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Read Ebook: Evangeline: Traduction du poème Acadien de Longfellow by Longfellow Henry Wadsworth Lemay Pamphile Translator

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Ebook has 133 lines and 27069 words, and 3 pages

Translator: Pamphile Lemay

?VANG?LINE

TRADUCTION DU PO?ME ACADIEN DE LONGFELLOW

PAR

L. PAMPHILE LEMAY

QU?BEC

P.G. DELISLE, IMPRIMEUR, 1 RUE DAUPHIN

AU LECTEUR

La critique m'ayant montr? quelques taches dans ma premi?re traduction d'Evang?line, j'avais ? coeur de retoucher, de polir, de perfectionner mon oeuvre. Cependant je ne me serais probablement pas d?cid? ? la livrer de nouveau au public assez indiff?rent, si je n'avais ?t? sollicit? par un homme que je v?n?re beaucoup, et que j'appellerai avec raison mon M?c?ne, puisqu'il m'a prot?g? depuis longtemps avec fid?lit?.

Je n'ai jamais pr?tendu faire une traduction tout ? fait litt?rale. J'ai un peu suivi mon caprice. Parfois j'ai ajout?, j'ai retranch? parfois; mais plut?t dans les paroles que dans les id?es. J'ai respect? partout les sentiments du po?te am?ricain. Dans cette deuxi?me ?dition, j'ai rendu la vie ? Evang?line que, dans ma premi?re traduction, j'avais laiss? mourir, par piti?, en m?me temps que son Gabriel.

Je devais publier ? Paris cette nouvelle ?dition du po?me Acadien. Cependant pour des raisons qu'il serait au moins superflu de raconter ? mes bienveillants lecteurs, j'ai d? rappeler mes humbles manuscrits au foyer paternel. Je ne me flattais pas d'?blouir le monde parisien, bien qu'aujourd'hui les grands po?tes de la France soient ? peu pr?s tous rentr?s sous terre, et que ceux qui survivent ne volent pas toujours tr?s-haut. Je connais assez les pr?jug?s des petits-neveux d'outre-mer de mes anc?tres, et leur antipathie pour tout ce qui n'est pas fran?ais, pour savoir que le barde sauvage des bords lointains du St. Laurent n'aurait pas, un seul instant, suspendu la foule parisienne aux accords de son luth.

J'aurais ?t? flatt? tout de m?me de voir la Patrie de mes P?res se tourner vers cette rive Canadienne o? un million de ses enfants conservent encore sa foi, sa langue et ses coutumes, et lui donner un sourire de reconnaissance.

Si mon livre a du m?rite, m?rite est d? ? mon amour de cette langue, de cette foi, de ces coutumes que la France nous a l?gu?es, seul h?ritage que nul n'a pu nous ravir! Il est d? aussi ? l'int?r?t que je porte ? l'Acadie, cette soeur du Canada si indignement trait?e par ses vainqueurs.

Il est ?tonnant de retrouver encore des villages, des comt?s m?me tout peupl?s d'Acadiens, dans cette Acadie o? la cruelle Albion a promen? la torche incendiaire et le fer meurtrier de ses soldats inhumains.

C'?tait le 5 septembre 1755, l'Acadie se mirait dans les flots de l'Atlantique et du Bassin des Mines, riche, paisible et souriante comme une fianc?e; tout-?-coup, l'Angleterre, jalouse de la prosp?rit? des colons fran?ais arme une flotte, choisit les plus envieux de ses enfants et les plus barbares de ses soldats, et les l?che comme une meute enrag?e sur l'heureuse colonie. On appelle l'hypocrisie et la trahison au secours de la violence. Comme toujours la cruaut? est peureuse. Les Acadiens surpris, d?pouill?s de leurs armes, sont encha?n?s comme des criminels, embarqu?s p?le-m?le sur des vaisseaux Anglais, et transport?s sur les bords ?trangers o? les attendent la faim et le d?nuement, la pers?cution et la mort: car bien peu d'entre les exil?s d'Acadie ont pu comme le p?re Basile Lajeunesse, l'un des h?ros du po?me, chanter l'hospitalit? g?n?reuse, la richesse et la libert? de la grande colonie Anglaise. La plus part au contraire ont ?t? repouss? avec malice, bafou?s et maltrait?s. Dans la Pennsylvanie, on a voulu r?duire en esclavage ces malheureux d?port?s. Ce n'est pas ainsi aujourd'hui que l'exil? est accueilli dans la grande r?publique.

