Read Ebook: Histoire du Canada et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles. by Sagard Gabriel
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Pour ?viter la confusion, nous avons converti les grands S en caract?res modernes. Nous avons ?galement chang?s les i-j et les u-v pour les rendre conformes ? la prononciation.
HISTOIRE DU CANADA ET VOYAGES QUE LES FRERES Mineurs Recollects y ont faicts pour la conversion des Infidelles.
DIVISEZ EN QUATRE LIVRES. O? est amplement traict? des choses principales arriv?es dans le pays depuis l'an 1615 jusques ? la prise qui en a est? faicte par les Anglois. Des biens & commoditez qu'on en peut esperer. Des moeurs, ceremonies, creance, loix, & coustumes merveilleuses de ses habitans. De la conversion & baptesme de plusieurs, & des moyens necessaires pour les amener ? la cognoissance de Dieu. L'entretien ordinaire de nos Mariniers, & autres particularit?s qui se remarquent en la suite de l'histoire.
Fait & compos? par le F. GABRIEL SAGARD, THEODAT, ? Mineur Recollect de la Province de Paris.
A PARIS,
Chez Claude Sonnius, rue S. Jacques, ? l'Escu de Basle, & au Compas d'or,
A TRES-AUGUSTE ET SERENISSIME PRINCE Henry de Lorraine, ARCHEVESQUE Et DUC de Rheims, premier Pair de France, nay Legat du S. Siege, & Abb? des deux Monasteres S. Denis, & S. Remy, &c.
MONSEIGNEUR,
A Paris ce 1 Septembre 1636.
Vostre tres-humble & tres-affectionn? serviteur en J.-C. GABRIEL SAGARD Recollect.
Ce grand Appelles que la venerable antiquit? a admir? entre tous les plus excellens Peintres de son temps estoit tellement amateur de la perfection de ses oeuvres qu'il les exposoit ? la censure d'un chacun, pour en cognoistre les fautes, & en corriger tous les deffauts, mais comme il arrive ordinairement que les plus impertinens s'emportent facilement en toutes choses, il arriva que le cordonnier fut de fort bonne gr?ce repris par cet admirable Appelles qu'ayant jug? du soulier, il vouloit encor controller le reste du vestement.
A l'exemple de cet excellent Peintre j'ay librement present? au publique le premier crayon de mon voyage des Hurons dedi? au tres-valleureux & puissant Prince Monseigneur le Comte d'Harcourt Generalissime de l'arm?e Navale du Roy, lequel a est? parfaitement bien receu, & veu en diverses nations estrangeres, car tant s'en faut que les personnes sages & de bon esprit, & ceux qui ont quelque cognoissances dans le pays y ayent trouv? ? redire, qu'au contraire ils m'ont suppli? de l'amplifier, & de descrire l'histoire entiere des choses principales qui se sont pass?es en tout le Canada, pendant quatorze ou quinze ann?es que nos freres y ont demeur? pour la conversion du pays, la lecture de laquelle vous sera d'autant plus utile qu'elle vous portera ? une recognoissance envers ce Dieu de tout le monde qui vous a fait naistre dans un pays Chrestien, & de parens Catholiques. Les plus devots y trouveront de quoy occuper leurs bonnes oeuvres & charit? ? l'endroit de tant de pauvres ?mes esgar?es & esloign?es du chemin de salut. Les affligez leur consideration endurant pour le Paradis, o? les pauvres barbares ne souffrent que pour l'enfer. Les esprits curieux, & qui n'ont autre but que leur propre divertissement y verront dequoy se satisfaire allechez par l'aggreable aspect & diversit? des choses y contenues, & ceux qui ont voyag? dans le pays comme a fait depuis moy le R. P. Brebeuf Jesuite, pourront avoir le mesme sentiment que ce bon Pere tesmoigna de mon premier Livre, lequel il jugea non seulement digne de voir le jour, mais s'offrit d'en donner son approbation s'il eut est? necessaire.
