. Et s'il a les jambes plus longues que les n?tres? LE SECOND. Il nous coulera, et nous irons au fond; c'est notre m?tier. D'ailleurs, capitaine, vous savez bien que vous n'?tiez pas d'avis d'accoster ce trois-m?ts que nous avons pourtant si souplement enlev?.... Ah! ah! oui, ce trois-m?ts, n'est-ce pas? oh! je me le rappelle parfaitement. C'est vrai, je ne voulais pas l'aborder; c'est que ce jour-l? j'avais peut-?tre peur... qui sait? LE SECOND. Capitaine, je ne dis pas cela pour vous offenser, bien loin de l?; mais c'est pour le bien de tous que je parle.... Enfans, voyons: ?tes-vous d'avis d'accoster le trois-m?ts qui court sous le vent ? nous? oui ou non? LE CAPITAINE. C'est bien votre id?e ? tous, n'est-ce pas? L'?QUIPAGE. Oui, oui, cap'taine, c'est notre id?e!!! LE CAPITAINE. Cet ordre du capitaine fut re?u avec transport. Les matelots jet?rent en l'air leurs bonnets rouges en signe d'approbation unanime. Chaque lame sur laquelle bondissait notre corsaire, nous rapprochait du b?timent sur lequel tous les yeux se tenaient fix?s. Un coup de canon, parti de ses gaillards, fut le signal d'une manoeuvre ? laquelle nous ne nous attendions pas. Les balles de coton que nous distinguions dans ses porte-haubans tomb?rent ? la mer; une large toile, peinte en jaune, ?tendue sur sa batterie, disparut, et nous laissa voir une fil?e de canons sortant de ses flancs larges et ?long?s. C'?tait la rang?e de dents que nous avait promise Arnaudault. Il n'y avait plus ? en douter: c'?tait une fr?gate! La stup?faction se peignit sur tous les traits des hommes les plus impassibles. Le capitaine qui, quelques minutes auparavant, avait un air inquiet en observant le navire que nous chassions, prit une physionomie calme du moment o? il vit d?cid?ment ? qui nous avions affaire. On e?t dit qu'il ne s'agissait pour lui que de parler amicalement ? un b?timent que nous aurions rencontr? en mer. Il demanda ? l'un de ses fils son porte-voix de combat, et un cigarre qu'il alluma avec une tranquillit? que lui seul avait ? bord dans ce moment de p?ril et d'anxi?t?. < Une d?tonation terrible ?branla tout le corsaire; le pont fr?missant sembla crouler sous nos pieds tremblans. La fum?e qui sortit de nos flancs, avec la foudre que nous lancions, nous cacha pendant quelques secondes la fr?gate sur laquelle nous venions de l?cher en grand toute notre vol?e. Un calme de mort succ?da ? ce fracas. C'?tait ? la fr?gate de riposter: elle ne nous fit pas longtemps attendre sa r?ponse. Ma?tre Philippe, une demi-minute avant que l'ennemi ne nous ripost?t, fit entendre, perch? sur le bossoir du vent, un long et lugubre coup de sifflet de silence.... Personne ne bougeait; les t?tes ?taient hautes et assur?es; toutes les bouches muettes et serr?es. Arnaudault, les bras crois?s et le porte-voix entre les jambes, se tenait assis sur le bastingage d'avant fumant tranquillement son cigarre, et jetant avec indiff?rence un coup-d'oeil sur les caronades de bas-bord, que les canonniers venaient de charger en quelques secondes. Dans la violence du combat, le second vint de l'avant ? l'arri?re, pr?venir Arnaudault qu'un boulet avait entam? notre petit m?t de hune. --Je m'en f..s, r?pondit Arnaudault; et vous? --Et moi, capitaine, je m'en contref..s, reprit le second en regagnant son poste. Ce fut la derni?re preuve d'impassibilit? que donna ce malheureux. Notre position, sous la batterie sans cesse tonnante de la fr?gate, n'?tait plus tenable. A chaque d?charge de l'ennemi, cinq ? six de nos hommes tombaient sur notre pont d?j? encombr? de morts et de bless?s. Le d?couragement commen?ait ? s'emparer de notre ?quipage, qui voyait et l'imprudence et l'inutilit? de notre r?sistance. < L'infortun? second, objet des r?criminations presque unanimes, se d?cida ? expier sa faute et ? aller demander lui-m?me au capitaine ? prendre chasse pour fuir l'ennemi. Il s'avance derri?re ; mais, ne voulant pas avoir l'air de supplier celui dont il voulait cependant obtenir un pardon, il eut l'air de conseiller seulement ? Arnaudault la manoeuvre qu'il croyait convenable d'ex?cuter pour sauver le corsaire. Il se trompait encore en croyant avoir affaire ? un homme qui pourrait se contenter du demi-aveu d'une erreur. On rendrait difficilement le ton avec lequel le capitaine re?ut ce pauvre diable. --Je vous avais d?fendu de passer derri?re, lui dit Arnaudault, et vous voil? encore! Est-ce un nouveau conseil que vous avez ? me donner? --Non, capitaine, c'est une pri?re que j'ai ? vous faire. --Et laquelle? --Je vous supplie de virer de bord. Le capitaine, apr?s avoir fait quelques pas sur le gaillard, revient vers le second: --Virer de bord, et c'est vous qui me suppliez?... Eh bien oui, je consens ? virer, mais ? une condition... --Laquelle, capitaine? je suis pr?t ? tout faire pour sauver le corsaire et l'?quipage. --J'aime mieux me faire tuer, capitaine, que de consentir ? cette honte, r?pondit le second. --Comme il vous plaira, r?pond le capitaine, je ne veux forcer le go?t de personne. Et il reprend avec calme sa place accoutum?e sur le bastingage. La nuit fut employ?e ? r?parer, tant bien que mal, les avaries que le feu de l'ennemi nous avait fait ?prouver. Pour pr?venir les effets de la joie que le bonheur d'?tre ?chapp?s ? notre perte, aurait caus?e ? nos hommes, les officiers r?pandirent sur le pont, l'eau-de-vie m?l?e de poudre, que, pendant l'action, on avait distribu?e ? l'?quipage, pour l'animer au combat. Les matelots, que l'ivresse, puis?e dans ce breuvage br?lant, avait rendus furieux, voulurent s'emparer, de vive force, de la cambuse o? ?taient plac?es nos provisions liquides. Il fallut encore d?fendre cette partie du navire, contre leur d?lire; et ce ne fut qu'apr?s un long combat entre nous, que les plus ivrognes s'endormirent couch?s c?te ? c?te avec les morts que nous n'avions pas eu le temps de jeter ? la mer. Les marins les moins ivres travaillaient ? repasser un petit m?t de hune, ? la place de celui qu'un boulet avait endommag? pendant l'action. L'entrevue du capitaine avec celui de ses fils que la mort avait ?pargn?, fut courte, mais affreuse. Ce jeune homme, apr?s le combat, vint embrasser son p?re, qui le premier prit la parole pour lui dire seulement ces mots: < --Oui, il est mort bravement, r?pondit le jeune homme en sanglottant et en retenant les larmes qui lui remplissaient les yeux. --Aurais-tu mieux aim? que ce fut moi? --Oh! non, mon p?re... Mais c'?tait mon fr?re, c'?tait le seul.... --Eh bien! pourquoi pleurer? Crois-tu que le boulet qui l'a enlev? ne m'ait rien d?chir? l? dedans? Tiens vois!
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