Quelle a donc ?t? lamentable la destin?e de ce pauvre petit peuple Acadien! et par quel prodige subsiste-t-il encore, diss?min?, il est vrai, mais toujours reconnaissable, toujours le m?me que le bon peuple chant? par Longfellow. Aujourd'hui les barri?res qui nous s?paraient de ce peuple sont tomb?es. Nous n'avons plus qu'une m?me patrie, le Canada. La Providence qui fait surgir les nations et qui les fait entrer dans le n?ant, a sans doute les yeux ouverts sur nous. Elle ne nous a pas dirig?s pendant trois si?cles ? travers les ?cueils et les dangers de toutes sortes pour ensuite nous laisser p?rir tout-?-coup. Un peuple qui aime sa langue, sa foi et ses coutumes jusqu'au martyre peut bien ?tre accabl?, vaincu, tyrannis?, mais il ne saurait p?rir tout entier.

L. PAMPHILE LEMAY

Qu?bec, 1er Juillet 1870.

L'on me saura gr? peut-?tre de ce que je reproduits ici la lettre vraiment flatteuse que le grand po?te Am?ricain m'a fait l'honneur de m'adresser, lorsque parut ma premi?re traduction d'Evang?line.

Cambridge, pr?s Boston, 27 Octobre 1865

Cher Monsieur,

Permettez-moi de vous f?liciter de la publication de votre ouvrage et des heureuses pens?es qui s'y trouvent si ?l?gamment exprim?es, ainsi que du talent po?tique et du vif sentiment de la nature qu'il r?v?le.

Mais laissez-moi surtout vous remercier de cette partie de votre livre que vous avez bien voulu consacrer ? la traduction d'Evang?line. Je vous dois la plus grande reconnaissance pour cette marque de votre bienveillance, non-seulement parce que vous avez bien voulu faire choix de cette oeuvre pour sujet de traduction, mais encore parce que vous avez rempli cette t?che toujours difficile, avec tant d'habilet? et de succ?s.

Je n'ai qu'une seule r?serve ? faire: vous faites mourir Evang?line:

<>

Cependant, je ne vous querellerai pas pour cela. Mon but n'est pas de critiquer, mais de vous remercier et de vous dire combien je suis heureux de l'honneur que vous m'avez fait.

Esp?rant que le succ?s de votre livre surpasse m?me vos plus grandes esp?rances.

Je demeure, cher monsieur,

votre ob?issant serviteur,

Henry W. Longfellow.

?VANG?LINE

Salut, vieille for?t! Noy?s dans la p?nombre Et drap?s fi?rement dans leur feuillage sombre Tes sapins r?sineux et tes c?dres altiers Qui se bercent au vent sur le bord des sentiers Jetant, ? chaque brise, une plainte sauvage. Ressemblant aux chanteurs qu'entendit un autre ?ge, Aux Druides anciens dont la lugubre voix S'?levait proph?tique au fond d'immenses bois! Et l'oc?an plaintif vers ses rives brumeuses S'avance en agitant ses vagues ?cumeuses. Et de profonds soupirs s'?l?vent de ses flots Pour r?pondre, ? for?t, ? tes tristes sanglots!

