Read Ebook: Histoire de Napoléon et de la Grande-Armée pendant l'année 1812. Tome II by S Gur Philippe Paul Comte De
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; mais d?s lors tous proclam?rent Ney le h?ros de la retraite.
Cinq marches s?parent ? peine Orcha de Smolensk. Dans ce court trajet, que de gloire recueillie! qu'il faut peu d'espace et de temps pour une renomm?e immortelle! et de quelle nature sont donc ces grandes inspirations, ce germe invisible, impalpable des grands d?vouemens produits de quelques instans, issus d'un seul coeur, et qui doivent remplir les temps et l'immensit??
Quand, ? deux lieues de l?, Napol?on apprit que Ney venait de repara?tre, il bondit de joie, il en poussa des cris, il s'?cria: <
LIVRE ONZIEME.
AINSI l'arm?e avait repass? pour la troisi?me et derni?re fois le Dnieper, fleuve ? demi russe et ? demi lithuanien, mais d'origine moskovite. Il coule de l'est ? l'ouest jusqu'? Orcha, o? il se pr?sente pour p?n?trer en Pologne; mais l?, des hauteurs lithuaniennes s'opposant ? cette invasion, le forcent de se d?tourner brusquement vers le sud, et de servir de fronti?re aux deux pays.
Les quatre-vingt mille Russes de Kutusof s'arr?t?rent devant ce faible obstacle. Jusque-l?, ils avaient ?t? plut?t spectateurs qu'auteurs de notre d?sastre. Nous ne les rev?mes plus; l'arm?e fut d?livr?e du supplice de leur joie.
Dans cette guerre, et comme il arrive toujours, le caract?re de Kutusof le servit plus que ses talens. Tant qu'il fallut tromper et temporiser, son esprit astucieux, sa paresse, son grand ?ge, agirent d'eux-m?mes; il se trouva l'homme de la circonstance, ce qu'il ne fut plus ensuite d?s qu'il fallut marcher rapidement, poursuivre, pr?venir, attaquer.
Mais depuis Smolensk, Platof avait pass? sur le flanc droit de la route, pour se joindre ? Witgenstein. Toute la guerre se porta de ce c?t?.
Le 22, on marcha p?niblement d'Orcha vers Borizof, sur un large chemin bord? d'un double rang de grands bouleaux dans une neige fondue et au travers d'une boue profonde et liquide. Les plus faibles s'y noy?rent: elle retint et livra aux Cosaques tous ceux des bless?s qui, croyant la gel?e ?tablie pour toujours, avaient, ? Smolensk, chang? leurs voitures contre des tra?neaux.
Au milieu de ce d?p?rissement il se passa une action d'une ?nergie antique. Deux marins de la garde venaient d'?tre coup?s de leur colonne par une bande de Tartares qui s'acharnaient sur eux. L'un perdit courage et voulut se rendre; l'autre, tout en combattant, lui cria que s'il commettait cette l?chet? il le tuerait; et en effet, voyant son compagnon jeter son fusil et tendre les bras ? l'ennemi, il l'abattit d'un coup de feu entre les mains des Cosaques, puis, profitant de leur ?tonnement, il chargea promptement son arme, dont il mena?a les plus hardis. Ainsi il les contint, et d'arbre en arbre il recula, gagna du terrain, et parvint ? rejoindre sa troupe.
