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Read Ebook: Le Négrier Vol. II Aventures de mer by Corbi Re Edouard

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Ebook has 112 lines and 19635 words, and 3 pages

is pour la premi?re sortie. Alors, tu deviendras mon second: t'es pas bien marin encore, mais c'est ?gal; je te prends sous ma coupe; et va d'l'avant.

Une petite circonstance qui, pour tout autre jeune homme que moi, aurait ?t? indiff?rente, contribua ? r?veiller violemment la passion que j'avais pour mon ?tat.

Une nuit, pendant que ma bonne Rosalie me tenait ? ses c?t?s pr?s de son comptoir, et cherchait en m'aga?ant ? se distraire de l'ennui de la conversation des marins qui occupaient le caf?, le hasard voulut que les quatre plus renomm?s corsaires de la Manche entrassent pour sabler du punch. A l'aspect de cette r?union de c?l?brit?s flibusti?res, les officiers et les matelots group?s autour des tables, se lev?rent. Chacun sollicita la permission de trinquer avec ces chefs illustres. La conversation s'engagea bient?t et devint vive et anim?e. Les capitaines, en remarquant l'int?r?t avec lequel je les regardais et j'?coutais leurs paroles, me donn?rent une poign?e de main comme ? une vieille connaissance. On prit place, on se raconta les motifs pour lesquels on avait rel?ch? ? l'?le de Bas. On jura surtout beaucoup contre les Anglais. Un des assistans, qui faisait chorus, eut ? ce propos une id?e qui fut vivement applaudie par l'assembl?e. <>

Les quatre capitaines parurent accepter de bonne gr?ce la proposition, sans trop faire les modestes ni les fanfarons.

Confession du capitaine Lebihan.

La na?vet? du r?cit du capitaine Lebihan amusa beaucoup tous les auditeurs. Le Bas-Breton seul conservait son s?rieux et sa plaisante gravit?. On engagea le capitaine Niquelet, de Saint-Malo, ? prendre la parole. C'?tait un homme passionn? dans son langage, comme dans ses actions, et qui s'exprimait bien. Il prit ainsi la parole apr?s Lebihan.

Confession du capitaine Niquelet.

>>J'avais recommand? ? mon fr?re de nager toujours contre le fil du courant, parce que j'avais eu la pr?caution de me mouiller dans les eaux du trois-m?ts. Mon fr?re, pour plus de pr?voyance, avait eu aussi l'id?e de prendre avec lui un panier rempli de bouchons, qu'il devait jeter ? la mer pour me pr?venir aussit?t qu'il serait arriv? sur l'arri?re du navire anglais.

>>Il y avait ? peine un quart d'heure que notre canot nous avait quitt?s, que le courant, qui passait le long de notre bord, nous apporta des bouchons flottans. C'est cela, me dis-je; L'amarre frapp?e ? bord, et dont mon fr?re avait pris le bout, ne tarda pas ? fr?mir. Nous l'entend?mes avec joie frapper la mer sur laquelle une l?g?re pression l'?leva par trois fois. Aussit?t, j'ordonne de lever l'ancre ? jet, sur laquelle j'?tais mouill?, et je fais haller mon corsaire sur l'amarre, que je savais bien ?tre fix?e ? bord du trois-m?ts. En quelques minutes je fus le long du navire; mes gens saut?rent ? bord sans obstacle. Je ne trouvai sur son pont que ceux de mes hommes que j'avais envoy?s dans mon canot pour le coup de main. Mon fr?re me raconta qu'?tant arriv? sans ?tre vu ni entendu, sur l'arri?re du b?timent, il ?tait parvenu ? grimper avec trois des siens par les ferrures du gouvernail et par le couronnment, jusque sur le gaillard d'arri?re. Deux Anglais veillaient seuls sur le pont: se jeter sur eux, les pr?cipiter dans la calle, fermer le capot de la chambre o? dormaient le capitaine et les officiers, et le logement de l'?quipage o? ?taient les autres hommes, ne fut que l'affaire d'un instant. Ma?tre du trois-m?ts, je fis passer mes quatre-vingts meilleurs matelots sur la prise. J'ordonnai ? mon second de filer avec le corsaire, et de me laisser ? bord de ma capture. Nous attend?mes ainsi le jour.