Vieille for?t, salut! Mais tous ces coeurs candides Qu'on voyait tressaillir comme les daims timides Que le cor du chasseur a r?veill?s soudain. Que sont-ils devenus! Je les appelle en vain!... Et le joli village avec ses toits de chaume? Et la petite ?glise avec son l?ger d?me? Et l'heureux Acadien qui voyait ses beaux jours Couler comme un ruisseau dont le paisible cours Traverse des for?ts qui le voilent d'ombrage, Mais r?fl?chit aussi du ciel la pure image? Partout la solitude, aux foyers comme aux champs! Plus de gais laboureurs! la haine des m?chants, Un jour, les a chass?s au bord d'une gr?ve Le sable fr?missant que la brise soul?ve Roule en noirs tourbillons jusqu'au plus haut de l'air Et s?me sur les flots de la bruyante mer! Le hameau de Grand Pr? n'est qu'une souvenance; Le saule y cro?t, le merle y siffle sa romance.

O vous tous qui croyez ? cette affection Qui s'enflamme et grandit avec l'affliction; O vous tous qui croyez au bon coeur de la femme, A la force, au courage, ? la foi de son ?me. Ecoutez un r?cit que les bois d'alentour Et l'oc?an plaintif redisent tour ? tour: Ecoutez une histoire aussi belle qu'ancienne; Une histoire d'amour de la terre Acadienne!

PREMI?RE PARTIE

Sous le ciel d'Acadie, au fond d'un joli val, Et non loin des bosquets qui bordent le cristal Que d?roule, tant?t sous les froides bruines, Tant?t sous le soleil, le grand Bassin des Mines, On aper?oit encor, paisible, retir? Et loin de ce qu'il fut, le hameau de Grand Pr?. Du c?t? du levant de beaux champs de verdure Offraient ? cent troupeaux une grasse p?ture Et donn?rent jadis au village son nom. Pour arr?ter les flots le vigilant colon, A force de travail et de rudes fatigues, Eleva de ses mains de gigantesques digues Qu'au retour du printemps on voyait s'entr'ouvrir, Pour laisser l'oc?an s'?lancer et courir Sur le duvet des pr?s devenus son domaine. Au couchant, au midi, jusqu'au loin dans la plaine S'?tendaient des vergers et des bouquets d'ormeaux. Le lin vert balan?ait ses fr?les chalumeaux Et le bl? jaunissant, ses tiges plus robustes; Vers le nord surgissaient mille sortes d'arbustes Des bois myst?rieux et de sombres halliers; Et, sur les hauts sommets des monts irr?guliers, De magiques brouillards, des brumes ?clatantes, Se paraient au soleil de couleurs inconstantes Et semblaient admirer le vallon dans la paix Sans oser cependant y descendre jamais. C'est l? qu'apparaissaient, charmantes et coquettes, Les maisons du hameau qui toutes ?taient faites Avec du bois de ch?ne, ou d'orme ou de noyer. Comme le paysan b?tissait son foyer, Dans la terre Normande, alors que sur le tr?ne S'asseyaient les Henri. Un chaume frais et jaune Arrang? par faisceaux, recouvrait tous les toits; Des lucarnes laissaient, par les ch?ssis ?troits, P?n?trer le soleil jusqu'au fond des mansardes. Lorsque tournant au vent, les girouettes criardes S'illuminaient des feux d'un beau soleil couchant, Dans les beaux soirs d'?t?, lorsque l'herbe du champ Exhalait son ar?me et tremblait ? la brise, Sur le seuil de la porte avec leur jupe grise, Leur blanche capeline et leur mantelet noir, Les femmes du hameau venaient gaiement s'asseoir, Et filaient leur quenouille; et les brunes fillettes Unissaient leurs chansons au bruit clair des navettes Tournant sur les m?tiers leurs essieux de roseau, Au joyeux ronflement du rapide fuseau. Le pasteur du village, humble et v?n?r? pr?tre, Alors ne tardait pas d'ordinaire ? para?tre. En le voyant venir d'un pas majestueux Tous les petits enfants cessaient leurs bruyants jeux, Leurs courses dans les pr?s, leurs cris de toutes sortes Et retournaient s'asseoir en rang devant les portes. Arr?tant leurs fuseaux, les femmes se levaient, Et, par des mots polis, toutes le saluaient. Bient?t les laboureurs revenant de l'ouvrage A l'?table menaient leur pesant attelage. Le soleil ?maillait la pente du c?teau: Et ses derniers rayons, comme des filets d'eau, Jusques au fond du val, glissaient de roche en roche. De sa voix argentine au m?me instant la cloche Annon?ait l'ang?lus et le d?clin du jour. Et, pardessus les toits et les monts d'alentour, On voyait la fum?e en colonnes bleu?tres, Comme des flots d'encens, s'?chapper de ces ?tres O? l'on go?tait la paix, le plus divin des biens.

