Read Ebook: Histoire du Canada et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles. by Sagard Gabriel
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Dieu qui leur avoit donn? ce bon sentiment & la volont? d'entreprendre ce penible voyage, leur fist aussi la grace de passer ce grand Ocean & d'arriver heureusement ? la Rade de Tadoussac o? ils prirent quelques heures de repos, & de l? coulerent dans le port ? la faveur de la mar?e o? ils mouillerent l'anchre le 25 de May, jour de la translation de nostre Pere S. Fran?ois qui fut pris ? bonne augure.
Sitost que ces bons Peres furent ? terre ils rendirent graces ? Dieu de les avoir assist? & conduit si ? propos au port de salut, & ayans donn? un peu de respis ? leur corps fatigu? des tourmentes & vapeurs de la mer, ils considerent la contr?e, laquelle ils trouverent d'abord fort sterile, seiche, deserte & pleine de montagnes & rochers avec une solitude si profonde qu'il leur sembloit estre au milieu des deserts de l'Arabie pierreuse, ils avoient desja ve?s plus de cent cinquante lieu?s de pa?s aussi miserable & affreux, & doutoient encore que le reste du Canada fut de mesme, neantmoins ? tout evenement ils se resolurent d'y demeurer sous l'esperance que nostre Seigneur leur feroit descouvrir quelque lieu; propre pour si establir, comme il a faict avec le contentement & consolation interieure de tous ceux qui y ont faict quelque sejour.
Il me souvient que lors que j'estois en mer pour le mesme voyage, que plusieurs huguenots sembloient avoir pris ? tasche de me descrier la laideur du pa?s, & disoient qu'? la premi?re veu? j'en concevrois un desplaisir fort grand, ? l'encontre de tous ceux qui m'avoient port? ? un si laborieux voyage o? rien n'estoit capable de pouvoir contenter en son object, les yeux n'y l'esprit de qui que ce fut; mais au contraire je m'y trouvay fort satisfait & prenois un singulier plaisir de voir ces sollitudes, comme j'eusse peu faire les aspres deserts de la Thebayde o? residoient anciennement ces grands peres Hermites & Anacorettes.
Le R. Pere Dolbeau apr?s avoir sejourn? un jour ou deux ? Tadoussac, partit pour Kebec dans la premi?re barque qui se mit ? voille, & les autres p?res cinq ou six jours apr?s dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu. D?s qu'ils arriverent au Cap de Tourmente & veu ces belles prairies esmaill?es en Est? de quantit? de petites fleurettes, les bonnes terres de Kebec, & l'agreable contr?e o? est ? present basti nostre petit Convent, ils reprirent nouveau courage, jugerent la contr?e bonne & capable d'y bastir, non seulement un Monastere de pauvres freres Mineurs, mais d'y establir des Colonies, voir de tres-bonnes villes & Villages s'il plaisoit au Roy d'y contribuer de ses liberalitez royales & aux Marchands une partie du profit qu'ils en retirent tous les ans, qui leur vaudroit au double ? l'advenir.
La premi?re chose que ce bon Pere fist estant arriv? ? Kebec, fust de rendre graces ? Dieu, disposer une Chapelle pour y celebrer la S. Messe, & des chambrettes pour se loger, mais comme en un pa?s tres-pauvre beaucoup de choses luy manquans, il avoit recours ? la patience du pauvre Jesus dans la Creche de Bethleem. Il y dit la premi?re Messe le 25e jour de Juin de la mesme ann?e & nos autres Religieux en suitte, avec des contentemens d'esprit qui ne se peuvent expliquer, les larmes leur en decouloient des yeux de joye, il leur estoit advis d'avoir trouv? le Paradis dans ce pa?s sauvage o? ils esperoient attirer les Anges ? leur secours pour la conversion de ce pauvre peuple plus ignorant que meschant.
Mais comment & par qu'elle invention pourrons nous faire comprendre ? une infinit? de Prestres & Religieux, les m?rites & les gr?ces qui accompagnent inseparablement ceste divine Mission, la pluspart craignent de patir & ne veulent mettre en compromis leur petite consolation. Toute la France bouillonne de Religieux, de Beneficiers & de Prestres seculiers, mais peu se peinent pour le salut des mescroyans. Il y en a une infinit? qui demeurent icy oysifs mangeans le bien des pauvres & courans les benefices, que s'ils passoient aux Indes & dans les pa?s infidelles y pourroient profiter & pour eux & pour autruy, mais il y a tousjours ce mais, nous ne voulons rien endurer, fuyons le martyre & prenons des excuses qu'il y a assez ? travailler icy o? la vanit? & le vice a pris tel pied qu'il semble incorrigible & se va dilatant comme une mauvaise racine. Il y resterait tousjours assez d'ouvriers neantmoins quand la moiti? de tous les Religieux & des Prestres seculiers seroient envoiez prescher la foy aux Gentils, qui manquent de ce que nous avons trop icy, mais il faudroit que ceste eslection se fist des plus vertueux, pour qu'un aveugle conduit par un autre aveugle ne tombent tous deux dans la fosse.
