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Read Ebook: Le débutant Ouvrage enrichi de nombreux dessins de Busnel de deux dessins... et d'un portrait de l'auteur par St-Charles Roman de moeurs du journalisme et de la politique dans la province de Québec by Bessette Ars Ne

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Ebook has 660 lines and 65640 words, and 14 pages

Il a ?t? tir? de cet ouvrage trois cents exemplaires de luxe, num?rot?s de 1 ? 300, et sign?s par l'auteur.

ARS?NE BESSETTE

LE D?BUTANT

Roman de moeurs du journalisme et de la politique dans la province de Qu?bec.

OUVRAGE ENRICHI DE NOMBREUX DESSINS DE BUSNEL, DE DEUX DESSINS ET D'UN PORTRAIT DE L'AUTEUR PAR ST-CHARLES.

Ce livre n'a pas ?t? ?crit pour les petites filles.

ST-JEAN

Imprim? par la Compagnie de Publication "LE CANADA FRAN?AIS." 1914

A mes confr?res en journalisme, aux hommes publics sinc?res et droits, ? tous ceux qui ont perdu leurs illusions, avant et en m?me temps que leurs cheveux, je d?die ce modeste travail.

Ars?ne Bessette.

St-Jean, 15 janvier 1914.

Portrait de l'auteur d'apr?s un fusain de St-Charles. Il poursuivait alors la Chim?re tout en faisant, dans les journaux, le triste m?tier de reporter. Cela le tenait maigre; il a engraiss? depuis.

A. B.

AUX CHAMPS

Parce qu'il ?tait le plus intelligent de la classe, qu'il avait une jolie voix et que c'?tait un ?l?gant petit homme, ? chaque examen, l'institutrice du quatri?me arrondissement, de la paroisse de Mamelmont, lui faisait lire l'adresse de bienvenue ? monsieur le cur? et aux commissaires d'?coles. Cela ne lui plaisait gu?re, ? cause des profondes r?v?rences qu'il fallait faire au commencement et ? la fin. D?j?, dans son ?me d'enfant il sentait l'humiliation des courbettes, pour la dignit? humaine. Mais l'institutrice ?tait si gentille avec lui, elle avait une fa?on de lui caresser la joue qui lui eut fait faire bien d'autres choses. Signes pr?coces, chez l'enfant, indiquant que plus tard l'homme joindrait ? l'amour de l'ind?pendance, le culte de la beaut?.

A douze ans, Paul Mirot aimait mademoiselle Georgette Jobin, l'institutrice. Il l'aimait parce qu'elle avait de grands yeux noirs et la peau blanche, la taille souple et le geste gracieux, bref, parce que c'?tait une belle fille. Il est vrai qu'elle ?tait bonne pour lui, qu'elle le traitait en favori, parce que l'admiration de cet enfant pour sa beaut?, la touchait comme un hommage sinc?re, sans l'ombre d'une mauvaise pens?e. Souvent elle le gardait apr?s la classe, l'amenait chez-elle, le prenait sur ses genoux et le faisait causer. Le petit homme appuyait sa t?te blonde sur cette poitrine aux contours provocants, respirait avec d?lices le parfum de cette chair de femme et t?chait de dire des choses jolies pour qu'on lui permit de rester plus longtemps, comme cela, ? la m?me place. Et c'?tait toujours avec peine qu'il voyait approcher le moment o? sa grande amie le remettait debout en lui disant: "Maintenant, mon petit, file vite, on pourrait ?tre inquiet chez-vous." Elle lui donnait un bon baiser de ses l?vres chaudes et il s'en allait avec l'impression de cette caresse, qui durait jusqu'au lendemain.