Ainsi vivaient alors les simples Acadiens: Leurs jours ?taient nombreux et leur mort ?tait sainte. Libres de tout souci comme de toute crainte, Leurs portes n'avaient point de clef ni de loquet; Car dans l'ombre des nuits nul n'?tait inquiet; Et, chez ces bonnes gens, on trouvait la demeure Ouverte comme l'?me, ? chacun, ? toute heure. L? le riche vivait avec frugalit?, Le pauvre n'avait point de nuits d'anxi?t?.

Sur une grande ferme attach?e au village, Et tout pr?s du bassin, au milieu du feuillage, On voyait, autrefois une belle maison A l'air un peu coquet avec son blanc pignon: C'?tait l? qu'habitait Benoit Bellefontaine. Il avait avec lui, dans ce joli domaine, La jeune Evang?line, une suave fleur. Tous deux vivaient heureux. Benoit avait du coeur, Une haute stature, un bras fort, un front h?ve, Un oeil intelligent mais peut-?tre un peu cave, Un d?marche ferme et soixante-et-dix ans. Avec son teint de bronze et ses longs cheveux blancs Il ?tait comme un ch?ne au milieu d'une lande. Un ch?ne que la neige orne d'une guirlande. Et cette jeune fille, elle ?tait belle ? voir, Avec ses dix-sept ans, son front pur, son oeil noir Qu'ombrageait une ?paisse et longue chevelure; Comme au bord de la route une discr?te m?re D?rob?e ? demi par un ?pais buisson! Elle ?tait belle ? voir, au temps de la moisson, Lorsqu'elle s'en allait ? travers la prairie, Avec son corset rouge et sa jupe fleurie, Porter aux moissonneurs assis sur les gu?rets, Chaque jour, un flacon tout plein de cidre frais! Mais les jours de dimanche elle ?tait bien plus belle! Quand la cloche sonnait dans la haute tourelle Que le pr?tre, en surplis, b?nissait, au saint lieu, Le peuple rassembl? pour rendre hommage ? Dieu, On la voyait venir le long de la bruy?re, Tenant dans sa main blanche un livre de pri?re Ou les grains v?n?r?s d'un humble chapelet. Elle portait alors ?l?gant mantelet, Jupon bleu, souliers fins, chapeau de Normandie, Et brillants anneaux d'or qu'aux rives d'Acadie Une a?eule de France autrefois apporta; Que la m?re, en mourant, ? sa fille quitta Comme un gage sacr?, comme un saint h?ritage Mais un ?clat plus doux inondait son visage Quand, venant de confesse ? l'approche du soir, Elle passait sans bruit sur le bord du trottoir Adorant dans son coeur Dieu qui l'avait b?nie. On aurait dit alors qu'une pure harmonie Comme un accord qui meurt sur ses pas s'?levait. La maison du fermier en ces temps se trouvait Sur un charmant c?teau dont la pente riante S'inclinait, par degr?s, vers la rive bruyante. Le sentier pour s'y rendre ?tait bord? d'ormeaux; Un sycomore altier, de ses vastes rameaux, En ombrageait la porte et la sombre toiture. A travers la prairie un sentier de verdure Conduisait au verger tout en fleurs le printemps. L'automne, tout en fruits. Dans ses bras palpitants Une vigne encha?nait l'antique sycomore Et prot?geait l'essaim d'une ruche sonore. Et plus bas se trouvaient, sur le flanc du c?teau, Le puits au bord mousseux, et tout aupr?s, un sceau Et l'auge o? s'abreuvaient les boeufs et les g?nisses, Puis du c?t? du nord plusieurs autres b?tisses. Les granges, les hangars prot?geaient la maison Contre les ouragans de la froide saison. C'?tait l? qu'on voyait les voitures diverses: Les pesants chariots, la charrue et les herses, La vaste bergerie o? b?laient les moutons Et le brillant s?rail o? criaient les dindons, O? le coq orgueilleux chantait d'une voix fi?re Comme aux jours o? son chant troubla l'?me de Pierre. Les granges jusqu'au fa?te ?taient pleines de foin; Elles seules semblaient un village de loin: Leurs toits pro?minents ?taient couverts en chaume, Et le tr?fle fan? remplissait de son baume Le fenil o? montait un solide escalier. L? se trouvait encor le