Nos Religieux de Kebec, ayans tout leur petit faict dispos? dans l'habitation, adviserent aux moyens de profiter non seulement aux Fran?ois, ausquels ils servoient desja de Chappelains. Curez & Religieux leur conferans tous les Sacremens, mais principalement aux Sauvages, pour le salut & la conversion desquels ils s'estoient particulierement acheminez en leur pa?s.
Le P. Dolbeau tousjours plein de zele, prit le premier l'essor pour les Montagnais, car il ne pouvoit vivre sans exercer la charit? laquelle Dieu avoit infuse dans son ame. Il partit le second jour de D?cembre pour y cabaner, apprendre leur langue, les catechiser & courir les bois avec eux, mais ayans par la grace de Dieu surmont? toutes ses autres difficultez qui se rencontrent en semblables occasions, a fum?e qui est en grande abondance dans leurs cabanes, notamment lors qu'il fait un temps nebuleux & de neige, luy pensa perdre la veu? qu'il n'avoit des-ja guere bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux qui luy faisoient une douleur extreme, tellement que dans l'apprehension que ce mal augmentait il fut contraint de les quitter, apr?s deux mois de temps & revenir ? l'habitation vivre avec ses freres, car nostre Seigneur ne demandoit pas de luy la perte de sa veu?, ains qu'en le servant il mesnageat prudemment sa sant? laquelle est necessaire dans un si grand travail.
Or quelqu'un me pourroit demander la raison pourquoy il avoit plustost choisi l'Hyver, temps fort incommode & fascheux pour aller avec eux, que la saison d'Est? plus gaye & supportable, ? la piqueure des mousquites pr?s. La principale raison qu'on en peut donner est ? mon advis, que les Montagnais n'ont pas de quoy vivre en Est? comme ils ont en Hyver, car l'Eslan qui est leur principale manne ne se prend que pendant les grandes neiges qui tombent en abondance dans les montagnes du Nord, o? ils font leur chasse au poil, & ? cause d'icelles montagnes les Sauvages qui les hantent sont appellez Montagnais.
Je ne s?ay si je me trompe, mais il me semble que ces pauvres gens vivent encore de la mesme sorte de nos premiers parens apr?s le pech?. Ils n'ont ny maison ny buron & ne s'arrestent en aucun lieu qu'o? ils trouvent de quoy vivre, la viande faillie ils levent le camp qu'ils posent en autre endroit, o? ils croyent trouver de la beste, ou du poisson & quelques racines, qui est ce de quoy ils vivent principalement.
Le P?re Joseph le Caron touch? du mesme zele du Pere Dolbeau, choisit pour son lot le pa?s des Hurons auquel il s'achemina avec quelqu'uns de la nation qui estoient descendus ? la Traicte. De la fa?on qu'il fut traict? en son voyage & receu dans le pa?s je n'en s?ay pas les particularitez pour ne m'y estre pas trouv?, mais il m'a asseur? qu'il souffrit en chemin, autant que son naturel pouvoit porter, car outre toutes les difficult?s des autres, qu'il luy fallut devorer, il eut tousjours l'aviron en main & nageoit comme les Sauvages, ? quoy je n'ay jamais est? oblig?, autrement je fusse mort en chemin, j'appelle mort en chemin non la mort, mais une peine qui m'eust est? insupportable, puis que exempt de cest incommodit? arrivant au port il ne me restoit plus que la peau & les os, dont je m'estonne de la nature mesme, laquelle ? son dire est toujours sur le point de mourir & peut mourir tant elle se flatte elle mesme. O mon Dieu que nous faisons souvent gaigner le Medecin sans cause vraye que de la seule imagination, qui nous persuade souvent des grands maux o? il n'y en a que de bien petits.