Je peux donc ? bon droit dire que ce Volume peut profiter non seulement aux devots, & personnes port?es ? la piet?, mais ? tous ceux qui ne sont portez que d'une simple curiosit? de cognoistre les choses estrangeres & non communes. Pour les esprits blessez ou enyvrez du mal-heureux p?ch? d'envie qui perce jusques aux plus fortes & secretes murailles du monde, il m'est indifferent qu'ils m'ayent en consid?ration ou en mespris, suffit que l'on s?ache que ce font personnes qui ne s?auroient souffrir en autruy le bien qu'ils ne peuvent faire eux mesmes.
On me pourra dire que je devois avoir emprunt? une plume meilleure que la mienne pour polir mes escrits, & les rendre recommandables, mais c'est dequoy je me soucie le moins, & vous asseure que quand bien je l'aurois pu faire je ne l'aurois pas fait, car il n'est pas raisonnable qu'un pauvre frere mineur comme moy, se pare des riches thresors de l'?loquence d'autruy, & puis je n'ay pas entrepris de contenter les amateurs de beaux discours, mais d'?difier les bonnes ames qui verront en cette Histoire une grande exemple de patience & modestie en nos Sauvages, un coeur vrayement noble, & une paix & union admirable, car que servent tant de mots nouveaux & inventez ? plaisir sinon pour vuider l'ame de la devotion & la remplir de vanit?. Il n'y a pas jusques ? de certaines devotes & petites servantes de Jesus-Christ, qui veulent pindariser & faire les s?avantes en mati?re de bien dire. Il vaudrait bien mieux, disoit saincte Therese, qu'elles usassent du langage des hermites, sceussent peu parler & bien operer, que de s'amuser ? ces cajoleries, ou discours affectez.
On demanda un jour ? D?mosthenes par quel moyen il estoit plus excellent que les autres en l'art de bien parler, il respondit en consommant, plus d'huyle que de vin. Je pourrois rendre la mesme responce ? ceux qui m'interrogeroient du moyen d'avoir pu travailler ? mon Histoire, estant si occup? d'ailleurs en d'autres commissions. Que la lampe m'a servy de Soleil, & qu'? peine ses rayons m'ont ils veu composer mes escrits qui portent le pardon de mes fautes s'il s'en trouve dans le corps de ce Livre, car il est bien difficile qu'ayant l'esprit partag? en tant d'endroits & preocup? de tant de differentes affaires il ne s'y soit gliss? quelques redites ou trop de sentences & d'exemples, qui portent la rougeur au front de ceux qui se qualifient du nom de Chrestiens, & vivent presque en payens. Tout le monde abonde en son sens & en ses sentimens, quelqu'un me dira que j'ay plustost all?gu? les sentences des sages payens que non pas des vertueux Chrestiens, je l'ay fait pour ce qu'elles me sembloient plus ? nostre confusion, car quand je considere la vie & moeurs d'un Phocion ou d'un Socrates, o? les riches documens d'un Marc Aurelle, & d'un Seneque Payens, je suis plus esmeu pour la vertu que non pas par la consideration d'un sainct Jean Baptiste o? les belles sentences de quelque autre Sainct qui n'ayent point eu de vices. De mesme je reste plus confus en la pens?e de la vie d'une saincte femme que d'un sainct homme, ? raison de la fragilit? du sexe f?minin, qui me donne quelque esperance de pouvoir parvenir ? la vertu, l'homme ayant naturellement plus de courage, & la femme moins de resolution.
Mon intention a tousjours est? bonne, & ne voudrois pour rien avoir offenc? qui que ce soit, car pour la reprehension que je fais aux vices, personne ne s'en peut offencer que les vicieux mesmes desquels je ne dois pas craindre le mespris, n'y appeler les louanges. Si j'ay parl? advantageusement pour mes Sauvages contre ceux qui negligeoient leur conversion, ?'a est? par devoir, & non pour interest que de celuy de mon Dieu. J'ay blasm? le peu de soin qu'on a eu du pays, & je les ay deu faire pour la mesme intention, & faire veoir les choses comme elles se sont pass?es pour y apporter les remedes, car ?a est? une chose bien d?plorable que quelques Marchands des Compagnies anciennes, avant cette nouvelle, qui a pris tout un autre esprit y ayent apport? si peu de soin, & plustost nuits que favorisez nos pieux desseins de les convertir, rendre sedentaires, & peupler le pa?s.
