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Read Ebook: Mademoiselle La Quintinie by Sand George

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Ebook has 1411 lines and 94812 words, and 29 pages

ucoup de courage cela est certain, et je n'ai pas de parti pris contre le mariage, dont je me fais la m?me id?e que vous. Il serait peut-?tre pu?ril de nous rencontrer, tels que nous sommes sans vouloir nous conna?tre, et sans laisser ? Dieu le soin de nous associer ou de nous d?sunir. Je m'en remets ? lui. Je n'ose pas dire: Faites comme moi, puisque vous n'?tes pas s?r que Dieu s'occupe de nos destin?es...>>

Je lui r?pondis que je n'avais jamais ni? cette intervention et que j'aimais ? y croire, que j'y croirais peut-?tre absolument un jour, quand j'oserais m'affirmer ? moi-m?me certaines v?rit?s qu'on ne doit pas admettre par complaisance ou par enivrement.

<

Sans aucun doute.>>

Elle r?fl?chit un instant comme incertaine, puis elle approuva et prit mon bras pour aller rejoindre son grand-p?re, qui ?tait en t?te-?-t?te, lui, avec madame Marsanne. Certainement ils parlaient de nous, car ils sourirent en nous voyant. Lucie alla droit ? eux, et leur dit avec beaucoup d'assurance, trop d'assurance peut-?tre:

<>

Le grand-p?re fut enchant? et me pressa vivement les mains. Je causai assez longtemps avec lui. C'est un vieux raisonneur ? id?es ?troites, mais dont le coeur g?n?reux r?pare la s?cheresse intellectuelle. Il a une instruction superficielle qui lui permet de prononcer sur tout sans avoir rien approfondi. Il a la pr?tention de croire au n?ant, et sa logique est si mauvaise, que Lucie a d? se faire religieuse par r?action. Ce n'en est pas moins un homme aimable et un homme excellent que M. de Turdy. Il a une grande bienveillance et la na?vet? d'un vieillard dont la vie a ?t? pure. Il se pique de comprendre les d?licatesses du sentiment, et il en a certes l'instinct, sinon par exp?rience, du moins par habitude de savoir-vivre. Je l'ai pris surtout en affection ? cause de la tendresse vraiment touchante qu'il a pour sa petite-fille. Elle est son id?al et son dieu, et, s'il n'a rien gouvern? en elle, il n'a du moins rien fl?tri et rien amoindri.

La conclusion de ces d?tails fut que M. de Turdy se ber?ait avec plaisir de l'espoir de marier Lucie avant de mourir, et qu'il ?tait tr?s-content de pouvoir ?crire au g?n?ral, son gendre, qu'il avait mis un nouveau mariage en train pour elle; mais il consentit ? ne vouloir rien presser. Il laissa ? Lucie le temps de la r?flexion, sachant, disait-il, qu'elle romprait tout, si on la tourmentait. Il ne vit pas d'inconv?nients ? nous mettre en rapports ensemble, sans engagement r?ciproque. Lucie a agr?? l'essai d'autres soins que les miens; mais, d?s les premiers jours, elle les a repouss?s sans appel. Elle n'a pu ?tre compromise par aucun d?pit, tant sa r?putation est bien ?tablie. On me jugeait incapable de me plaindre en cas d'?chec, et on avait raison. La situation a donc ?t? dessin?e ainsi, et jusqu'? pr?sent elle n'a pas ?t? modifi?e par le fait de M. de Turdy ni par le mien; mais nous avions compt? sans des obstacles que tu appr?cieras, et qu'aujourd'hui je juge invincibles. Je reprends mon r?cit.