Ce bon Pere fut grandement bien receu des Hurons ? leur mode, & luy tesmoignerent l'ayse & le contentement qu'ils avoient de sa venue. Ils pensoient le loger dans leurs cabanes pour pouvoir jo?ir plus commodement de sa presence & de ses divines instructions, mais comme cela repugnoit ? fa modestie religieuse apr?s les en avoir humblement remerci?, & remonstr? que les choses qu'il avoit ? traicter avec Dieu pour leur salut, devoient estre negoti?es en lieu de repos & hors le bruit des enfans, ils luy en accommod?rent une ? part ? la port?e de la fl?che hors de leur village, o? les Sauvages l'alloient journellement visiter & luy de mesme leur rendoit leur visite dans leurs cabanes & par les bourgades o? il se trouvoit souvent avec eux.
Il se transporta jusques ? la nation des petuneux o? il eut plus de peine que de consolation en la conversation de ses barbares, qui ne luy firent aucun bon accueil ny demonstration que son voyage leur aggreat, peut estre par l'induction de leurs Medecins ou Magiciens, qui ne veulent point estre contrariez ny condamnez en leurs sottises. De maniere qu'apr?s quelque peu de sejour ce bon P?re fut contraint de s'en retourner ? ses Hurons, o? il sejourna jusque au temps qu'ils descendirent ? la Traicte. Tellement que tout ce qu'il p? faire en ce premier voyage, fust seulement de cognoistre les fa?ons de faire de ce peuple, d'apprendre passablement leur langue & les disposer ? une vie plus honneste & civile, qui n'estoit pas peu travaill? en ce premier essay, car il ne faut pas tousjours reprendre & arguer au commencement, mais bien ?difier & doucement captiver en attendant le temps propre ? la moisson, qui doit estre arrous?e des benedictions du Ciel & foment?e d'une saincte & aggreable conversation.
Le Pere Joseph ayant pass? une ann?e entiere dans le pa?s des Hurons & faict tout ce qui estoit en luy pour les disposer ? une vraye conversion ? laquelle peu de choses repugnent. Il jugea par les choses qu'il avoit veu?s & recognues estre expedient de faire un voyage en France, pour en donner advis ? Messieurs de la compagnie, afin qu'ils y pourveussent & donnassent les ordres necessaires pour une si belle moisson de laquelle ils pourroient recueillir plus de couronnes & de gloire, que de toute autre action qu'ils embrassoient pour le Canada.
Ce bon Pere partit donc de son village, pour Kebec le 20 de May 1616 dans l'un des Canots Hurons, destinez pour descendre ? la traicte, & firent tant par leurs diligences qu'ils arriverent aux trois Rivieres le premier jour de Juillet ensuivant, o? ils trouverent le P. Dolbeau qui si estoit rendu dans les barques des Navires nouvellement arriv?es de France pour la mesme Traicte.
Apres qu'ils se furent entresaluez & rendu les actions de graces ? Dieu nostre Seigneur, le bon Pere Dolbeau leur aprit comme d?s le 24e jour du mois de Mars pass?, il avoit ensepultur? un Fran?ois nomm? Michel Colin, avec les ceremonies usit?es en la saincte Eglise Romaine, qui fut le premier qui receut cette grace l? dans le pa?s.
La Traicte estant finie, tous se rendirent ? Kebec l'unziesme de Juillet, d'o? au 20e du mesme mois apr?s avoir invoqu? l'assistance du S. Esprit. Le pere Joseph se mit en chemin avec le Pere Denis Jamet pour Tadoussac, & de l? pour la France dans les mesmes Navires nouvellement arriv?es, qui furent conduits d'un vent si favorable, qu'en moins de sept sepmaines ils se rendirent ? Honfleur, o? ayans rendu graces ? ce Seigneur, qui les avoit pr?serv? de tant de p?rils & hazards o? ils s'estoient exposez pour son service, ils partirent pour Paris, o? nous les irons reprendre presentement apr?s que je vous auray dit, que le 15 du mesme mois, le P. Dolbeau donna pour la premi?re fois l'Extreme-onction ? une femme nomm?e Marguerite Vienne, qui estoit arriv?e la mesme ann?e dans le Canada avec son mary pensans s'y habituer, mais qui tomba bientost malade apr?s son debarquement, & mourut la nuict du 19, puis enterr?e sur le soir avec les ceremonies de la saincte Eglise.
Messieurs de la societ? furent fort ayse de voir le bon Pere Joseph comme une personne de cr?ance, & d'apprendre de luy mesme du succez de son Voyage, du bien qu'il leur faisoit esperer pour le spirituel & temporel du pa?s, & du zele qu'il avoit pour la conversion des Sauvages, neantmoins avec tout cela, il ne peut obtenir d'eux autre chose qu'un remerciement de ses travaux & une reiteration de leur bonne volont? ? l'endroit de nos Peres, sans autre effect.
