Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 03 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 875 lines and 88231 words, and 18 pages
Apr?s de premi?res ?tudes classiques et s?v?res faites ? la Fert?-Milon, sous la direction de son tuteur, le cr?dit de ses tantes religieuses au monast?re de Port-Royal, pr?s Paris, le fit entrer au nombre des disciples de cette savante et sainte maison. La col?re du roi s'?tait encore une fois calm?e devant la r?signation de ces pieux solitaires. Racine y acheva sous eux ses ?tudes d'antiquit? et de th?ologie. ? seize ans il vint les terminer ? Paris, au coll?ge d'Harcourt. Un des associ?s libres de Port-Royal, M. le Maistre, lui pr?tait sa chambre ? Paris, et le traitait en fils plus qu'en disciple.
La correspondance de ce second p?re avec le jeune homme pendant les absences de M. le Maistre de Paris, est pleine de ces na?vet?s ? la fois tendres et aust?res qui caract?risent ces paternit?s intellectuelles.
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Le jeune homme r?pondait ? ces soins pour son avancement dans les lettres au del? de ce que d?siraient ses v?n?rables ma?tres. Revenant sans cesse ? Port-Royal pendant les vacances du coll?ge d'Harcourt comme dans un foyer paternel, il s'y livrait avec une ardeur fi?vreuse aux trois go?ts que la nature et l'?ducation avaient d?velopp?s comme des instincts en lui: le go?t de l'histoire qu'il satisfaisait dans Plutarque, le go?t de la po?sie qu'il nourrissait d'Hom?re et de Virgile, et enfin le go?t de la trag?die, cette histoire po?tique en drame dont il puisait les exemples dans les deux tragiques Sophocle et Euripide. Il passait des journ?es enti?res enfonc? dans les for?ts qui entourent le monast?re de Port-Royal, ces volumes ? la main. Sa m?moire, aussi heureuse que son imagination ?tait ?mue, s'impr?gnait de ces belles harmonies de la po?sie grecque, de cette musique passionn?e du coeur humain.
Voil? ce qui a donn? tant de prise contre cette gloire, dans ces derniers temps, ? ses d?nigreurs. Oui, son originalit? la plus rare de toutes ne fut pas d'?tre neuf, elle fut d'?tre parfait. Mais le chef-d'oeuvre en tout genre n'est-il pas la plus merveilleuse des nouveaut?s, la nouveaut? ?ternelle et supr?me du beau, celle de Phidias, celle de Rapha?l, celle de Racine? Passons:
Mais ici nous reprenons notre r?cit, puisque ce sont les circonstances de sa vie qui furent l'occasion de ses derni?res et de ses meilleures oeuvres.
Racine, il faut le dire, puisque c'est la v?rit? de son caract?re, n'avait ni la bienveillance cordiale et sans envie de Moli?re, ni le m?le d?sint?ressement de soi-m?me de Corneille, ni la simplicit? pu?rile et nonchalante de la Fontaine, ni m?me l'?pre et loyale probit? d'esprit de Boileau son ami.
Cette r?ponse, faite de bonne foi par un ma?tre souverain de l'art ? un jeune homme, avait irrit? et comme d?fi? Racine. Il avait eu le tort de vouloir ?clipser, en l'imitant dans les m?mes sujets, le grand Corneille. Il avait raval? l'?mulation ? une inconvenante rivalit?. Il n'avait pas assez respect? la majest? du g?nie au repos ni la saintet? de la vieillesse; il avait oubli? qu'il vieillirait lui-m?me un jour, et que la pire des insultes est de comparer sa force naissante ? la faiblesse d'un homme hors de combat.
Corneille cependant avait raison selon nous; et en assignant au jeune Racine le r?le de po?te ?pique, il ne lui assignait certes pas une gloire inf?rieure ? la sienne, car on lit et relit avec d?lices le po?me; et la lecture des trag?dies, d?pourvue des fantasmagories de la sc?ne, est une lecture difficile, ingrate, tronqu?e, souvent fastidieuse.
Il y a ? cela trois causes qui sont dans la nature m?me du drame ou de la trag?die.
La premi?re de ces causes, c'est la bri?vet? n?cessaire de la trag?die ou du drame, qui, devant ?tre r?cit? avec un grand appareil de d?coration et une grande lenteur de d?clamation devant le peuple rassembl? pendant une soir?e, ne comporte pas la vaste ?tendue et l'ampleur ind?finie du po?me ?pique. C'est de la po?sie en abr?g? press?e par l'heure et par l'impatience d'une foule.
