Read Ebook: Souvenirs d'un sexagénaire Tome I by Arnault A V Antoine Vincent
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Ebook has 187 lines and 29916 words, and 4 pages
Bien qu'on e?t augment? leur nombre et leur capacit? en convertissant d'anciens couvens en maisons de d?tention, les prisons ?taient encombr?es de pr?venus qu'on y entassait journellement. Que faire de tant de prisonniers? On r?solut de les exterminer en masse et d'un seul coup.
La nouvelle de la prise de Verdun fut le signal de ce massacre. Sous pr?texte qu'en partant pour la d?fense des fronti?res ils ne voulaient pas laisser la capitale en proie aux vengeances des aristocrates, des bandes d'assassins, qui se donnaient pour patriotes, coururent aux maisons o? les nobles et les pr?tres ?taient enferm?s, et les ?gorg?rent apr?s leur avoir fait subir une esp?ce de proc?s devant un tribunal form? aussi d'assassins. ? l'Abbaye, aux Carmes, au Ch?telet, ? Bic?tre, ? la Salp?tri?re, ? la Force, aux portes de toutes les prisons enfin, se tinrent pendant cent heures ces horribles assises, et, pendant cent heures, des charrettes, o? les corps de leurs victimes ?taient amoncel?s, les port?rent hors de la capitale, o? on les jetait p?le-m?le dans des carri?res abandonn?es. Plusieurs fois je rencontrai, sur la route de Charenton, les tombereaux partis de la Force pour aller remplir les insatiables catacombes de cette contr?e. Une pluie de sang, dont la trace, commen?ant ? la prison, se prolongeait jusqu'? ce village apr?s s'?tre m?l?e aux boues du faubourg Saint-Antoine, attestait le passage continuel de cet horrible convoi. Une fois, j'en frissonne encore, assis sur un monceau de cadavres, deux monstres, qui guidaient une de ces boucheries ambulantes, d?jeunaient tranquillement du pain qu'ils rompaient de leurs mains sanglantes, tout en s'abreuvant d'une liqueur que l'imagination la plus froide pouvait ne pas prendre pour du vin. ? l'horreur que vous fait le r?cit de ce spectacle, jugez, lecteur, de celle j'ai ?prouv?e, de celle que j'?prouve, moi qui l'ai vu, moi qui le vois!
Quand les ?gorgeurs furent las de tuer, ou plut?t quand il n'y eut plus personne ? ?gorger, les barri?res se rouvrirent, et la libre communication entre la capitale et les d?partemens se r?tablit. <
Mon plan de campagne est aussit?t arr?t?. Nous d?cidons que je me rendrai d'abord ? Amiens, o? je d?poserai ma femme dans la maison de son p?re, et que de l? j'irai ? Londres, o? je prendrai conseil des ?v?nements.
Les pr?paratifs de mon voyage furent bient?t faits; le bagage que j'emportais en Angleterre n'?tait pas beaucoup plus lourd que celui que Sterne apporta en France. Je chargeai ma femme, qui approuva ma r?solution, de me le faire parvenir ? Amiens; et le 5 septembre, ? cinq heures du soir, me voil? en route pour Saint-Germain o? je vais ? pied, et d'o? je comptais me rendre ? Beauvais par Pontoise, ? pied aussi, les voitures publiques n'ayant pas encore repris leur service.
J'arrivai ? Saint-Germain ? la nuit. Apr?s avoir racont? ce qui s'?tait pass? ? Paris, j'exposai ce que je voulais faire. On ne contraria pas une d?termination fond?e sur de si graves int?r?ts, et le lendemain matin, m'arrachant ? cette famille que j'aimais, et qui m'aimait comme la mienne, je me dirigeai ? travers la for?t vers Pontoise, ou plut?t vers Londres, ne doutant pas que tous les obstacles dussent s'aplanir devant un passeport minut? et sign? par GRUMEAUD, secr?taire ou greffier de la commune de Maisons pr?s Charenton.
DU 5 SEPTEMBRE AU 20 D?CEMBRE 1792.
CHAPITRE PREMIER.
Voyage ? travers champs.--Contraste singulier.--J'arrive ? Amiens.--Je pars d'Amiens pour Boulogne.--Aventures qui ne sont rien moins que tragiques.