C'est ce qui obligea ce bon Pere de chercher ailleurs le secours qu'il n'avoit p? trouver en ceux qui y estoient obligez, & de penser de son retour en Canada en la compagnie du P. Paul Huet, puis que de parler de peuplades & de Colonies, estoit perdre temps, & glacer des coeurs desja assez peu eschauffez, jusques ? ce qu'il pleut ? nostre Seigneur inspirer luy mesme les puissances superieures d'y donner ordre, puis que les subalternes n'y voulaient entendre, & ne s'interessoient qu'? leur interest propre.
Tres-mal satisfaicts & avec peu d'esperance pour l'advenir, ils se mirent en chemin pour repasser la mer, & partirent du port de Honfleur dans le Navire du Capitaine Morel Dieppois l'unziesme jour de Mars 1617. Il est vray que l'on a quelque fois le temps propre & favorable navigeant en mer; mais c'est dans une inconstance si grande & une bonace si subitement changeante, que l'on n'a pas ? peine goust? de l'agreable faveur d'un petit zephir qui enfle doucement vos voiles, que l'on experimente les furies de la mer, les flots bondissans, & la cholere de quelque orage qui vous va mena?ant d'une prochaine ruine.
C'est l'humeur de la mer, & l'instabilit? des vents, qui vous mettent souvent dans les extremitez du desespoir en l'esperance, & de la joye dans la tristesse; ? bon Jesus la Croix & la douceur s'entresuivent tousjours, & comme fidelles ne se quittent jamais que pour un peu, cest Lya & Rachelle, la laide & la belle, le bon & le mauvais temps, le Soleil & la gresle.
Nos pauvres voyageurs n'y pensoient pas lors qu'apr?s avoir vogu? heureusement un long-temps, ils se trouverent environnez des glaces, environ soixante lieu?s au de?a du grand banc, qui leur ferm?rent enti?rement le passage de plus de cent lieu?s d'estendu?s, sans qu'il y eut apparence aucune de pouvoir percer de si fortes murailles, ou d'exquiver le mal-heur de ses rencontres, car les vents en avoient d?tach? des pi?ces & morceaux, qui sembloient des villes & chasteaux, puissans au possible, & qui eut p? sans une assistance particuli?re de Dieu, eviter le choq de ses montagnes de glaces.
Tous pleuraient & s'affligeoient, & n'y avoit celuy, qui ne fut dans les affres de la mort: ? bon Dieu disoient ils, ayez piti? de nous, nous sommes perdus sans vostre secours, car les maux nous environnent de toutes parts, & puis les meilleurs Catholiques s'adressans ? nos Peres, les prioient de les confesser & se mettoient en estat comme s'ils deussent mourir, la femme du sieur H?bert ne se contenta pas d'estre elle mesme bien dispos?e, elle esleva encore ses deux enfans par les coutils, pour recevoir leur benediction qu'un chacun imploroit.
Chose estrange, comme si le diable eut minut? la ruyne totale de tous, plus les Catholiques se mettoient en estat de salut, & s'humiloient devant Dieu; & plus les p?rils & dangers sembloient augmenter & les menacer d'une prochaine ruine.
Aux bons jours de Pasques mesme & ? L'Ascension, Pentecoste & autres festes principales, c'estoit lors qu'ils n'esperoient plus autre sepulture que le ventre des poissons, puis que plus grands & eminents estoient les dangers & les tourmentes, que plus grandes estoient les festes.
On avoit desja pri? Dieu pour eux ? Kebec les croyoit morts & submergez, lors que Dieu leur fist la grace de les delivrer & leur donner passage pour Tadoussac, o? ils arriverent ? bon port le 14e jour de Juin, apr?s avoir est? treize semaines & un jour en mer dans des continuelles apprehensions de la mort, & si fatiguez qu'ils n'en pouvoient plus.
D'exprimer les actions de graces qu'ils rendirent ? Dieu, ? la Vierge & aux Saincts, il seroit impossible, puis que leur obligation estoit comme des morts ressuscitez en vie par leur beneficence. Le P. Joseph monta ? Kebec dans les premieres barques appareill?es, pour aller promptement asseurer les hyvernants de leur delivrance, & comme Dieu avoit eu soin d'eux au milieu de leur plus grandes afflictions & les avoit proteg?.