Cet amour ?tait toute sa vie, du reste, car chez l'oncle Bat?che, qui l'avait recueilli orphelin, ? quatre ans, l'existence n'?tait pas gaie. L'oncle n'?tait pas m?chant, mais il avait ses "opinions", des opinions que lui seul comprenait et qu'il s'effor?ait d'imposer, chez-lui pour se venger des rebuffades essuy?es au conseil municipal de la paroisse, dont il ?tait l'un des plus beaux ornements. A cet enfant de douze ans, il voulait inculquer des principes s?v?res de vertu chr?tienne en m?me temps que le go?t de la culture de la betterave, dont il aurait fait la grande industrie du pays, si on avait voulu l'?couter au conseil. Paul pr?f?rait les amusements de son ?ge, ? ces discours sans suite; mais, il lui ?tait impossible de s'?chapper avant l'heure o? le bonhomme partait pour son champ, ou bien s'en allait autre part. La tante Zo? ne valait gu?re mieux, comme intelligence, cependant, elle avait plus de bont? de coeur. A sa fa?on, elle aimait bien le petit qui lui ?tait arriv? tout fait, elle qui n'avait jamais pu rien concevoir, pas plus physiquement que moralement. Quant il ?tait sage, elle lui donnait un morceau de sucre, et la fess?e s'il avait sali sa culotte en jouant avec ses camarades d'?cole.

Tout de m?me, le m?nage Bat?che avait une certaine consid?ration pour le neveu, ? qui les parents avaient laiss? une ferme en mourant, et trois mille dollars d'argent pr?t? destin?, d'apr?s le testament, aux soins de son enfance et ? son ?ducation. En recueillant l'orphelin, l'oncle avait ?t? charg? de l'administration de ses biens. Il les administrait le plus honn?tement possible, tout en s'appropriant la presque totalit? des revenus de la ferme, en compensation de sa mise en valeur. Il y avait aussi la d?me au cur?, les taxes municipales, la rente du seigneur ? payer. L'argent file si vite.

Un jour Paul confia ? sa tante un gros secret: il voulait ?pouser l'institutrice. La brave femme s'en boucha les oreilles: "C'?tait-y-possible, ? son ?ge!" Elle se promit de l'envoyer ? confesse au plus t?t et ne dit rien. L'enfant, prenant ce silence pour une approbation, crut son projet de mariage parfaitement r?alisable, et, d?j?, presque r?alis?. Ce fut une joie innocente et profonde.

Mais c'en ?tait assez pour lui faire pressentir le danger que courait sa s?duisante amie. Il aurait voulu la d?fendre contre ce danger en d?fendant en m?me temps son amour. Mais comment faire? Il ne savait pas. Ce qu'il avait sur le coeur, il ne savait pas, non plus, comment l'exprimer. D'ailleurs, depuis quelque temps, l'institutrice le n?gligeait beaucoup. Il n'allait plus chez-elle apr?s la classe et il ne pouvait lui parler que devant ses petits camarades. Un soir, il voulut la suivre, comme autrefois, elle le renvoya brusquement.

Il en fut malade huit jours.

Quand il revint ? l'?cole, l'institutrice parut ? peine avoir remarqu? son absence et s'informa distraitement de sa sant?. Il en fut profond?ment bless?, et ? partir de ce jour il se livra, avec acharnement au jeu, pendant les r?cr?ations. Ses camarades ne lui plaisaient gu?re, pourtant. Ils ?taient, pour la plupart, malpropres, d'une brutalit? r?voltante et d'intelligence m?diocre. Tous le ha?ssaient, du reste, parce qu'il ?tait aim? de l'institutrice. Il ne se passait pas de jour sans que l'un d'entre eux ne fit un mauvais coup. Tous ?taient menteurs, sournois, cherchaient ? mettre leurs fautes sur le dos d'autrui, maltraitaient les faibles: une vraie humanit? en raccourci. Un jour que le petit Dumas, le plus fort de l'?cole et le plus redout?, voulut jeter dans la boue un de ses compagnons, enfant ch?tif et d?guenill?, parce qu'il refusait de porter son sac, au retour, apr?s la classe. Paul Mirot prit la d?fense de l'opprim? et fut battu. Le lendemain, le vaincu de la veille arriva ? l'?cole tenant un b?ton dont le bout ?tait arm? d'une pointe de fer mena?ante. Comme il s'y attendait, tous ses camarades se moqu?rent de lui, et le petit Dumas, voulant prouver une seconde fois sa vaillance, s'avan?a, arrogant, pour lui arracher son b?ton.

Paul lui dit:

--Si tu approches, je pique!