>>Ce jour d?sir? vint enfin, et il dissipa la brume qui toute la nuit avait cach? ma manoeuvre. Le petit brick de guerre sur lequel le trois-m?ts avait gard? une amarre, nous cria d'appareiller, croyant toujours avoir affaire au capitaine qu'il escortait. Je fis, en effet, virer sur mon c?ble, pour ex?cuter l'ordre; mais en appareillant, j'eus soin d'aborder, comme par maladresse, le brick qui mettait aussi sous voiles. A peine le capitaine du brick e?t-il commenc? ? jurer contre ma mauvaise manoeuvre, que tous mes forbans, couch?s ? plat-ventre ? l'abri des pavois, saut?rent ? bord de l'ennemi. Une gr?le de coups de poignards et de pistolets fit l'affaire. Les Anglais surpris ne purent se d?fendre qu'? coups de poing, contre mes corsaires, dispos?s ? l'attaque et arm?s de pied en cap. Deux jours apr?s cette escobarderie de flibustier, j'?tais mouill? ? Perros, avec mes deux prises; mais mon maladroit de second, qui n'avait qu'? courir avec un bon marcheur sous les pieds, pour gagner la terre, s'?tait fait prendre par une corvette.>>

Confession du capitaine Ribaldar.

--Mais en rentrant ? Tr?guier avec vos deux prises, demanda le capitaine Niquelet ? Ribaldar, n'e?tes-vous pas une affaire avec un lougre de Jersey?

Quand le capitaine Ribaldar eut fini, et qu'il eut aval? un demi-bol de punch, avant de rallumer sa pipe, les auditeurs s'?cri?rent: A votre tour, capitaine Polletais! Le vieux marin dieppois se gratta l'oreille, sous son bonnet rouge; et, assez embarrass? de commencer sa narration, il s'exprima cependant ainsi:

Confession du capitaine Polletais.

Tous les auditeurs se mirent ? rire ? celle saillie plaisante du vieux corsaire dieppois, qui continua:

Ces r?cits des hauts faits des capitaines que je voulais ?galer, enflammaient mon ?mulation. Dieu! que je souffrais, avec tant d'ambition dans le coeur, de n'?tre encore, parmi les marins, qu'un enfant inaper?u! A terre, me disais-je, un jeune homme peut, sans beaucoup d'exp?rience ou du moins avec une exp?rience facile ? acqu?rir, se distinguer en exposant vaillamment sa vie dans cinq ? six batailles; mais, ? la mer, c'est peu que d'?tre le plus brave; si l'on n'a pas vieilli sur les flots, si, ? force de pratique, on n'a pas acquis la science difficile du marin, on v?g?te, confondu parmi ces hommes que l'on embarque sur le pont d'un navire pour appliquer leur force au bout d'une corde, ou pour verser leur sang au premier commandement de leur capitaine.

Je ne pouvais plus y tenir: il me fallait naviguer; c'est ? la mer que je voulais respirer: une sorte de maladie du pays se serait empar?e de moi si j'?tais rest? plus long-temps ? terre. Je tourmentai Ivon pour qu'il h?t?t l'armement du petit corsaire qui devait nous conduire ? la gloire et ? la fortune.