La journ?e de la cascade de Coux fut charmante. On fit une l?g?re collation sur l'herbe. Lucie fut gaie comme je ne l'avais pas encore vue, et il ne tint qu'? moi de croire qu'elle ?tait heureuse ou remplie d'esp?rances de bonheur. La gaiet? de Lucie n'est pas une p?tulance d'enfant qui s'?tourdit, c'est une gr?ce de femme qui cherche ? ?panouir les autres; on y sent la tendresse d'une bonne et sainte fille qui a cherch? toute sa vie ? d?rider le front de vieillards aim?s, et qui a trouv? le rayonnement de sa propre jeunesse dans cette pr?occupation touchante. Le vieux Turdy n'est pas gai par lui-m?me, et Lucie a fait de leur vie ? deux un ?ternel sourire. Madame Marsanne, qui me l'avait d?peinte si s?rieuse, fut ?tonn?e de l'abondance et de la tenue de son enjouement, et moi, dont le coeur ?mu ?tait plut?t pr?t ? ?clater dans les larmes que dans le rire, je me sentis emport? sans r?sistance dans un monde d'id?es fra?ches et jeunes, dans un paradis de fleurs et d'oiseaux enivr?s de soleil.

? ce jeu en succ?da, un du m?me genre, o? elle me prit ? partie sur mes opinions politiques. Comme je lui reprochais d'?tre l?gitimiste, elle se mit ? contrefaire certains vieux personnages encro?t?s qu'elle voit chez sa tante; que son grand-p?re reconnut et nomma, en riant jusqu'aux larmes. ?videmment, Lucie en s'?gayant dans cette mimique tr?s-r?ussie et dans cette caricature d'un langage arri?r? de formes et d'id?es, faisait gracieusement la cour ? son grand-p?re, j'osais alors dire ? moi aussi. Elle-nous abandonnait l'exag?ration, les travers et les ridicules du milieu o? nous la supposions riv?e. Elle semblait m?me trahir la cause du pass? et nous suivre dans les ?lans de la vie. Moi, du moins, je voulais voir tout cela dans sa gaiet? conciliante, et je revins de cette promenade ?bloui, charm?, pr?t ? me croire pr?f?r? ? tout ce que Lucie avait respect?, accept? ou subi jusque-l?.

Mon erreur ?tait compl?te, l'orgueil m'aveuglait. Lucie est, je le crois, une ?me in?branlable, qui fait la part de ce qu'on peut appeler l'?cume des opinions, mais qui reste fid?le ? de certains principes et tranquille comme ces grandes profondeurs de l'Oc?an qui ne s'aper?oivent pas des caprices du vent ? la surface du flot. Sa gaiet?, sa douceur, son humeur ?gale et facile, auraient d? ?tre pour moi la r?v?lation d'un parti pris, d'un pli ? jamais form? dans le livre de sa destin?e. Que ce soit ? telle ou telle page de son code int?rieur, cette page r?sume sa force, ?tablit sa r?sistance; elle n'ira pas au del?.

Je revis Lucie le lendemain ? Aix, chez madame Marsanne, qui ?tait un peu souffrante. Elle prolongea sa visite pour lui tenir compagnie. ?lise ?tait all?e avec sa belle-soeur voir la Grande-Chartreuse, et Henri avait obtenu la permission de les accompagner: Je me trouvai donc comme en t?te-?-t?te avec Lucie; car madame Marsanne nous mit en train de causerie, et se borna ensuite ? nous ?couter, pla?ant de temps en temps un mot pour nous aider ? d?velopper ou ? r?sumer nos id?es. Tu ne l'ignores pas; c'est le talent bienveillant et assez intelligent de notre amie.

Lucie me parut avoir sur le coeur l'?pith?te de l?gitimiste que je lui avais adress?e en riant la veille!

<>

Et, comme je l'avouais, car je ne veux rien nier, rien dissimuler avec elle:

<

--En v?rit?! s'?cria madame Marsanne, votre orthodoxie s'arr?te au pouvoir spirituel!

--Non certes, r?pondis-je, et je crois que nous sommes bien pr?s de nous entendre.