joyeux colombier Avec ses nids moelleux, ses tendres cr?atures, Ses doux roucoulements, ses amoureux murmures; Puis au-dessus des toits, c'?taient les cris stridents Des girouettes de t?le allant ? tous les vents. C'est ainsi que vivait en paix avec le monde, En paix avec son Dieu, dans sa terre f?conde, Le fermier de Grand Pr?. Sa joie et son appui Toujours Evang?line ?tait aupr?s de lui Et gouvernait d?j? sagement le m?nage. Plus d'un jeune amoureux ? peu pr?s de son ?ge, La suivait ? l'?glise, et priait ? genoux En reposant sur elle un oeil tendre et jaloux. Comme si cette femme avait ?t? la sainte Qu'il venait v?n?rer dans la pieuse enceinte. Bien heureux qui pouvait toucher sa blanche main! Marcher ? ses c?t?s sur le bord du chemin! Quelques-uns osaient-ils ? sa porte se rendre, Pendant qu'ils l'?coutaient sur l'escalier descendre Ils se seraient ceux-l? demand? bien en fin Lequel battait plus fort, ou du marteau d'airain Ou de leur coeur rempli d'esp?rance et d'angoisse. Aux f?tes du Patron qu'invoquait la paroisse, Vers le soir, la jeunesse assembl?e au canton, Dansait joyeusement au son du violon, Et les gar?ons alors, remplis de hardiesse, Lui r?p?taient tout bas quelques mots de tendresse Mais inutilement, car de ces amoureux Le jeune Gabriel ?tait le plus heureux: Gabriel Lajeunesse enfant du Gros Basile, Un forgeron du bourg reconnu pour habile Parmi les villageois qui l'estimaient beaucoup. Car le peuple a jug?, de tout temps et partout, L'?tat de forgeron un m?tier honorable. Les c?lestes liens d'une amiti? durable Unissaient le fermier et le vieux forgeron. Et leurs petits-enfants, l'espoir de leur maison, Avaient grandi tous deux charmants, pieux et sages, Semblables ? deux fleurs sous les m?mes feuillages. Le cur? du canton, homme aux nobles d?sirs, Qui m?prisait la terre et dont tous les loisirs Etaient donn?s au soin de sa ch?re jeunesse, Leur avait enseign? l'amour de la sagesse En leur montrant ? lire. Enfants na?fs alors Ils se livraient ensemble, en paix et sans remords, Aux plaisirs innocents de l'innocente enfance. Leur le?on r?cit?e avec ob?issance, Ils couraient ? la forge o? Basile, le soir, Bien souvent, les bras nus, le visage tout noir, Un tablier de cuir autour de la ceinture, Sans crainte soulevait, avec une main s?re, D'un cheval hennissant le vigoureux sabot; Pendant qu'aupr?s de lui, dans un feu de fagot Rougissait lentement un grand cercle de roue, comme un serpent de feu qui se tortille et joue Dans un brasier ardent allum? sous les bois. A l'approche des nuits, l'automne, bien des fois, Quand le ciel ?tait noir, et que la forge sombre Semblait vomir dehors les flamm?ches sans nombre, Par les carreaux de vitre et les ais du lambris, Ils venaient regarder, avec des yeux surpris, Le soufflet haletant que ranimait la braise, Et r?chauffer leurs doigts en causant ? leur aise. Quand ils n'entendaient plus le soufflet bourdonner Ni sous le dur marteau l'enclume r?sonner, Alors ils comparaient ? des vierges pieuses Qui, tenant ? la main leurs lampes radieuses, Entrent au sanctuaire au milieu de la nuit. Les ?tincelles d'or qui retombaient sans bruit Et mouraient tour ? tour sous les cendres ?teintes. Quand l'hiver ?tendait son voile aux riches teintes On les voyait tous deux sur un l?ger tra?neau, Sillonner comme un trait la pente du c?teau: Souvent sur les chevrons ou le toit de la grange Ils montaient hardiment, cherchant la pierre ?trange Que l'hirondelle apporte ? son nid, tous les ans, Quand elle l'a trouv?e au bord des oc?ans. Pour de ses chers petits dessiller la paupi?re. Heureux qui la trouverait cette ?tonnante pierre! Ainsi leurs premiers jours sans pleurs et sans ennuis, Comme un songe dor? s'?taient bien vite enfuis!