Un motif nouveau vint encore ajouter au d?sir que j'avais de quitter Roscoff. Depuis quelque temps, j'avais cru remarquer dans Rosalie une esp?ce de contrainte qui me d?sesp?rait et dont je ne pouvais m'expliquer la cause. Ces caresses innocentes, auxquelles elle se livrait auparavant avec tant d'abandon et de bonheur, semblaient l'affliger et l'effrayer. Moi-m?me, quelquefois troubl?, embarrass?, quand je me trouvais tout seul avec elle, je commen?ais ? rechercher avec plus d'ardeur sa pr?sence, qui cependant me faisait ?prouver moins de f?licit? qu'au commencement de nos na?ves amours. Je sentais plus que jamais je ne l'avais fait encore, que Rosalie me ch?rissait, et son refroidissement apparent m'inqui?tait peut-?tre moins qu'il ne m'irritait. On aurait dit, toutes les fois qu'elle pressait vivement ma main, ou qu'il lui arrivait de m'embrasser encore, qu'elle se reprochait les marques de tendresse qu'autrefois elle me prodiguait avec tant de plaisir et de confiance. Il me fallait sortir de cet ?tat de g?ne et de doute. J'exprimai de mon mieux ? Rosalie ce qui se passait en moi; je la grondai presque du changement que je croyais avoir remarqu? en elle. Un amant bien exp?riment? n'aurait peut-?tre pas mieux fait pour obtenir beaucoup, que moi en cette circonstance pour n'obtenir qu'une simple explication.

<>

En pronon?ant ces derniers mots, Rosalie fondit en larmes; elle ?tait dans mes bras. Je ne savais qu'essuyer ses yeux et lui r?p?ter ces mots avec lesquels je l'avais souvent consol?e.

<>

Cette entrevue, la seule que j'eusse encore redout?e avec Rosalie, produisit sur moi une impression que je n'avais pas encore connue. Jamais encore Rosalie ne m'avait parue si belle, si touchante. Le sentiment qu'elle m'exprimait me semblait si vrai! L'id?e d'une s?paration prochaine donnait ? cet entretien si intime, quelque chose de si tendre, que ses caresses devinrent plus vives et plus dangereuses que toutes celles que nous nous ?tions prodigu?es.

<>

Le cabinet de Rosalie donnait sur le haut de l'escalier du premier ?tage. Par un instinct que l'on commence ? avoir ? seize ans, quelque novice que l'on soit, je remarque, pour la premi?re fois encore, que la porte avait un verrou: je saute sur cette porte, malgr? les efforts de Rosalie, et je la ferme; ce mouvement si vif, si d?termin?, parut l'?pouvanter. Je m'approchai d'elle, elle recula vers la fen?tre de son cabinet. <> La fen?tre ?tait ouverte; la poitrine de Rosalie battait avec force, son regard avait quelque chose qui m'?tonnait; j'avance vers elle: elle jette un cri en se pr?cipitant sur le bord de la crois?e. Au m?me moment, un grand coup de pied frapp? dans la porte du cabinet, renverse en dedans cette porte, sur les d?bris de laquelle para?t Ivon!...

A l'aspect de mon mentor, se montrant comme un fant?me, je reste stup?fait, et, ? l'ardeur qui circulait dans mes veines, succ?de un froid glacial.

Je ne savais que r?pondre ? Ivon. Les bras pendans et la t?te baiss?e, je paraissais attendre l'arr?t qui devait me condamner.

Ivon sentit qu'il ?tait temps de changer la conversation, jugeant, ? mon attitude, que j'avais compris suffisamment la le?on de morale qu'il venait de me donner, avec son grand coup de pied dans la porte.

Comme je cherchais ? prendre une contenance et ? changer d'attitude, je fis semblant de sourire au projet d'Ivon. Rosalie conserva son air p?n?tr? et r?veur. Nous parl?mes bient?t tous trois du bal que se promettait de donner notre ami, et il ne fut plus question de la sc?ne qui venait d'avoir lieu; mais elle laissa dans le coeur de mon amie et dans le mien une impression profonde.

Un magasin de liquides, d?cor? de pavillons et entour? d'estrades, faites ? la h?te, fut choisi pour le lieu de r?union. Une douzaine de m?nestriers de village compos?rent l'orchestre. Tout le mat?riel du caf? de Rosalie fut transport? dans la salle des rafraichissemens. Les notables de l'endroit et tous ceux qui avaient pu chausser un bas de soie, se rendirent ? la galante invitation de mon capitaine. Deux douzaines de contredanses ? huit s'agit?rent en m?me temps, au premier coup d'archet donn? par l'orchestre. Des plateaux couverts de verres de grog fumant, et de limonade punch?e pour les dames, circul?rent, avec la joie, dans les rangs des danseurs et des spectateurs.

