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Read Ebook: Le Négrier Vol. II Aventures de mer by Corbi Re Edouard

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Ebook has 112 lines and 19635 words, and 3 pages

Des jours de f?te se levaient quelquefois m?me pour les malheureux prisonniers. Chaque province c?l?brait, ? une ?poque marqu?e de l'ann?e, un anniversaire cher au pays o? l'on ?tait n?. Les Bretons et les Basques se distinguaient surtout par l'esp?ce de culte qu'ils avaient vou? ? la patrie absente. Ces deux peuples de nos provinces sont peut-?tre parmi les Fran?ais, ceux qui conservent le plus long-temps les nuances qui les distinguent des autres populations de la France. Un Breton ne croyait gu?re avoir retrouv? un compatriote en prison, que lorsqu'il avait serr? la main d'un autre Breton.

Un grand nombre d'officiers de marine et de l'arm?e de terre expiaient dans les fers le tort d'avoir voulu se soustraire, par la fuite, aux vexations auxquelles ils n'?taient que trop souvent expos?s dans les cantonnemens. Les marins, en revoyant sous les m?mes cha?nes qu'eux les officiers qu'ils avaient pris en aversion, ? bord des b?timens de l'?tat, se plaisaient ? leur faire sentir la sup?riorit? qu'ils avaient acquise sous l'empire de la loi commune du besoin et de l'impunit?: souvent on voyait un matelot insulter l'orgueil r?volt? d'un de ses anciens chefs, pour avoir le plaisir de le battre ensuite, ou de le livrer aux hu?es de la d?mocratie de ces sales r?publiques.

Les militaires cependant surent toujours se pr?server de ces d?plorables exc?s. On les voyait m?me, lorsqu'un de leurs officiers venait partager leur sort, redoubler d'?gards envers lui, en raison de son malheur et de l'autorit? qu'il avait perdue sur eux. Il n'est pas sans exemple que des soldats aient nourri de leurs ?pargnes ceux de leurs anciens chefs que le peu d'habitude des travaux manuels r?duisait ? la ration insuffisante de la prison. C'?tait la dignit? de l'?paulette qu'ils ne voulaient pas laisser tomber, disaient-ils, tant une discipline admirable conservait encore d'empire sur ces hommes que la captivit? avait cependant affranchis du joug de toute subordination.

La justice, ? laquelle toutes les soci?t?s d'hommes reviennent toujours comme ? une r?gle, si ce n'est comme ? une vertu, avait aussi parmi les prisonniers fran?ais des tribunaux, un pr?sident et des juges. Les causes ?taient plaid?es et les jugemens ex?cut?s ? l'heure m?me et sans appel.

Le corps judiciaire ?tait compos? des notabilit?s qui, par leur force ou leur adresse, exer?aient d?j? une certaine, influence sur la majorit? des justiciables. Le chef des ma?tres d'armes ?tait ordinairement investi de la pr?sidence de la cour, pourvu qu'il s?t lire. L'espace pris ? une douzaine de hamacs, et entour?, d'une mauvaise toile, servait de palais et de si?ge au tribunal. Le pr?venu paraissait escort? par les robustes agens de cette force publique, qui r?sidait surtout dans la force physique de ses ex?cuteurs. Le plaignant ?tait interrog?, et quand l'accus? ?tait condamn? pour vol , on l'amarrait ? une ?pontille o? il recevait dix, quinze, vingt ou vingt-cinq coups de bouts de corde, selon la gravit? du d?lit ou de ses circonstances. Cette p?nalit?, emprunt?e ? la jurisprudence maritime, ?tait la seule que l'on conn?t en prison.

Il nous fallut traverser une haie de ge?liers avant de parvenir ? la derni?re barri?re, contre laquelle nous aper??mes avec horreur, des spectres vivans qui se pressaient pour nous demander des nouvelles de France.

