Read Ebook: L'oeuvre des conteurs allemands: mémoires d'une chanteuse allemande traduit pour la première fois en français avec des fragments inédits by Anonymous Apollinaire Guillaume Editor
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Ebook has 568 lines and 65286 words, and 12 pages
--Aime-moi avec une grande douceur, mon cher homme, pour que notre f?licit? soit sans cesse la m?me. Aujourd'hui, demain et toujours, m?me jusque dans la plus extr?me vieillesse et encore, si c'est possible apr?s la mort qui ne pourra point s?parer deux coeurs aussi tendrement unis que les n?tres.
Moi, pauvre petite fille ignorante, que comprenais-je alors ? ce que ma m?re disait? Je vis que, quand elle eut dit cela, ils s'?treignirent avec une tendresse et une ardeur juv?niles. Au lieu de crier de douleur, ainsi que je m'y attendais, ma m?re faisait briller ses yeux de joie. Elle murmurait les mots les plus doux et les mieux trouv?s, qu'elle r?p?tait au hasard, comme aurait pu le faire un petit enfant. Ses yeux ardents suivaient dans le miroir tous leurs mouvements et tous leurs gestes. Les mille sentiments qui m'agitaient alors ne me permirent pas de juger que ces deux corps enlac?s ?taient tr?s beaux. Je sais maintenant qu'une telle beaut? est extr?mement rare. La beaut? est toujours l'apanage des ?tres sains et forts, et fort peu de personnes restent ainsi jusque dans l'?ge m?r: les maladies, les soucis, les passions, les vices trop communs dans la soci?t? humaine ont pour premier effet de d?truire en partie la force et la beaut? d?s que la jeunesse, ce printemps de la vie tire ? sa fin. Ma m?re s'agitait doucement et souriait encore. ? chaque parole on e?t dit que leur volupt? grandissait. Malheureusement, je ne voyais pas le visage de mon p?re; mais ? ses mouvements, ? ses exclamations comme aux frissons qui parcouraient ces deux ?tres si bien faits pour vivre ensemble, je sentais bien que l'ivresse les gagnait. Mon p?re bient?t ne parlait plus. Ma m?re, par contre, poussait des paroles incoh?rentes, ? peine intelligibles, mais qui me permettaient n?anmoins de saisir ce qui se passait entre eux:
--Ne nous quittons jamais, mon seul aim?! Que la mort m?me nous accueille nous tenant par la main. Non, jamais. Ah! comme tu es fort, comme tu es bon! Je t'aime plus encore aujourd'hui qu'au temps de nos fian?ailles. Dis-moi, le souvenir de ce temps-l? doit te faire plaisir! Et toi, m'aimes-tu toujours comme en ces temps b?nis o? tu m'avouais ton amour? Oh! cher compagnon de ma vie, dis-moi que je suis ta compagne ch?rie et que jamais, m?me un seul instant, tu n'as cess? de m'aimer comme au premier jour, celui o? tu m'apportas ce jolie bouquet de pens?es et de myosotis!
Mon p?re ne disait toujours rien. Il souriait avec bienveillance et caressait le visage de son ?pouse bien-aim?e. Lui aussi, sans aucun doute, pensait au temps ?coul? de la jeunesse, au temps o? pr?tendant ? la main de ma m?re, il lui offrait timidement des bouquets de pens?es et de myosotis qu'elle acceptait en tremblant. Et le visage extasi? il se jeta sur le lit o? il demeura immobile, comme mort, la t?te perdue dans la houle des souvenirs. Puis il se tourna comme ?puis? sur le c?t?. Ma m?re sortit la premi?re de ces pens?es d'autrefois; j'eus le temps de remarquer le changement qui se produisait chez tous les deux. Mon p?re, qui, quelques instants auparavant, paraissait si fort, si courageux, si vaillant, si mena?ant, ?tait devenu un ?tre faible et sans ressort, on e?t dit ce coureur de Marathon apr?s qu'il eut annonc? la victoire, ou encore l'Arabe abandonn? par la caravane. Ma m?re paraissait plus vivante, bien que la lassitude se peign?t sur son beau visage aux traits calmes, aux couleurs charmantes et aussi vives que si elle avait ?t? de la premi?re jeunesse.