Le P. Paul resta ? Tadoussac, o? il celebra la S. Messe pour la premi?re fois dans une Chappelle qu'il bastit ? l'ayde des Mattelots & du Capitaine Morel, avec des rameaux & feuillages d'arbres le plus commodement que l'on peut. Pendant le S. Sacrifice deux hommes decemment vestus estoient ? ses cost?s avec chacun un rameau en main pour en chasser les mousquites & cousins, qui donnoient une merveilleuse importunit? au Prestre, & l'eussent aveugl? ou faict quitter le S. Sacrifice sans ce remede qui est assez ordinaire & autant utile que facile.
Le Capitaine Morel fist en mesme temps tirer tous les canons de son bord, en action de grace & resjouissance de voir dire la saincte Messe o? jamais elle n'avoit est? c?l?br?e, & apr?s les pri?res faictes, pour rendre le corps participant de la Feste aussi bien que l'esprit, il donna ? disner ? tous les Catholiques, & l'apr?s midy on retourna derechef dans la Chappelle, chanter les Vespres solemnellement, de maniere que cet aspre desert en ce jour l? fut chang? en un petit Paradis, o? les louanges divines retentissoient jusques au Ciel, au lieu qu'auparavant on n'y entendoit que la voix des animaux qui courent ces aspres solitudes.
Lors qu'on batissoit la Chappelle, il y avoit plaisir de voir les Sauvages se mettre en peine pourquoy on vouloit l? cabaner, & disoient qu'est-ce que l'on pensoit faire de se mettre en lieu si miserable, o? eux mesmes ne se cabanoient jamais sinon pour la traicte & la pesche, & aucunement pour la chasse, qui n'estoit bonne que dedans les bois; mais quand ils eurent appris que c'estoit pour y chanter les louanges de nostre Dieu, & pour le remercier d'avoir delivr? nos fr?res du p?ril des glaces, ils approuverent nostre dessein & y voulurent assister eux mesmes, avec une attention & un silence plus louable que celuy des h?r?tiques, qui en grondoient entre leurs dents.
Cette Chappelle a subsist? plus de six ann?es sus pied, bien qu'elle ne fust bastie que de perches & de rameaux comme j'ay dit mais la modestie & retenue de nos Sauvages n'est pas seulement considerable en cela, mais ce que j'admire encore davantage, est qu'ils ne touchent point aux barques ny aux chalouppes, que les Fran?ois laissent sur la greve pendant les hyvers; modestie que les Fran?ois mesme n'auroient peut estre pas en pareille libert?, s'ils n'avoient l'exemple des Sauvages.
Il me semble que la Tourterelle & le Rossignol sont le vray symbole des reprouvez & predestinez, car la premi?re ne faict que pleurer & l'autre de se resjouir. Le juste p?tit & le reprouv? se resjoui, l'un est tousjours heureux & l'autre tousjours mal-heureux, mais ce toujours n'est qu'un moment devant l'?ternit?. O mon Dieu voicy une verit? cognu? de bien peu de personnes, car on ne faict estat aujourd'huy, que de ceux qui ont dequoy & qui sont en faveur, ? richesses & richars vous p?rirez, vous mourrez & serez ensevelis aux enfers, si vous usez mal des biens que Dieu vous a donn?. Et vous ? Roys, oyez & entendez; & vous ? Juges de la terre apprenez, que ceste puissance laquelle vous exercez maintenant, vous a est? donn?e par ce Dieu tout puissant, qui demandera compte de toutes vos oeuvres; & espluchera vos pens?es, d'autant que vous estans les Ministres de son Royaume, n'avez jug? selon droiture & equit?, ny gard? la loy de justice, moins aussi chemin? conform?ment ? la volont? de vostre Dieu, pourquoy bien-tost & fort horriblement, il s'apparoistra ? vous, ? cause de la rigueur du jugement, qui sera faict ? ceux l? qui commandent; car la misericorde est pour les pauvre: mais les puissans seront punis puissamment, pourquoy gardez vous, vous autres qui aspirez au commandement, puis qu'il vous doit servir de condemnation.
Le bon Capitaine Morel, fort Homme de bien & tr?s-bon Catholique, estoit celuy par le moyen duquel nos Peres maintenoient un chacun dans leur devoir & en bon Chrestien, car l'exemple d'un Chef sert d'un grand commandement aux sujects, mais tous n'en suivoient pas neantmoins ses traces & ses conseils, pour ce que tous n'estoient pas Catholiques & serviteurs de Dieu comme luy, comme il a bien tesmoigne du depuis, aux despens de sa propre vie, en un voyage qu'il fit au Levant, auquel, ayant est? pris par les infidelles & barbares, on m'a dit qu'il fut par eux cruellement traict? & enfin empall? pour n'avoir voulu renier la foy comme avoient faicts plusieurs de ses compagnons mariniers, & partant peut estre cont? au nombre des Martyrs.