Je ne crains pas la solitude; bien plus, je l'aime quand elle ne m'est pas impos?e. Rien ne m'est plus doux que de vivre isol? au milieu des ?tres qui me sont chers, et dont je me sens entour?, mais non pas press?; savoir qu'ils sont l?, et que je puis ? mon caprice les rapprocher de moi ou me rapprocher d'eux, c'est ?tre avec eux. C'est un bonheur pour moi de les avoir ? ma port?e comme les livres de ma biblioth?que, comme mes livres favoris, parmi lesquels je m?dite souvent ? toute autre chose qu'? ce qu'ils contiennent, mais dont je jouis par cela seul que je puis les feuilleter ? ma fantaisie.
L'isolement dans lequel j'allais me jeter n'?tait pas de cette nature; c'?tait peut-?tre pour toujours que j'allais me s?parer de tout ce qui m'?tait cher. L'adieu que je leur disais ?tait peut-?tre un ?ternel adieu. Cette r?flexion m'arracha des larmes. N?anmoins, ? huit heures du matin je me remis en route. Le temps ?tait superbe. La for?t est magnifique; elle me pr?ta son ombre jusqu'? Conflans-Sainte-Honorine. L? je passai la Seine, et je me rendis ensuite ? Pontoise, o? j'arrivai ? midi, tant?t courant, tant?t marchant, toujours r?vant.
Tout en d?nant ? je ne sais quelle auberge, je demandai le chemin le plus court pour gagner Beauvais. On m'en indiqua un qui abr?geait de deux ou trois lieues; en le suivant on n'en aurait gu?re que dix ? faire. Esp?rant que le reste de la journ?e me suffirait pour cette course, je me jette dans des chemins de traverse, et prenant toujours le plus court, de village en village, j'arrive au jour tombant dans un hameau nomm? Fleury.
J'?tais encore ? six lieues de Beauvais. L'?picier du lieu, si l'on peut donner ce nom ? un marchand qui vendait de tout, except? des ?pices, l'?picier du lieu, chez qui j'entrai pour prendre des renseignements, me les donna avec obligeance, me nommant tous les endroits par lesquels je devais passer, et entre autres un village qui porte un nom ?minemment empreint de f?odalit?, Saint-Jean messire Garnier. Il m'engagea toutefois ? ne pas aller plus loin. <
J'avais fait plus de dix lieues dans la journ?e. <
Avant de r?ver les yeux ferm?s, je r?vai quelque temps les yeux ouverts, repassant dans ma m?moire ce que j'avais vu dans la semaine. Quel contraste entre les sc?nes tumultueuses qui ensanglantaient la capitale et la tranquillit? qui r?gnait dans les campagnes que je venais de parcourir et dans le hameau o? je me reposais! La sensation que j'?prouvais ? ces r?flexions m'est encore pr?sente. Telle est celle que produisit en moi, ? la premi?re lecture de l'?pop?e du Tasse, l'?pisode d'Herminie et le tableau de la paix dont les pasteurs jouissent sur les bords du Jourdain, pendant que la guerre d?cha?ne ses fureurs sous les remparts de Solyme. Ainsi que ces pasteurs, les villageois qui m'accueillaient ignoraient tout ce qui se passait dans les villes; et comme j'en acquis la certitude par des questions adroitement faites, non seulement ils ne connaissaient pas la nouvelle r?volution qui se consommait, mais ils ne savaient m?me pas ce que c'est qu'une r?volution; chose surprenante, mais concevable, si l'on songe que Fleury est ? six lieues de toute ville, et qu'il est plac? au milieu des terres. Les vocif?rations de la populace, l'appel des tambours, le son des cloches, le bruit du canon, ne m'atteindront point ici, dis-je en fermant les yeux.
Il y avait quelques heures que je dormais, quand un vacarme effroyable, produit par les instrumens et les chants les plus discordans, se fit entendre autour de la maison et m'?veilla en sursaut. Me serais-je tromp?? disais-je en me frottant les yeux. Ce village aurait-il aussi ses jacobins, ses cannibales? voil? bien leurs chants de mort, leur musique barbare. ? qui en veulent-ils? n'est-ce pas ? moi? rien n'est plus probable. Ils ont attendu que je fusse au lit pour me saisir plus facilement; les voil?, ils entrent pour me prendre.