Je remonstre avec raison combien il seroit necessaire pour le bien du public d'imiter en quelque chose les loix Chinoises, & regler les pauvres & vagabonds, non contre la charit? que je dois aux vrais pauvres & membres de Jesus-Christ, mais pour rem?dier aux abus qui se glissent sous ce nom de pauvres; car en verit? il se trouve en beaucoup de choses de la tromperie, qui seroit besoin de cognoistre pour le soulagement des vrays pauvres, & corriger les abus.
Je fais mention des trois Ordres establis par sainct Fran?ois, non pour en relever le lustre; car il parle assez de soy-mesme, mais pour nostre repos & contenter ceux qui en desirent s?avoir les distinctions j'avois aussi dessein d'inserer en ce volume plusieurs pi?ces importantes touchant nostre establissement & mission ?s terres du Canada avec nos Dictionaires & phrases de parler ?s langues Canadoise, Algoumequine, & Huronne; mais l'ayant veu grossir suffisamment sous ma plume, j'ay creu avec le conseil de nos amis qu'il valloit mieux laisser toutes ces pi?ces & ces Dictionnaires pour un autre Tome ? part, que de grossir trop inconsiderement ce livre, autrement il m'eust fallu contre le sentiment de plusieurs retrancher de mon livre de belles authoritez, lesquelles si elles ne plaisent aux uns, pourront contenter les autres, car il y a des esprits qui se delectent au meslange, & en la diversit?, principalement les simples pour lesquels j'escris, & non pour les doctes qui n'ay dequoy leur satisfaire.
Voyla, amy Lecteur, mon petit labeur, l'Histoire du Canada que je vous prie d'aggr?er & prendre en bonne part: Si elle ne m?rite vostre entretient, qu'elle aye part ? vostre amiti? qui la deffendra contre tous ses envieux. La bonne vesve au temple ne fut pas mespris?e pour son petit denier, je n'ay p? faire mieux, o? il m'eust fallu du temps pour r'appeller mon esprit, & mes pens?es souvent esloign?es du cours de ma plume, & embarass?es aux devoirs de l'obe?ssance que j'ay tousjours prefer?s ? mes propres interests, pourveu que Dieu soit lou?, & mes pauvres Canadiens assistez, c'est tout ce que je demande, & puis souhaiter avec vos bonnes pri?res, lesquelles j'implore ? ce que Dieu me fasse la gr?ce de pratiquer pour son amour les mesmes vertus que les barbares exercent pour l'amour d'eux mesmes, & qu'? la fin je vous puisse voir dans le Paradis, o? nous conduise le Pere, le Fils, & le sainct Esprit, Amen.
Nous soubsignez Docteurs en Theologie de la Facult? de Paris, certifions avoir leu le livre intitul?, Histoire de Canada, Compos? par le Frere Gabriel, de l'Ordre des Recollects, auquel nous n'avons rien trouv? contraire ? la Foy Catholique, Apostolique & Romaine, ny aux bonnes moeurs, en foy dequoy nous avons sign? le present tesmoignage, ce unziesme Juillet mil six cent trente-six.
Le Maistre. Pean.
De Cherubin de Marcigny, Commissaire General.
J'ay soubsign? Frere Antoine des Moynes, Diffiniteur de la Province de Paris, Ordre de S. Fran?ois des FF. Mineurs Recollects, certifie avoir veu, & leu par le commandement de nostre Reverend P. Provincial, le R. P. Ignace Legault, un livre intitul?, Histoire du Canada, o? les voyages que les F F. Mineurs Recollects ont faits en d?ners temps pour la conversion des Sauvages en l'Am?rique, avec un Dictionnaire des langues Fran?oise, Algoumequine, Huronne, & Canadienne: faict & compos? par Fr. Gabriel Sagard, Religieux de la mesme Province & du mesme Ordre, & n'y avoir trouv? rien de contraire ? nostre saincte Foy, ny aux bonnes moeurs, ains l'ay jug? fort utile, & profitable d'estre mis en public, pour exciter les coeurs des fidels Catholiques, Apostoliques, & Romains, ? assister ces pauvres idol?tres, touchant leur conversion au vray Dieu. Faict en nostre Convent de S. Germain en Laye, ce jour S. Denys Areopagite 9 Octobre 1635. Fr. Antoine des Moynes.
