Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 03 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 875 lines and 88231 words, and 18 pages
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR M. A. DE LAMARTINE
TOME TROISI?ME.
PARIS ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LA VILLE L'?V?QUE, 43. 1857
L'auteur se r?serve le droit de traduction et de reproduction ? l'?tranger.
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
REVUE MENSUELLE.
Paris.--Typographie de Firmin Didot fr?res, fils et Cie, rue Jacob, 56.
Premier de la deuxi?me Ann?e.
RACINE.--ATHALIE.
Nous avons dit, en commen?ant, que la litt?rature ?tait l'expression de la pens?e humaine sous toutes ses formes.
Il y a cinq mani?res principales d'exprimer sa pens?e pour la communiquer aux hommes:
La chaire sacr?e qui parle aux hommes, dans les temples, de leurs premiers int?r?ts: la Divinit? et la morale;
La tribune aux harangues qui parle aux hommes, dans les assembl?es publiques, de leurs int?r?ts temporels de patrie, de libert?, de lois, de formes de gouvernement, d'aristocratie ou de d?mocratie, de monarchie ou de r?publique, et qui remue leurs id?es ou leurs passions par l'?loquence de discussion, l'?loquence parlementaire;
La place publique, o?, dans les temps de temp?te, de r?volution, de s?dition, le magistrat, le tribun, le citoyen monte sur la borne ou sur les marches du premier ?difice qu'il rencontre, parle face ? face et directement au peuple soulev?, le gourmande, l'attendrit, le persuade, le mod?re et fait tomber de ses mains les armes du crime pour lui faire reprendre les armes du patriotisme et des lois. Ce n'est plus l? ni l'?loquence sacr?e, ni l'?loquence parlementaire, c'est l'?loquence h?ro?que, l'?loquence d'action qui pr?sente sa poitrine nue ? ses auditeurs et qui offre son sang en gage de ses discours;
Le livre qui, par l'ing?nieux proc?d? de l'?criture ou de l'impression, reproduit, pour tous et pour tous les temps, la pens?e con?ue et exprim?e par un seul, et qui communique, sans autre interm?diaire qu'une feuille de papier, l'id?e, le raisonnement, la passion, l'image, l'harmonie m?me empreinte sur la page;
Enfin le th??tre, sc?ne artificielle sur laquelle le po?te fait monter, aux yeux du peuple, ses personnages, pour les faire agir et parler dans des actions historiques ou imaginaires, imitation des actions tragiques ou comiques de la vie des hommes.
De tous ces modes de communiquer sa pens?e ? ses semblables par la parole, c'est le th??tre qui nous para?t le plus indirect, le plus compliqu? d'accessoires ?trangers ? la pens?e elle-m?me, et par cons?quent le moins parfait. La pens?e cesse, pour ainsi dire, d'?tre pens?e, c'est-?-dire immat?rielle, en montant sur le th??tre; elle est oblig?e de prendre un corps r?el et de s'adresser aux sens autant qu'? l'?me. De tous les plaisirs intellectuels, le th??tre devient v?ritablement ainsi le plus sensuel: voil? pourquoi sans doute il est le plus populaire.
Ce noble plaisir populaire du th??tre est inconnu par sa nature aux ?poques de barbarie ou m?me de jeunesse des peuples. Il ne peut na?tre et se d?velopper qu'en pleine et opulente civilisation.
Les premiers po?tes sont des po?tes sacr?s; les seconds sont des po?tes ?piques; les troisi?mes sont des po?tes lyriques; les quatri?mes sont des po?tes dramatiques.
La raison en est simple: les peuples, avant leur ?ge de parfaite civilisation, n'ont ni assez de loisir, ni assez de richesse, ni assez de luxe public pour ?lever ? leurs po?tes ces ?difices vastes et splendides, ces institutions de plaisir public qu'on appelle des th??tres et des sc?nes. La multitude elle-m?me n'est pas assez riche pour se donner ? prix d'or, tous les soirs, ces heures d?licieuses de rassemblement, d'oisivet? et de repr?sentations sc?niques. Les acteurs eux-m?mes ne manquent pas moins aux po?tes pour jouer leurs oeuvres que les ?difices, les d?corations et les spectateurs. Comment ces acteurs et ces actrices n?cessaires en grand nombre ? la repr?sentation de la sc?ne se consacreraient-ils, d?s leur enfance, ? un art difficile qui ne leur promettrait ni pain, ni gloire, ni compensation ? tant d'?tudes? Or, sans acteurs consomm?s dans leur art, que devient le drame le mieux con?u et le mieux ?crit?--L'ennui de ceux qu'il a pour objet de charmer par la perfection de la langue, de l'attitude, du geste, de l'action.