Elle se leva et s'accouda pour contempler mon p?re avec tendresse. Heureux ?poux, qu'une longue union n'avait point lass?s l'un de l'autre! J'?tais l?, vivant t?moignage de leur tendresse, mais leur tendresse paraissait toujours forte, aussi vivante! Rares ?poux, trop rares en v?rit?, je ne pense jamais ? vous sans me souvenir de cette sc?ne inoubliable.
Enfin, ma m?re se recoucha aupr?s de mon p?re immobile et r?veur. Il avait maintenant l'air compl?tement satisfait; ma m?re, non. Elle semblait ?tre en proie ? la m?me excitation qui s'?tait empar?e de lui, tout ? l'heure. Elle se leva. En faisant sa toilette, elle releva, comme par hasard, le miroir, et mon p?re, qui ?tait maintenant ? sa place, sur l'oreiller, ne pouvait point voir l'image qui l'avait tant r?jouie. J'avais suivi cette sc?ne avec tant d'attention que ce petit geste ne m'?chappa point, mais je ne me l'expliquai que beaucoup plus tard. Je croyais que tout ?tait maintenant termin?. Mes sens ?taient violemment agit?s et me faisaient presque mal. Je pensais enfin ? me sauver sans trahir ma pr?sence, mais je devais encore voir quelque chose. Assise ? ses pieds, ma m?re se pencha sur mon p?re, l'embrassa et lui demanda tendrement:
--Es-tu heureux?
--Plus que jamais, adorable femme. Je regrette seulement que tu paraisses l'?tre moins que moi. Je t'aime non seulement avec tendresse, mais plut?t avec une tendre fureur.
--Mais cela ne fait rien. ? ton anniversaire je ne cherche que ton plaisir. D'ailleurs je ne t'aime pas moins que tu ne m'aimes toi-m?me.
En disant cela, elle se pencha sur lui et se mit ? le baiser doucement en levant sur lui ses grands yeux tendres. Maintenant, je voyais bien mieux tout ce qui se passait. D'abord, elle le baisa du bout des l?vres, le caressant, le dorlotant, comme elle eut fait d'un petit enfant, et des spasmes crisp?rent le visage de mon p?re. De sa main droite il la pressait contre lui et lui rendait ses baisers sur sa belle chevelure d?nou?e comme celle d'une pr?tresse des for?ts germaniques. Je voyais ses longs cheveux boucl?s, ses yeux profonds, aux longs cils, son joli nez droit aux narines fr?missantes, tandis que sa bouche s'entr'ouvrait sur ses belles dents blanches. Enfin, ? merveille, les yeux de mon p?re ressuscit?rent, il redevint charmant, galant tout d'abord et reprit la force avec laquelle il m'?tait apparu. Ma m?re ?tait arriv? ? ses fins, ses yeux rayonnaient de convoitise, et comme mon p?re restait couch?, visiblement satisfait de contempler l'attrayante mise de ma m?re, elle se remit pr?s de lui tout ? coup et le couvrit de baisers. Le corps de mon p?re ?tait couch? tout de son long. Le hasard avait tout dispos? en ma faveur. Je voyais cette sc?ne en double: une fois, dans le lit dont le bas c?t? me faisait face; l'autre fois, par derri?re, dans le miroir. Ce que jusqu'? pr?sent je n'avais pu distinguer qu'en partie, suivant l'?loignement ou le rapprochement du corps, je le voyais en plein, aussi distinctement que si j'y avais particip?. Je n'oublierai jamais ce spectacle! C'?tait le plus beau que je pouvais d?sirer. Il ?tait beaucoup plus beau que tous ceux auxquels j'ai go?t? dans la suite. Les deux ?poux ?taient en pleine sant?, forts et surexcit?s. Ma m?re ?tait maintenant active, tandis que mon p?re ?tait beaucoup plus calme qu'auparavant. Il ?treignait son ?pouse charmante et blanche, prenait ses cheveux entre les l?vres, les mordait quand ma m?re se penchait trop, et tout son corps, sauf sa bouche, restait presque immobile. Ma m?re, au contraire, d?pensait une vivacit? extraordinaire. De la main elle caressait le beau front intelligent de son mari jusqu'? la racine de ses cheveux. Tout ce que j'avais vu pr?c?demment m'avait constern?e et fait peur. J'?tais troubl?e, agit?e d'une fa?on incompr?hensible et tr?s douce. Si je n'avais craint le froissis de mes robes, j'aurais remu? pour d?tendre mes nerfs crisp?s et pour d?raidir mes jambes depuis longtemps immobiles. Ma m?re avait tout oubli?; cette femme s?rieuse et grave n'?tait plus qu'une ?pouse effr?n?e. Ce spectacle ?tait indescriptible