Le groupe qui entourait les deux adversaires cria en choeur:

Mais Paul ?vita l'?lan de son ennemi, fit un bond de c?t? et lui planta la pointe de fer dans le fessier. Ce dernier poussa un cri de douleur et se sauva ? toutes jambes. Aussit?t, revirement complet, et les spectateurs de crier:

Le lendemain, Paul n'osait lever les yeux sur l'institutrice. A chaque fois qu'elle l'interrogeait, il r?pondait sans la regarder. Aux heures de r?cr?ation, il se tint ? l'?cart. Il fut triste toute la journ?e. Mademoiselle Jobin finit par remarquer l'attitude morose de l'enfant et, apr?s la classe, voulut le retenir pour le faire parler; mais, comme elle lui caressait la joue, de sa jolie main de belle fille, il rougit, se rejeta en arri?re et avant qu'elle eut eu le temps de se remettre de sa surprise, il se sauva par la porte ouverte.

Les jours suivants, elle essaya de p?n?trer le myst?re de cette ?me enfantine, mais Paul se d?robait ? ses questions comme ? ses caresses. L'examen approchait, il fallait pourtant l'amadouer. C'?tait son meilleur ?l?ve et le seul capable de lire convenablement l'adresse au cur? et aux commissaires d'?coles.

Maintenant qu'elle avait perdu tout son empire sur lui, comment ferait-elle pour l'amener ? accomplir un acte qu'il ex?cutait toujours avec r?pugnance? Comme elle s'y attendait, le petit homme refusa de lire l'adresse au prochain examen. Apr?s avoir ?puis? tous les moyens de persuasion possibles, l'institutrice se rendit chez l'oncle Bat?che, qui ?tait absent. Elle fut re?ue par la tante Zo? et lui exposa la situation d?sesp?r?e dans laquelle elle se trouvait.

La bonne femme en fut constern?e. Elle appela Paul, qui s'?tait sauv? furtivement dans sa chambre, ? l'arriv?e de mademoiselle Jobin. Il s'avan?a, tout penaud, et, tout ? coup, fondant en larmes, il vint se jeter dans les bras de sa tante.

Tante Zo? parvint ? le calmer en le gardant sur ses genoux. Elle lui demanda:

L'institutrice ajouta:

--Est-ce bien vrai que tu ne m'aimes plus?

L'enfant resta muet.

--Pauvre p'tit! les chats y'ont mang? la langue.

Paul se serra davantage sur la poitrine plate de sa m?re d'adoption et demeura silencieux.

L'institutrice voulut s'approcher; mais Paul s'?cria, fr?missant de tout son ?tre:

--Ne me touchez pas! Ne me touchez pas!

Quand mademoiselle Jobin fut partie, tante Zo? promit ? son neveu un gros morceau de sucre du pays, dont il ?tait friand, s'il voulait lui dire ce qu'il avait contre sa ma?tresse. Outr?e de son mutisme obstin?, elle le mena?a ensuite de la col?re de l'oncle Bat?che, qui ?tait terrible avec les petits. Promesses et menaces furent inutiles, Paul garda son secret.

Enfin, le grand jour de l'examen arriva.

Tout ?tait pr?t. Mademoiselle Jobin fit ses derni?res recommandations ? ses ?l?ves. L'horloge, accroch?e au mur blanchi ? la chaux, sonna neuf heures. Un roulement de voitures se fit entendre sur la route: c'?tait le cur? et sa suite qui arrivaient.

L'institutrice avait mis sa plus belle robe et elle ?tait vraiment s?duisante avec ses grands yeux noirs et son teint p?le, la taille cambr?e dans son corset, quand elle alla recevoir, sur le seuil, les repr?sentants de l'autorit? religieuse et civile. Paul, au premier rang, l'adresse roul?e dans ses deux mains, la reluqua en dessous, et de la voir si gracieuse pour les autres, maintenant qu'elle le traitait avec indiff?rence, il se sentit bien malheureux. Tous les ?l?ves de la classe ?taient debout, lui, restait assis. Concentr? en lui-m?me, il ne voyait pas monsieur le cur? passer, majestueux, devant les rangs de la petite arm?e ?coli?re au complet. Quand tout le monde fut en place, mademoiselle Jobin dut le secouer par l'?paule pour lui faire comprendre qu'il ?tait temps de lire l'adresse orn?e de rubans roses, recopi?e sur une large feuille parchemin.

Paul se leva, comme pouss? par un ressort, fit quelques pas en avant, h?sita, puis, s'inclinant, dit: "Tr?s digne pasteur, messieurs les commissaires..."