Mais d'autres n'attribuaient pas ? cette incursion nos malheurs actuels. Sans vouloir excuser les sacrifices auxquels on s'?tait r?sign? dans l'espoir de terminer la guerre en une seule campagne, ils assuraient < < Alors ils rappelaient nos pertes inutiles devant Smolensk, l'inaction de Junot ? Valoutina, et ils soutenaient < < D?plorant alors la t?m?raire obstination des jours de Moskou, et la funeste h?sitation de ceux de Malo-Iaroslavetz, ils comptent leurs malheurs. Ils ont perdu depuis Moskou tous leurs bagages, cinq cents canons, trente et une aigles, vingt-sept g?n?raux, quarante mille prisonniers, soixante mille morts: il ne leur reste que quarante mille tra?neurs sans armes et huit mille combattans. Mais enfin, quand leur colonne d'attaque est d?truite, ils demandent < < Ceux qui se plaignaient ainsi n'ignoraient pas la pr?sence du duc de Bassano ? Wilna; mais, malgr? les talens de ce ministre, et la haute confiance que l'empereur avait en lui, ils jugeaient qu'?tranger ? l'art de la guerre, et surcharg? des soins d'une grande administration et de toute la politique, on n'avait pu lui laisser la direction des affaires militaires. Au reste, telles ?taient les plaintes de ceux ? qui leurs souffrances laissaient le loisir d'observer. Qu'une faute e?t ?t? faite, il ?tait impossible d'en douter; mais de dire comment on e?t pu l'?viter, de peser la valeur des motifs qui y entra?n?rent, dans une si grande circonstance et devant un si grand homme, c'est ce qu'on n'ose d?cider: on sait d'ailleurs que, dans ces entreprises aventureuses et gigantesques, tout devient faute quand le but en est manqu?. Toutefois, la trahison de Schwartzenberg n'?tait point aussi ?vidente, et pourtant, si l'on en excepte les trois g?n?raux fran?ais qui se trouvaient avec cet Autrichien, la grande-arm?e tout enti?re l'accusait. < < Le 14 novembre, ? Volkowitz, Sacken ? joint Regnier, il l'a s?par? de l'Autrichien, et l'a press? si vivement, qu'il l'a forc? d'appeler Schwartzenberg ? son secours. Aussit?t celui-ci, comme s'il s'y fut attendu, a r?trograd? en abandonnant Minsk. Il est vrai qu'il d?gage Regnier, qu'il bat Sacken et qu'il le poursuit jusque sur le Bug, que m?me il lui d?truit la moiti? de son arm?e: mais le jour m?me de son succ?s, le 16 novembre, Minsk a ?t? pris par Tchitchakof, c'est une double victoire pour l'Autriche. Ainsi toutes les apparences sont conserv?es; le nouveau feld-mar?chal a satisfait aux voeux de son gouvernement, ?galement ennemi des Russes qu'il vient d'affaiblir d'un c?t?, et de Napol?on que de l'autre il leur a livr?.>> Tel fut le cri de la grande-arm?e presque enti?re; son chef garda le silence, soit qu'il ne s'attend?t pas ? plus de z?le de la part d'un alli?, soit politique, ou qu'il cr?t que Schwartzenberg avait assez satisfait ? l'honneur, par cette esp?ce d'avertissement que six semaines plus t?t il lui avait fait parvenir ? Moskou. Toutefois, il adressa des reproches au feld-mar?chal. Mais celui-ci lui r?pondit par une plainte am?re, d'abord sur cette double instruction contradictoire qu'il avait re?ue, de couvrir ? la fois Varsovie et Minsk, puis sur les fausses nouvelles que lui avait transmises le duc de Bassano. Ce ministre lui avait, disait-il, constamment repr?sent? < Il all?guait ensuite sa propre faiblesse. Comment exiger < EN effet, on n'?tait gu?re en droit d'en accuser d'autre de trahison, lorsqu'on s'?tait trahi soi-m?me, car tous s'?taient manqu? au besoin. ? Wilna, on paraissait ?tre rest? sans d?fiance, et quand, de la B?r?zina ? la Vistule, les garnisons, les d?p?ts, les bataillons de marche, et les divisions Durutte, Loison et Dombrowski, pouvaient, sans le secours des Autrichiens, former, ? Minsk une arm?e de trente mille hommes, un g?n?ral peu connu et trois mille soldats avaient ?t? les seules forces qui s'y ?taient trouv?es pour arr?ter Tchitchakof. On savait m?me que cette poign?e de jeunes soldats avaient ?t? expos?s devant une rivi?re, o? l'amiral