Read Ebook: Mémoires de Hector Berlioz comprenant ses voyages en Italie en Allemagne en Russie et en Angleterre 1803-1865 by Berlioz Hector
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Ce fut une des occasions o? j'appr?ciai le mieux l'ineffable bont? de mon p?re. Voyant combien j'?tais embarrass? et confus d'une telle ?motion, il feignit de ne la point apercevoir, et, se levant tout ? coup, il ferma le livre en disant: <
Meylan.--Mon oncle.--Les brodequins roses.--L'hamadryade du Saint-Eynard.--L'amour dans un coeur de douze ans.
Mon grand-p?re maternel, dont le nom est celui du fabuleux guerrier de Walter Scott, vivait ? Meylan, campagne situ?e ? deux lieues de Grenoble, du c?t? de la fronti?re de Savoie. Ce village, et les hameaux qui l'entourent, la vall?e de l'Is?re qui se d?roule ? leurs pieds et les montagnes du Dauphin? qui viennent l? se joindre aux Basses-Alpes, forment un des plus romantiques s?jours que j'aie jamais admir?s. Ma m?re, mes soeurs et moi, nous allions ordinairement chaque ann?e y passer trois semaines vers la fin de l'?t?. Mon oncle , qui suivait alors la trace lumineuse du grand Empereur, venait quelquefois nous y joindre, tout chaud encore de l'haleine du canon, orn? tant?t d'un simple coup de lance, tant?t d'un coup de mitraille dans le pied ou d'un magnifique coup de sabre au travers de la figure. Il n'?tait encore qu'adjudant-major de lanciers; jeune, ?pris de la gloire, pr?t ? donner sa vie pour un de ses regards, croyant le tr?ne de Napol?on in?branlable comme le mont Blanc; et joyeux et galant, grand amateur de violon et chantant fort bien l'op?ra-comique.
Dans la partie haute de Meylan, tout contre l'escarpement de la montagne, est une maisonnette blanche, entour?e de vignes et de jardins, d'o? la vue plonge sur la vall?e de l'Is?re; derri?re sont quelques collines rocailleuses, une vieille tour en ruines, des bois, et l'imposante masse d'un rocher immense, le Saint-Eynard; une retraite enfin ?videmment pr?destin?e ? ?tre le th??tre d'un roman. C'?tait la villa de madame Gautier, qui l'habitait pendant la belle saison avec ses deux ni?ces, dont la plus jeune s'appelait Estelle. Ce nom seul e?t suffi pour attirer mon attention; il m'?tait cher d?j? ? cause de la pastorale de Florian d?rob?e par moi dans la biblioth?que de mon p?re, et lue en cachette, cent et cent fois. Mais celle qui le portait avait dix-huit ans, une taille ?l?gante et ?lev?e, de grands yeux arm?s en guerre, bien que toujours souriants, une chevelure digne d'orner le casque d'Achille, des pieds, je ne dirai pas d'Andalouse, mais de Parisienne pur sang, et des... brodequins roses!... Je n'en avais jamais vu... Vous riez!!... Eh bien, j'ai oubli? la couleur de ses cheveux et je ne puis penser ? elle sans voir scintiller, en m?me temps que les grands yeux, les petits brodequins roses.
En l'apercevant, je sentis une secousse ?lectrique; je l'aimai, c'est tout dire. Le vertige me prit et ne me quitta plus. Je n'esp?rais rien... je ne savais rien... mais j'?prouvais au coeur une douleur profonde. Je passais des nuits enti?res ? me d?soler. Je me cachais le jour dans les champs de ma?s, dans les r?duits secrets du verger de mon grand-p?re, comme un oiseau bless?, muet et souffrant. La jalousie, cette p?le compagne des plus pures amours, me torturait au moindre mot adress? par un homme ? mon idole. J'entends encore en fr?missant le bruit des ?perons de mon oncle quand il dansait avec elle! Tout le monde, ? la maison et dans le voisinage, s'amusait de ce pauvre enfant de douze ans bris? par un amour au-dessus de ses forces. Elle-m?me qui, la premi?re, avait tout devin?, s'en est fort divertie, j'en suis s?r. Un soir il y avait une r?union nombreuse chez sa tante; il fut question de jouer aux barres; il fallait, pour former les deux camps ennemis, se diviser en deux groupes ?gaux; les cavaliers choisissaient leurs dames; on fit expr?s de me laisser avant tous d?signer la mienne. Mais je n'osai, le coeur me battait trop fort; je baissai les yeux en silence. Chacun de me railler; quand mademoiselle Estelle, saisissant ma main: <
Premi?res le?ons de musique, donn?es par mon p?re.--Mes essais en composition.--?tudes ost?ologiques.--Mon aversion pour la m?decine.--D?part pour Paris.