Ils n'?taient plus enfants ? l'?poque o? se passe Le r?cit douloureux qu'il faut que je vous fasse. Gabriel ?tait homme, il aimais les travaux, Forgeait avec son p?re et ferrait les chevaux. Evang?line ?tait une adorable femme-- Elle avait de son sexe et les espoirs et l'?me; On l'avait, d?s longtemps surnomm?e au canton: <>, ? cause, disait-on, Qu'elle ferait r?gner par sa grande prudence, Au foyer de l'?poux la joie et l'abondance; Et que de beaux enfants au visage vermeil Na?traient de ses amours; ainsi que le soleil Qui brille le matin de la sainte Eulalie F?conde les vergers dont chaque rameau plie Sous le poids des fruits m?rs, velout?s, odorants, Comme un vieillard heureux sous le poids de ses ans.

D?j? l'on arrivait ? ce temps de l'ann?e O? le feuillage sec dort sur l'herbe fum?e, O? le soleil tardif est p?le et sans chaleur, O? la nuit froide au pauvre apporte la douleur. En bandes r?unis les oiseaux de passage, Sous un ciel noir et lourd, volaient, comme un nuage, Des froides r?gions que l'aquilon fl?trit Aux rivages riants o? l'amandier fleurit. La for?t se tordait sous les vents de septembre Comme un jeune coursier qui hennit et se cambre. Tout, alors pr?sageait un hiver rigoureux. L'abeille avait gard? tout son miel savoureux, Et les coureurs des bois et les chasseurs sauvages Qui, dans un cas pareil, se pr?tendaient fort sages, Assuraient que l'hiver serait dur et mauvais Car le renard perfide avait le cuir ?pais.