J'ay soubssign? Theologien, Predicateur, & Confesseur des Peres Recollects de la Province de sainct Denys en France, certifie avoir leu le livre intitul? Histoire du Canada, & voyages que les FF. Mineurs Recollects y ont faicts pour la conversion des Sauvages, avec un Dictionnaire des langues Fran?oise, Canadoise, Algoumequine, & Huronne: faict & compos? par le Fr?re GABRIEL SAGARD. Religieux de nostre mesme Ordre & Institut. Auquel je n'ay rien trouv? contraire ? la Religion Catholique, Apostolique, & Romaine, la lecture duquel fera recognoistre aux ames Chrestiennes l'extreme obligation qu'elles ont ? Dieu du don de la Foy, voyans la barbarie ?s moeurs prophanes, & brutalit? de vie de ces peuples: ce que les Chrestiens seroient si Dieu ne les avoit pollis par la cognoissance de son nom & lumi?re de la foy. J'ay juge que ce livre pourroit estre utile au public. En foy dequoy j'ay sign? de ma main, ce vingt septiesme jour de D?cembre 1634. A nostre Convent de Paris.
F. ANGE CARRIER, qui supra.
Par Grace & Privilege du Roy, donn? ? Paris le 17 jour de May 1635, sign? par le Roy en son Conseil, Croiset, & seell? du grand seau de cire jaulne, il est permis ? Fr. Gabriel Sagard Theodat, Religieux Recollect, de faire imprimer un livre intitul?, Histoire du Canada, o? les voyages que les Fr?res Mineurs Recollects y ont faicts en divers temps pour la conversion des Sauvages, avec un Dictionnaire des langues Fran?oises, Huronne, & Canadienne. Et deffenses ? tous Imprimeurs & Libraires de ce Royaume, pays & terres de nostre obeyssance d'Imprimer ledit livre, d'en vendre, ny distribuer d'autre impression que de celle que ledit Fr. Gabriel Sagard Theodat, aura faict imprimer durant le temps de six ans, ? compter du jour que la premi?re impression sera achev?e, sur peine de confiscation des exemplaires, de deux mille livres d'amende & de tous d?pens, dommages, & interests, ainsi que plus au long est contenu audit Privilege.
Achev? d'imprimer pour la premi?re fois le dernier Aoust 1636.
Et ledit Fr. GABRIEL SAGARD, a transport? le droict de son Privilege ? CLAUDE SONNIUS Marchand Libraire ? Paris, pour en jo?yr selon la teneur d'iceluy.
HISTOIRE DU CANADA ET VOYAGES DES PERES RECOLLECTS EN LA nouvelle France.
LIVRE PREMIER
La pratique de voyager d'un pa?s en un autre est fond?e sur divers motifs & desseins. Les uns y sont poussez par une certaine instabilit? & inqui?tude d'esprit qui ne leur permet d'arrester long-temps en un mesme lieu, comme un Cain, lequel apr?s avoir commis ce meschant acte de fratricide, qu'il tua par envie de ce qu'il estoit plus homme de bien que luy, & favori de Dieu, en demeura tout troubl? & plein d'inqui?tude qui le rendit vagabond & errant par le monde, sans s?avoir o? il alloit que pour penser eviter le courroux & la vengeance de Dieu avec la mort, qui ? toute heure il apprehendoit & luy advint en punition de son forfaict.
Les autres voyagent par necessit? comme un Abraham & son fils Isaac pour eviter la famine, sortent de la terre de Chanaan, l'un pour aller en Egypte, & l'autre en la terre des Philistins, car la famine & la necessit? est une marastre si prenante & facheuse, qu'elle conduit les plus foibles au tombeau & contrainct les plus robustes ? de longs voyages, pour trouver rem?de ? leur necessit?.