Dans une conjoncture moins s?rieuse, j'aurais bien ri de voir mon ami Ivon, encore en bas de soie et avec toute sa toilette de bal, courir l'abordage d'un b?timent ennemi; mais l'id?e du danger, le souvenir de Rosalie, que j'avais quitt?e sans lui dire adieu, remplissaient trop ma t?te, pour que je songeasse ? la bizarrerie de notre d?part et ? l'imprudence m?me de notre exp?dition.

A deux heures du matin, nous trouvant dans le nord-est de l'?le de Bas, ? quelques lieues de terre, nous aper??mes enfin le navire qui devait devenir notre proie. Les rayons de la lune, projet?s sur la surface presque immobile de la mer, nous laiss?rent distinguer une masse noire au centre de ce r?seau de jets argent?s. Nous approchions ? force de rames le b?timent, que le mouvement paresseux des flots balan?ait au sein du calme et du silence le plus profond. Notre petite caronade, charg?e ? double charge, ?tait dispos?e ? faire feu, et nos hommes par?s ? larguer leurs avirons pour sauter ? l'abordage. Une brise, la brise la plus infernale que nous pussions recevoir, s'?leva sous de gros nuages qui venaient d'envelopper la lune. Le hasard voulut que le trois-m?ts, dont les voiles battaient en calme une minute auparavant, se trouv?t tout justement orient? pour recueillir le premier souffle de ce vent malencontreux, contre lequel nous jurions ? faire trembler notre barque. Il fila bient?t, et avant que nous eussions rentr? nos avirons, hiss? nos voiles, et mis le cap en route, notre ennemi put gagner de la route sur nous. Cette contrari?t? ne nous rebuta pas. Nous appuy?mes la chasse ? la proie qui voulait nous ?chapper. La clart? de la nuit nous permettait encore de distinguer, sous le vent ? nous, le point mobile que nous voulions atteindre. A trois heures et demie du matin, nous nous trouvions presque ? port?e de canon de notre Anglais. Mais la lune, d?j? ? l'horizon, disparut et nous laissa quelque temps dans l'obscurit?: notre chasse continua.

Nous vir?mes de bord sur le navire anglais. En l'approchant, Ivon lui-m?me trouva qu'il ?tait gros; mais il attribuait l'apparence de son volume ? l'effet du mirage. Notre ennemi ne nous donna pas la peine de l'aborder. Un coup de canon ? boulet, qui nous d?passa ? plus de deux cents brasses, nous arracha toutes nos illusions: c'?tait un vaisseau de 80 canons.

La manoeuvre du vaisseau, dont il ne pouvait se rendre compte, ne tarda pas ? s'expliquer pour nous.

On se ferait difficilement une id?e de notre position humiliante, et des tristes r?flexions qu'elle nous sugg?rait. Quelle figure allions-nous faire ? Plymouth, devant une foule attir?e par le spectacle d'un vaisseau anglais, d?barquant un corsaire fran?ais, avec tout son ?quipage, comme on d?barque un canot-major ou le canot d'un commandant! Ivon, transport? de rage, voulait se tuer. Nous l'avions amarr?, pour l'emp?cher de se jeter ? la mer ou de se donner un coup de poignard. Chaque fois qu'il voyait para?tre le commandant ou un officier anglais, sur le gaillard d'arri?re et pr?s du grand m?t, il l'injuriait, l'insultait, jusqu'? ce que la rage lui e?t fait perdre haleine.

PRISONS D'ANGLETERRE.

Tant qu'il restera un souvenir chez les nations polic?es, on se rappellera avec horreur les prisons d'Angleterre, cloaques infects o? des milliers d'hommes allaient s'entasser sous la main de la vengeance, pour oublier dans l'exc?s du malheur et des privations, tout ce qui fait la civilisation et l'humanit?.