les avait pr?cipit?s, tandis que cet obstacle les aurait d?fendus quelques instans, s'ils eussent ?t? plac?s derri?re. Car, ainsi qu'il arrive souvent, les fautes d'ensemble avaient entra?n? les fautes de d?tail. Le gouverneur de Minsk avait ?t? choisi n?gligemment. C'?tait, dit-on, un de ces hommes qui se chargent de tout, qui r?pondent de tout, et qui manquent ? tout. Le 16 novembre, il avait perdu cette capitale et avec elle quatre mille sept cents malades, des munitions de guerre et deux millions de rations de vivres. Il y avait cinq jours que le bruit en ?tait venu ? Dombrowna, et l'on allait apprendre un plus grand malheur. Ce m?me gouverneur s'?tait retir? sur Borizof. L?, il ne sut ni avertir Oudinot, qui ?tait ? deux marches, de venir ? son secours; ni soutenir Dombrowski, qui accourait de Bobruisk et d'Igumen. Dombrowski n'arriva, dans la nuit du 20 au 21 ? la t?te du pont, qu'apr?s l'ennemi; pourtant il en chassa l'avant-garde de Tchitchakof, il s'y ?tablit, et s'y d?fendit vaillamment jusqu'au soir du 21; mais alors, ?cras? par l'artillerie russe, qui le prit en flanc, il fut attaqu? par des forces doubles des siennes, et culbut? au-del? de la rivi?re et de la ville jusque sur le chemin de Moskou. Napol?on ne s'attendait pas ? ce d?sastre; il croyait l'avoir pr?venu par ses instructions adress?es de Moskou ? Victor le 6 octobre. < Mais Witgenstein ayant attaqu? avant Tchitchakof, le danger le plus proche et le plus pressant avait attir? toute l'attention: les sages instructions du 6 octobre n'avaient point ?t? renouvel?es par Napol?on. Elles parurent oubli?es par son lieutenant. Enfin, lorsqu'? Dombrowna l'empereur apprit la perte de Minsk, lui-m?me ne jugea pas Borizof dans un aussi pressant danger, puisqu'en passant le lendemain ? Orcha, il fit br?ler tous ses ?quipages de pont. D'ailleurs sa correspondance du 20 novembre avec Victor prouve sa confiance: elle supposait qu'Oudinot serait pr?s d'arriver le 25 dans Borizof, tandis que, d?s le 21, cette ville devait tomber au pouvoir de Tchitchakof. Ce fut le lendemain de cette fatale journ?e, ? trois marches de Borizof et sur la grande route, qu'un officier vint annoncer ? Napol?on cette nouvelle d?sastreuse. L'empereur, frappant la terre de son b?ton, lan?a au ciel un regard furieux avec ces mots: < Cependant, le mar?chal Oudinot, d?j? en marche pour Minsk, et ne se doutant de rien, s'?tait arr?te le 21, entre Bobr et Kroupki, lorsqu'au milieu de la nuit le g?n?ral Brownikowski accourut pour lui annoncer sa d?faite, celle de Dombrowski, la prise de Borizof, et que les Russes le suivaient de pr?s. Le 22, le mar?chal marcha ? leur rencontre et rallia les restes de Dombrowski. Le 23, il se heurta, ? trois lieues en avant de Borizof, contre l'avant-garde russe, qu'il renversa, ? laquelle il prit neuf cents hommes, quinze cents voitures, et qu'il ramena ? grands coups de canon, de sabre et de ba?onnette jusque sur la B?r?zina; mais les d?bris de Lambert, en repassant Borizof et cette rivi?re, en d?truisirent le pont. Napol?on ?tait alors dans Toloczine; il se faisait d?crire la position de Borizof. On lui confirme que, sur ce point, la B?r?zina n'est pas seulement une rivi?re, mais un lac de gla?ons mouvans; que son pont a trois cents toises de longueur; que sa destruction est irr?parable, et le passage d?sormais impossible. En effet, tout ce que Napol?on pouvait pr?voir de malheurs ?tait arriv?: aussi la triste conformit? de sa situation avec celle du conqu?rant su?dois le jeta-t-elle dans une si grande consternation, que son esprit, et m?me sa sant?, en furent ?branl?s plus encore qu'? Malo-Iaroslavetz. Dans les paroles, qu'alors il laissa entendre, on remarqua ces mots: < N?anmoins, ces premiers mouvemens furent les seuls qui lui ?chapp?rent, et le valet de chambre qui le secourut fut le seul qui s'aper?ut de sa d?tresse. Duroc, Daru, Berthier, ont dit qu'ils l'ignor?rent, qu'ils le virent in?branlable: ce qui ?tait vrai, humainement