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Read Ebook: Le fauteuil hanté by Leroux Gaston

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Ebook has 1721 lines and 48234 words, and 35 pages

M. Gaspard Lalouette ne put en entendre davantage sans se retourner vers son voisin pour lui demander de quelle mort on parlait l?, et il reconnut que celui ? qui il s'adressait n'?tait autre que le professeur qui, tout ? l'heure, l'avait renseign? d?j?, d'une fa?on un peu bourrue. Cette fois encore, le professeur ne prit pas de gants:

--Vous ne lisez donc pas les journaux, monsieur?

Eh bien, non, M. Lalouette ne lisait pas les journaux! Il y avait ? cela une raison que nous aurons l'occasion de dire plus tard et que M. Lalouette ne criait pas par-dessus les toits. Seulement, ? cause qu'il ne lisait pas les journaux, le myst?re dans lequel il ?tait entr? en p?n?trant, pour vingt francs, sous la vo?te de l'Institut, s'?paississait ? chaque instant davantage. C'est ainsi qu'il ne comprit rien ? l'esp?ce de protestation qui s'?leva quand une noble dame, que chacun d?nommait: la belle Mme de Bithynie, entra dans la loge qui lui avait ?t? r?serv?e. On trouvait g?n?ralement qu'elle avait un joli toupet. Mais encore M. Lalouette ne sut pas pourquoi.

Cette dame consid?ra l'assistance avec une froide arrogance, adressa quelques paroles br?ves ? de jeunes personnes qui l'accompagnaient et fixa de son face-?-main M. Maxime d'Aulnay.

--Elle va lui porter malheur! s'?cria quelqu'un.

Et la rumeur publique r?p?ta:

--Oui, oui, elle va lui porter malheur!...

M. Lalouette demanda:

--Pourquoi va-t-elle lui porter malheur?

Mais personne ne lui r?pondit. Tout ce qu'il put apprendre d'? peu pr?s certain, c'est que l'homme qui ?tait l?-bas, pr?t ? prononcer un discours, s'appelait Maxime d'Aulnay, qu'il ?tait capitaine de vaisseau, qu'il avait ?crit un livre intitul?: <>, et qu'il avait ?t? ?lu au fauteuil occup? nagu?re par Mgr d'Abbeville. Et puis le myst?re recommen?a avec des cris, des gestes de fous. Le public, dans les tribunes, se soulevait, et criait des choses comme celle-ci:

--Comme l'autre!... N'ouvrez pas!... Ah! la lettre!... comme l'autre!... comme l'autre!... Ne lisez pas!...

M. Lalouette se pencha et vit un appariteur qui apportait une lettre ? Maxime d'Aulnay. L'apparition de cet appariteur et de cette lettre semblait avoir mis l'assembl?e hors d'elle.

Seuls les membres du bureau s'effor?aient de garder leur sang-froid, mais il ?tait visible que M. Hippolyte Patard, le sympathique secr?taire perp?tuel, tremblait de toutes ses feuilles de ch?ne.

Quant ? Maxime d'Aulnay, il s'?tait lev?, avait pris des mains de l'appariteur la lettre et l'avait d?cachet?e. Il souriait ? toutes les clameurs. Et puisque la s?ance n'?tait pas encore ouverte, ? cause que l'on attendait M. le chancelier, il lut, et il sourit. Alors, dans les tribunes, chacun reprit:

--Il sourit!... Il sourit!... L'autre aussi a souri!

Maxime d'Aulnay avait pass? la lettre ? ses parrains, qui, eux, ne souriaient pas. Le texte de la lettre fut bient?t dans toutes les bouches et comme il faisait, de bouche en oreille et d'oreille en bouche, le tour de la salle, M. Lalouette apprit ce que contenait la lettre: <> Ce texte semblait devoir porter ? son comble l'?moi de la salle, quand on entendit la voix glac?e du pr?sident annoncer apr?s quelques coups de sonnette, que la s?ance ?tait ouverte. Un silence tragique pesa imm?diatement sur l'assistance.

Mais Maxime d'Aulnay ?tait d?j? debout, plus que brave, hardi!

Et le voil? qui commence de lire son discours.

Il le lit d'une voix profonde, sonore. Il remercie d'abord, sans bassesse, la Compagnie qui lui fait l'honneur de l'accueillir; puis, apr?s une br?ve allusion ? un deuil qui est venu frapper r?cemment l'Acad?mie jusque dans son enceinte, il parle de Mgr d'Abbeville.

Il parle... il parle...

A c?t? de M. Gaspard Lalouette, le professeur murmure entre ses dents cette phrase que M. Lalouette crut, ? tort du reste, inspir?e par la longueur du discours: <> Il parle et il semble que l'assistance, ? mesure qu'il parle, respire mieux. On entend des soupirs, des femmes se sourient comme si elles se retrouvaient apr?s un gros danger...

Il parle et nul incident impr?vu ne vient l'interrompre...

Il arrive ? la fin de l'?loge de Mgr d'Abbeville, il s'anime. Il s'?chauffe quand, ? l'occasion des talents de l'?minent pr?lat, il ?met quelques id?es g?n?rales sur l'?loquence sacr?e. L'orateur ?voque le souvenir de certains sermons retentissants qui ont valu ? Mgr d'Abbeville les foudres la?ques pour cause de manque de respect ? la science humaine...