Il faut que, non-seulement la nature morale, mais encore la nature physique leur ob?isse comme la note ob?it au musicien sur l'instrument, comme la teinte ob?it au peintre sur la palette. Visage, regard, l?vres, fibres sourdes ou ?clatantes de la voix, stature, d?marche, orteils crisp?s sur la planche, gesticulation serr?e au corps ou s'?levant avec la passion jusqu'au ciel, rougeurs, p?leurs, frissons, fr?missements ou convulsions de l'?me communiqu?s de l'?me ? l'?piderme et de l'?piderme de l'acteur ? celle d'un auditoire transform? dans le personnage, cris qui d?chirent la vo?te du th??tre et l'oreille du spectateur pour y faire entrer la foudre de la col?re, g?missements qui sortent des entrailles et qui se r?percutent par la v?rit? de l'?cho du coeur, sanglots qui font sangloter toute une foule, tout ? l'heure impassible ou indiff?rente, gamme enti?re des passions parcourue en une heure et qui fait r?sonner, sous la touche forte ou douce, le clavier sympathique du coeur humain: voil? la puissance de ces hommes et de ces femmes, mais voici aussi leur g?nie!
De telles puissances et de tels g?nies artificiels supposent, dans ces acteurs indispensables ? la sc?ne, des miracles d'efforts, d'?tudes, d'?ducation sp?ciale ? cette profession, des sentiments fantastiques qui ne se produisent que dans un ?tat tr?s-lettr?, tr?s-oisif et tr?s-opulent des nations. Les po?tes dramatiques ne sont pas seuls dans leurs oeuvres, ils n'existent tout entiers que par leurs acteurs; ils d?pendent ainsi du temps o? ils vivent et ne peuvent na?tre qu'? la consommation des nations polic?es. Que serait devenu le grand Hom?re, qui allait r?citant lui-m?me ses po?mes sur les chemins de Chio ou de Samos, s'il avait ?crit ses divins ouvrages en sc?nes et en dialogues, et s'il lui avait fallu trouver des interpr?tes de ses vers parmi les pasteurs ou les matelots de l'Ionie?
? chaque ?ge son genre de po?sie, mais le plus parfait, sinon le plus ?mouvant de ces genres, est certainement celui qui n'a pas besoin de tous ces auxiliaires et de tous ces accessoires ?trangers ? la po?sie elle-m?me et qui ne demande, comme le po?te ?pique ou le po?te lyrique, qu'une goutte d'encre au bout d'une plume de roseau.
Cela dit, remettons ? un autre moment l'?tude que nous ferons rapidement du th??tre grec, le plus accompli des th??tres, du th??tre romain, presque nul dans un peuple trop f?roce pour go?ter les plaisirs purement intellectuels de l'esprit, des th??tres espagnols, anglais, allemands, et enfin du th??tre fran?ais, le plus correct et le plus sens? des th??tres modernes dans la plus sens?e et dans la plus communicative des langues, et commen?ons par son chef-d'oeuvre Athalie.
Il faut tuer ici, par un mot dur, mais vrai, la vanit? de l'homme. Un grand homme n'est pas seulement, comme on dit, fils de ses oeuvres: un grand homme est avant tout fils de son si?cle, ou plut?t un si?cle se fait homme en lui: voil? la v?rit?.
Voyez comme tout y avait providentiellement concouru! Les guerres de religion, atroces mais saintes, dans les deux partis, avaient remu? et exerc? jusqu'au fond des ?mes le plus fort, le plus noble, le plus divin des h?ro?smes humains, l'h?ro?sme de la conscience, non pas celui qui fait les h?ros, mais celui qui fait les martyrs. Les caract?res s'?taient vigoureusement retremp?s dans ce sang et dans ce feu des guerres sacr?es.
Le sort et la d?fection d'Henri IV, ce dupeur de Dieu et des hommes, avaient donn? la victoire au parti de l'?glise romaine. Ce parti avait pers?cut? et proscrit les vaincus obstin?s. C'?tait atroce, mais c'?tait logique. On avait combattu pour l'unit?, on devait triompher pour elle. Le crime de libert? de pens?e n'?tait plus seulement un crime contre le ciel, c'?tait un crime contre l'?tat. Le roi n'?tait que la main du pontife, il vengeait l'?glise, et l'?glise, ? son tour, vengeait le prince; car ces deux autorit?s se confondaient en une. Ce qui ?chappait ? l'?glise tombait sous le glaive du roi, et ce qui s'insurgeait dans son coeur contre le roi tombait sous l'excommunication de l'?glise. Il ne fallait pas seulement ob?ir ? cette double autorit? combin?e entre le roi et Dieu, il fallait l'adorer. La servitude ?tait devenue vertu. Ce n'est pas assez; elle ?tait devenue honneur selon le monde.