Ainsi venait l'automne et les froids avec elle. Mais ce temps enchanteur, cette ?poque si belle Qu'on appelle au hameau l'?t? de la Toussaint Ranima le coeur triste et le soleil ?teint: L'univers rayonnant et brillant de fra?cheur, Semblait sortir des mains du sage Cr?ateur. On e?t dit que l'amour r?gnait dans tout le monde; Que l'oc?an chantait pour endormir son onde! Et des accents nouveaux, de magiques concerts Paraissaient s'?lever des bourgs et des d?serts! Des enfants qui jouaient les voix vives et nettes, Les refrains s?millants des luisantes girouettes Qui criaient dans les airs, sur les toits des donjons, Les doux roucoulements des amoureux pigeons, Les plaintes de la brise et les battements d'ailes Des oiseaux qui volaient au-dessus des tourelles Tout n'?tait qu'harmonie, ivresse et pur amour! Tout semblait du printemps annoncer le retour! Sur le bord de la mer et des hautes collines Le soleil argentait les limpides bruines; L'oc?an ?tait d'or: les arbres des for?ts Ber?ant, avec orgueil, les chatoyants reflets De leur manteau safran, ou pourpre ou diaphane, Etincelait de loin comme le fier platane, Quant le Perse idol?tre orne ses verts rameaux De voiles ?clatants et de brillants joyaux. Tout respirait la paix, le calme et l'innocence: La nuit dans les vallons descendait en silence, Et l'?toile du soir ?tincelait encor. Irisant le ciel bleu de ses filandres d'or. Les troupeaux bondissants regagn?rent l'?table En flairant du gazon le parfum d?lectable. En respirant du soir l'agr?able fra?cheur. Devan?ant les troupeaux, brillante de blancheur, Venait en s'?battant une grasse g?nisse, Celle d'Evang?line, avec son beau poil lisse. Sa clochette joyeuse et son joli collier. On vit le jeune p?tre ? travers le hallier, Ramener en chantant les brebis du rivage Ou croissait chaque ann?e un riche p?turage. Pr?s de lui le gros chien au poil long et soyeux Fi?rement trottinait d'un air libre et joyeux, Et pressait les tra?nards qui restaient en arri?re. Quand le jeune berger dormait sous la bruy?re C'?tait lui qui gardait les timides agneaux. Et la nuit quand les loups r?unis en troupeaux, Dans les bois d'alentour hurlaient leur cris de rage, Lui seul les prot?geait par son noble courage.

Quand la lune plus tard, ?claira l'horizon, Que sa molle lueur argenta le gazon, Les chariots remplis d'un foin aromatique Arriv?rent des champs ? la grange rustique: Sous de larges harnais d?cor?s de pompons Les chevaux hennissants balan?aient leurs grands fronts, Secouaient avec bruit leur ?paisse crini?re O? tombaient la ros?e et la fine poussi?re, Et rongeaient l'acier dur de leur mors ?cumant: La f?conde g?nisse arr?t?e un moment Ruminait, l'oeil pensif, pendant que la laiti?re En ?cume d'argent, dans sa blanche chaudi?re, Faisait couler le lait. Et dans la basse-cour, R?p?t?s par l'?cho des granges d'alentour, L'on entendit encor, comme dans un d?lire, Des b?lements, des cris et des ?clats de rire. Mais ce bruits, toutefois, s'?teignit promptement; Un grand calme se fit tout ? coup, seulement, En roulant sous leurs gonds les portes de la grange Firent, dans le silence, un grincement ?trange.

Assis dans son fauteuil fait de bois de noyer Benoit le laboureur regardait, au foyer, La flamme qui lan?ait d'?blouissantes fl?ches, L'ondulante fum?e et les vives flamm?ches, Qui tournoyaient gaiement comme des feux-follets. Sur le mur, en arri?re, o? les joyeux reflets Dansaient l?g?rement des rondes fantastiques, Son ombre se peignait avec des traits comiques; Pendant qu'? la clart? du foyer vacillant, Prenant un air moqueur, au regard s?millant, Chaque face sculpt?e au dossier de sa chaise Semblait s'?panouir et sourire ? son aise, Et que sur le buffet, les plats de fin ?tain Luisaient comme un soleil des boucliers d'airain.

