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Read Ebook: Mademoiselle La Quintinie by Sand George

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Ebook has 1411 lines and 94812 words, and 29 pages

--C'est peut-?tre toi qui n'aimes pas, reprit-il avec un peu de vivacit?. Tu me fais l'effet d'un p?dant ou d'un despote. Eh! mon cher, que t'importe que ta femme croie au culte et suive les pratiques d'une ?glise quelconque?

--Tu permettras le confesseur ? la tienne, toi?

--Je lui en permettrai dix, ? la condition que ces messieurs-l? ne l'emp?cheront pas d'?tre ? moi corps et ?me.

--Non, tu ne te soucies pas de son ?me! Tu lui laisseras l'absolue libert? de conscience, tu l'as dit!

--Conscience religieuse, entendons-nous! Qu'elle croie ? Junon Lucine ou ? l'immacul?e conception, ce ne sont pas l? mes affaires. Pourvu qu'elle me donne des enfants qui soient de moi, qu'elle pr?f?re mon entretien au confessionnal, je ne lui demanderai jamais compte de ses ?panchements spiritualistes avec les docteurs en droit canonique.

--Eh bien, moi, je suis tout autre. Je ne s?pare point l'?me du corps, et je ne supporterai pas l'amant platonique, de quelque nom qu'il s'appelle!

--Alors ne te marie pas, mon cher, ou cherche une protestante. Mademoiselle La Quintinie n'est pas ton fait. Tu as raison, il ne faut pas ?crire ? ton p?re. Oublie-la et retourne ? Paris.

--Est-elle donc si obstin?e que je ne puisse l'amener ? mes id?es?

--Je n'en sais rien. Elle para?t fort douce de caract?re; elle a l'air de t'aimer. ?lise est convaincue qu'elle t'adore. Tu peux essayer, mais tu t'engages l? dans une mauvaise voie et tu r?ves l'impossible; car on ne change pas ce que la nature a fait sans le g?ter, je t'en avertis. Lucie a une tendance au mysticisme; tu pourras bien d?placer le f?tiche, mais gare ? l'avenir! L'amant pourra bien remplacer le pr?tre.>>

Henri me parla encore longtemps sur ce ton, et il m'?branla. Ah! que j'aurais voulu t'avoir pr?s de moi pour r?soudre tous mes doutes! J'?tais partag? entre mille aper?us contraires. Tant?t Henri me d?montrait que je voulais asservir la compagne de ma vie, l'effacer, lui ?ter toute personnalit?, et la noyer dans le rayonnement de mon orgueil; tant?t il me semblait rompre absolument la beaut? du lien conjugal en admettant qu'on p?t vivre intellectuellement ? part l'un de l'autre, et en s'effor?ant m?me de me prouver que c'?tait mieux ainsi. Il concluait ? l'inf?riorit? de nature chez la femme, et il r?p?tait ce lieu commun r?voltant, qu'il lui faut un frein autre que l'amour et le respect de son mari, parce qu'elle n'a pas assez de force morale pour s'en contenter.

Je retournai ? Turdy peu de jours apr?s. J'?tais r?sign?; j'acceptais tout! Non convaincu, mais soumis, j'admettais que Lucie, en me faisant de l?g?res concessions, pouvait en exiger autant de moi. Je la trouvai seule au jardin.

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Elle raillait, je me sentis fort irrit?; elle me sourit, et, comme le ciel est dans son sourire, je vis qu'elle raillait sans amertume et sans d?dain. Je me calmai.

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--Les catholiques ont supprim? l'amour! Vous croyez cela? s'?cria Lucie, sinc?rement interdite et comme cherchant un argument ? m'opposer.

--Trouvez-moi un pr?cepte catholique autre que celui de l'ob?issance passive de la femme envers le mari!

--Mais la religion est tout amour pourtant!

--Oui, l'amour envers Dieu et la charit? envers le prochain. Cherchez dans vos souvenirs si quelqu'un vous a jamais dit: <>

--Non, mais il est ?crit: <>

--C'est une loi civile, ce n'est pas m?me l'amour sous-entendu, c'est le domicile conjugal. Le Code l'explique tout au long.

--Enfin, qu'est-ce que vous entendez par l'amour? La pr?f?rence qu'on donne ? un homme sur la Divinit? m?me?

--Pr?f?rence, lui r?pondis-je imp?tueusement, est un mot qui ne me pr?sente ici aucun sens. C'est un mot invent? par ceux qui ont rapetiss? l'id?e de Dieu au point d'en faire un homme dont un autre homme peut devenir le rival, et ceci, permettez-moi de vous le dire, est une sorte de profanation du sentiment que nous devons avoir de la Divinit?.

--Bien! reprit Lucie, qui m'?coutait avec une attention anim?e; vous dites l? des choses qui me vont. Vous admettez d?s lors que l'on aime Dieu par-dessus toutes choses?