En effet, ma porte s'ouvrait. <
Le mariage d'un jeune homme et d'une vieille femme mettait en effet sur pied cette population villageoise. Arm?e de po?les, de po?lons, de chaudrons, de casseroles, que les femmes faisaient r?sonner sous leurs pincettes, et de cornets ? bouquin, dans lesquels les vachers soufflaient de toutes leurs forces, elle c?l?brait de la mani?re la plus bruyante une noce des plus ridicules. Ces bonnes gens riaient, pendant qu'? dix lieues de l? des milliers de familles ?taient dans les larmes; ces bonnes gens se divertissaient, pendant que Paris ?tait plong? dans le deuil et dans l'effroi!
On se lasse m?me de s'amuser. Au bout d'une demi-heure, nos carillonneurs s'aper?urent qu'ils avaient envie de dormir, et laiss?rent dormir les autres. Je repris mon somme, qui ne cessa qu'au moment o? le ma?tre de la maison, press? du besoin de rouvrir sa boutique, vint m'annoncer qu'il ?tait jour. Cette fois je me levai, et apr?s avoir sold? mon compte, qui, tout enfl? qu'il ?tait, n'?galait pas le pour-boire d'un gar?on de restaurateur de Paris, me voil? sur le chemin de Beauvais.
? Beauvais non plus on ne s'occupait gu?re de ce qui se passait ? Paris. On savait bien qu'on s'y ?gorgeait; mais qu'y faire, quand ce ne serait pas pour le mieux? Priv?s de nouvelles par la cl?ture des barri?res, les compatriotes de Jeanne Hachette attendaient patiemment qu'elles se rouvrissent pour juger de l'?-propos de ces massacres. En attendant, rien de chang? chez eux; les choses y allaient le m?me train que la veille, et n'y allaient pas mal, autant que j'en pus juger ? la peine que j'eus ? traverser leur march? encombr? de chalands, de marchands et de marchandises. Ce sont les seuls obstacles que je rencontrai l?. Pas de gardes ? l'entr?e de la ville, pas de gardes ? la sortie. L'inquisition r?volutionnaire n'?tait pas encore organis?e. Personne ne me demanda mon passeport.
Apr?s avoir d?jeun?, j'en avais besoin, et fait, comme de raison, une visite ? la cath?drale sans nef, et qui n'en est pas moins une merveille, je me dirigeai sur Breteuil, bourg o? la route de Beauvais rejoint celle de Paris ? Amiens. Ce voyage fut moins agr?able que celui du matin. De Fleury ? Beauvais, j'avais couru ? travers un pays charmant, et pour ainsi dire de bocage en bocage; de Beauvais ? Breteuil je suivis, entre deux lignes de pommiers rabougris, une route des plus ennuyeuses, une grande route enfin.
J'?tais arriv? au point o? les deux chemins se joignent, et je n'avais pas rencontr? une seule voiture de voyage. Fatigu? par l'ennui plus que par la marche, je commen?ais ? trouver le chemin long, quand les claquements d'un fouet de poste se firent entendre ? mon oreille. Il ?tait trois heures; j'avais encore sept lieues, sept grandes lieues ? faire pour arriver ? Amiens. Les portes s'y fermaient ? la chute du jour. Me serait-il possible de faire ces sept lieues sans d?ner? Et si je m'arr?tais pour d?ner, me serait-il possible d'arriver ? Amiens avant l'heure fatale?
La voiture cependant approchait; je cours ? sa rencontre. ? mes signes, le postillon s'arr?te. Je me pr?sente ? la porti?re. <
Cette voiture ?tait la premi?re voiture de poste qui f?t sortie de Paris depuis sept jours.
Arriv? ? Amiens, je fis conna?tre l'intention o? j'?tais de passer en Angleterre. Au bout de quelques jours, on me dit qu'un voiturier n'attendait, pour retourner ? Boulogne-sur-Mer, qu'un quatri?me voyageur. Mon bagage ?tait arriv?. Le 12 septembre je me mis en marche.