Que se passa-t-il, ? ce moment, dans l'?me du petit homme?

L'adresse aux rubans roses roula sur le plancher, et Paul Mirot se sauva avant qu'on eut song? ? l'arr?ter.

Tout le jour, le pauvre orphelin, redoutant la col?re de l'oncle Bat?che, peut-?tre davantage les reproches de tante Zo?, erra dans les champs, se cachant derri?re les buissons s'il voyait approcher quelqu'un de suspect. On devait tout savoir ? maison, on ?tait assur?ment ? sa recherche, et il frissonnait de terreur ? la pens?e d'avoir ? expliquer son ?trange conduite. Il sentait qu'il avait eu raison de faire ce qu'il avait fait: mais, comment le d?montrer aux autres? Il se rappelait qu'au cat?chisme, l'ann?e de sa premi?re communion, le jeune vicaire pr?parant les enfants de la paroisse ? ce grand ?v?nement, lui avait pr?dit qu'il ne ferait jamais rien de bon. Et ? propos de quoi? Parce qu'il n'avait pas bien r?pondu ? une question sur l'enfer. Il redoutait de s'entendre r?p?ter la m?me chose, beaucoup plus que la perspective d'une correction.

Cet acte d'insubordination avait caus? un ?norme scandale ? l'?cole. Monsieur le cur? en profita pour d?montrer, en un petit discours d'une demi heure, le danger des caract?res orgueilleux et l'avantage qu'il y a pour un bon chr?tien de pratiquer l'humilit? et l'ob?issance. Sa voix prenante et son geste onctueux firent verser quelques larmes aux commissaires, et ses anath?mes ?pouvant?rent les petits enfants.

Quant ? l'institutrice comme elle le disait elle-m?me, elle n'aimait pas ? se faire de la bile. Et aussit?t revenue de son ahurissement, elle profita de l'attention religieuse que l'on portait aux paroles de monsieur le cur? pour s'attirer les bonnes gr?ces du jeune notaire en le fascinant de ses grands yeux prometteurs. Tout alla bien, du reste, le scandale caus? par la r?volte de Paul Mirot, suivi du discours du cur? ayant abr?g? l'examen. Quelques pages de lecture, un peu de cat?chisme, quelques r?gles simples sur le tableau, la distribution des prix et ce fut tout.

Les examinateurs partis, mademoiselle Jobin renvoya ses ?l?ves, en vacances, sans juger ? propos de leur faire la moindre recommandation--son beau Pierre n'?tait pas loin.

L'oncle Bat?che jura, en apprenant la nouvelle, tandis que la tante Zo?, au comble de la d?solation, ne savait que r?p?ter: "Mon doux J?sus, mis?ricorde!" Le premier mouvement de col?re pass?, le brave homme r?fl?chit qu'il ne fallait pas, pour sa r?putation et dans l'int?r?t de sa bourse, abandonner l'orphelin, et il se mit ? la recherche du petit. Il chercha dans l'?curie, la grange, le hangar, dans tous les coins o? il soup?onnait qu'il aurait pu se cacher, puis parcourut les champs et les bois du voisinage, appelant Paul en vain. La nuit venait quand il rentra ? la maison et la tante Zo? se lamenta comme une femme en couches en apprenant que le petit ?tait introuvable.

Paul ne savait pas au juste ce que c'?tait qu'un coll?ge; mais il aimait l'?tude, il voulait s'instruire, la r?solution prise par son tuteur, le laissa parfaitement indiff?rent, dans l'?tat de d?tresse o? il se trouvait. La perspective de je?ner jusqu'au lendemain et de coucher dehors, le pr?occupait uniquement ? cette minute solennelle du retour au bercail. Sans en entendre davantage, il p?n?tra dans la pi?ce o? l'oncle et la tante mangeaient sans app?tit leur bol de pain tremp? dans du lait, le "miton", le met favori des vieux ?poux. On ne lui dit rien. La tante le fit asseoir ? sa place habituelle o?, les yeux en m?me temps humides de chagrin et de satisfaction, il mangea comme un petit crev?. Puis, il s'endormit sur le bord de la table et la tante Zo? le prit dans ses bras pour le bercer.

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