--Aimer est le mot le plus ?lastique et le plus vague que l'homme ait invent?. Dieu ne peut nous inspirer qu'un genre d'adoration auquel rien ne se compare et qu'aucune langue ne peut exprimer. Dieu ne veut donc pas ?tre aim? avec le m?me esprit et avec le m?me coeur qu'il nous a donn?s pour aimer notre semblable, et, du moment que nous croyons en lui, nous avons n?cessairement pour lui le sentiment qu'il r?clame de nous; mais ce sentiment n'existe pas dans une ?me que l'asc?tisme d?robe ? l'amour humain, car il s'y d?nature et devient amour humain lui-m?me, ce qui est une idol?trie, un d?lire et un blasph?me.

--J'entends! vous croyez que sainte Th?r?se....

--?tait folle et consum?e de flammes terrestres auxquelles son imagination malade essayait de donner le change. Je hais ces mensonges de l'?me, comme tout ce qui est contre nature.>>

Lucie ne r?pondit rien, elle marchait dans le jardin et cueillait des fleurs machinalement; mais ses mains tremblaient, et sa d?marche trahissait une grande agitation.

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Cette r?solution, contre laquelle je n'avais pas le droit de protester, me jeta dans une vive inqui?tude, et j'eus l? le pressentiment de quelque chose de grave. Elle essaya de me rassurer.

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--Non. J'attendais, je devais attendre une v?ritable esp?rance.

--Eh bien, n'?crivez pas encore, promettez-le-moi, et n'allons pas plus avant sans que je sois s?re de moi-m?me. Je vous disais l'autre jour que je ne voyais pas d'obstacles; j'en vois aujourd'hui. Je vous disais aussi que je ne voyais pas non plus de parti ? prendre. Cela n'est gu?re possible du moment qu'il faut apaiser la sollicitude de deux familles par des r?solutions quelconques. Ne nous laissons donc pas entra?ner par les impatiences des autres, car l? est le danger. For?ons-les ? nous attendre, en nous attendant nous-m?mes patiemment et volontairement.>>

Je ne pouvais que me soumettre, mais je m'en allai ?pouvant?, car Lucie ne fixait que vaguement le terme de mon exil. C'?tait tant?t huit jours, tant?t quinze, et je me disais par moments que c'?tait peut-?tre toute la vie.

--Soyez certain, lui dis-je avec amertume, qu'? pr?sent elle a repris ses forces, et que l'influence myst?rieuse dont vous parlez s'est de nouveau empar?e d'elle.

Je me sentais bien mal d?fendu contre le malheur de ma destin?e par ce vieux enfant; mais je le voyais si chagrin et si tourment?, que je consentis ? passer la journ?e et la soir?e avec lui. Je fis tant bien que mal sa partie de trictrac pour remplacer Lucie, qui la fait tous les soirs quand ils sont t?te ? t?te.

Il ?tait tard quand nous e?mes fini, et, pour ?pargner au batelier de la maison la peine de me faire passer le lac, j'acceptai l'hospitalit? que le ch?telain m'offrait pour la nuit.

Ici se place un fait fort ?tranger peut-?tre ? ma situation, un fait qui te para?tra sans doute insignifiant, mais qui m'a trop frapp? pour que je ne te le rapporte pas.

J'?tais si agit? de me trouver dans cette maison pleine de l'image de Lucie, dans cette maison qui e?t pu devenir la mienne, si j'?tais moins loyal ou moins jaloux, que je ne pus fermer l'oeil. Ma chambre ?tait au rez-de-chauss?e et avait une sortie directe sur le jardin. Je m'en ?chappai sans bruit et me promenai une demi-heure dans ce jardin, qui n'est pas grand, mais qui est un ?den quand m?me, gr?ce ? ses beaux ombrages, ? ses massifs de fleurs et ? ce site magnifique qu'on y domine. La lune, r?duite ? un croissant assez d?li?, se leva vers minuit, ?clairant ? peine le pied des arbres; mais la nuit ?tait si claire et si constell?e, que je distinguais, sinon la couleur, du moins la forme de tous les objets environnants. Le lac se d?tachait comme une plaque d'argent bruni au sein d'une masse sombre qui paraissait incommensurable. Des buissons de fraxinelle, plante que l'on cultive beaucoup ici dans les jardins, et qui atteint de grandes proportions, exhalaient des parfums exquis. Tout ?tait recueillement voluptueux, myst?re d'amour peut-?tre, dans cette nuit ti?de. Une charmante cascade, qui bondit au bout du jardin apr?s avoir mis en mouvement une petite usine, ?tait emprisonn?e dans son ?cluse. Tout ?tait muet et comme endormi profond?ment. Je pensais ? Lucie avec une ardeur de d?sir et de terreur qui me faisait frissonner sans cause, non pas au moindre bruit, il ne s'en produisait aucun, mais ? l'id?e, ? l'appr?hension du moindre souffle de l'air dans mes cheveux.