Quand j'ai dit plus haut que la musique m'avait ?t? r?v?l?e en m?me temps que l'amour, ? l'?ge de douze ans, c'est la composition que j'aurais d? dire; car je savais d?j?, avant ce temps, chanter ? premi?re vue, et jouer de deux instruments. Mon p?re encore m'avait donn? ce commencement d'instruction musicale.
Le hasard m'ayant fait trouver un flageolet au fond d'un tiroir o? je furetais, je voulus aussit?t m'en servir cherchant inutilement ? reproduire l'air populaire de Marlborough.
J'avais d?couvert, parmi de vieux livres, le trait? d'harmonie de Rameau, comment? et simplifi? par d'Alembert. J'eus beau passer des nuits ? lire ces th?ories obscures, je ne pus parvenir ? leur trouver un sens. Il faut en effet ?tre d?j? ma?tre de la science des accords, et avoir beaucoup ?tudi? les questions de physique exp?rimentale sur lesquelles repose le syst?me tout entier, pour comprendre ce que l'auteur a voulu dire. C'est donc un trait? d'harmonie ? l'usage seulement de ceux qui la savent. Et pourtant je voulais composer. Je faisais des arrangements de duos en trios et en quatuors, sans pouvoir parvenir ? trouver des accords ni une basse qui eussent le sens commun. Mais ? force d'?couter des quatuors de Pleyel ex?cut?s le dimanche par nos amateurs, et gr?ce au trait? d'harmonie de Catel, que j'?tais parvenu ? me procurer, je p?n?trai enfin, et en quelque sorte subitement, le myst?re de la formation et de l'encha?nement des accords. J'?crivis aussit?t une esp?ce de pot-pourri ? six parties, sur des th?mes italiens dont je poss?dais un recueil. L'harmonie en parut supportable. Enhardi par ce premier pas, j'osai entreprendre de composer un quintette pour fl?te, deux violons, alto et basse, que nous ex?cut?mes, trois amateurs, mon ma?tre et moi.
Ce fut un triomphe. Mon p?re seul ne parut pas de l'avis des applaudisseurs. Deux mois apr?s nouveau quintette. Mon p?re voulut en entendre la partie de fl?te, avant de me laisser tenter la grande ex?cution; selon l'usage des amateurs de province, qui s'imaginent pouvoir juger un quatuor d'apr?s le premier violon. Je la lui jouai, et ? une certaine phrase: < la bonne heure, me dit-il, ceci est de la musique.>> Mais ce quintette, beaucoup plus ambitieux que le premier, ?tait aussi bien plus difficile; nos amateurs ne purent parvenir ? l'ex?cuter passablement. L'alto et le violoncelle surtout pateaugeaient ? qui mieux mieux.
Apr?s la triste et inexplicable fin de son fils, le pauvre Imbert ?tait retourn? ? Lyon, o? je crois qu'il est mort. Il eut presque imm?diatement ? la C?te un successeur, beaucoup plus habile que lui, nomm? Dorant. Celui-ci, Alsacien de Colmar, jouait ? peu pr?s de tous les instruments, et excellait sur la clarinette, la basse, le violon et la guitare. Il donna des le?ons de guitare ? ma soeur a?n?e qui avait de la voix, mais que la nature a enti?rement priv?e de tout instinct musical. Elle aime la musique pourtant, sans avoir jamais pu parvenir ? la lire et ? d?chiffrer seulement une romance. J'assistais ? ses le?ons; je voulus en prendre aussi moi-m?me; jusqu'? ce que Dorant en artiste honn?te et original, vint dire brusquement ? mon p?re: <
Les essais de composition de mon adolescence portaient l'empreinte d'une m?lancolie profonde. Presque toutes mes m?lodies ?taient dans le mode mineur. Je sentais le d?faut sans pouvoir l'?viter. Un cr?pe noir couvrait mes pens?es; mon romanesque amour de Meylan les y avait enferm?es. Dans cet ?tat de mon ?me, lisant sans cesse l'Estelle de Florian, il ?tait probable que je finirais par mettre en musique quelques-unes des nombreuses romances contenues dans cette pastorale, dont la fadeur alors me paraissait douce. Je n'y manquai pas.