Le bon vieillard chantait d'un ton m?lancolique Des refrains de chansons, des couplets de cantique, Ainsi que ses a?eux, jadis, avaient chant?, A l'ombre de leur bois, sous leur ciel enchant?, Leur ciel de Normandie. Et son Evang?line, Portant jupe ray?e et blanche capeline Filait, en se ber?ant, une filasse d'or. Le m?tier dans son coin se reposait encor. Mais le rouet actif m?lait avec constance, Son ronflement sonore ? la douce romance Que chantait le vieillard assis devant le feu. Comme dans le lieu saint quand le chant cesse un peu On entend, sous les pas, vibrer l'auguste enceinte, Ou du pr?tre ? l'autel on entend la voix sainte. Ainsi quand le fermier, vaincu par les ?mois, Suspendait les accents de sa dolente voix, De la vieille pendule au milieu des t?n?bres On entendait les coups r?guliers et fun?bres.

Pendant que le vieillard chantait dans son fauteuil On entendit des pas retentir sur le seuil, Et la clenche de bois bruyamment soulev?e De quelque visiteur annon?a l'arriv?e. Benoit reconnut bien les pas du forgeron Avec ses gros souliers pleins de clous au talon, Ainsi qu'Evang?line, ? l'?moi de son ?me O? se m?lait le trouble et la plus chaste flamme, Avait bien devin? qui venait avec lui. --<> Basile souriant, suivi de son gar?on Au foyer plein de feu vint s'asseoir sans fa?on, Et r?pondit ainsi:--<> Le fermier r?pondit:--<> --<>, reprit le forgeron. En secouant la t?te avec un air de doute; Et poussant un soupir: <> Avec un rire franc mais un peu sarcastique Le vieillard jovial ? son ami r?plique: <> Cependant ? l'?cart en face d'un ch?ssis Les jeunes fianc?s ?taient tous deux assis Regardant le ciel bleu, la belle Evang?line Livrait ? Gabriel sa main br?lante et fine; En entendant son p?re elle rougit soudain. Puis un profond soupir fit onduler son sein. Le silence venait ? peine de se faire Que l'on vit ? la porte arriver le notaire.

Comme un fr?le aviron aux mains des matelots Ou comme le filet dans le ressac des flots Le notaire Leblanc ?tait courb? par l'?ge: Son front large gardait la trace d'un orage Et sur son col bronz? tombaient ses cheveux gris, Pareils aux touffes d'or des ?pis de ma?s. A travers leur cristal ses besicles de corne Laissaient voir la sagesse au fond de son oeil morne Il se plaisait beaucoup ? faire des r?cits. P?re de vingt enfants, plus de cent petits-fils, Jouant sur ses genoux, ?gayaient sa vieillesse-- Par leur charmant babil, et par leur gentillesse. Pendant la guerre il fut, comme ami des anglais, Quatre ans tenu captif dans un vieux bourg fran?ais. Maintenant il avait une grande prudence Et la simplicit? de sa na?ve enfance. C'?tait un bon ami: les enfants l'aimaient tous Car il leur racontait contes de loups-garous, Et d'espi?gles lutins faisant au ciel des niches; Il leur disait le sort qu'avaient les blancs L?tiches, Enfants morts sans bapt?me, esprits myst?rieux Qui voltigent toujours cherchant partout les cieux Et de l'enfant qui dort viennent baiser les l?vres; Comment une araign?e ?loigne toutes fi?vres, Quand on la porte au cou dans l'?cale des noix; Comme au jour de No?l l'on entendait les voix Des boeufs qui se parlaient au fond de leurs ?tables; Il disait les secrets, les vertus admirables Que le peuple, autrefois, simple autant que loyal, Pr?tendait d?couvrir dans le fer ? cheval Et le tr?fle ?talant quatre feuilles de neige. Et biens d'autres r?cits d'ogre et de sortil?ge.

Aussit?t cependant que Leblanc arriva, De son si?ge au foyer Basile se leva Et, secouant le feu de sa pipe de terre, Il dit en s'adressant au modeste notaire: <> --<> --<> s'?cria le bouillant forgeron, Qui parfois d?cochait un sonore juron, <> Sans para?tre observer la chaleur de Basile Leblanc continua d'une voix fort tranquille: <

--<

<>

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