Les autres sortent de leur pa?s attirez par le profit & gain temporel, comme les Marchands qui courent d'un polle ? l'autre, la mer & la terre, l'Orient & l'Occident, le Septentrion & le Midy, pour parvenir ? leur desir insatiable d'amasser richesses.
D'autres sont portez d'un desir d'apprendre en voyageant, comme un Epimenide Peintre, lequel partit de Rhodes, & s'en alla en Asie, l? o? il demeura long-temps, puis s'en revint ? Rhodes, sans que jamais personne luy entendit dire aucune chose de ce qu'il avoit vu & faict en Asie, dequoy s'esmerveillant les Rhodiens, le prierent qu'il leur voulust conter quels cas de ce qu'il avoit veus ausquels il respondit en telle sorte: j'allay dix ans sur la mer, pour me faciliter ? patir, je demeuray autre dix ans en Asie pour apprendre ? peindre, & six autres estudiay en Grece pour accoustumer ? me taire, & partant n'esperez pas grand discours de moy; ce qu'ayant dit il se teut; & laissa les autres dans leur bon appetit, ce qui me fait resouvenir de ce qui m'a est? dit depuis peu, que la Royne d'Espagne ? present regnante, ayant est? pour rentrer dans l'un de nos Convents & s?eut qu'il estoit l'heure du silence, se donna la patience d'attendre dans l'Eglise que les Religieux l'appellassent, sans s'en plaindre d'un petit mot.
Il y en a d'autres qui veulent courir les mers & la terre pour se rendre plus illustres & divins entre les hommes, par la cognoissance des choses les plus belles & magnifiques de l'univers, comme un Appollonius Thianeus, lequel ayant tournoy? toute l'Asie, l'Afrique & l'Europe, depuis le pont du Nil o? fut Alexandre, jusques en Gades o? sont les colomnes d'Hercules, estant arriv? en Ephese au Temple de Diane, les Prestres de la Deesse luy demand?rent, qui estoit la chose de laquelle il s'esmerveilloit plus par le monde; car il est certain que l'homme qui a beaucoup veu, note plus une chose que l'autre. Et combien que ce Philosophe fust plus estim?e en fait qu'en parolle, si leur fit-il ceste responce digne d'estre nott?e.
Prestres sacr?s, j'ay chemin? longuement par le Royaume des Gaulois, des Anglois, des Espagnol, des Germains, des Latins, des Lidians, des Hebrieux, des Grecs, des Parthes, des Medes, des Phrigiens, des Corinthiens, & des Perses, mesme par le grand Royaume des Indiens, que j'appelle le Royaume sur tous les autres Royaumes, car luy seul vaut mieux que tous les autres joints ensemble; mais je vous advise qu'ils sont tous differens; ? s?avoir, en langages, personnages, bestes, metaux, eaux, chairs, coustumes, loix, terres, edifices, vestemens, contenances, & sur tout en Dieux & en temples, pource qu'il y a autant de difference, d'un langage ? autre, comme les Dieux & les temples d'Europe sont differens ? ceux d'Asie. Toutefois entre toutes les choses que j'ay veu?s, de deux seules suis esmerveill?. La premi?re est; que par tout o? j'ay est?, j'ay tousjours veu le superbe commander ? l'humble, le querelleux au pacifique, le tyran au juste, le cruel au pitoyable, le couard au hardy, l'ignorant au s?avant, & le pis encores j'ay veu les plus grands larrons pendre les plus innocens. La seconde chose dont je me suis esmerveill?, est qu'en tant de pa?s que j'ay travers?, je n'ay s?eu parler d'un homme perpetuel, ains les ay trouv? tous mortels, prenans fin aussi-tost le moindre, que le plus grand: car maints sont mis du-soir en la sepulture, que le jour pensoient avoir la vie plus asseur?e.