J'ay dit cy-dessus qu'il semble que Dieu n'en vueille qu'aux bons, & laisse en prosperit? les meschants, comme les prisonniers des Hurons qu'on engraisse pour le feu, mais c'est ce qui nous doit encourager, & non point affliger, disans avec l'Apostre en toute humilit?. A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la Croix de mon Sauveur.
A mon voyage de la nouvelle France, je communiquay souvent avec un bon Catholique nomm? le Capitaine Canan?e, qui avoit receu des disgraces en mer autant qu'homme de sa condition. Il avoit est? pris & repris des Pirates tant d'Alger qu'autres, qui l'avoient mis au blanc, & r?duit ? servir ceux qu'il auroit p? auparavant commander. Retournant de Canada pour la France le sieur de Caen general de la flotte luy donna le gouvernement & la conduitte d'un petit navire avec 12 ou 13 Mattelots Catholiques & huguenots pour conduite ? Bordeaux.
Je desirois fort passer dans son bord tant pour la devotion que j'avois ? la saincte Magdeleine de laquelle le vaisseau portoit le nom, que pour le contentement particulier que je recevois ? la communication de ce bon & vertueux Capitaine, mais ledit sieur de Caen general, & le sieur de Champlain avec quantit? de nos amis me dissuaderent de m'embarquer dans un si petit vaisseau, plus ays? ? p?rir qu'un plus grand, outre l'incommodit? du balotage.
Je me resolus donc ? leur conseil & me teins ? ce qu'ils en voulurent, pendant que ce pauvre Canan?e print vers la manche la routte de Bordeaux, d'o? nous ne l'eusmes pas ? peine perdu de veu?, qu'il fut enlev? par les Turcs, & men? en captivit?, o? il est mort comme je croy en bon Chrestien, apr?s avoir souffert au del? des forces humaines, & gaign? le Paradis par la Croix.
Les affaires du Capitaine Morel estant expedi?es ? Tadoussac, on se mist sous voile pour Kebec, o? la necessit? de toutes choses commen?oit ? estre grande & importune aux hivernants, qui ne furent neantmoins gueres soulagez pour la venue des barques, qui ne leur donnerent pour tout rafraischissement, ? 50 ou 60 personnes qu'ils estoient, qu'une petite barrique de lard, laquelle un homme seul porta sur son espaule depuis le port jusques ? l'habitation, de mani?re qu'avant la fin de l'ann?e, ils tomberent presque tous malades de la faim, & d'une certaine espece de maladie qu'ils appellent le mal de la terre, qui les rendoit miserables & languissants, & ce par la faute des chefs qui n'avoient pas fait cultiver les terres, ou eu moyen de le faire.
Tout l'equipage estant arriv? ? Kebec, chacun se consola le mieux qu'il peut des biens de Dieu, car il n'y en avoit guere d'autre, force croix & peu de pain. Le retour du P. Joseph minuta un autre pareil voyage au P. Dolbeau qui croyoit y pouvoir op?rer davantage, & representer mieux les necessitez du pa?s, mais il eut affaire avec les mesmes esprits, & tousjours aussi mal disposez au bien, & partant ny fist rien, davantage que perdre ses peines & s'en retourner derechef en Canada en qualit? de Commissaire avec le frere Modeste Guines aussi mal satisfaict de des Messieurs qu'avoit est? le P. Joseph.
Ce peu d'ordre les fist ? la fin resoudre de recommander le tout ? Dieu, sans se plus attendre aux marchands, & faire de leur cost? ce qu'ils pourroient, puis qu'il n'y avoit plus d'esperance de secours. Ensuitte de quoy un chacun des Religieux se proposa un pieux & particulier exercice avec l'ordre du R. P. Commissaire, les uns, d'aller hyverner avec les Montagnais, les autres d'administrer les Sacremens aux Fran?ois, & ceux qui ne pouvoient davantage chantoient les louanges de nostre Dieu en la petite Chappelle, instruisoient les Sauvages qui les venoient voir &, vacquoient ? la saincte Oraison, & ? ce qui estoit des fonctions de Religieux.