J'?tais dans un ?ge o? les impressions sont plus vives que durables. Si un officieux ne se fut pas occup? de me faire partir, peut-?tre ne serais-je pas parti; peut-?tre aurais-je attendu ? Amiens, o? tout ?tait tranquille, que le calme r?tabli ? Paris me perm?t de retourner, sans trop de risques, dans cette ville o? tant d'affections me rappelaient. Le hasard, qui pour les trois quarts du temps arrange ou d?range tout, d?cida de moi en cette circonstance, et ce n'est ni la premi?re ni la derni?re fois que sa volont? m'a dispens? d'en avoir une.
Nous allions ? petites journ?es, le cocher s'arr?tant pour faire d?ner ses b?tes et nous laisser d?ner nous-m?mes. Nous f?mes notre premi?re station ? Pecquigny. L?, sans savoir nos noms, nous savions d?j? quelle ?tait l'humeur de chacun de nous, et m?me quel int?r?t nous faisait courir les grands chemins.
La dame allait, comme moi, ? Londres, quittant, comme moi, la France, par horreur de ce qui s'y passait. Le monsieur retournait chez lui, moins dans un int?r?t politique que dans un int?r?t de sant?; la sienne se trouvant compromise par la multiplicit? de ses bonnes fortunes, il allait respirer l'air natal et se mettre au lait par ordre des m?decins, qui l'envoyaient en Picardie, comme on envoie un cheval au vert, pour se refaire.
La femme la plus indulgente devient maligne aupr?s d'un homme ridicule. J'avais reconnu ? certains mouvemens de deux genoux sur lesquels on m'avait permis de m'appuyer, que les travers du Lowelace de Boulogne-sur-Mer n'?chappaient pas ? la p?n?tration de notre compagne. D'ailleurs, il ne n?gligeait rien pour soutenir vis-?-vis d'une jolie femme le caract?re qu'il se donnait. Galant et fat tout ? la fois comme le h?ros de la diligence de Joigny, c'?tait le type de toutes les caricatures de Picard, qui, s'il ne l'a pas vu, l'a devin?.
Pendant le d?ner, la confiance augmentant en raison de l'anciennet? de la connaissance, nous ?change?mes des confidences plus compl?tes. La dame, j'ai oubli? son nom, la dame qui, en qualit? de veuve, n'?tait comptable ? personne de ses actions, nous fit entendre que son coeur l'entra?nait au-del? du d?troit o? un autre coeur l'appelait, et tout en parlant elle pressait sur son coeur un m?daillon d'or large comme le balancier d'une ancienne pendule, lequel ?tait suspendu ? son cou par un cordon de cheveux. Cela me fit songer que je quittais un bonheur ?gal au moins ? celui qu'elle allait chercher, et je poussai un soupir. <
Nous soup?mes ? Abbeville, et nous soup?mes assez ga?ment, gr?ce ? notre camarade, qui, sans trop s'en douter, jouait pour nous, depuis notre d?part, une com?die qui ne devait finir qu'? notre arriv?e. Apr?s le souper nous nous retir?mes par couples, la dame errante dans une chambre ? deux lits pour elle et pour son fils, moi dans une chambre ? deux lits aussi, dont l'un fut occup? par notre aimable compagnon.
Avant de nous cong?dier, la dame, tout en jasant, se d?barrassa de ses bijoux et d?tacha de son cou le m?daillon myst?rieux. Nous la pri?mes de nous laisser voir ce qu'il contenait. C?dant ? nos instances apr?s quelques difficult?s, elle fit jouer un ressort: un portrait parut, et je vis avec quelque plaisir que ce portrait ressemblait moins au plus beau qu'au plus honn?te homme du monde.
La dame ne nous permit pas d'assister au reste de sa toilette, mais en revanche j'assistai ? celle de mon camarade de chambr?e. J'eus le plaisir de le voir d?pouiller l'une apr?s l'autre toutes les pi?ces de son ajustement. La friperie du vicomte de Jodelet n'?tait pas plus compliqu?e. Qu'on s'imagine un manteau enveloppant une redingote boutonn?e sur un habit recouvrant une veste sous laquelle une camisole se nouait par dessus une chemise qui cachait un gilet de flanelle, et l'on n'en aura pas fait l'inventaire en totalit?.
Apr?s avoir d?pos? dans un chapeau ? cornes le faux toupet qui masquait les lacunes ou plut?t les clairi?res que la main des plaisirs avait faites dans sa chevelure d'un blond un peu ardent, et avoir remplac? ce toupet par un bonnet ? coiffe garnie de mousseline et ceinte d'une fontange, il passa sous ses rideaux et ne parla plus que pour se plaindre de la duret? de son lit.