--Excusez, dit l'un des athl?tes; ne vous g?nez pas! Ce monsieur arrive en prison en mollets, et apr?s que le bal est fini.

--Oui, malin, r?pondit Ivon, et en mollets de seize pouces, encore.

--Monsieur a de la chair de reste, ? ce qu'il para?t; mais il lui en d?gringolera avant six mois.

Quant ? moi, j'attendais paisiblement que l'enivrement de la victoire et de la forte bi?re se f?t dissip? chez mon glorieux ami, pour pouvoir obtenir, par la protection du vainqueur un hamac et une petite place dans la prison. Cette faveur ne se fit pas longtems attendre.

Le lendemain de son succ?s, il me prit par la main, et eu pr?sence de la respectable assembl?e des forts-?-bras, il adressa cette courte allocution ? ses nouveaux confr?res:

<>

Chacun me toisa, comme pour prendre bonne note de l'avertissement: jamais il ne m'arriva d'?tre insult? dans la prison, malgr? mes quinze ans, mes cheveux boucl?s et ma jolie figure.

Les principes d'Ivon n'?taient pas toujours fond?s sur la morale la plus pure; mais ses calculs, ne manquaient pas toujours de justesse, ni de port?e s'ils manquaient quelquefois de scrupule.

--Quoi? cette jolie dame qui montre quelquefois sa t?te ? la fen?tre du bureau?

--Pr?cis?ment. Est-ce que tu aurais d?j? mis le cap dessus?

--Non, mais l'autre jour elle m'a fait signe d'avancer sous ses crois?es, et elle m'a jet? un nouveau Testament que voil?!

--Et quel moyen employer pour sortir d'ici?

--Depuis quinze jours, toute la prison travaille ? un trou d'un demi-quart de lieue de long. Chaque piocheur prend, dans sa poche, la terre que nous grattons la nuit, et puis il la jette dans les latrines du pr? pour cacher la farce que nous voulons jouer ? l'Anglais.

--Pas possible!

--Mais si un tra?tre venait ? d?couvrir aux Anglais?...

--On l'escofie, et c'est toujours une petite consolation.

Le trou se minait effectivement chaque nuit. L'issue que l'on voulait pratiquer ? l'ext?rieur devait donner dans un champ, situ? ? plus de trois cents toises des murs. Il fallait voir avec quel myst?re et quelle ardeur les prisonniers passaient les nuits, pour creuser ce souterrain par lequel toute la prison devait s'?chapper! Le projet des premiers ?vad?s ?tait d'?gorger les sentinelles anglaises dans leurs gu?rites, et de massacrer tous ceux qui se pr?senteraient ensuite ? leurs coups, si les cinq mille ?chapp?s ?taient assez malheureux pour ne pas trouver les moyens de gagner la mer. Ivon, comme un des acteurs les plus actifs et les plus utiles, devait passer un des premiers. L'orifice int?rieur du trou ?tait recouvert, chaque matin, avec une pr?caution telle qu'il ?tait impossible aux balayeurs des salles, d'apercevoir les traces de ce travail nocturne.

Tous les prisonniers se d?couvrirent en signe de satisfaction et de respect pour l'arr?t qui venait d'?tre ex?cut? d'une mani?re si tragique.

Peu de jours, en effet, apr?s notre malheureuse tentative d'?vasion, le commissaire me fit demander, ? ma grande surprise. Je croyais que c'?tait pour me remettre quelques lettres de France, arriv?es par les parlementaires, qui, alors, entretenaient encore des communications entre les deux pays. Il s'agissait de tout autre chose.

--Savez-vous ?crire? me demanda M. Milliken, en assez bon fran?ais.

--Oui, monsieur le commissaire.

--Voyons, tracez-moi quelques lignes sur ce papier.