et beau. Les membres robustes de mon p?re, les formes rondes, blanches et ?blouissantes de ma m?re, et, surtout, le feu de leurs beaux yeux qui s'agitaient comme si toutes les forces vitales de ces deux ?tres heureux se fussent concentr?es en eux! Quand ma m?re se dressait, je voyais leurs l?vres se s?parer avec regret l'une de l'autre et se reprendre ?troitement serr?es, je voyais leurs mains jouer dans leurs chevelures; parfois ils souriaient, et le sourire apparaissait pour dispara?tre au plus vite. Maintenant, ma m?re se taisait. Tous les deux, ils semblaient heureux au m?me degr?. Leurs yeux se noy?rent au m?me instant, et au moyen de la plus haute extase mon p?re parut rena?tre pour de bon; cette fois il poussait de profonds soupirs, s'?cartait parfois de ma m?re comme pour mieux pouvoir contempler le spectacle ch?ri que lui pr?sentait le visage surprenant et mutin de sa d?licieuse et adorable ?pouse. Mon p?re cria: <
J'?tais comme p?trifi?e. Les deux ?tres pour lesquels j'avais ressenti jusqu'? pr?sent le plus d'amour et de respect venaient de me r?v?ler des choses sur lesquelles les jeunes filles se font des id?es d?licieusement absurdes. Ils avaient rejet? toute dignit? et toutes les conventions dans lesquelles ils s'?taient toujours montr?s, dignes et sans passion. Ils venaient de m'apprendre que le monde, sous le maintien ext?rieur des moeurs et des convenances, ne recherche que la jouissance et la volupt?. Mais je ne veux pas faire de la philosophie, je veux avant tout raconter.
Durant dix minutes ils rest?rent comme morts sous les draps. Puis ils se lev?rent, s'habill?rent et quitt?rent la chambre. Je savais que ma m?re allait mener mon p?re dans la chambre o? les cadeaux ?taient expos?s. Cette chambre donnait sur la v?randa qui menait au jardin. Au bout de quelques minutes je quittai furtivement ma cachette et me sauvai dans le jardin, d'o? je saluai mes parents. Je ne sais pas comment je pus r?citer ma po?sie et pr?senter mes bons voeux ? mon p?re. Mon p?re prit mon trouble pour de l'attendrissement. Pourtant je n'osais regarder mes parents, je ne pouvais oublier le spectacle qu'ils venaient de m'offrir; l'image de leurs ?bats ?tait devant mes yeux. Mon p?re m'embrassa, puis aussi ma m?re. Quelle autre esp?ce de baisers n'?tait-ce pas? J'?tais si troubl?e et si confuse que mes parents le remarqu?rent ? la fin. Je mourais d'impatience de regagner ma chambre pour ?tre seule et approfondir ce que je venais d'apprendre et me livrer enfin ? des exp?riences personnelles. Ma t?te ?tait en feu; mon sang battait dans mes art?res.
Ma m?re crut que je m'?tais trop serr?e. Elle m'envoya dans ma chambre. J'avais une belle occasion pour me d?shabiller, et je le fis avec une telle h?te que je d?chirai presque mes habits. Que mon corps angulaire ?tait laid en comparaison de la beaut? plantureuse de ma m?re! C'est ? peine si s'arrondissait ce qui chez elle ?tait ?panoui. J'?tais comme une ch?vre, tandis qu'elle repr?sentait une belle chatte; il me semblait que j'?tais un monstre de laideur aupr?s d'elle. J'essayais de faire seule ce que j'avais vu faire par d'autres que moi et ne pouvais comprendre comment certains d?tails corporels si peu importants pouvaient d?cha?ner des joies qui m'?taient encore refus?es. J'en conclus que j'?tais trop jeune et que seuls les ?tres d'?ge m?r peuvent ?prouver tant d'all?gresse; cependant j'avais des sensations tr?s agr?ables. Mais je ne pouvais pas comprendre comment elles pouvaient d?cha?ner un tel d?lire et vous faire perdre les esprits. J'en conclus encore que l'on ne pouvait atteindre cette supr?me volupt? qu'avec le concours d'un homme. Je comparais le pasteur ? mon p?re. Est-ce qu'il posait aussi? ?tait-il aussi bouillant, aussi voluptueux, aussi fou seul ? seul avec une femme? Serait-il ainsi avec moi si j'?tais pr?te ? faire tout ce que ma m?re avait fait? Et je ne pouvais oublier cette image, entre toutes belle, quand ma m?re, pour le ranimer de ses caresses, avait si longtemps regard? mon p?re dans les yeux et l'avait caress? au front avec une langueur adorable.
