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Read Ebook: Le débutant Ouvrage enrichi de nombreux dessins de Busnel de deux dessins... et d'un portrait de l'auteur par St-Charles Roman de moeurs du journalisme et de la politique dans la province de Québec by Bessette Ars Ne

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Ebook has 660 lines and 65640 words, and 14 pages

Paul ne savait pas au juste ce que c'?tait qu'un coll?ge; mais il aimait l'?tude, il voulait s'instruire, la r?solution prise par son tuteur, le laissa parfaitement indiff?rent, dans l'?tat de d?tresse o? il se trouvait. La perspective de je?ner jusqu'au lendemain et de coucher dehors, le pr?occupait uniquement ? cette minute solennelle du retour au bercail. Sans en entendre davantage, il p?n?tra dans la pi?ce o? l'oncle et la tante mangeaient sans app?tit leur bol de pain tremp? dans du lait, le "miton", le met favori des vieux ?poux. On ne lui dit rien. La tante le fit asseoir ? sa place habituelle o?, les yeux en m?me temps humides de chagrin et de satisfaction, il mangea comme un petit crev?. Puis, il s'endormit sur le bord de la table et la tante Zo? le prit dans ses bras pour le bercer.

Ce retour au foyer, par une belle nuit de fin de juin, pleine d'?toiles, Paul Mirot ne devait jamais l'oublier. Plus tard, devenu homme, il apprendrait ? ses d?pens combien il est difficile de faire triompher des opinions qui ne sont pas celles de tout le monde, tout en gagnant son pain quotidien, toujours lui reviendrait ? l'esprit cette escapade d'enfant ob?issant ? l'instinct de libert?, le souvenir de son isolement pitoyable, de la faim qui lui tortura les entrailles, du grand calme de la nature en face de son d?sespoir, de sa course dans la nuit vers la petite lumi?re, l?-bas, sur cette terre f?conde et humide de ros?e ? laquelle l'oncle Bat?che ne demandait qu'une forte production de betteraves, tout en cultivant autre chose.

Il ne devait pas oublier, non plus, cet orphelin priv? d?s l'?ge le plus tendre des soins maternels, la piti? passag?re de tante Zo?, pour sa d?tresse, et son r?veil dans les bras de cette femme, dont la maigreur paraissait se gonfler quelque peu, s'animer enfin, au contact de la t?te blonde de l'enfant qui reposait sur son ingrate poitrine.

Ce souvenir devait l'emp?cher, plus tard, de maudire son semblable, injuste et m?chant ? son ?gard, en lui faisant comprendre que chez tout ?tre humain r?side une bont? native et secr?te ?touff?e souvent par l'ignorance, le pr?jug?, le fanatisme de certaine ?ducation, l'int?r?t mesquin et rapace, et qu'il ne s'agirait que de r?former l'?tat social, d'?clairer les hommes pour les rendre meilleurs.

Quelques semaines plus tard, conduit par l'oncle Bat?che, le petit orphelin faisait de bonne gr?ce son entr?e au coll?ge.

Au coll?ge comme ? l'?cole, Paul Mirot fut un tr?s brillant ?l?ve, et c'est ? son application ? l'?tude, ? sa facilit? d'apprendre et de r?soudre les probl?mes les plus abstraits, qu'il dut de ne pas ?tre renvoy?, vingt fois plut?t qu'une, chez son tuteur, pour avoir manqu? d'ob?issance. Malgr? la r?gle s?v?re de la maison, ses professeurs le surprenaient souvent, cach? dans quelque coin, lisant des livres d?fendus que lui apportait secr?tement Jacques Vaillant, ou bien, dissimul? derri?re les bosquets, au fond de la cour du coll?ge, regardant l'herbe pousser et les oiseaux voltiger sur les branches. Selon la saison, il choisissait ses sujets d'?tudes, durant les heures consacr?es aux pieuses m?ditations.

Ses professeurs, de m?me que le vicaire qui l'avait pr?par? ? faire sa premi?re communion, lui pr?dirent qu'il ne ferait jamais rien de bon.

Cependant, il n'osait pas crier trop fort, son pupille arrivait ? sa majorit?, et il lui faudrait rendre ses comptes qui ?taient pas mal embrouill?s.

Vint l'automne et Paul se prit d'une grande passion pour la chasse. Il partait le matin, le fusil sur l'?paule, quelques tartines de pain dans son sac, et ne rentrait que le soir, harass? de fatigue, quelquefois bredouille, mais rapportant souvent deux ou trois perdrix, un li?vre ou quelques ?cureuils.