Le geste du nouvel acad?micien prend une ampleur inusit?e comme pour frapper, pour fustiger ? son tour, cette science, ?le de l'impi?t? et de l'orgueil!... Et dans un ?lan admirable qui, certes! n'a rien d'acad?mique, mais qui n'en est que plus beau, car il est bien d'un marin de la vieille ?cole, Maxime d'Aulnay s'?crie:

--Il y a six mille ans, messieurs, que la vengeance divine a encha?n? Prom?th?e sur son rocher! Aussi, je ne suis pas de ceux qui redoutent la foudre des hommes. Je ne crains que le tonnerre de Dieu!

Le malheureux avait ? peine fini de prononcer ces derniers mots qu'on le vit chanceler, porter d'un geste d?sesp?r? la main au visage, puis s'abattre, telle une masse.

Une clameur d'?pouvante monta sous la Coupole... Les acad?miciens se pr?cipit?rent... On se pencha sur le corps inerte...

Maxime d'Aulnay ?tait mort!

Et l'on eut toutes les peines du monde ? faire ?vacuer la salle.

Mort comme ?tait mort deux mois auparavant, en pleine s?ance de r?ception, Jehan Mortimar, le po?te des Parfums tragiques, le premier ?lu ? la succession de Mgr d'Abbeville.

Lui aussi avait re?u une lettre de menaces, apport?e ? l'Institut par un commissionnaire que l'on ne retrouva jamais, lettre o? il avait lu:

<>, et lui aussi, quelques minutes apr?s, avait culbut?: voici ce qu'apprit enfin, d'une fa?on un peu pr?cise, M. Gaspard Lalouette, en ?coutant d'une oreille avide les propos affol?s que tenait cette foule qui tout ? l'heure emplissait la salle publique de l'Institut et qui venait d'?tre jet?e sur les quais dans un d?sarroi inexprimable. Il e?t voulu en savoir plus long et conna?tre au moins la raison pour laquelle, Jehan Mortimar ?tant mort, on avait tant redout? le d?c?s de Maxime d'Aulnay. Il entendit bien parler d'une vengeance, mais dans des termes si absurdes qu'il n'y attacha point d'importance. Cependant il crut devoir demander par acquit de conscience, le nom de celui qui aurait eu ? se venger dans des conditions aussi nouvelles; alors on lui sortit une si bizarre ?num?ration de vocables qu'il pensa qu'on se moquait de lui. Et, comme la nuit ?tait proche, car on ?tait en hiver, il se d?cida ? rentrer chez lui, traversant le pont des Arts o? quelques acad?miciens attard?s et leurs invit?s, profond?ment ?mus par la terrible co?ncidence de ces deux fins sinistres, se h?taient vers leurs demeures.

Tout de m?me, M. Gaspard Lalouette, au moment de dispara?tre dans l'ombre qui s'?paississait d?j? aux guichets de la place du Carrousel, se ravisa. Il arr?ta l'un de ces messieurs qui descendait du pont des Arts et qui, avec son allure ?nerv?e, semblait encore tout agit? par l'?v?nement. Il lui demanda:

--Enfin! monsieur! sait-on de quoi il est mort?

--Les m?decins disent qu'il est mort de la rupture d'un an?vrisme.

--Et l'autre, monsieur de quoi ?tait-il mort?

--Les m?decins ont dit: d'une congestion c?r?brale!...

Alors une ombre s'avan?a entre les deux interlocuteurs et dit:

--Tout ?a, c'est des blagues!... Ils sont morts tous deux parce qu'ils ont voulu s'asseoir sur le Fauteuil hant?!

M. Lalouette tenta de retenir cette ombre par l'ombre de sa jaquette, mais elle avait d?j? disparu...

Il rentra chez lui, pensif...

Le lendemain de ce jour n?faste, M. le secr?taire perp?tuel Hippolyte Patard p?n?tra sous la vo?te de l'Institut sur le coup d'une heure. Le concierge ?tait sur le seuil de sa loge. Il tendit son courrier ? M. le secr?taire perp?tuel et lui dit:

--Vous voil? bien en avance aujourd'hui, monsieur le secr?taire perp?tuel, personne n'est encore arriv?.

M. Hippolyte Patard prit son courrier qui ?tait assez volumineux, des mains du concierge, et se disposa ? continuer son chemin, sans dire un mot au digne homme.

Celui-ci s'en ?tonna.

--Monsieur le secr?taire perp?tuel a l'air bien pr?occup?.

Du reste, tout le monde est boulevers? ici, apr?s une pareille histoire!

Mais M. Hippolyte Patard ne se d?tourna m?me pas.

Le concierge eut le tort d'ajouter:

--Est-ce que monsieur le secr?taire perp?tuel a lu ce matin l'article de L'?poque sur le Fauteuil hant??

M. Hippolyte Patard avait cette particularit? d'?tre tant?t un petit vieillard frais et rose, aimable et souriant, accueillant, bienveillant, charmant, que tout le monde ? l'Acad?mie appelait <> except? les domestiques bien entendu, bien qu'il f?t plein de pr?venances pour eux, leur demandant alors des nouvelles de leur sant?; et tant?t, M. Hippolyte Patard ?tait un petit vieillard tout sec, jaune comme un citron, nerveux, f?cheux, bilieux. Ses meilleurs amis appelaient alors M. Hippolyte Patard: <>, gros comme le bras, et les domestiques n'en menaient pas large. M. Hippolyte Patard aimait tant l'Acad?mie qu'il s'?tait mis ainsi en deux pour la servir, l'aimer et la d?fendre. Les jours fastes, qui ?taient ceux des grands triomphes acad?miques, des belles solennit?s, des prix de vertu, il les marquait du Patard rose, et les jours n?fastes, qui ?taient ceux o? quelque affreux plumitif avait os? manquer de respect ? la divine institution, il les marquait du Patard citron.

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