En moins d'une heure, j'avais v?cu dix ans. Quand je vis que tous mes essais ?taient vains, je les abandonnai fatigu?e et je me mis ? r?fl?chir ? ce que j'allais entreprendre. J'?tais d?j? tr?s syst?matique, je tenais un journal o? je notais mes petites d?penses et toutes mes observations. Aussi notai-je tout de suite les paroles entendues, mais, par prudence, sur diff?rents papiers, pour que personne ne p?t comprendre les phrases d?tach?e. Puis je me mis ? r?fl?chir ? ce que j'avais vu et b?tis des ch?teaux en Espagne.
Premi?rement: ma m?re avait fait semblant de dormir et, par sa pose provocante, elle avait oblig? mon p?re ? satisfaire son d?sir. Avec beaucoup de soin elle avait cach? son d?sir ? mon p?re. Elle voulait faire semblant de condescendre, d'accorder. Puis elle avait aussi dispos? le miroir pour jouir doublement et en cachette. Ce que j'avais vu moi-m?me dans le miroir m'avait aussi caus? plus de plaisir que la simple r?alit?, j'y voyais distinctement des choses qui sans cela m'auraient ?t? cach?es. Tous ces pr?paratifs, elle les avait faits ? l'insu de mon p?re. Elle ne voulait donc point lui avouer qu'elle jouissait plus que lui. Enfin, elle lui avait aussi demand? s'il ne voulait pas attendre jusqu'au soir, elle qui avait tout pr?par? pour assouvir imm?diatement son d?sir!
Deuxi?mement: tous les deux avaient cri?: <
Il ?tait ?vident que les baisers et les jeux n'?taient pas le principal: ils n'?taient que des excitants, bien que ma m?re ressent?t alors la plus forte volupt?. Les jeux de mon p?re lui avaient fait crier: <
Bref, j'avais tant de pens?es que je ne pus me calmer de tout le jour. Je ne voulais questionner personne. Puisque mes parents faisaient ces choses en cachette, elles devaient ?tre d?fendues. Beaucoup de visites vinrent dans la journ?e, et dans l'apr?s-midi arriva mon oncle. Il ?tait accompagn? de sa femme, de ma cousine, une fillette de seize ans, et d'une gouvernante de la Suisse fran?aise. Ils pass?rent la nuit chez nous, car mon oncle avait affaire en ville le lendemain. Ma cousine et sa gouvernante partag?rent ma chambre. Ma cousine devait coucher avec moi. J'aurais pr?f?r? partager la couche de la gouvernante, pour laquelle on dressa un lit de camp. Elle avait environ vingt-huit ans, ?tait tr?s vive et n'?tait jamais ? court d'une r?ponse. Sans doute elle aurait pu m'apprendre bien des choses. Je ne savais comment l'entreprendre, car elle ?tait tr?s s?v?re avec ma cousine, mais j'aurais pu compter sur l'intimit? de la nuit et sur le hasard. Je forgeai mille plans. Quand nous mont?mes dans notre chambre, Marguerite s'y trouvait d?j?. Elle avait dress? un paravent entre nos lits. Elle nous pressa de nous coucher, nous fit r?citer notre pri?re, nous souhaita bonne nuit, nous recommanda de nous endormir bient?t et emporta la lampe de son c?t?. Elle aurait pu se dispenser de faire ces recommandations ? ma cousine, qui, ? peine sous les draps, s'endormit aussit?t. Moi, je ne pouvais m'endormir. Mille pens?es se brouillaient dans ma t?te. J'entendais Marguerite remuer, elle se d?shabillait et faisait sa toilette de nuit. Un faible rayon de lumi?re filtrait par un trou de la grosseur d'une t?te d'?pingle. Je me penchai hors du lit et je l'agrandis avec une ?pingle ? cheveux. J'y collai mon oeil, Marguerite changeait justement de chemise.