Le commissaire trouva que j'avais une assez belle main. Il me dit qu'ayant besoin d'un commis pour tenir le r?le des prisonniers, il obtiendrait, comme il l'avait fait d?j? pour quelques jeunes gens, la permission du commandant, de m'employer dans ses bureaux, et que je n'entrerais dans la prison que pour y coucher; mais que, du reste, je resterais soumis ? la surveillance, qui ne permettait pas aux Fran?ais de sortir de l'enceinte des murs. J'acceptai, avec reconnaissance, une proposition qui devait adoucir les momens d'une captivit? dont je n'entrevoyais pas encore le terme.

Avant d'aller plus loin je dois peut-?tre dire ce qu'?tait la femme qui va occuper un instant la sc?ne, dans le petit drame de mes aventures.

Madame Milliken ?tait une belle brune de 25 ? 26 ans, fra?che comme presque toutes les jeunes Anglaises, et vive comme il en est peu qui le soient parmi elles. La mauvaise ?ducation qu'elle passait pour avoir re?ue donnait ? sa physionomie quelque chose de hardi, qui ne mentait pas. Bonne, capricieuse, indiscr?te et passionn?e, elle faisait, avec tous ses d?fauts et deux ou trois excellentes qualit?s, le bonheur d'un mari confiant et facile, qui la croyait la plus fid?le des femmes, parce qu'il ?tait le meilleur et le plus honn?te des hommes.

M. Milliken, appartenant ? une bonne famille, avait eu le tort de choisir son ?pouse dans un rang inf?rieur au sien; et en descendant jusqu'? elle, il n'avait pas trouv? dans sa femme assez de ressources pour l'?lever jusqu'? lui. Mais son aveuglement ?tait tel, et l'illusion du premier sentiment, qui lui avait fait ?pouser sa ma?tresse, s'?tait si heureusement prolong?e au del? de l'hymen, qu'il croyait encore que l'entra?nement qu'elle avait montr? pour plusieurs jeunes prisonniers, n'?tait chez elle que l'effet d'une vertu compatissante, qui devait lui rendre encore plus ch?re la femme ? laquelle il s'?tait uni en d?pit de ses parens. Des d?sordres enfin, qui ?taient connus de tous les prisonniers, ?taient encore un myst?re pour le plus abus? et le plus content des ?poux des trois Royaumes-Unis.

Plus la femme me t?moignait d'affection, plus le mari se croyait oblig? de m'en montrer aussi. Je devins l'enfant g?t? de la maison, et quand, le soir, je quittais les deux ?poux pour retourner ? la prison, j'entendais ma protectrice, plac?e ? sa fen?tre, plaindre au bruit des verroux que les ge?liers avaient ordre de m'ouvrir, le sort d'un malheureux enfant r?duit ? passer toutes les nuits dans un cachot. Je ne puis, sans faire d'?tranges r?flexions sur l'adresse des femmes et l'aveuglement des maris, me rappeler une sc?ne d?licieuse entre les deux ?poux, Sarah et moi.

Ma protectrice voulait m'apprendre ? prononcer, en pr?sence de son mari, quelques mots d'anglais, que je r?p?tais avec une incorrection dont ils s'amusaient beaucoup et qui faisait rire Sarah jusqu'aux larmes. M. Milliken, occup? ? ?crire et tiraill? sans cesse par sa femme qui voulait attirer son attention sur moi, s'impatientait, en souriant de ses agaceries et des distractions qu'elle s'effor?ait de lui causer. <> Puis, s'adressant ? Sarah: <>

--En effet, dirait-on, repart madame Milliken en me d?vorant de ses beaux grands yeux noirs, que si jeune, si doux, et avec sa jolie mine si caressante, ce petit damn? ait d?j? couru les mers, affront? mille dangers?... Quel dommage que la mort e?t frapp? une t?te comme cela!... Mais voyez donc, madame, reprend Sarah, s'il n'a pas l'air de la plus innocente des filles, avec ses longs sourcils, ses regards ? moite baiss?s et ses joues ros?es comme une p?che...