La seconde de ces causes, c'est que le po?te tragique est priv?, par la nature m?me de son sujet et par le dialogue press? qu'il ?tablit entre ses personnages, de toute la partie descriptive de la po?sie, c'est-?-dire d'un des plus grands charmes du po?me. Le po?te tragique est comme le sculpteur en bronze ou en marbre: il ne montre que des statues ou des groupes en action. Le paysage, le lieu, le ciel, les r?flexions, les peintures, n'existent pas et ne peuvent pas exister pour lui; ses tableaux ne peuvent avoir ni horizon, ni premier plan; le spectacle de la nature et les analogies de cette nature avec l'homme lui sont ? peu pr?s interdits. Lacune immense dans son oeuvre! Que feraient Hom?re, Virgile, le Tasse, le Dante, Milton, Camo?ns, si vous leur retranchiez leurs descriptions et leur paysage?
Enfin la troisi?me de ces causes, c'est que le po?te dramatique ou tragique ne peut, par la concentration forc?e de son drame, saisir ses h?ros ou ses personnages que dans un acc?s de passion extr?me de leur vie et de leur destin?e, au point culminant de leurs sentiments, au moment o? leur ?me ?clate ou se d?chire en larmes, en cris ou en sang, sous la main de la piti? ou de la terreur.
Qu'en r?sulte-t-il? C'est que le po?te tragique est conduit ? ne peindre que des p?rip?ties ou des convulsions supr?mes de l'?me de ses personnages, et que tous les sentiments doux, habituels, mod?r?s du coeur humain, sont retranch?s forc?ment de sa po?sie. Or, les sentiments doux, habituels, mod?r?s, heureux, de l'?me humaine, sont cependant des notes d?licieuses de la po?sie, cette musique de l'?me. Elles sont interdites au po?te tragique: il ne prend l'homme qu'en flagrant d?lit de passions br?lantes, et il n'en montre que les muscles tortur?s par la douleur comme ceux du Laocoon.
Peut-on dire qu'avec ces trois causes d'inf?riorit? relative dans le cadre m?me de son oeuvre, le po?te ?pique, qui peint et qui chante la nature enti?re et l'homme tout entier, n'est pas sup?rieur, non pas en g?nie, mais en genre et en charme au po?te de th??tre?
Racine avait donc tort d'?tre humili? du mot de Corneille. Corneille lui assignait en r?alit? la meilleure part du g?nie.
Sa conduite avec Moli?re, son premier protecteur, son introducteur ? la cour, son introducteur au th??tre, ne fut pas plus exempte d'exc?s d'amour-propre, de personnalit? et m?me d'ingratitude. C'?tait Moli?re qui avait fait repr?senter les premi?res trag?dies de son ami sur son propre th??tre, en r?pondant, pour ainsi dire, au public, de la chute ou du succ?s de ces trag?dies. C'?tait l? un de ces services qui lient pour jamais un po?te reconnaissant ? son protecteur.
L'amiti? entre Moli?re et Racine fut ? jamais rompue par cette d?fection. Moli?re, qui ?tait incapable de vengeance, ?tait capable d'une profonde affliction et d'un amer souvenir. Il ne parla plus de Racine qu'avec peine, en louant toujours son g?nie, mais en se taisant sur son coeur. La blessure ne pouvait plus se fermer. Ces deux hommes laiss?rent la froideur de la faute et du souvenir s'?tablir entre leurs ?mes.
Une faute de coeur plus grave et plus ?clatante encore, ? la m?me ?poque, signala tristement l'exc?s de personnalit? et la facilit? d'oubli des services re?us dans le coeur du po?te devenu le favori de la cour et de la sc?ne. On a vu que Port-Royal avait ?t? le foyer presque paternel, et pour ainsi dire, le berceau de l'?me et du g?nie de Racine.
Les v?n?rables religieux de cette maison consid?raient le th??tre, qui remue les passions, comme une institution enti?rement oppos?e au christianisme, qui les corrige ou les supprime. Ils s'afflig?rent de voir le jeune Racine, leur ?l?ve bien-aim?, pr?ter son talent de po?te au th??tre.
Nicole, apr?s Pascal, le plus rude ?crivain moraliste de cette ?cole, avait ?crit dans une de ses pol?miques, <
Une lettre s?v?re et touchante que la tante de Racine, religieuse ? Port-Royal, ?crivit ? son neveu dans le m?me temps, fit croire ? Racine que la r?probation g?n?rale de Nicole s'adressait surtout ? lui. Rien n'?tait plus faux; Nicole s'adressait au po?te Saint-Sorlin, esp?ce de fou qui se donnait pour proph?te.