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Quant ? la m?lodie de cette romance, br?l?e comme le sextuor, comme les quintettes, avant mon d?part pour Paris, elle se repr?senta humblement ? ma pens?e, lorsque j'entrepris en 1829 d'?crire ma symphonie fantastique. Elle me sembla convenir ? l'expression de cette tristesse accablante d'un jeune coeur qu'un amour sans espoir commence ? torturer, et je l'acueillis. C'est la m?lodie que chantent les premiers violons au d?but du largo de la premi?re partie de cet ouvrage, intitul?: R?VERIES, PASSIONS; je n'y ai rien chang?.
Mais pendant ces diverses tentatives, au milieu de mes lectures, de mes ?tudes g?ographiques, de mes aspirations religieuses et des alternatives de calme et de temp?te dans mon premier amour, le moment approchait o? je devais me pr?parer ? suivre une carri?re. Mon p?re me destinait ? la sienne, n'en concevant pas de plus belle, et m'avait d?s longtemps laiss? entrevoir son dessein.
Je n'avais jamais vu de grande partition. Les seuls morceaux de musique ? moi connus consistaient en solf?ges accompagn?s d'une basse chiffr?e, en solos de fl?te, ou en fragments d'op?ras avec accompagnement de piano. Or, un jour une feuille de papier r?gl? ? vingt-quatre port?es me tomba sous la main. En apercevant cette grande quantit? de lignes, je compris aussit?t ? quelle multitude de combinaisons instrumentales et vocales leur emploi ing?nieux pouvait donner lieu, je et m'?criai: <
Afin de me familiariser instantan?ment avec les objets que je devais bient?t avoir constamment sous les yeux, il avait ?tal? dans son cabinet l'?norme Trait? d'ost?ologie de Munro, ouvert, et contenant des gravures de grandeur naturelle, o? les diverses parties de la charpente humaine sont reproduites tr?s-fid?lement. <
?tre m?decin! ?tudier l'anatomie! diss?quer! assister ? d'horribles op?rations! au lieu de me livrer corps et ?me ? la musique, cet art sublime dont je concevais d?j? la grandeur! Quitter l'empir?e pour les plus tristes s?jours de la terre! les anges immortels de la po?sie et de l'amour et leurs chants inspir?s, pour de sales infirmiers, d'affreux gar?ons d'amphith??tre, des cadavres hideux, les cris des patients, les plaintes et le r?le pr?curseurs de la mort!...
Oh! non, tout cela me semblait le renversement absolu de l'ordre naturel de ma vie, et monstrueux et impossible. Cela fut pourtant.
Les ?tudes d'ost?ologie furent commenc?es en compagnie d'un de mes cousins , que mon p?re avait pris pour ?l?ve en m?me temps que moi. Malheureusement Robert jouait fort bien du violon et nous nous occupions ensemble un peu plus de musique que d'anatomie pendant les heures de nos ?tudes. Ce qui ne l'emp?chait pas, gr?ce au travail obstin? auquel il se livrait chez lui en particulier, de savoir toujours beaucoup mieux que moi ses d?monstrations. De l?, bien de s?v?res remontrances et m?me de terribles col?res paternelles.
N?anmoins, moiti? de gr?, moiti? de force, je finis par apprendre tant bien que mal de l'anatomie tout ce que mon p?re pouvait m'en enseigner, avec le secours des pr?parations s?ches seulement; et j'avais dix-neuf ans quand, encourag? par mon condisciple, je dus me d?cider ? aborder les grandes ?tudes m?dicales et ? partir avec lui, dans cette intention, pour Paris.