Le bon monsieur Milliken souriait des remarques significatives de sa femme avec un air qui semblait dire: Vous ?tes toutes les deux plus enfans que cet enfant-l?. Sarah me donnait de petites tappes bien mignardes, bien irritantes sur la t?te, et sa ma?tresse la grondait avec douceur, en lui disant qu'elle finirait par me faire mal. Et moi, heureux de toutes ces folles cajoleries qui m'encourageaient, j'oubliais mon travail, j'embrassais ? la d?rob?e les mains aga?antes de ma bienfaitrice, et j'allais presque jusqu'? ne vouloir plus penser ? Rosalie. Bient?t je poussai l'audace jusqu'? hasarder, en fol?trant, un baiser qu'on me pardonna en riant. Plus tard enfin on fit plus que de me pardonner mes gauches tentatives. On les provoqua. Et Rosalie! Rosalie!... je ne l'oubliais cependant pas; j'?prouvais m?me, au sein d'un bonheur qu'elle ne m'avait pas encore fait conna?tre, que cet amour qui ne s'efface jamais du coeur date de la premi?re femme que l'on a aim?e et non de celle qui la premi?re ne vous a plus rien laiss? ? d?sirer.

Oh! qu'avec l'exp?rience que j'ai aujourd'hui, je plains les femmes qui cherchent ? s'attacher un jeune homme, en jetant pour la premi?re fois dans ses sens surpris, cet ?trange d?lire apr?s lequel il n'est plus d'illusion! Si les plus coquettes savaient ce que nous ?prouvons apr?s avoir connu les premi?res faveurs qu'on nous accorde, elles ne chercheraient plus bien certainement ? nous fixer, en ravissant ? leurs rivales l'occasion de ne plus nous laisser rien ? esp?rer. Combien la sati?t? suit de pr?s nos premi?res conqu?tes!

L'?VASION.

Nouvelles de France.--Nous br?lons la politesse aux Anglais.--Une bonne id?e.--Le spectacle.--Le cotillon-misaine.--Heureuse rencontre en mer.

Un homme fait aurait, ? ma place, trouv? dans la captivit? m?me, un bonheur que beaucoup de gens ? bonnes fortunes ne rencontrent pas toujours dans le monde. Une ma?tresse belle, aga?ante; les soins de toute une famille pour qui j'?tais devenu un enfant ch?ri; des plaisirs, de l'abondance, tout concourait ? ma f?licit?; mais ? seize ans, mais avec une imagination d?vorante comme la mienne, mais avec des souvenirs comme ceux qui me tourmentaient et avec la passion que j'avais pour une carri?re sit?t interrompue, on ne peut ?tre heureux dans l'enceinte d'une prison, cette prison f?t-elle un palais enchant?. Les exigences de madame Milliken, et cet empire qu'? mon ?ge on est forc? de subir quand il est impos? par une femme comme celle ? qui j'avais affaire, devinrent un supplice pour moi. Il fallait un aliment ? ma bouillante activit?, contrari?e par l'exc?s de mon bonheur m?me. J'?tais dans l'abattement, je cherchais ? me r?veiller, ? changer de situation d'esprit, sans savoir trop ce que je d?sirais, sans me plaindre m?me de ma position.

Des lettres, de l'argent, un portrait arriv?rent de France ? mon adresse. C'?taient des lettres de mes parens, de l'argent qu'ils m'envoyaient; c'?tait le portrait de Rosalie, de cette bonne Rosalie qui, voulant aussi contribuer ? adoucir mon sort, avait ?conomis? vingt-cinq louis qu'elle me priait d'accepter comme un ami accepte quelque chose de la main de sa meilleure amie. En apprenant ma captivit? par les papiers publics, elle avait suppli? tous les capitaines de corsaire de s'int?resser ? elle, ? moi, et de m'?changer contre les premiers prisonniers qu'ils feraient ? la mer, et qu'ils auraient occasion de renvoyer en Angleterre. Elle avait donn? mon nom, mon signalement ? vingt capitaines qui lui avaient promis de combler ses voeux. Son portrait, elle me l'envoyait pour que je me rappelasse quelquefois une femme qui ne vivait que pour m'aimer; et puis arrivaient les conseils les plus tendres, les plus sens?s sur la conduite que je devais tenir en prison, les protestations les plus vives d'un attachement que l'absence n'affaiblirait jamais.