La lettre de la tante au neveu m?rite d'?tre cit?e ici.
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Racine, pour toute r?ponse ? ses torts de pi?t? et de tendresse envers ses anciens ma?tres, leur adressa deux lettres imprim?es o? la r?futation tr?s-aigre de leur doctrine ?tait assaisonn?e par les plus odieuses incriminations contre leur pr?tendue vanit? de corps.
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Ce fut l'?poque de sa conversion; elle fut opportune pour sa faveur aupr?s du roi, mais elle fut sinc?re devant Dieu et efficace pour la r?forme de ses moeurs. Ses torts lui apparurent au jour de la conscience: il rougit de son ingratitude envers ses ma?tres de Port-Royal; il se condamna lui-m?me plus s?v?rement peut-?tre qu'ils ne l'auraient condamn?; il se repentit d'avoir employ? au plaisir profane du public et ? la conqu?te d'une gloire p?rissable les admirables talents qu'il avait re?us de la nature et des lettres. Il fit ? Dieu et ? ses ma?tres la promesse de ne plus ?crire pour le th??tre; il r?pudia ses amours; il se maria ? une femme vertueuse et sainte qui ne connut jamais de lui que l'?poux et le p?re, et qui ne lut pas m?me ses chefs-d'oeuvre de po?te. Il ?leva dans l'ombre et dans la pi?t? une famille chr?tienne ? laquelle il ne songea ? laisser pour h?ritage que sa religion pour toute gloire.
Sa femme, fille d'un tr?sorier des finances d'Amiens, s'appelait Catherine de Romanet; elle avait apport? en dot une fortune modeste ? peu pr?s ?gale ? celle de son mari. Les bienfaits du roi, qui se renouvelaient sous la forme de gratification litt?raire ? chacune de ses pi?ces, et qui se convertirent bient?t apr?s en une pension de 2,000 livres, somme consid?rable pour le temps, donnaient une grande aisance ? la famille. <
La vie de Racine, depuis cette faveur ainsi consolid?e par ses charges, ne fut plus celle d'un po?te, mais celle d'un saint dans sa maison et d'un courtisan accompli ? la cour. De toutes ses faiblesses pass?es, il ne lui en restait qu'une, l'adulation aux vertus et jusqu'aux caprices du roi. C'est de cette faiblesse qu'il vivait et qu'il devait mourir. Mais cette faiblesse ?tait alors si g?n?rale et si consacr?e, qu'elle se confondait presque avec une vertu.
Cependant ses ma?tres s?v?res de Port-Royal, avec lesquels il s'?tait r?concili?, et dont il go?tait, plus que le roi ne l'aurait voulu, les doctrines, r?sistaient seuls ? cette contagion servile du temps; ils conservaient la sainte ind?pendance de leur rigorisme au milieu de la prostration de l'?glise et du si?cle. Racine, entra?n? vers eux par son estime, retenu ? la cour par le prestige du roi et par les caresses de Mme de Maintenon, flottait dans une p?nible ambigu?t? entre les exigences de sa conscience jans?niste et les complaisances de situations qu'il devait au roi.
Pendant que ces deux po?tes r?unissaient leurs forces pour ?crire, ? la gloire du roi, ces pages couvertes d'or, Saint-Simon, seul, gravait dans l'ombre l'histoire. L'histoire et la po?sie sont deux talents bien rarement r?unis. Tacite, parmi les historiens, aurait pu ?tre po?te; Dante, parmi les po?tes, aurait pu ?tre historien; cela ne fut donn? ni ? Boileau ni ? Racine. Ils ne furent qu'historiographes, c'est-?-dire les annotateurs d'un r?gne, prenant des notes pour la post?rit?. Mais la post?rit? ne les lit pas.
Le roi alors se faisait lire ces morceaux d'histoire de son r?gne ? Versailles, dans la chambre de Mme de Montespan, sa favorite en titre, bien que son coeur appart?nt d?j? ? Mme de Maintenon. Ce fut ? une de ces lectures que Racine et Boileau s'aper?urent, pour la premi?re fois, du d?clin de l'une et de l'ascendant de l'autre. Racine le fils, sur le r?cit de son p?re, raconte ainsi cette r?volution de palais, qui devait donner tant de gloire et tant d'amertume ensuite ? son p?re:
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