Tout ? coup, j'entends dans ce morne silence le bruit cadenc? d'une paire de rames sur le lac, et, en suivant la direction du son, je vis distinctement une barque qui cinglait en droite ligne sur le petit port plac? ? l'angle du rocher qui porte le manoir. Cette barque, vue de la plate-forme, ?tait si petite, que je n'eusse pu la distinguer, si l'eau, vivement brillant?e en cet endroit, ne l'e?t d?tach?e comme un point noir ? la surface.

Quoi de plus simple que la pr?sence d'une embarcation sur ce lac souvent explor? la nuit par les p?cheurs ou les oisifs? Mon imagination excit?e vit pourtant l? un ?v?nement capable de d?cider de ma vie. C'?tait Lucie qui revenait me surprendre, et que j'allais voir aborder au-dessous de moi!

Aborder l?, non pourtant, ce n'?tait pas possible: le rocher est ? pic; mais, si la barque s'engageait dans l'ombre projet?e sur l'eau par la masse de ce rocher, ?videmment elle se dirigeait sur le petit port, et, comme du jardin on ne voit pas le d?barcad?re, je sortis du jardin en franchissant un mur ? hauteur d'appui, et je descendis pr?cipitamment le sentier.

Gr?ce ? l'ombrage des grands marronniers qui, plant?s ? mi-c?te, ?tendent leurs longues branches au-dessus des chaumi?res jusqu'au bord de l'eau, je gagnai la rive sans ?tre aper?u, et je vis la barque d'assez pr?s pour m'assurer qu'elle ne contenait que deux hommes, un batelier qui faisait force de rames; et un personnage envelopp? d'un manteau et coiff? d'un chapeau ? larges bords. Ils pass?rent ? peu de brasses du rivage et disparurent en remontant vers l'abbaye de Hautecombe.

Je me raillai moi-m?me; mais la d?ception ne fut pas moins p?nible, et je restai clou? ? ma place comme si j'eusse attendu l'apparition d'une autre barque portant r?ellement Lucie.

Cependant j'?coutais machinalement le petit bruit de celle qui venait de passer, et je remarquai qu'elle s'arr?tait ? une tr?s-courte distance de moi. Je retins mon souffle, et j'entendis une voix basse et timbr?e, une voix m?ridionale dire avec un l?ger accent ?tranger:

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Oui, monsieur,>> r?pondit la voix toute locale du batelier savoyard.

Tout rentra dans le silence. La curiosit? m'aiguillonnait; il faut te dire pourquoi.

? vingt pas de la petite anse sablonneuse qui sert de d?barcad?re au hameau, la montagne verticale se creuse en grotte. Deux piliers bruts naturellement ?vid?s dans le massif calcaire soutiennent une petite vo?te o? l'on a sculpt? dans le roc une statuette de madone. C'est une chapelle rustique, dont le sol, un peu exhauss? au-dessus de l'eau, est ? sec quand le lac est tranquille, et cette chapelle est une des retraites favorites de Lucie. Elle y a vou? une d?votion particuli?re ? la Vierge, elle y a fait planter du lierre qui s'enroule gracieusement autour des piliers, et elle y va souvent r?ver ou prier le soir.

Je tenais ces d?tails du batelier, qui m'avait transport? le jour m?me. ?tait-elle l?, mon Dieu? Y avait-elle donn? rendez-vous ? cet inconnu? Je ne pouvais rien voir, la grotte s'ouvre dans un angle centrant de la montagne. Ah! tu ne sais pas que je suis horriblement jaloux! Je ne le savais pas moi-m?me. Quelle torture, mon p?re! quelle fureur!

Je demeurai quelques instants sans pouvoir r?fl?chir. J'?tais sur le point de me jeter tout habill? ? la nage, car de la rive on ne peut gagner autrement cette chapelle: le rocher plonge ? pic dans de lac ? une tr?s-grande profondeur; mais toute mon attention se reporta sur la barque, qui, apr?s une pause de quelques minutes, revenait vers moi. Je me dissimulai encore, et je vis repasser les deux hommes ? peu de distance. Je les suivis des yeux aussi loin que possible; ils s'en allaient par o? ils ?taient venus, du c?t? qui regarde Chamb?ry, et bient?t ils se perdirent dans la brume qui commen?ait ? se r?pandre au ras de l'eau.

Quel ?tait donc le but de cette longue course sur le lac pour une station d'un instant? Il n'y avait l? que la chapelle rustique o? l'on p?t prendre pied, et cette grotte n'a aucune communication, que je sache, avec l'int?rieur de la montagne. J'essayai de d?marrer un petit canot de p?cheur, j'en vins ? bout, et en un instant je gagnai la grotte. Elle ?tait vide, sombre et muette. J'y remarquai seulement un parfum de fleurs tr?s-prononc? et un objet blanch?tre dont je m'emparai; c'?tait une grosse touffe de lis qu'on venait de d?poser aux pieds de la madone, car les fleurs ?taient trop fra?ches pour avoir pass? l? la moiti? de la nuit. L'inconnu venait donc d'apporter cette offrande.... A qui? ? la Vierge ou ? Lucie?

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