Ici, je m'arr?te un instant avant d'entreprendre le r?cit de ma vie parisienne et des luttes acharn?es que j'y engageai presque en arrivant et que je n'ai jamais cess? d'y soutenir contre les id?es, les hommes et les choses. Le lecteur me permettra de prendre haleine.
D'ailleurs, c'est aujourd'hui que la manifestation des deux cent mille chartistes anglais doit avoir lieu. Dans quelques heures peut-?tre, l'Angleterre sera boulevers?e comme le reste de l'Europe, et cet asile m?me ne me restera plus. Je vais voir se d?cider la question.
. Allons, les chartistes sont de bonnes p?tes de r?volutionnaires. Tout s'est bien pass?. Les canons, ces puissants orateurs, ces grands logiciens dont les arguments irr?sistibles p?n?trent si profond?ment dans les masses, ?taient ? la tribune. Ils n'ont pas m?me ?t? oblig?s de prendre la parole, leur aspect a suffi pour porter dans toutes les ?mes la conviction de l'inopportunit? d'une r?volution, et les chartistes se sont dispers?s dans le plus grand ordre.
Braves gens! vous vous entendez ? faire des ?meutes comme les Italiens ? ?crire des symphonies. Il en est de m?me des Irlandais tr?s-probablement, et O'Connell avait bien raison de leur dire toujours: Agitez! agitez! mais ne bougez pas!
. Me voil? de retour! Paris ach?ve d'enterrer ses morts. Les pav?s des barricades ont repris leur place, d'o? ils ressortiront peut-?tre demain. ? peine arriv?, je cours au faubourg Saint-Antoine: quel spectacle! quels hideux d?bris! Le G?nie de la Libert? qui plane au sommet de la colonne de la Bastille, a lui-m?me le corps travers? d'une balle. Les arbres abattus, mutil?s, les maisons pr?tes ? crouler, les places, les rues, les quais semblent encore vibrants du fracas homicide!... Pensons donc ? l'art par ce temps de folies furieuses et de sanglantes orgies!... Tous nos th??tres sont ferm?s, tous les artistes ruin?s, tous les professeurs oisifs, tous les ?l?ves en fuite; de pauvres pianistes jouent des sonates sur les places publiques, des peintres d'histoire balayent les rues, des architectes g?chent du mortier dans les ateliers nationaux... L'Assembl?e vient de voter d'assez fortes sommes pour rendre possible la r?ouverture des th??tres et accorder en outre de l?gers secours aux artistes les plus malheureux. Secours insuffisants pour les musiciens surtout! Il y a des premiers violons ? l'Op?ra dont les appointements n'allaient pas ? neuf cents francs par an. Ils avaient v?cu ? grand'peine jusqu'? ce jour, en donnant des le?ons. On ne doit pas supposer qu'ils aient pu faire de brillantes ?conomies. Leurs ?l?ves partis, que vont-ils devenir, ces malheureux? On ne les d?portera pas, quoique beaucoup d'entre eux n'aient plus de chances de gagner leur vie qu'en Am?rique, aux Indes ou ? Sydney; la d?portation co?te trop cher au gouvernement: pour l'obtenir, il faut l'avoir m?rit?e, et tous nos artistes ont combattu les insurg?s et sont mont?s ? l'assaut des barricades...
Au milieu de cette effroyable confusion du juste et de l'injuste, du bien et du mal, du vrai et du faux, en entendant parler cette langue dont la plupart des mots sont d?tourn?s de leur acception, n'y a-t-il pas de quoi devenir compl?tement fou!!!
Continuons mon auto biographie. Je n'ai rien de mieux ? faire. L'examen du pass? servira, d'ailleurs, ? d?tourner mon attention du pr?sent.
Une ann?e d'?tudes m?dicales.--Le professeur Amussat.--Une repr?sentation ? l'Op?ra.--La biblioth?que du Conservatoire.--Entra?nement irr?sistible vers la musique.--Mon p?re se refuse ? me laisser suivre cette carri?re.--Discussions de famille.