Un mot historique de Racine dans une de ses lettres ? madame de Maintenon caract?rise mieux que mille pages l'exc?s v?ritablement impie et cependant consciencieux d'asservissement ? la personne divinis?e du prince dont on se glorifiait ? cette ?poque: <
Ainsi Dieu et le prince ?taient plac?s au m?me niveau d'adoration et d'adulation par ces sujets agenouill?s devant les deux puissances. Ce mot qui para?trait abject et sacril?ge aujourd'hui aux plus vils des courtisans d'un tr?ne, paraissait sublime alors; c'?tait la d?votion ? la tyrannie.
Voil? ce qu'avait fait l'esprit du temps pour l'unit? de ce peuple. La guerre et la politique n'avaient pas fait moins. Deux grands ministres: l'un, le Machiavel fran?ais, Richelieu; l'autre, le politique italien, Mazarin, ma?tres de deux r?gnes et d'une r?gence, avaient fait le reste.
L'un, par ses f?rocit?s implacables, avait ?mancip? compl?tement le tr?ne des restes de la grande f?odalit? qui r?sistaient et qui embarrassaient son action souveraine. La faux de Tarquin dans la main de Richelieu, cruel par go?t autant au moins que par politique, avait abattu toutes les t?tes qui tendaient ? se relever ? la cour ou dans les provinces. Ce grand niveleur ? tout prix avait fait une proscription de Marius pour crime de sup?riorit?. Malheur aux grands, c'?tait sa maxime. Il ne voulait qu'un seul grand, le roi, et c'?tait lui qui ?tait le roi sous sa pourpre. Cette terreur d'en haut avait r?ussi.
L'histoire, envenim?e par les pamphlets du temps pleins des animosit?s de la Fronde et des parlements, a d?figur? cette reine habile. En r?alit?, c'?tait une femme intr?pide, une m?re accomplie, une amie constante de son ministre jusqu'? la mort, une politique aussi consomm?e et plus magnanime qu'?lisabeth d'Angleterre. Son seul tort, dans l'histoire, c'est de s'?tre effac?e et tenue dans le demi-jour derri?re la pourpre de Mazarin.
Mais cette r?serve m?me ?tait dans son vrai r?le de femme, de reine et de m?re. En apparaissant trop, elle aurait assum? sur elle et sur son fils les impopularit?s dangereuses qui s'attachaient ? Mazarin. En se tenant dans l'ombre et dans une habile neutralit?, entre le ministre odieux, mais n?cessaire, et les grands r?volt?s, Anne d'Autriche conservait pour les grands p?rils ce r?le d'interm?diaire irresponsable et de n?gociatrice couronn?e qui r?tablissait la paix et qui sauvait ? la fois le jeune roi, la monarchie et le ministre.
C'est un r?gne mal ?tudi? de l'histoire de France, c'est une histoire ?crite par l'opposition de la Fronde et par des factieux en robe du parlement. La v?ritable reine Blanche de ce grand r?gne fut Anne d'Autriche.
Mais ce n'?tait pas tout encore; il faut un instrument au g?nie des lettres. Cet instrument, c'est une langue. La langue po?tique et la langue oratoire de la France se trouvaient pr?cis?ment ? ce confluent des diff?rents ruisseaux des idiomes o? le g?nie des langues, un moment ind?cis, s'arr?te comme embarrass? de ses richesses, tente diff?rentes voies, puis, prenant tout ? coup son parti d?cisif, forme ce grand courant original de la langue nationale, qui entra?ne tout en purifiant tout dans son cours.
C'est le moment o? l'on dit que les po?tes cr?ent les langues. Cr?er est un mot impropre; il n'est donn? ? personne de cr?er l'idiome d'une nation: c'est le travail et la gloire de tous; mais il est vrai de dire que c'est le moment o? les grands po?tes et les grands ?crivains fa?onnent la langue, lui donnent le pli, la forme, la flexibilit?, la sonorit?, la couleur, et l'approprient aux usages intellectuels auxquels cette langue est pr?destin?e par cette providence qui assigne leur mission aux peuples. Les peuples donnent le lingot aux po?tes, et les po?tes frappent de leur empreinte ce lingot: voil? la v?rit?.
Or, tout avait concouru aussi, dans les moeurs et dans les r?gnes, ? enrichir la langue fran?aise d'alluvions d'idiomes ou antiques ou modernes, qui la rendaient propre ? devenir ? son tour monumentale.