Ces th??tres affreux d'une captivit? et d'une proscription de chaque jour, situ?s aux environs de villes opulentes, r?pandaient au loin l'air impur qui s'exhalait de leur sein; ? une lieue des prisons, la terre cessait de produire, frapp?e qu'elle ?tait de st?rilit?; et les oiseaux m?mes fuyaient l'atmosph?re empest?e qui enveloppait ces vastes charniers d'o? un murmure confus s'?chappait comme ces plaintes qu'on dit sortir des entrailles de l'enfer. C'?tait l? que des masses de Fran?ais expiaient le tort d'avoir servi leur patrie et le chef qu'ils avaient choisi pour les gouverner.

On a d?j? dit les incroyables tortures que pendant onze ans avaient eus ? subir les mille ou douze cents prisonniers qu'on enfermait ? bord de chaque ponton. Je ne parlerai ici que des prisons de terre.

Deux ou trois grandes casernes, dans lesquelles on aurait log? ? peine cinq ? six cents soldats, suffisaient pour emprisonner trois ? quatre mille Fran?ais. Des morceaux de toile suspendus dans tous les sens, depuis le pav? jusques ? la toiture de ces ?difices d?labr?s, servaient de lits aux captifs; quatorze onces de pain noir et six onces de mauvaise viande ou de morue putr?fi?e, ?taient jet?es chaque jour ? chacun d'eux; c'?tait leur nourriture.

La captivit? est sans doute un supplice horrible pour ceux qui n'ont commis d'autre crime que celui d'avoir succomb? en combattant loyalement; mais il ?tait encore, dans les prisons d'Angleterre, un mal plus horrible ? endurer que celui d'une r?clusion sans espoir; c'?tait le spectacle de la d?pravation, que les privations de toute esp?ce engendraient au milieu de tant d'hommes entass?s, p?le-m?le, avec toutes les passions et les vices qui fermentent, qui se d?cha?nent au sein des cloaques o? l'on persiste ? ?tablir son r?gne.

Les gens qui ont ?t? assez heureux pour ne pas ?tre t?moins des exc?s auxquels peut s'abandonner la nature humaine, livr?e sans frein ? ses instincts les plus grossiers, se refuseront toujours ? croire des rapports que l'on pourrait supposer dict?s par l'exag?ration ou la misantropie. Mais la v?rit? est l?, et il ne suffit pas de la contester froidement pour l'an?antir: elle ne doit pas ?pargner notre malheureuse esp?ce, ni cacher ? notre d?licatesse les faiblesses auxquelles peut descendre cette humanit?, que par une erreur, qui m?me est aussi une faiblesse de plus, nous nous obstinons ? regarder comme une nature privil?gi?e.

Un vice honteux, dont le nom seul est un outrage ? la pudeur, un vice que l'antiquit? a chant? et que la barbarie tol?re aujourd'hui ? peine, r?gnait avec fr?n?sie dans les prisons. J'ai vu des actes de mariage, gravement r?dig?s et sign?s de bonne foi, dans des lieux o? il n'y avait qu'un sexe. J'ai vu, enfin, des asiles de prostitution ouverts ? la fr?n?sie de la corruption, au milieu d'une soci?t? de captifs, si l'on peut appeler soci?t? une foule de malheureux encha?n?s comme des tigres dans un repaire effroyable. J'ai vu des jeunes gens se donner la mort en duel, en se disputant les faveurs de ceux qu'ils appelaient leurs ma?tresses. Il y avait enfin, en prison, de l'amour, des mariages, des rivalit?s, des infid?lit?s et de l'adult?re; et cependant, comme je l'ai fait d?j? remarquer, il n'y avait l? qu'un sexe!

La force physique avait parmi les prisonniers ses privil?ges, ses flatteurs et ses victimes. La brutalit?, sous ses formes les plus hideuses, opprimait l? le droit, la nature et la pudeur.

Ils s'attribuaient la surveillance des jeux de hasard: leur intervention mettait fin aux d?bats entre les parties contendantes, et ils s'emparaient quelquefois m?me des pi?ces de tous les proc?s, qu'ils suscitaient et dont ils s'arrogeaient fi?rement la connaissance.