Par un beau soir du mois de novembre, alors que la pourpre cr?pusculaire teignait de rougeoyante couleur les branches d?nud?es et le tapis de feuilles mortes, au bord d'une clairi?re le jeune homme aper?ut une perdrix qui roucoulait sur un tronc d'arbre ? demi renvers?. ?pauler, viser et faire feu fut pour lui l'affaire d'une seconde. Quelques morceaux d'?corce vol?rent, et ? travers la fum?e de la poudre, le chasseur vit l'oiseau bless? prendre son vol pour aller s'abattre ? deux cents pas, dans un chaume dor?, sur la lisi?re du bois. Heureux de son exploit, il courut vers sa victime agonisante. Il se baissa pour la saisir, mais battant des ailes la perdrix lui ?chappa en lui laissant des plumes sanglantes aux doigts, et, s'?levant p?niblement de quelques pieds au-dessus du sol, alla retomber un peu plus loin. Le soleil ?tait disparu derri?re la montagne, l?-bas: il ne restait plus que de vagues lueurs de jour pour ?clairer les tiges d'avoine coup?es sur lesquelles l'oiseau gracieux cribl? de plomb, par soubresauts, les plumes h?riss?es, les pattes en l'air, faisait ses derni?res r?sistances. Impressionn? malgr? lui, le chasseur s'approcha, se pencha sur le gibier agonisant, et il lui sembla que les yeux vitreux de la b?te innocente se fixaient sur lui, cependant que dans le calme de la nuit tombante l'?cho lui apportait le glas des tr?pass?s, du clocher du village de Mamelmont. La perdrix ne remuait plus, elle ?tait morte, et il restait l?, sans oser lui toucher, fascin? par la fixit? de ces yeux toujours ouverts. Les t?n?bres envahirent la plaine. Alors il se d?cida ? mettre le gibier dans son sac pour rentrer ? la maison.

Tout en poursuivant p?niblement son chemin ? travers les pr?s coup?s et les gu?rets, une pens?e l'obs?da. Il se posa ? lui-m?me cette question:

--On pr?tend que l'oeuvre de la cr?ation est parfaite, alors pourquoi faut-il tuer pour vivre?

Sans d?couvrir la solution qu'il cherchait, il se convainquit que, du moins, on ne devait pas tuer par plaisir, et de ce jour, il renon?a aux jouissances que lui procuraient la chasse.

Du reste, Paul Mirot n'avait aucun go?t pour ces r?unions de jeunes gens s'entassant dans de petites pi?ces mal a?r?es, o? l'acre parfum de chair humaine s'?chappant des jupes tournoyantes et des corsages mouill?s, rendait suffocante la chaleur produite par la promiscuit? malsaine de tous ces ?tres gesticulant et dominant la chanterelle par leurs battements de pieds sur le parquet, et leur gaiet? bruyante. Une fois, seulement, l'un de ses anciens camarades d'?cole l'y avait entra?n? et une belle fille le contraignit ? danser avec elle. Aux bras de sa robuste partenaire, excit? par l'odeur f?minine, ? peine att?nu?e d'un vague parfum d'eau de Cologne, il avait failli perdre la t?te et faire des b?tises. Heureusement que la belle fille, dou?e des meilleures intentions du monde, n'entendait malice aux jeux de mains qui, s'il faut en croire le proverbe, sont presque toujours jeux de vilain. D'avoir press? tant d'appas en sueur, sans la possibilit? de se rafra?chir un instant, il revint de cette f?te du carnaval campagnard, ayant fort mal ? la t?te et un peu mal au coeur. Et depuis, il avait renonc? aux chauds transports que procurent ces plaisirs rustiques.

Paul Mirot l'interrompit pour lui poser une de ces questions inutiles mais qui t?moignent d'un int?r?t profond:

--Ainsi, le journalisme te pla?t beaucoup?

--Oh! ?norm?ment.

--Tu ?cris des articles?

--Pas encore. Je me forme, j'apprends le m?tier en r?digeant des faits-divers. Mais ?a viendra... Et toi, que comptes-tu faire?

--Je ne sais pas. Un jour je pense ? une chose, le lendemain ? une autre. Je suis un peu comme la fille du voisin qui a deux amoureux: elle ne se marie pas parce qu'elle ne sait lequel prendre. L'un est blond, l'autre est brun, elle admire le blond pour sa gentillesse, et le brun parce qu'il a l'air vigoureux.

--Tu avais toujours le premier prix de composition au coll?ge, malgr? tes mauvaises notes. Je parie que tu ferais un fameux ?crivain, en passant par le journalisme. Et nous travaillerions ensemble...

--Ce serait charmant.

--Alors, si je te proposais la chose?

--J'accepterais les yeux ferm?s.