parlant, puisqu'il restait assez ma?tre de lui pour contenir son anxi?t?, et que la force de l'homme ne consiste le plus souvent qu'? cacher sa faiblesse. Au reste, un entretien digne de remarque qu'on entendit cette m?me nuit, montrera tout ce qu'avait de critique sa position, et comment il la supportait. La nuit s'avan?ait: Napol?on ?tait couch?. Duroc et Daru, encore dans sa chambre, se livraient ? voix basse aux plus sinistres conjectures, croyant leur chef endormi; mais lui les ?coutait, et le mot de < Daru, d'abord surpris, r?pondit bient?t < Et alors il ajoute < On vit dans ses ordres la m?me fermet?; Oudinot vient de lui annoncer sa r?solution de culbuter Lambert; il l'approuve, et il le presse de se rendre ma?tre d'un passage, soit au-dessus, soit au-dessous de Borizof. Il veut que le 24, le choix de ce passage soit fait, les pr?paratifs commenc?s, et qu'il en soit averti pour y conformer sa marche. Loin de penser ? s'?chapper du milieu de ces trois arm?es ennemies, il ne songe plus qu'? vaincre Tchitchakof, et ? reprendre Minsk. Il est vrai que huit heures apr?s, dans une seconde lettre au duc de Reggio, il se r?signe ? franchir la B?r?zina vers Veselowo, et ? se retirer directement sur Wilna par Vile?ka, en ?vitant l'amiral russe. Mais le 24, il apprend qu'il ne pourra tenter ce passage que vers Studzianka; qu'en cet endroit le fleuve a cinquante-quatre toises de largeur, six pieds de profondeur; qu'on abordera sur l'autre rive, dans un marais, sous le feu d'une position dominante fortement occup?e par l'ennemi. L'ESPOIR de passer entre les arm?es russes ?tait donc perdu: pouss? par celles de Kutusof et de Witgenstein contre la B?r?zina, il fallait traverser cette rivi?re, en d?pit de l'arm?e de Tchitchakof qui la bordait. D?s le 23, Napol?on s'y pr?para comme pour une action d?sesp?r?e. Et d'abord il se fit apporter les aigles de tous les corps et les br?la. Il rallia en deux bataillons dix-huit cents cavaliers d?mont?s de sa garde, dont onze cent cinquante-quatre seulement ?taient arm?s de fusils et de carabines. La cavalerie de l'arm?e de Moskou ?tait tellement d?truite, qu'il ne restait plus ? Latour-Maubourg que cent cinquante hommes ? cheval. L'empereur rassembla autour de lui tous les officiers de cette arme encore mont?s: il appela cette troupe d'environ cinq cents ma?tres, son escadron sacr?. Grouchy et S?bastiani en eurent le commandement; des g?n?raux de division y servirent comme capitaines. Napol?on ordonne encore que toutes les voitures inutiles soient br?l?es, qu'aucun officier n'en conserve plus d'une, qu'on br?le la moiti? des fourgons et des voitures de tous les corps et qu'on en donne les chevaux ? l'artillerie de la garde. Les officiers de cette arme ont l'ordre de s'emparer de toutes les b?tes de trait qu'ils trouveront ? leur port?e, m?me des chevaux de l'empereur, plut?t que d'abandonner un canon ou un caisson. En m?me temps, il s'enfon?ait pr?cipitamment dans cette obscure et immense for?t de Minsk, o? quelques bourgs et de mis?rables habitations se sont fait ? peine quelques ?claircis. Le bruit du canon de Witgenstein la remplissait de ses ?clats. Ce Russe accourait sur le flanc droit de notre colonne mourante, descendant du nord, et nous rapportant l'hiver qui nous avait quitt? avec Kutusof; ce bruit si mena?ant h?tait nos pas. Quarante ? cinquante mille hommes, femmes et enfans, s'?coulaient au travers de ces bois, aussi pr?cipitamment que le permettaient leur faiblesse et le verglas qui se reformait. Ces marches forc?es, commenc?es avant le jour et qui ne finissaient pas avec lui, dispers?rent tout ce qui ?tait rest? ensemble. On se perdit dans les t?n?bres de ces grandes for?ts et de ces longues nuits. Le soir on s'arr?tait, le matin on se remettait en route dans l'obscurit?, au hasard, et sans entendre le signal; les restes des corps achev?rent alors de se dissoudre; tout se m?la et se confondit.
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