Son corps n'?tait pas aussi beau que celui de ma m?re; ses formes ?taient pourtant rondes et pleines, les seins petits et fermes, les jambes bien faites. Je la regardais depuis quelques instants et ? peine, quand elle r?va un petit moment. Puis elle sortit un livre de sa sacoche pos?e sur la table, s'assit sur le bord du lit et se mit ? lire.
Bient?t elle se leva et passa avec la lampe de notre c?t? pour voir si nous dormions. Je fermai mes yeux de toutes mes forces et les rouvris quand la gouvernante se fut assise sur une chaise. Je la regardais ? travers la d?chirure. Marguerite lisait avec beaucoup d'attention. Le livre devait raconter des choses particuli?res, car ses yeux brillaient, ses joues se rougissaient, sa poitrine s'agitait et, tout ? coup, elle porta le livre plus pr?s de ses yeux, appuya les pieds sur le bord du lit, et se mit ? lire avec encore plus d'attention et de plaisir. Je ne voyais pas ce ? quoi elle voulait en venir, mais je pensai imm?diatement ? ce que j'avais vu le matin. Parfois, elle semblait lire avec une attentive lenteur, puis, la bouche entr'ouverte, elle s'agitait sur sa chaise. J'?tais si int?ress?e par ce jeu que je ne remarquai pas tout de suite une lampe ? alcool sur la table. Elle ?tait allum?e et un liquide fumant s'y chauffait. Elle avait d? l'allumer avant mon entr?e dans la chambre. Elle trempait un doigt dans le liquide pour voir s'il ?tait assez chaud. Quand elle le sortit, je vis que c'?tait du lait. Puis elle sortit un paquet de linge de sa sacoche, l'ouvrit, en d?balla un instrument ?trange dont je ne pouvais comprendre l'emploi. Il ?tait noir et avait exactement la m?me forme que ce que j'avais vu le matin durant la sc?ne conjugale. Elle le trempa dans le lait, puis le porta ? sa joue pour s'assurer si l'instrument ?tait suffisamment chaud. Enfin elle en retrempa la pointe dans le lait, pressa sur les deux boules ? l'autre bout et remplit l'instrument de lait chaud. Elle se rassit, mit ses jambes sur le lit, juste en face de moi, si bien que je la voyais en plein, et releva le livre qui ?tait tomb? ? terre. Marguerite reprit le livre de la main gauche , elle saisit l'instrument de sa main droite et se remit ? lire avec une si grande attention que moi aussi je tentais de lire le titre, que je ne pouvais voir qu'? l'envers. Elle promenait le livre lentement de haut en bas et sans cesser sa lecture se grattait parfois les cheveux. Ses yeux luisaient, ils semblaient absorber les images du livre. Enfin elle trouva le passage int?ressant et son attention redoubla, tandis que sa langue jouait de temps en temps sur le bord de ses l?vres rouges et bien dessin?es, et Marguerite soupirait d?licieusement. Elle tenait toujours l'instrument que je ne voyais presque plus, ?tant donn?es nos positions r?ciproques. Puis elle le remit dans le rayon de mon regard et elle semblait maintenant tenir en main un jouet dont elle se servait avec toujours plus d'entrain, de fi?vre, jusqu'? ce que le livre tomb?t par terre. Elle fermait les yeux et les rouvrait pour les refermer aussit?t. Ses mouvements des paupi?res et de la t?te se pr?cipitaient. Son corps se p?mait. Elle se mordait violemment les l?vres comme pour ?touffer un cri qui l'aurait trahie. L'instant supr?me approchait. Je vis qu'elle se raidissait comme quelqu'un qu'un grand danger menace et qui, voulant vivre ? tout prix, se pr?pare ? r?sister. Ainsi, elle resta immobile, profond?ment ?mue. Enfin, ses yeux s'ouvrirent. Elle fit un effort comme quelqu'un que la fatigue contraint ? b?iller, puis elle remit tout en ordre, tr?s soigneusement, empaqueta l'instrument dans sa sacoche et vint encore une fois de notre c?t? voir si nous dormions. Puis elle se coucha et s'endormit bient?t, le visage heureux et satisfait. Je ne pouvais m'endormir. J'?tais heureuse d'avoir la solution de certaines ?nigmes qui depuis le matin s'agitaient dans ma petite t?te.