Pendant le voyage du P. Dolbeau, le P. Joseph fist le premier Mariage qui se soit faict en Canada avec les ceremonies de la S. Eglise, entre Estienne Jonquest Normand, & Anne Hebert, fille aisn?e du sieur Hebert, qui depuis un an estoit arriv? ? Kebec, luy sa femme, deux filles & un petit gar?on, en intention de s'y habituer, & y perseverent encores ? present, nonobstant les grandes traverses des anciens marchands qui les ont traictez avec toutes les rigueurs possibles, pensans peut estre leur faire perdre l'envie d'y demeurer & ? d'autres mesnages de s'y aller habituer qu'en condition de serviteurs ou plustost d'esclaves, qui estoit une espece de cruaut? aussi grande que de ne vouloir pas qu'un pauvre homme jo?isse du fruict de son travail. O Dieu par tout les gros poissons mangent les petits.
Messieurs les nouveaux associez ont ? present adoucy toutes ces rigueurs & donn? tout sujet de contentement ? ceste honeste famille qui n'est pas peu ? son ayse, & promettent encores de tres-favorables conditions & un bon traictement ? toutes les autres familles qui s'y voudront aller ranger, qui de pauvres icy se peuvent rendre l? facilement accommod?s, s'il sont gens de bien & soigneux de travailler, car les mauvais, ny les faineants ne sont bons nulle part.
Pour un surcroy de mal-heur, avec les maladies & les necessitez qui estoient tres-grandes dans l'habitation, on estoit menac? de huict cens Sauvages de diverses nations, qui s'estoient assemblez ?s trois rivieres ? dessein de venir surprendre les Fran?ois & leur coupper ? tous la gorge, pour prevenir la vengeance qu'ils eussent pu prendre de deux de leurs hommes tuez par les Montagnais environ la my-Avril de l'an 1617.
Mais comme entre une multitude il est bien difficile qu'il n'y aye divers advis. Cette arm?e de Sauvages pour avoir est? trop long-temps ? se resoudre de la mani?re d'assaillir les Fran?ois, en perdirent l'occasion, plus par divine permission, que pour difficult? qu'il y eut d'avoir le dessus de ceux qui estoient desja plus de demi morts de faim & abbatus de foiblesse. Le Capitaine la Foriere fin & cault entre tous les Sauvages & capable de conduire quelque bonne entreprise, voyant leur coup failli, & bien certain que les Fran?ois avoient retrouv? les corps morts sur le bord de la riviere, & s?eu le mauvais dessein de leur assembl?e, vint ? l'habitation o? un nomm? Beauchesne commandoit pour lors, & faisant de l'effar? & comme ne s?achant pas que les Fran?ois eussent desja est? advertis; dit qu'il luy vouloit parler en secret & ? tous ceux de ses gens qui avoient de l'esprit, c'est ? dire, quelque authorit?, charge ou office au Conseil, & que ses autres n'en entendissent rien; voyez la finesse du bon homme, pour descouvrir une chose qu'on s?avoit des-ja & qu'il ne pouvoit taire qu'en se rendant coulpable.
Il leur dit donc, comme deux Fran?ois avoient est? tuez par des Sauvages particuliers qu'il ne cognoissoit point, & de plus qu'il y avoit aux trois Rivieres environ huict cens jeunes hommes de diverses nations, assemblez pour leur venir coure sus & se rendre maistre de l'habitation, & que pour son particulier il n'avoit jamais est? consentant d'une si meschante resolution, de laquelle il les avoit bien voulu advertir, afin qu'ils se donnassent sur leur garde, & que pour un plus evident tesmoignage de sa fid?lit?, il vouloit cabaner aupr?s d'eux, & moyenner quelque accommodement entr'eux & les Sauvages.
Nos Peres, & tous ceux du Conseil, jugerent bien ? la contenance du bon homme & en tous ses discours, qu'il traictoit pour son interest particulier, d'estre continu? dans l'amiti? des Fran?ois ausquels il n'avoit peu nuire, & n'estre pas declar? ennemy de ceux de sa patrie qu'il sembloit abandonner pour se joindre ? nous, mais d'un proced? si subtil & une invention si gentille, qu'il eut par ceste sagesse des presens de toutes les deux parties.