--Alors restons-en l?, dit-elle, et parlons d'autre chose; car la similitude parfaite des id?es n'est pas si n?cessaire d'ans ce monde. Peut-?tre m?me est-il bon que chacun garde une certaine nuance qui le caract?rise, pour faire acte de libert? dans la limite admissible.>>

Il me sembla qu'elle abandonnait encore une partie de son lest pour s'enlever plus haut dans la r?gion du vrai, et je lui en marquai ma reconnaissance par le soin que je pris de ne plus rien contredire. Elle parla de la France avec un peu d'amertume, et de l'indiff?rence politique et religieuse des Fran?ais avec tristesse; puis elle parla de son grand-p?re avec adoration et des douceurs de leur intimit?. Je ne sais ce qu'elle dit encore: elle fut si bonne ce jour-l?, que je t'?crivis le soir une longue lettre que je devais terminer et t'envoyer le lendemain. Je ne te l'envoyai pas: le lendemain, j'avais la mort dans l'?me.

Le lendemain, je rendis visite ? M. de Turdy. Je ne sais par quelle fatalit? il lui vint ? l'esprit de me demander si j'avais ?t? aux Charmettes, et, comme je r?pondais n?gativement:

<>

J'interrogeai les yeux de Lucie, qui affectait de regarder le paysage, comme si elle n'e?t entendu ni la question ni la r?ponse. Je ne sais quelle curiosit? chagrine me fit insister. Elle prit alors son parti et r?pondit nettement:

<

--Ma ch?re enfant, reprit le grand-p?re, j'aime ? croire que tu sais fort mal l'histoire des Charmettes, et qu'aucune personne du pays ne s'est jamais permis de la raconter devant toi, ? moins que cette personne ne soit ta grand'tante ou une de ses amies les b?guines, ou encore quelque pr?tre; car il n'y a que les d?vots pour dire cr?ment les choses, et pour apprendre aux jeunes filles ce que nous autres, vieux m?cr?ants, nous croirions devoir leur laisser ignorer.>>

Lucie garda un instant le silence, et une vive rougeur de d?pit ou de honte monta jusqu'? son front; mais la lutte contre elle-m?me fut rapidement termin?e. La rougeur s'envola comme un ?clair, elle embrassa le vieillard en disant:

<>

M. de Turdy, attendri, me regardait comme pour me dire: <> Et il est certain que j'?tais de son avis. On discuterait avec Lucie, on disputerait m?me, rien que pour le plaisir de la voir si d?licieusement c?der. Aussi le nuage qui me resta dans l'esprit eut-il une autre cause que son aversion syst?matique pour le grand g?nie de Rousseau, qu'elle ne conna?t pas. Je m'affectai int?rieurement de la pens?e que cette ?me candide ?tait d?j? d?flor?e par la science de soi-m?me impos?e aux jeunes filles pieuses comme un devoir, comme une n?cessit? du s?rieux de la confession. La confession!... Je n'avais jamais pens? ? cela qu'avec sang-froid. J'avais vu la premi?re institution, la confession publique ? la porte du temple, comme une chose terrible et grande, comme un reflet ardent de l'?poque du martyre: je regardais la confession auriculaire comme une d?viation du principe, comme un accommodement du p?cheur avec le ciel et du pr?tre avec le p?cheur; mais je n'avais pas encore mis dans ma pens?e l'image du pr?tre entre Lucie et moi. Quand elle se pr?senta, elle fit passer une sueur froide dans tout mon corps. Je me rappelai ce passage de Paul-Louis Courier, qui ne m'avait frapp? que comme ?loquence, et il me revint tout entier dans la m?moire comme si je l'eusse appris par coeur. Tu te le rappelles, ce passage que nous avons lu ensemble il n'y a pas longtemps.... <>

Cette implacable citation de ma m?moire, avec son corollaire sur le r?le du pr?tre entre les ?poux, me fit ressentir tous les aiguillons de la jalousie, et cette premi?re torture de l'amour fut si poignante, que Lucie s'en aper?ut et me demanda ce que j'avais.

La pr?sence du grand-p?re ne me g?nant pas pour un entretien de cette nature, je demandai brusquement ? Lucie si elle avait un confesseur.