Il y en a d'autres qui voyagent: par une saincte devotion de visiter les Saincts lieux, comme un S. Hierosme la terre Saincte. Et les autres pour porter le flambeau de l'Evangile par tout le monde suivant le commandement que le Sauveur donna ? ses Apostres. Allez, par tout le monde, & preschez l'Evangile ? toute cr?ature. C'est ce dernier motif qui sous la saincte obediance nous a fait entreprendre le voyage des Hurons & Canadiens, non ? la mani?re d'Appollonius, pour y polir nos esprits & en devenir plus sages & considerables entre les hommes, mais pour en secourant nos freres du Canada, y porter le flambeau de la cognoissance du fils de Dieu, & en chasser les tenebres de la barbarie & infidelit?, afin que comme nos p?res de nostre Seraphique ordre de S. Fran?ois avoient les premiers port? l'Evangile dans les Indes, Orientales & Occidentales, & arbor? l'estendart de nostre redemption ?s peuples qui n'en avoient jamais ouy parler ny eu cognoissance, ? leur imitation nous y portassions nostre zele & devotion, afin de faire la mesme conqueste & ?riger les mesmes troph?es de nostre salut, o? le diable avoit demeur? paisible jusques ? present.
Ce n'a donc pas est? pour aucun autre interest que celuy de Dieu & la conversion des Sauvages, que nous avons visit? ces larges Provinces, o? la barbarie & la brutalit? y ont pris tels advantages, que la suitte de ce discours vous donnera en l'ame quelque compassion de la misere & aveuglement de ces pauvres peuples, o? je vous feray voir quelles obligations nous avons ? nostre bon JESUS, de nous avoir delivrez de telles tenebres & brutalit?, & poly nostre esprit jusqu'? le pouvoir cognoistre, aymer, & esperer l'adoption de ses enfans: vous verrez comme un tableau de relief & en riche taille douce la misere de la nature humaine, vici?e en son origine, priv?e de la culture de la foy, destitu?e des bonnes moeurs, & en proye ? la plus funeste barbarie que l'esloignement de la lumi?re celeste peut grotesquement concevoir. Le recit vous en sera d'autant plus aggreable par la diversit? des choses que je vous raconteray avoir remarqu?es pendant plus de quatorze ann?es que nos freres y ont demeur? que je me promets que la compassion que vous prendrez de la misere de ceux qui participent avec vous de la nature humaine, tireront de vos coeurs des voeux, des larmes, & des souspirs; pour conjurer le Ciel ? lancer sur ces coeurs des lumieres celestes, qui seules les peuvent affranchir de la captivit? du diable, embellir leurs raisons de discours salutaires, & polir leur rude barbarie, de la politesse des bonnes moeurs, afin, qu'ayant cognu qu'ils sont hommes, ils puissent devenir Chrestiens, & participer avec vous de cette foy qui nous honore du riche tiltre d'enfans de Dieu, coheritiers avec nostre doux Jesus, de l'h?ritage qu'il nous a acquis au prix de son sang, o? se trouvera cette immortalit? veritable, que la vanit? d'Appollonius apr?s tant de voyages, n'avoit peu trouver en terre, o? aussi elle n'a garde de se pouvoir trouver.
La divine providence a dispos? ainsi des choses, que tous ceux qu'il a envoy? ? la conqueste des ames fidelles, ont est? Apostres ou gens Apostoliques. La doctrine & sainctet? desquels il a pleu ? Dieu de confirmer par miracles authentiques & irr?prochables & depuis l'an 600, ? peine se trouvera il aucune conversion de peuples infidelles, ? qui n'ait est? entreprise par des Religieux, faisans profession d'obeissance, pauvret? & chastet?, & si vous prenez la peine de lire les historiens vous verrez qu'il n'y a coin o? l'Evangile ait est? presch? depuis quatre cens ans, que ce n'ait est? des Religieux de sainct Fran?ois, qui en ayent faict l'ouverture aux despens de leur propre vie.