Tous deux s'empress?rent de revenir aupr?s des ?poux Bat?che et de leurs invit?s pour leur faire part du beau projet qu'ils avaient con?u.

Le d?put? Vaillant se montra beaucoup moins enthousiaste que son fils pour la carri?re de journaliste. Il conseilla m?me ? Paul Mirot de choisir de pr?f?rence le droit ou la m?decine, ? d?faut du g?nie civil pour lequel le jeune homme d?clara n'avoir aucune aptitude. "Les ing?nieurs sont de plus en plus demand?s, il y a de la place et de l'avenir dans cette profession", affirma le d?put? de Bellemarie. Toutefois, si Paul Mirot persistait dans sa r?solution de se faire journaliste, il serait trop heureux de l'aider, son fils lui ayant souvent parl? de lui dans les termes les plus ?logieux, et il avait, en outre, une dette de reconnaissance ? acquitter envers son vieil ami, son fid?le partisan, le p?re Bat?che. Ce dernier, qui assistait d'une oreille ? l'entretien, tout en tisonnant son feu, se rengorgea en entendant un membre de la Chambre l'appeler son ami.

Le financier Boissec f?licita Paul Mirot de sa bonne r?solution et, rempli d'un bel enthousiasme, du reste sans danger, il prit le ciel ? t?moin qu'il donnerait toute sa fortune pour avoir vingt ans et manger de la mis?re en se faisant journaliste. Il se sentait de taille ? bouleverser le monde par l'?clat de son g?nie. Mais, voil?, il ?tait trop tard, il ne fallait pas y songer.

--Farceur, va!

Le soir arriva et le p?re Gustin, avec sa jument grise, vint chercher les voyageurs qui devaient retourner ? Montr?al par le train de sept heures. Selon l'expression de Jacques Vaillant, "l'affaire ?tait b?cl?e", et ce dernier, en prenant cong? de Paul Mirot, ne lui dit pas au revoir, mais ? bient?t.

Mais le plus heureux des trois ?tait assur?ment Paul Mirot, qui avait enfin trouv? sa voie et se demandait, avec ?tonnement, comment il se faisait qu'il n'y avait pas song? plus t?t. Quand on a la passion de lire comme il l'avait, comment ne pas avoir en m?me temps la passion d'?crire? Et cette passion ne se satisfait pas secr?tement, comme une passion honteuse, inavouable. Non, il faut qu'elle se d?veloppe en plein jour, qu'on en fasse part ? des milliers d'individus, et par le journal et par le livre.

Il assista, indiff?rent, aux propos ?chang?s par l'oncle Bat?che et la tante, sur leurs visiteurs; son esprit ?tait d?j? loin. Comme un jeune mari? impatient d'emporter dans ses bras la rougissante vierge vers la couche nuptiale, pour go?ter l'enchantement des troublantes d?couvertes, il aurait pu s'?crier, dans la satisfaction d'un d?sir longtemps contenu, en p?n?trant dans sa chambre, sous le toit: "Enfin seuls!" Seuls, lui et sa pens?e qui se livrait complaisante, dans sa nudit? radieuse et juv?nile, ? toutes les entreprises hardies que son imagination enflamm?e lui sugg?rait.

Cette nuit-l?, le sommeil fut long ? venir.

UN D?BUT DANS LE JOURNALISME

--Parfaitement. Entrez donc; ne vous g?nez pas.

Le brave homme en resta pour ses frais de politesse, car le jeune homme ne fut pas d?vor? par monsieur le directeur qui, devant cette figure sympathique et intelligente, se montra plus aimable. Il prit place dans son fauteuil, invita le visiteur matinal ? s'asseoir et ? lui exposer le motif de sa visite.

Pour toute r?ponse, le jeune homme lui remit une lettre ? son adresse.

A mesure qu'il lisait cette lettre, Marcel Lebon reprenait tout son empire sur lui-m?me et sa physionomie s'?clairait de bienveillance. Il se rappelait que nagu?re, il avait pass? par o? passait en ce moment son jeune solliciteur. Quand il eut fini cette lecture, ce fut d'un ton tout-?-fait amical qu'il lui dit:

--C'est bien cela, monsieur. Je croyais retrouver ici mon ami Vaillant; mais on m'a dit qu'il ?tait absent.

--Il est parti, ce matin, par le premier train, pour Sainte-Marie Immacul?e, une nouvelle paroisse dans le nord, o? l'on inaugure une chapelle. Il va nous revenir sanctifi?, abruti et plein de puces. Car il y a, para?t-il, beaucoup de sable dans ce pays-l?; et, vous savez, sans doute, que l? o? il y a du sable, il y a des puces. Ces petits voyages de d?sagr?ment, ce n'est pas ce qu'il y a de pis pour un journaliste avide de se renseigner sur les moeurs canadiennes... mais, parlons de vous. Vous voulez absolument faire du journalisme?