Quand une querelle ?clatait parmi les prisonniers, ils s'?tablissaient aussit?t juges du camp, et, pour peu que deux adversaires se montrassent dispos?s ? vider leur diff?rend par les armes, les champions se rendaient dans une salle de la prison r?serv?e aux combats singuliers. L?, les h?rauts d'armes remettaient ? chacun des combattans un b?ton au bout duquel on attachait un rasoir ou une branche de compas; et, en pr?sence de tous les curieux attir?s par l'app?t du duel annonc?, le sang jaillissait sur l'ar?ne, et le mort ou le bless? ?tait transport? ? l'h?pital, lieu funeste o? l'avarice pr?sidait encore aux soins que l'humanit?, m?me la plus ?go?ste, ne peut pas toujours refuser ? la souffrance.

Mais au milieu de tant d'horreurs, de tant de mis?re et de tant d'objets dignes de d?go?t ou de piti?, les arts et l'industrie, qui s'introduisent avec les Fran?ais jusque dans les cachots, venaient apporter quelques consolations aux victimes de la politique anglaise.

Dans la plupart des prisons, les commandans anglais avaient permis aux captifs d'?lever dans les cours de petites cabanes o? l'on donnait ? manger ? la carte. Rien n'?tait plus singulier que d'entendre un prisonnier, portant sa ration de pain noir sous le bras, demander imp?rieusement la carte au gar?on, qui servait du beef-steak ? quatre sous, aux gastronomes et aux Lucullus de cette autre Rome.

Thalie avait aussi ses autels, et m?me ses pr?tresses dans ces tristes lieux o? la mis?re et le d?sespoir semblaient seuls pouvoir trouver acc?s: on jouait la com?die jusque sur les pontons. Mais quelle com?die et quelles actrices! Il suffira de dire que les jeunes premi?res de la troupe des prisons faisaient, parmi les spectateurs, beaucoup plus de conqu?tes que n'en comptent les plus jolies danseuses et les premi?res cantatrices de notre Acad?mie de musique.

Il y avait aussi dans les prisons un autre culte que celui des Muses. D'anciens enfans de choeur, se rappelant la messe qu'ils avaient servie dans leur jeunesse, c?l?braient tous les dimanches, sous les costumes sacerdotaux, l'office divin, que quelques fid?les venaient ?couter d?votement. A Stapleton, par exemple, c'?tait un officier de l'arm?e exp?ditionnaire de Saint-Domingue, qui avait ?t? rev?tu des fonctions ?piscopales. Un autel peint sur un mur, et termin? par quelques marches en relief, lui tenait lieu de tabernacle: deux ou trois petits mousses l'assistaient dans la c?l?bration de l'office, et r?pandaient autour de lui les nuages d'encens du sacrifice. Tout cela se faisait sans rire. La n?cessit?, et le sentiment profond de toutes les privations, sauvaient du ridicule ces r?miniscences grotesques des pratiques de la soci?t?.

Les sciences exactes et les math?matiques surtout ?taient cultiv?es avec pers?v?rance et succ?s par quelques prisonniers. Des officiers de marine avaient ouvert, pour les jeunes gens qui d?siraient s'instruire, des cours de g?om?trie, de navigation, de langue anglaise et de grammaire fran?aise. Des musiciens se r?unissaient pour donner de petits concerts, les danseurs pour monter des bals.

Des jours de f?te se levaient quelquefois m?me pour les malheureux prisonniers. Chaque province c?l?brait, ? une ?poque marqu?e de l'ann?e, un anniversaire cher au pays o? l'on ?tait n?. Les Bretons et les Basques se distinguaient surtout par l'esp?ce de culte qu'ils avaient vou? ? la patrie absente. Ces deux peuples de nos provinces sont peut-?tre parmi les Fran?ais, ceux qui conservent le plus long-temps les nuances qui les distinguent des autres populations de la France. Un Breton ne croyait gu?re avoir retrouv? un compatriote en prison, que lorsqu'il avait serr? la main d'un autre Breton.

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