Les Religieux ont donc cet advantage, & prerogative, par dessus tous les Ecclesiastiques seculiers, qu'ils ont par tout est? les premiers ? passer les mers, s'exposer aux perils & porter l'Evangile de nostre Seigneur en toutes les Nations de la terre habitable, o? ils ont exerc? indiff?remment toutes les fonctions de Cur? ou de Pasteur, administrans tous les Sacremens, comme il estoit bien necessaire; puis qu'eux seuls s'estoient employez & s'employent ? la conversion des infidelles barbares, de sorte que l'on peut dire que sans les Religieux, les deux Indes, & le reste des peuples barbares convertis, seroient encores ? convertir, & que les Evesch?s qui y sont ? present, y ont est? establies de l'authorit? des Papes par les Religieux qui y ont est? les premiers Evesques, comme ils y avoient est? les premiers Pr?dicateurs apr?s les Apostres, & o? les Apostres mesmes n'avoient point penetr?.
A la v?rit? le temps qui devoit nous avoir rendu sages, n'a pu qu'apr?s de longues ann?es faire cognoistre ? nos Marchands Fran?ois, qui avoient la traicte & le gouvernement du grand fleuve de Canada l'ayde de quelque colonies de bons & vertueux Catholiques, ils n'y pouvoient rien advancer. La seule avarice leur faisoit passer la mer pour en rapporter des pelleteries, & les huguenots & heretiques participoient egallement du profit avec les Catholiques; si les Catholiques avoient un Prestre, les huguenots avoient un Ministre, & pendant qu'ils s'amusoient ? leur dispute, les Sauvages restoient confirmez dans leur irreligion pour voir se scandalizer des disputes de religion, car ils ne sont pas bestes jusques l?, qu'ils ne voyent bien nos differents, & ceux qui font, le signe de la S. Croix ou non, comme ils m'ont eu dit quelquefois.
En ces commencemens que les Fran?ois furent vers l'Acadie; il arriva qu'un Prestre & un Ministre moururent presque en mesme temps, les mattelots qui les enterrerent, les mirent tous deux dans une mesme fosse, pour veoir si morts, ils demeureroient en paix, puis que vivants ils ne s'estoient p? accorder, toutes choses se tournoient en ris?e, les Catholiques sans devotion s'accommodoient aysement ? l'humeur des huguenots, & ces heretiques malicieux se maintenoient dans leur vie libertine, point d'obstacle ny d'empeschement ? leur tirannie qui for?oit mesme les Catholiques d'assister ? leurs prieres & chants de Maror, autrement ils n'estoient point admis dans leurs vaisseaux ny employez en leurs manifactures de quoy je me suis souvente fois plaint, mais en vain car Dieu n'est pas respect? jusques l?, que son Eglise ait par tout le dessus.
C'estoit une chose digne de compassion de veoir tant de desordres, la terre ne se cultivoit point, le pa?s ne s'habituoit pas, & point du tout de conversion ny d'envie de convertir, & neantmoins ? ouyr les Marchands vous eussiez dit qu'ils n'aspiroient rien tant que la gloire de Dieu, la conversion des Sauvages & le bien du pa?s, je veux bien croire qu'ils eussent quelque bonne volont? & eussent est? bien ayse d'y veoir de l'advancement, mais toujours sans effect, ? cause de leur interest temporel auquel ils estoient attachez principalement.
Ces belles apparences firent resoudre le sieur Houel Secretaire du Roy, personnage tres-affectionn? au service de nostre Seigneur d'estre de la partie, & s'associer avec eux, mais comme il estoit homme judicieux & dans le dessein d'une personne qui ne respiroit rien moins que ses propres interests, il recognut aussi-tost les deffauts de la Compagnie, ? laquelle il proposa que sans Religieux rien ne se pouvoit advancer ny esperer, & que leur intention principale devoit estre la gloire de Dieu & la conversion des Sauvages, autrement Dieu ne beniroit point leur labeur, car il faut premi?rement chercher le Royaume de Dieu & sa justice, & puis toutes choses nous seront administr?es.