--C'est mon plus grand d?sir, monsieur.

--Eh bien! vous avez tort.

--C'est si beau, renseigner le public!

--Le public, on l'exploite au profit des autres, de ceux qui ont int?r?t ? le tromper.

--Cependant, monsieur le d?put? Vaillant...

--Oui, je sais. Monsieur le d?put? Vaillant peut ?tre de bonne foi, il n'a jamais fait de journalisme lui, il ne conna?t pas les dessous de notre m?tier. Il est mandataire du peuple, par cons?quent esclave de l'opinion, mais son esclavage vaut encore mieux que le n?tre. Dans sa lettre, il me parle de vous, de votre oncle Bat?che, un de ses fid?les partisans de la paroisse de Mamelmont, la paroisse la plus lib?rale du comt? de Bellemarie. Vous avez du talent, c'est tout naturel qu'il vous pousse dans les journaux, votre reconnaissance pourra lui ?tre utile un jour ou l'autre. Moi, je vous parle en homme d'exp?rience et avec le plus parfait d?sint?ressement. Vous arrivez de la campagne, vous ne savez pas ce que c'est que la vie fi?vreuse et ingrate qui vous attend ici. Quand je suis entr? ? ce journal, j'?tais jeune comme vous, le coeur d?bordant d'enthousiasme, comme vous, je me voyais d?j? sacr? grand homme, dominant l'univers, en livrant ma pens?e ? la v?n?ration des foules. Il y a vingt ans que je suis dans le journalisme et il ne m'a pas encore ?t? permis de dire ce que je pense. J'?cris pour Troussebelle, j'?cris pour Vaillant, j'?cris pour Boissec, qui me paie de plantureux d?ners au Club Canadien, ou ailleurs, et s'imagine, l'imb?cile, que cela fait mon bonheur; j'?cris m?me pour de petites dames qui ont leurs influences et en profitent pour venir me montrer leur... ?tat d'?me. J'avoue que c'est quelquefois le c?t? le plus int?ressant du m?tier. Pour moi-m?me, je n'ai jamais rien ?crit; mes convictions, je les cache pr?cieusement; la V?rit?, je l'entortille n'importe comment avec ce qu'on me donne; je blanchis les noirs et je noircis les blancs sur commande.

--Pas possible!

--Alors, vous me conseillez de faire autre chose?

--Autre chose! n'importe quoi! Choisissez une profession lib?rale. Avocat, si le droit vous emb?te, vous pourrez vous lancer dans la politique. M?decin, si la client?le se fait trop attendre, vous inventerez une nouvelle drogue, ouvrirez un dispensaire sous le patronage d'une soci?t? de charit? et le succ?s viendra, avec le temps. Si vous avez le compas dans l'oeil, faites vous architecte ou ing?nieur. Et ? d?faut de tout cela, il y a encore le commerce qui offre beaucoup de chances de succ?s. La carri?re commerciale est la plus avantageuse dans un jeune pays comme le n?tre. On y fait fortune tr?s vite. Ceux que le hasard favorise quelque peu ont bient?t chevaux, voitures de luxe et maison princi?re rue Sherbrooke. Les journalistes n'ont rien de tout cela. Ils vont m?me ? pied quand il y a des barbiers et des gar?ons de buvette qui se pr?lassent en automobile. Et je me demande parfois si cela n'est pas juste, s'il n'y a pas moins de mal ? abrutir les gens avec des alcools, s'il n'est pas moins inhumain de leur ?corcher la figure avec un rasoir, que de leur imposer la lecture de journaux destin? ? les tromper et ? fausser leur jugement?

--Tout ce que vous dites l? me para?t si ?trange que je ne sais vraiment que faire.

--Prenez le premier train et retournez ? la campagne. Vous pourrez r?fl?chir tout ? votre aise en respirant l'air vivifiant et pur passant sur les prairies parfum?es de tr?fle. Peut-?tre que le charme de la nature renaissante et f?conde vous donnera l'id?e de vous faire agriculteur. C'est ce que je regrette, moi, de n'avoir pu vivre loin de la ville, d'une existence faite de calme et de joie saine, les pieds dans la verdure, le front lev? vers le ciel bleu. Les odeurs que montent de la terre que le soleil caresse, valent mieux que la poussi?re des salles de r?daction. Ici, c'est l'esclavage: l?-bas, c'est la libert?. A vous de choisir.

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