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--J'aurais cru que vous n'en aviez besoin.

--On a toujours quelque chose ? se reprocher.

--Dans le secret de la conscience, dans le fond de la pens?e apparemment; car vos actions, ? vous, ne peuvent jamais ?tre mauvaises.

--Franchement, dit-elle en riant, je n'ai pas commis, que je sache, beaucoup de mauvaises actions. Quant aux cas de conscience, si j'en avais, ce ne serait pas ? l'abb? G?myet que je demanderais de les r?soudre. Le bonhomme est l'id?al de la simplicit?.>>

M. de Turdy, comme s'il e?t voulu me tranquilliser, s'?cria que l'abb? G?myet ?tait le meilleur et le plus inoffensif des hommes.

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--Et tout ? fait nul, reprit Lucie avec le m?me sourire que j'avais d?j? remarqu?.

--Nul! je le veux bien, dit le grand-p?re en s'animant; nul! je les aime comme cela et pas autrement, les pr?tres! je ne veux point de ces fanatiques comme mademoiselle ma soeur les pr?f?rerait peut-?tre.

--Eh! mon Dieu, cher papa, reprit Lucie, tu accuses ma tante! Tu sais bien qu'elle est plus mondaine que moi et qu'elle s'accommode fort bien pour son compte de la tol?rance illimit?e de M. G?myet. Voyons, ne me chicane pas trop. J'ai fait ce que tu voulais, j'ai accept? mon confesseur de ta main: je le respecte, j'ai de l'estime et de l'amiti? pour lui; mais je ne peux pas le prendre pour un aigle, lui-m?me n'a pas cette pr?tention-l?, et, quand je me confesse ? lui de beaucoup de ti?deur et de rel?chement dans la pratique, je suis toute pr?te ? lui dire que c'est sa faute, et c'est tout au plus s'il ne me dit pas que cela lui est parfaitement ?gal.

--Bien, bien, tr?s-bien! s'?cria le grand-p?re en riant et en me regardant encore; voil? ce que je veux, et c'est ? ce prix-l? que nous nous entendrons.

--Qu'est-ce que vous pensez de tout cela, vous? dit Lucie en se tournant vers moi avec son gracieux abandon. Doit-on faire les choses ? demi? Je sais d'avance que vous pensez le contraire; car, si vous n'?tiez pas un esprit absolu, vous ne seriez plus vous-m?me.

--Je pense, r?pondis-je sans h?siter, que la confession est mauvaise ou inutile. Vous avez accept? la chose inutile et pris le moins mauvais parti, ne pouvant vous r?soudre ? prendre le seul bon....

--Qui est de ne plus rien croire? Cela ne m'est pas possible!>>

Elle me fit cette r?ponse fort s?chement. Je m'inclinai et ne parlai plus, bien qu'elle m'y provoqu?t avec toutes les gr?ces d'esprit et de coeur qui sont en elle. Au bout de quelques instants, comme je prenais cong?:

<

--Eh bien, lui r?pondis-je, j'en aurai une. Je vous jure que j'en aurai une avant peu, car je vois qu'il le faut!>>

Elle partit d'un grand ?clat de rire et me tendit la main pour la premi?re fois, corrigeant par ce t?moignage d'affection et d'intimit? ce que sa raillerie avait de blessant; mais on n'a pas deux coeurs pour aimer, et je ne peux pas mettre dans le m?me cette simultan?it? de joie et de souffrance. Je commen?ais ? ne plus comprendre Lucie. J'?tais horriblement triste, c'est pourquoi je ne t'?crivis pas en rentrant. Henri se moquait un peu de moi.

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--Non, elle ne m'aimera probablement pas.

--C'est peut-?tre toi qui n'aimes pas, reprit-il avec un peu de vivacit?. Tu me fais l'effet d'un p?dant ou d'un despote. Eh! mon cher, que t'importe que ta femme croie au culte et suive les pratiques d'une ?glise quelconque?

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