Robert perdait son ?loquence ? combattre mes r?pugnances et ? me d?montrer l'absurdit? de mes projets. Il parvint pourtant ? me faire tenter une seconde exp?rience. Je consentis ? le suivre de nouveau ? l'hospice, et nous entr?mes ensemble dans la fun?bre salle. Chose ?trange! en revoyant ces objets qui d?s l'abord m'avaient inspir? une si profonde horreur, je demeurai parfaitement calme, je n'?prouvai absolument rien qu'un froid d?go?t; j'?tais d?j? familiaris? avec ce spectacle comme un vieux carabin; c'?tait fini. Je m'amusai m?me, en arrivant, ? fouiller la poitrine entr'ouverte d'un pauvre mort, pour donner leur pitance de poumons aux h?tes ail?s de ce charmant s?jour. ? la bonne heure! me dit Robert en riant, tu t'humanises!
Aux petits des oiseaux tu donnes la p?ture.
--Et ma bont? s'?tend sur toute la nature.
r?pliquai-je en jetant une omoplate ? un gros rat qui me regardait d'un air affam?.
Je suivis donc, sinon avec int?r?t, au moins avec une sto?que r?signation le cours d'anatomie. De secr?tes sympathies m'attachaient m?me ? mon professeur Amussat, qui montrait pour cette science une passion ?gale ? celle que je ressentais pour la musique. C'?tait un artiste en anatomie. Hardi novateur en chirurgie, son nom est aujourd'hui europ?en; ses d?couvertes excitent dans le monde savant l'admiration et la haine. Le jour et la nuit suffisent ? peine ? ses travaux. Bien qu'ext?nu? des fatigues d'une telle existence, il continue, r?veur, m?lancolique, ses audacieuses recherches et persiste dans sa p?rilleuse voie. Ses allures sont celles d'un homme de g?nie. Je le vois souvent; je l'aime.
Malgr? de pareilles distractions, et tout en passant bien des heures, le soir, ? r?fl?chir sur la triste contradiction ?tablie entre mes ?tudes et mes penchants, je continuai quelque temps encore cette vie de tiraillements, sans grand profit pour mon instruction m?dicale, et sans pouvoir ?tendre le champ si born? de mes connaissances en musique. J'avais promis, je tenais ma parole. Mais, ayant appris que la biblioth?que du Conservatoire, avec ses innombrables partitions, ?tait ouverte au public, je ne pus r?sister au d?sir d'y aller ?tudier les oeuvres de Gluck, pour lesquelles j'avais d?j? une passion instinctive, et qu'on ne repr?sentait pas en ce moment ? l'Op?ra. Une fois admis dans ce sanctuaire, je n'en sortis plus. Ce fut le coup de gr?ce donn? ? la m?decine. L'amphith??tre fut d?cid?ment abandonn?.
Mon admission parmi les ?l?ves de Lesueur.--Sa bont?. La chapelle royale.