Je n'avais pas vu ce coucher sans rire. Je ris bien davantage au lever, quand, apr?s avoir endoss? l'une apr?s l'autre les pi?ces dont j'ai fait ci-dessus l'?num?ration et d'autres dont je n'ai pas parl?, il voulut proc?der ? sa toilette de t?te; je l'entends jeter tout ? coup des cris lamentables; plus de toupet dans le chapeau! Se glissant par la chati?re, une chatte qui avait mis bas pendant que nous dormions s'?tait empar?e de cette quasi-perruque, et apr?s l'avoir cr?p?e et recr?p?e, ou plut?t card?e et recard?e, elle en avait fait un matelas pour sa naissante famille. C'est au moment o? elle allait chercher un fagot, qu'avertie par des miaulemens, la servante retrouva cette autre toison d'or sous minette dans un coin du b?cher.
Nous f?mes d'autant plus ga?ment la route d'Abbeville ? Montreuil o? nous d?n?mes, que le propri?taire de la perruque paraissait plus afflig? de sa m?saventure, quoiqu'il f?t rentr? dans sa propri?t?. Le d?ner n?anmoins le remit en bonne humeur, et r?tablit la confiance entre nous.
? mesure que nous approchions de Boulogne, la dame et moi nous r?fl?chissions cependant ? ce que nous allions y faire. Nous nous demandions r?ciproquement des conseils. <
Arriv?s ? Boulogne, notre compagnon, devenu notre protecteur depuis que nous avions franchi la porte de la ville, descendit chez le procureur syndic m?me. <
L'arrangement ?tait d'autant mieux con?u, que d'Ambron se trouva n'avoir qu'une chambre ? nous donner. Tout s'ex?cuta comme il avait ?t? convenu; et quoique nos sentimens ne fussent peut-?tre pas tout-?-fait aussi innocens que ceux qui nous ?taient prescrits par la qualit? que nous prenions, nous n'?tions vraiment que fr?re et soeur quand, apr?s trois jours d'attente, nous nous embarqu?mes pour Douvres.
Trajet de France en Angleterre.--S?jour ? Douvres.--Rencontre quasi-romanesque.--J'arrive ? Londres.--Anecdotes.
Je n'ai pas perdu la m?moire de l'engagement que j'ai pris avec le lecteur et avec moi-m?me; je n'?cris pas un roman. Si donc il se trouve dans les incidens de ce voyage certains faits de caract?re tant soit peu romanesque, qu'on n'en accuse pas mon imagination, mais le hasard qui dans ses jeux se pla?t quelquefois ? proc?der dans l'ordre qu'e?t adopt? la combinaison du romancier. C'est un peu pour le prouver que je consigne ici cet ?pisode, qui ne se rattache que l?g?rement ? des int?r?ts publics.
Dans les instructions envoy?es de Londres ? ma soeur improvis?e, l'heureux mortel dont elle colportait l'effigie lui recommandait de s'adresser, pour ce qui concernait le passage, au capitaine Descarri?res, commandant de paquebot. Notre premier soin fut donc de nous informer de ce capitaine. Il ?tait en mer, et ne devait revenir que le lendemain ou le surlendemain. Il fallut prendre patience. Nous employ?mes notre temps le mieux possible, si l'innocence est ce qu'il y a de mieux au monde, le tuant aussi gaiement qu'on le peut entre fr?re et soeur, parcourant la ville, visitant le port, gravissant les falaises, du haut desquelles nous apercevions celles qui ceignent l'Angleterre, et qu'? leur blancheur on prendrait de l? pour les murailles d'une immense citadelle; mais dans ces courses pendant lesquelles son bras s'encha?nait au mien qui lui servait souvent d'appui, ne pensant peut-?tre pas assez elle ? ce qu'elle allait rejoindre, moi ? ce que j'avais quitt?. Le plus ?g? de nous avait ? peine vingt-six ans; c'e?t ?t? notre excuse si nous, en avions eu besoin.
Nous pay?mes les trois guin?es; le capitaine fit enlever nos bagages; et la nuit venue, apr?s avoir r?gl? nos comptes, nous attend?mes en soupant le guide qui devait nous conduire au lieu de l'embarquement.