Ces Messieurs trouverent ces propositions bonnes, advouerent leur manquement, & le prierent de faire choix avec eux, des Religieux les plus utils & de moindre charge ? la compagnie pour cette Mission. La memoire encore toute r?cente des grands fruicts que les Recollects avoient op?r? dans l'Amerique Orientale & au Royaume du Toxu que d'autres disent Voxu, qu'ils, avoient depuis n'agueres converty ? la foy, leur fist jetter l'oeil sur eux & s'adresser au R.P. Chapoin Provincial Recollects de la Province de S. Denis, pour obtenir de luy quelque Religieux pour une si necessaire & glorieuse Mission.
S'addressant ? un Pere si zel?, ils n'en pouvoient esperer que tout contentement, aussi en receurent ils les fruicts qu'ils esperoient, j'avois l'honneur pour lors d'estre son compagnon & d'avoir part ? ses soins, aussi me fist-il la faveur de m'en communiquer ses sentimens, & la bonne volont? qu'il avoit pour le service de nostre Seigneur en ceste affaire, j'eusse bien desir? deslors d'estre de la partie, si ma bonne volont? & mon insuffisance eussent m?rit? cette gr?ce, mais il en falloit de meilleurs que moy & capables d'un plus grand service, & par ainsi il me fallut avoir patience jusqu'en un autre temps, que Dieu couvrit d'un voile mes imperfections, & furent nommez pour la Mission le R. Pere Denis Jamet, pour Commissaire le P. Jean Dolbeau, pour successeur, en cas de mort, le P. Joseph le Caron, & le P. F. Pacifique du Plessis, qui furent les quatre premiers Religieux qui passerent la mer pour la conversion des peuples du Canada.
Mais pour ce que la chose estoit d'importance & qu'elle ne pouvoit estre bien faicte que par les voyes ordinaires & bien seantes aux Religieux de S. Fran?ois. Nous eusmes recours ? sa Saintet? pour en avoir les permissions necessaires, lequel agr?ant nostre zele en escrivit ? son Nonce residant en Cour de France, duquel nosdits Religieux destinez pour la Mission receurent avec sa benediction, une permission verbale d'aller dans les terres infidelles & Canadiennes pour travailler ? leur conversion, en attendant le Bref que par n?gligence on ne receut que deux ou trois ans apr?s nostre entr?e au Canada, comme il se verra cy-apres.
En suitte de la permission de sa Sainctet? donn?e ? nos Peres, j'ay trouv? coppie d'une lettre patente du Roy, par laquelle sa Majest? donne la mesme permission ? nostre R. P. Provincial de la Province de S. Denis, privativement ? tous autres, de pouvoir envoier des Religieux Mineurs Recollects dans les terres du Canada pour la conversion des Sauvages, & qu'aucun autre du mesme ordre n'y puisse aller qu'avec sa permission & sous son ob?dience, pour eviter aux desordres & confusions que la diversit? des commissions & superiorit? pourroit apporter, dont voicy la teneur de la patente.
Voil? toutes les pieces principales & necessaires, que l'on pouvoit desirer des puissances souveraines jointes ? l'authorit? de nostre R. P. Provincial, pour pouvoir affermir & rendre asseur?e une si glorieuse & meritoire Mission, de laquelle le S. Esprit avoit est? le premier autheur & inspirateur comme d'une oeuvre qui estoit toute de luy & non des hommes, car qui peut aller ? JESUS si Dieu ne l'attire.
Ces bons Peres s'estant tous disposez par frequentes oraisons & bonnes oeuvres ? une entreprise si pieuse & meritoire, se mirent en chemin pour commencer, leur glorieux voyage, ? pied & sans argent ? l'Apostolique selon la coustume des vrais freres Mineurs, & s'embarquerent ? Honfleur l'an 1615 le 24 d'Avril environ les cinq heures du soir que le vent & la mar?e leur estoient favorables.
Dieu qui leur avoit donn? ce bon sentiment & la volont? d'entreprendre ce penible voyage, leur fist aussi la grace de passer ce grand Ocean & d'arriver heureusement ? la Rade de Tadoussac o? ils prirent quelques heures de repos, & de l? coulerent dans le port ? la faveur de la mar?e o? ils mouillerent l'anchre le 25 de May, jour de la translation de nostre Pere S. Fran?ois qui fut pris ? bonne augure.
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