Quelques jours apr?s l'adoption d?finitive de ce plan, mon Ivon avait pris la clef des champs. Rest? seul en prison, car il ?tait tout pour moi, je n'eus plus de repos sans lui. Ma situation devint insupportable. Je ne r?vai plus qu'aux moyens que je pourrais employer pour rejoindre celui qui, depuis si long-temps, m'avait tenu lieu de famille, de fr?re et de patrie.

Madame Milliken remarqua trop bien mes inqui?tudes, mon ennui et le vide peu flatteur pour elle, que la fuite de mon compatriote avait laiss? dans toute mon existence. Elle redoubla d'empressement, et me devint deux fois plus importune, par cela m?me qu'elle croyait devoir redoubler de soin, et aussi peut-?tre par cela que j'?tais moins dispos? ? supporter ses obsessions.

Un jour o? elle fol?trait comme d'habitude avec moi, il lui prit fantaisie de me jeter sur la t?te un de ses chapeaux, dont elle me noua, avec agacerie, les rubans sous le menton. Sarah trouva que cette coiffure m'allait ? ravir, et qu'elle me donnait un air encore deux fois plus fripon. Le bon M. Milliken ?tait absent. Toujours dispos?e ? s'extasier sur la douceur de ma physionomie et la blancheur de ma peau, Madame Milliken appuya sur la remarque de sa femme de chambre, qu'elle trouva fort juste.

--Oh! madame, dit celle-ci, la bonne id?e! si nous habillions ce petit morveux-l? en femme?

L'appartement dans lequel je me trouvais seul pour la premi?re fois, donnait sur une rue parall?le ? l'un des murs de la prison. Ses fen?tres entrouvertes me laissaient respirer un air qui me semblait embaum?: c'?tait l'air de la libert?. Je regarde dans la rue: personne ne se montre sous les crois?es; il n'y avait qu'un premier ?tage ? sauter: j'avais d?j? pass? ma robe. Ma r?solution est bient?t prise. Je me laisse couler le long du mur, me voil? dans la rue, et je me trouve v?tu ? peu pr?s en lady, allant je ne sais o?, fort embarrass? de mon nouveau costume, et de la tournure que je devais prendre sous une robe qui s'entortillait ? chaque pas dans mes jambes.

Ivon m'avait bien donn? l'adresse de l'h?te chez lequel il devait m'attendre. Mais comment trouver cette maison? comment, sachant ? peine l'anglais, demander sans risquer de me trahir, les renseignemens qui me sont n?cessaires? Bah! me dis-je, je courrai toutes les rues de Plymouth jusqu'? ce que je lise sur les maisons du coin, le nom de la rue qu'il me faut d?couvrir.

Je marche en essayant de mod?rer la vigueur et la longueur de mes pas, croyant toujours attirer sur moi les yeux de tous les passans, et avoir la foule ? mes trousses.