Il arriva entre neuf et dix heures du soir, nous recommanda de garder le silence le plus profond, et apr?s nous avoir fait traverser la ville, il nous mena par des sentiers d?tourn?s ? un endroit o? nous f?mes rejoints par une compagnie de quatre ou cinq personnes, ? laquelle nous nous m?l?mes sans dire mot. Nous march?mes ainsi pendant une heure et demie par la nuit la plus obscure, ?vitant les villages, et nous arriv?mes enfin au bord de la mer, sur une plage o? elle a si peu de profondeur qu'elle n'est pas m?me accessible aux barques les plus l?g?res. Il fallut en cons?quence nous laisser porter jusqu'? l'embarcation qui nous attendait l?, et sortir de France comme Anchise sortit de Troie, mais non pas sur le dos d'un fils de V?nus.
Notre b?timent ?tait une simple barque de p?cheur; barque non pont?e, et du plus petit ?chantillon. Trois hommes manoeuvraient cette coquille de noix sur l'Oc?an, mer sans bornes dans certaines directions, mer tr?s-?troite dans la direction que nous suivions; car pendant la nuit nous ne perd?mes pas un seul moment de vue les phares de France et ceux de l'Angleterre entre lesquels nous naviguions.
Conform?ment ? ce que nous avait dit le capitaine Descarri?res, les matelots eurent pour nous de grandes attentions: ils nous couvrirent de leurs capes, nos v?temens ne nous garantissant pas suffisamment de la fra?cheur de la nuit: ils port?rent m?me l'attention jusqu'? nous offrir de serrer nos pistolets dans une armoire qui ?tait ? la poupe pr?s du gouvernail, l'air de la mer pouvant les g?ter, disaient-ils. Je les remerciai de cette obligeance superflue pour moi, je n'avais pas d'armes. Mais deux voyageurs de la compagnie que nous avions recueillie en avaient; ils les confi?rent ? ces bonnes gens, qui les envelopp?rent bien soigneusement dans des lambeaux d'?toffes de laine, et les enferm?rent sous clef et ? double tour, de peur de la rouille.
Nous avions quitt? la terre ? pr?s de minuit; le vent ?tait favorable, mais faible. Quand le jour se leva nous ?tions encore au milieu du canal. C'est alors seulement que nous p?mes envisager nos compagnons de voyage et nos conducteurs.
Dans la compagnie de cette dame, qu'on ne nommait pas, se trouvait un personnage qu'elle nommait ? tout propos, et qui ne me parut rien moins qu'un ma?tre homme, quoiqu'il port?t le nom de Charost. Ce M. de Charost-l? n'?tait certainement pas celui dont l'active, l'infatigable philantropie appela sur ce nom une si belle illustration. C'?tait un homme de quarante ? quarante-cinq ans, esp?ce de fat surann?, qui, du ton le plus l?ger, d?bitait des fadaises et des fadeurs ? ces dames, dont il semblait ?tre le complaisant.
On a devin? quel ?tait l'homme qu'on recevait ainsi: son arriv?e ne m'?tonna pas. Mais ce qui m'?tonna un peu ce fut de voir avec cet honn?te Monsieur que je ne connaissais pas un Monsieur honn?te aussi que je connaissais beaucoup.
Ce camarade-l? ?tait un homme ? aventures s'il en fut. Celle qui le poussait en Angleterre ?tait aussi singuli?re que tragique. Appartenant aux deux classes que les r?volutionnaires poursuivaient avec le plus de fureur, ses opinions aristocratiques l'avaient fait d?noncer doublement ? sa section, o? il ?tait d?j? signal? par son caract?re apostolique. En cons?quence, on vint, ? la fin du mois d'ao?t, pour l'arr?ter dans l'h?tel garni o? il demeurait. Sa pr?sence d'esprit le sauva. <
M?h?e, alors greffier de la commune de Paris, y remplissait les m?mes fonctions que Grumeadd le tailleur ? Maisons pr?s Charenton: c'?tait lui qui d?livrait les passeports. Cet homme avait de mauvaises opinions, mais il n'?tait pas un mauvais homme. On lui demande s'il ne peut pas sauver un aristocrate, <
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