L'?glise, qui maintenait l'usage du latin, l'avait remplie de latinit?. La latinit? lui constituait un nerf, une solidit?, une bri?vet? concentr?e de construction qui presse les mots, comme Tacite, pour leur faire rendre avec plus d'?nergie le sens.
L'h?breu enfin, elliptique et concass? comme ses rochers du Sina?, avait ?t? calqu? par les orateurs religieux et par Bossuet surtout, et cette langue avait donn? au fran?ais l'?clair lyrique et l'autorit? proph?tique qui ?crivent en lueurs et qui parlent en foudres.
Quels plus riches mat?riaux de langue un grand po?te ?clectique comme Racine pouvait-il trouver sous la main pour construire ? sa gloire et ? la gloire de sa nation le chef-d'oeuvre achev? et insurpassable de la langue po?tique fran?aise, si ce po?te surtout savait choisir avec la s?ret? de bon sens, la d?licatesse de go?t et le tact infaillible du caract?re fran?ais ce qui convenait le mieux dans ces mat?riaux ?trangers au g?nie sens?, clair, simple et naturel de la nation?
C'est cette heureuse co?ncidence de bonnes fortunes litt?raires qui vit et qui fit na?tre Racine, c'est-?-dire la perfection incarn?e de la langue po?tique en France! Nous plaignons ceux qui ne sentent pas cette perfection de la langue dans un homme providentiel pour notre litt?rature. Mais aussi remarquez bien une chose: c'est que tous ceux qui lui reprochent d'?tre trop exclusivement fran?ais sont des critiques, des ?crivains ou des po?tes, qui sont eux-m?mes trop ?trangers dans leurs tendances po?tiques et qui touchent, par quelques exag?rations de leur g?nie, ? ces vices et ? ces exc?s du grec, du latin, de l'h?breu, de l'italien et surtout de l'espagnol, que Racine a su, avec un art s?v?re, corriger et exclure de la langue dans laquelle nous chantons pour nous et pour la post?rit? de la France.
C'est cette m?me co?ncidence de religion achev?e, de moeurs faites, de politique ?tablie, de loisir national conquis par les armes, et de langue cr??e par le temps qui fait, comme nous le disions tout ? l'heure, qu'un grand si?cle se fait homme tout ? coup dans un groupe pr?destin? de grands hommes.
Jean Racine ?tait n? ? la Fert?-Milon, petite ville de l'ancienne province de Valois. Sa famille appartenait ? cette vieille bourgeoisie fran?aise qui avait la distinction des moeurs de la noblesse sans en avoir les l?g?ret?s et les vices. Son p?re occupait un de ces modestes emplois publics du fisc royal, apanage habituel de ces familles. Son a?eul maternel remplissait un emploi de magistrature. Les deux familles ?taient lettr?es de profession, religieuses de coeur.
Les j?suites, leurs implacables ennemis, ?taient beaucoup moins s?v?res. En hommes aussi politiques que religieux, ils redoutaient l'exag?ration de foi et de moeurs des jans?nites. Cette exag?ration de foi et de moeurs aurait fini par r?volter la faiblesse humaine et par r?duire le christianisme ? un petit groupe de chr?tiens forcen?s qui auraient damn? le monde en sauvant quelques sectaires. Les j?suites appropriaient, avec un art consomm?, la religion au temps, au pays, aux usages, aux vices m?me tol?r?s du prince et du peuple; ils n?gociaient, comme des diplomates accr?dit?s ? la fois au ciel et sur la terre, entre le Christ et le monde.
Ces religieux et ces religieuses de Port-Royal, expuls?s pour la premi?re fois de leur solitude, avaient cherch? un refuge dans une sauvage abbaye des for?ts de la Fert?-Milon, la Chartreuse de Bourg-Fontaine. Leur m?rite et leur saintet? r?pandaient leur bonne odeur jusque dans les familles pieuses de la Fert?-Milon. On s'attacha ? eux pour leur vertu, pour leur science et pour leur pers?cution.
Apr?s de premi?res ?tudes classiques et s?v?res faites ? la Fert?-Milon, sous la direction de son tuteur, le cr?dit de ses tantes religieuses au monast?re de Port-Royal, pr?s Paris, le fit entrer au nombre des disciples de cette savante et sainte maison. La col?re du roi s'?tait encore une fois calm?e devant la r?signation de ces pieux solitaires. Racine y acheva sous eux ses ?tudes d'antiquit? et de th?ologie. ? seize ans il vint les terminer ? Paris, au coll?ge d'Harcourt. Un des associ?s libres de Port-Royal, M. le Maistre, lui pr?tait sa chambre ? Paris, et le traitait en fils plus qu'en disciple.
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