Or apr?s plusieurs all?es & venues, l'arm?e sauvagesse considerant, que difficilement pourroient ils prendre les Fran?ois sans armes, comme ils eussent p? faire quelque temps auparavant, & n'ayans plus dequoy vivre, ny moien de chasser ny pescher pour n'en estre la saison. Ils envoy?rent le mesme la Foriere demander pardon & reconciliation avec les Fran?ois, avec promesse de mieux faire ? l'advenir, ce qu'ils obtindrent d'autant plus facilement que la paix estoit Necessaire ? l'une & ? l'autre des parties. Ensuitte ils envoyerent quarante Canots de femmes & d'enfans pour avoir dequoy mange, disans qu'ils mouroient tous de faim, ce que consider? par ceux de l'habitation, ils leur distribuerent ce qu'ils purent, un peu de pruneaux & rien plus, car la necessit? estoit grande par tout entre nous aussi bien qu'entre les Sauvages: laquelle fut cause de nous faire tous filer doux & tendre ? la paix.
La chose estant reduite ? ce point, il ne restoit plus qu'? conclure les articles, mais pource que les Sauvages demeuroient tousjours ? leur ancien poste, on envoya sauf conduit ? leurs Capitaines pour descendre ? Kebec, o? ils arriverent chargez de presens & de complimens avec des demonstrations de vraie amiti?, pendant que leur arm?e faisoit alte ? demi lieu? de l?.
Les harangues ayans est? faictes & les questions necessaires agit?es avec une ample protestation des Montagnais qu'ils ne cognoissoient les meurtriers des Fran?ois, ils offrirent leurs presens & promirent qu'en tout cas ils satisferoient ? ceste mort, Beauchesne & tous les autres Fran?ois estoient bien d'avis de les recevoir ? ceste condition, mais le P. Joseph le Caron & le P. Paul Huet, s'y opposerent absolument, disans qu'on ne devoit pas ainsi vendre la vie & le sang des Chrestiens pour des pelleteries, que ce seroit tacitement autoriser le meurtre, & permettre aux Sauvages de se vanger sur nous & nous mal-traicter ? la moindre fantasie musqu?e qui leur prendroit, & que si on recevoit quelque chose d'eux, que ce devoit estre seulement en depost, & non en satisfaction, jusques ? l'arriv?e des Navires, qui en ordonneroient ce que de raison. Ains Beauchesne ne receut rien qu'? ceste condition.
De plus nos Peres insisterent que les meurtriers devoient estre representez, mais ne l'ayant pu obtenir sur l'excuse que les Sauvages faisoient de ne les cognoistre point. Ils leur demand?rent deux ostages pour asseurance qu'ils les representeroient venans ? leur cognoissance, & en estant interpell?, ce qu'ils promirent faire, puis nous donnerent les deux ostages qui furent deux gar?ons, l'un nomm? Nigamon, & l'autre Tebachi, assez mauvais gar?on bien qu'il fust fils d'un bon pere, pour le premier il estoit assez bon enfant & se porta tousjours au bien. Nos Peres l'instruirent ? la foy & aux lettres pendant tout un Hyver qu'il demeura avec nous, & ? l'arriv?e des Navires il eut est? bien ayse d'aller en France pour y vivre parmi les Chrestiens, mais ny luy ny eux ne le peurent obtenir des marchands, non plus que pour plusieurs autres; pour le second il s'enfuit apr?s avoir est? quelque temps ? l'habitation, dequoy on ne se mit guere en peine, aussi ny avoit il guere d'esperance de pouvoir faire d'un si mauvais gar?on un bon Chrestien.
Les Navires qu'on attendait au Printemps arriv?rent fort tard particulierement le grand, dans lequel commandoit le sieur de Pont Grav?, le petit arriva assez favorablement, mais si peu muni de victuailles, qu'il n'en avoit quasi que pour son voyage, cependant on ne s?avoit plus que manger, tout le magasin estoit desgarni & n'y avoit plus de champignons par la campagne, ny de racines dans le jardin, on regardoit du cost? de la mer & on ne voyoit rien arriver; la saison se passoit, & tous desesperoient du salut du sieur du Pont & d'estre secourus assez ? temps. Les Religieux estoient assez empeschez de consoler les autres pendant qu'eux mesmes patissoient plus que tous. Leur recours principal estoit la saincte Oraison & aux larmes qui leur servoient en partie de pain, & taschoient de consoler les pauvres hyvernans en leur preschant la patience & d'esperer en Dieu qui n'abandonne jamais les siens au besoin, & comme le pere Paul leur eut recommand? de prier pour ledit sieur du Pont, pendant que lui mesme diroit la saincte Messe ? son intention ils se prirent tous ? plorer & se lamenter avec tant de vehemence qu'ayant flechi Dieu ? exaucer leurs voeux, il leur fist la grace de voir peu de jours apr?s ledit sieur du Pont avec le grand Navire qu'ils pensoient estre perdu, estre dans leur port asseur?, ce qui leur causa une joye telle que l'on peut penser.
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