Ennuy?s tous deux de toujours boire sans prendre l'air, il nous vint envie de nous promener le soir malgr? les sages observations de notre h?te. Le troisi?me jour de notre nouvelle r?clusion, je prends le bras d'Ivon, toujours v?tu en juif, et suspendant avec coquetterie les plis de ma robe dans ma main gauche, nous allons tous deux ? Plymouth-Dock. L'entr?e d'un spectacle s'offre ? nos yeux: on nous propose des billets: des gens du commun entraient ? ce th??tre d'assez mince apparence. Nous suivons la foule. Nos billets de seconde nous donnent droit ? une place dans des esp?ces de niches o? plusieurs femmes ? la mine gaillarde s'?taient d?j? assises. L'une d'elles veut prendre l'initiative avec mon cavalier, et lui adresse famili?rement des questions auxquelles il se soucie fort peu de r?pondre. La toile se l?ve. Des matelots am?ricains, rang?s assez pr?s derri?re nous, avancent le cou pour voir la sc?ne, que mon large chapeau leur cachait. Dans un de ces mouvemens importuns, l'un des spectateurs curieux pose sur mon ?paule sa large main, sur laquelle il veut soutenir le poids de son corps projet? en avant. Un autre, moins attentif ? ce qui se passe sur la sc?ne, prend avec moi, et dans le plus grand silence, des libert?s qui m'irritent beaucoup plus qu'elles ne m'alarment. Je repousse rudement la main qui s'?gare aussi grossi?rement. Ivon, ? qui mon geste n'?chappe pas fait ? mon trop galant voisin une mine que sa longue barbe rouge rend encore plus grotesque qu'imposante. L'Am?ricain devient plus pressant, et moi, fatigu? d'une obsession ? laquelle je n'?tais pas encore habitu?, j'applique, en me retournant vivement, un grand soufflet sur le visage rubicond de mon audacieux adorateur. Le combat s'engage entre lui et nous: la barbe d'Ivon reste dans la main d'un de nos adversaires; la robe qui cache mes musculeux attraits, n'est pas m?me respect?e; la police intervient: elle s'adresse d'abord aux Am?ricains; l'escalier ?tait l?, et par l'effet du m?me sentiment de crainte, Ivon et moi nous gagnons en quelques pas la porte de sortie, et nous ?chappons, de toute la longueur de nos jambes, aux suites de la sc?ne que la maladresse de ces imb?ciles de matelots ?trangers a provoqu?e si mal ? propos.

Des cris se faisaient entendre apr?s notre fuite, ? la porte du th??tre que nous venions de quitter si brusquement. La peur d'?tre poursuivis par les constables auxquels nous nous imaginions nous ?tre soustraits, nous fait prendre une rue pour l'autre. Nous courons toujours: c'est l? ce que l'on ne manque jamais de faire quand on croit avoir l'ennemi sur ses pas. Apr?s un quart d'heure de marche pr?cipit?e, nous nous trouvons dans les champs sans pouvoir deviner le chemin que nous avons fait, ni celui qu'il nous faudrait suivre pour retourner ? Stone-House, et sans oser rentrer ? Plymouth-Dock, pour prendre notre point de d?part. La mer, que nous entendions mugir sur la c?te, nous indiquait le rivage, et l'?toile polaire, que nous apercevions, nous faisait penser que nous devions nous trouver trop Nord. C'est ainsi qu'? terre les marins cherchent toujours ? s'orienter, quand ils s'?garent. Ces indices, quelqu'incertains qu'ils nous parussent, nous firent choisir une route oppos?e ? celle que, sans eux, peut-?tre, nous aurions suivie. En deux bonnes heures de course, nous arriv?mes, non sur le lieu que nous nous proposions de regagner, mais bien sur le bord de la mer, que nous ne cherchions pas.

Le feu de la tour d'Edistone brillait au large, sur les flots paisibles comme le ciel qui le recouvrait. La rade de Plymouth nous restait ? droite. A gauche, les sinuosit?s du rivage nous laissaient voir de petites baies, qui devaient se trouver dans le Sud-Est. Apr?s avoir pris nos rel?vemens, selon les donn?es que nous fournissait notre m?moire ou le peu de connaissances que nous avions des lieux, d?j? parcourus par nous, Ivon pensa que nous devions nous trouver assez pr?s de Bigbury. Ext?nu?s par la fatigue et par les ?motions qui avaient accompagn? notre marche rapide, nous nous asseyons sur le haut d'une c?te, o? la mer venait doucement briser ses lames paisibles et r?guli?res.

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