Je m'?tais mis ? composer pendant ces cruelles discussions. J'avais ?crit, entre autres choses, une cantate ? grand orchestre, sur un po?me de Millevoye Un ?l?ve de Lesueur, nomm? Gerono, que je rencontrais souvent ? la biblioth?que du Conservatoire, me fit entrevoir la possibilit? d'?tre admis dans la classe de composition de ce ma?tre, et m'offrit de me pr?senter ? lui. J'acceptai sa proposition avec joie, et je vins un matin soumettre ? Lesueur la partition de ma cantate, avec un canon ? trois voix que j'avais cru devoir lui donner pour auxiliaire dans cette circonstance solennelle. Lesueur eut la bont? de lire attentivement la premi?re de ces deux oeuvres informes, et dit en me la rendant: <
Je suis loin de manquer de reconnaissance pour cet excellent et digne homme, qui entoura mes premiers pas dans la carri?re de tant de bienveillance, et m'a, jusqu'? la fin de sa vie, t?moign? une v?ritable affection. Mais combien de temps j'ai perdu ? ?tudier ses th?ories ant?diluviennes, ? les mettre en pratique et ? les d?sapprendre ensuite, en recommen?ant de fond en comble mon ?ducation! Aussi m'arrive-t-il maintenant de d?tourner involontairement les yeux, quand j'aper?ois une de ses partitions. J'ob?is alors ? un sentiment comparable ? celui que nous ?prouvons en voyant le portrait d'un ami qui n'est plus. J'ai tant admir? ces petits oratorios qui formaient le r?pertoire de Lesueur ? la chapelle royale, et cette admiration, j'ai eu tant de regrets de la voir s'affaiblir! En comparant d'ailleurs ? l'?poque actuelle le temps o? j'allais les entendre r?guli?rement tous les dimanches au palais des Tuileries, je me trouve si vieux, si fatigu?, et pauvre d'illusions! Combien d'artistes c?l?bres que je rencontrais ? ces solennit?s de l'art religieux n'existent plus! Combien d'autres sont tomb?s dans l'oubli pire que la mort! Que d'agitations! que d'efforts! que d'inqui?tudes depuis lors! C'?tait le temps du grand enthousiasme, des grandes passions musicales, des longues r?veries, des joies infinies, inexprimables!... Quand j'arrivais ? l'orchestre de la chapelle royale, Lesueur profitait ordinairement de quelques minutes avant le service, pour m'informer du sujet de l'oeuvre qu'on allait ex?cuter, pour m'en exposer le plan et m'expliquer ses intentions principales. La connaissance du sujet trait? par le compositeur n'?tait pas inutile, en effet, car il ?tait rare que ce f?t le texte de la messe. Lesueur, qui a ?crit un grand nombre de messes, affectionnait particuli?rement et produisait plus volontiers ces d?licieux ?pisodes de l'Ancien Testament, tels que No?mi, Rachel, Ruth et Booz, D?bora, etc., qu'il avait rev?tus d'un coloris antique, parfois si vrai, qu'on oublie, en les ?coutant, la pauvret? de sa trame musicale, son obstination ? imiter dans les airs, duos et trios, l'ancien style dramatique italien, et la faiblesse enfantine de son instrumentation. De tous les po?mes , la Bible ?tait sans contredit celui qui pr?tait le plus au d?veloppement des facult?s sp?ciales de Lesueur. Je partageais alors sa pr?dilection, et l'Orient, avec le calme de ses ardentes solitudes, la majest? de ses ruines immenses, ses souvenirs historiques, ses fables, ?tait le point de l'horizon po?tique vers lequel mon imagination aimait le mieux ? prendre son vol.
Un premier op?ra.--M. Andrieux.--Une premi?re messe. M. de Chateaubriand.
Quelques mois apr?s mon admission parmi les ?l?ves particuliers de Lesueur, je me mis en t?te d'?crire un op?ra. Le cours de litt?rature de M. Andrieux, que je suivais assid?ment, me fit penser ? ce spirituel vieillard, et j'eus la singuli?re id?e de m'adresser ? lui pour le livret. Je ne sais ce que je lui ?crivis ? ce sujet, mais voici sa r?ponse.
< Ce fut M. Andrieux lui-m?me, qui eut la bont? de m'apporter sa lettre. Il causa longtemps avec moi, et me dit en me quittant: < Qui comprendra cela?... un jeune enthousiaste ? peine civilis?, tel que j'?tais alors. Cette le?on au moins ne fut pas perdue. Le peu de ma composition malheureuse que j'avais entendu, m'ayant fait d?couvrir ses d?fauts les plus saillants, je pris aussit?t une r?solution radicale dans laquelle Valentino me raffermit, en me promettant de ne pas m'abandonner, lorsqu'il s'agirait plus tard de prendre ma revanche. Je refis cette messe presque enti?rement. Mais pendant que j'y travaillais, mes parents avertis de ce fiasco, ne manqu?rent pas d'en tirer un vigoureux parti pour battre en br?che ma pr?tendue vocation et tourner en ridicule mes esp?rances. Ce fut la lie de mon calice d'amertume. Je l'avalai en silence et n'en persistai pas moins. Paris, le 31 d?cembre 1824. < >>Recevez, Monsieur, tous mes regrets; ils sont bien sinc?res!
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