Au fond, j'?tais exasp?r?e. Je r?solus de questionner Marguerite. Elle devait me soulager, m'?claircir, m'aider. Je forgeai mille plans. Ma prochaine lettre vous dira de quelle fa?on je les ex?cutai.
Ai-je ?t? assez franche?
LE?ONS D'AMOUR
Marguerite ?tait mon seul espoir. J'aurais voulu passer tout de suite de son c?t? et me coucher dans son lit. Je l'aurais suppli?e, menac?e; elle aurait d? m'avouer et m'expliquer ces choses ?tranges, d?fendues et excitantes que je connaissais d'aujourd'hui. Elle m'aurait appris ? les imiter, ce dont j'avais si fortement envie. Je poss?dais d?j? cette froide raison et cet esprit pratique qui m'?vit?rent plus tard bien des choses d?sagr?ables. Un hasard pouvait me trahir et je pouvais ?tre surprise, ainsi que j'avais surpris mes parents. Je sentais qu'il s'agissait de choses d?fendues; je voulais prendre mes pr?cautions. J'?tais en feu et mon corps, ?a et l?, me d?mangeait et me picotait. Je serrais ?troitement mes oreillers, et quand j'eus pris la r?solution d'accompagner mon oncle ? la campagne, pour trouver l'occasion de parler avec Marguerite, je m'endormis.
Je n'eus pas de peine ? faire accepter mon plan. Mes parents me permirent de passer huit jours ? la campagne. La propri?t? de mon oncle se trouvait ? quelques lieues de la ville, et nous part?mes apr?s d?ner. Durant tout le jour je fus aussi complaisante et aimable que possible. Marguerite semblait me voir avec plaisir. Ma petite cousine n'?tait pas indiff?rente, et mon cousin ?tait fort timide. Comme il ?tait le seul jeune homme que je pouvais fr?quenter sans soup?ons, j'avais d'abord pens? ? m'adresser ? lui. Il aurait pu me soulager de toutes les ?nigmes qui me tourmentaient depuis que je m'?tais cach?e dans l'alc?ve. J'?tais tr?s aimable avec lui, m?me provocante; mais il m'?vitait toujours. Il ?tait p?le et maigre, ses yeux inquiets et troubles. Cela lui ?tait tr?s d?sagr?able quand je le touchais pour le chicaner. J'appris bient?t la raison de cette conduite, d'autant plus ?trange que tous les jeunes gens que je connaissais dans la soci?t? courtisaient les demoiselles. Nous arriv?mes ? la propri?t? de mon oncle sur les huit heures du soir. Il faisait tr?s chaud. Fatigu?s de la route, nous nous h?t?mes de monter dans nos chambres pour faire un brin de toilette. Nous pr?mes le th?. Tr?s na?vement, je m'arrangeai de fa?on ? coucher dans la chambre de la gouvernante. Je pr?tendis avoir peur de coucher toute seule dans ma chambre ?trang?re. On trouva cela tout naturel. J'avais impos? ma volont?, j'?tais contente, convaincue d'arranger aussi tout le reste d'apr?s mes plans. Pourtant, je ne devais pas aller au lit sans avoir encore une aventure ce jour-l?. Aujourd'hui encore, je ne puis la raconter sans d?go?t. Apr?s le th?, je voulus soulager un besoin naturel. Il y avait deux portes, c?te ? c?te. Les deux lieux ?taient s?par?s par des planches, dont quelques-unes ?taient tr?s largement fendues. Je voulais justement sortir, quand j'entendis que quelqu'un s'approchait. On entra dans le cabinet d'? c?t?. On verrouilla la porte. Je ne voulais pas sortir avant que mon voisin s'?loign?t. Par curiosit? et sans mauvaise pens?e, je regardai par une fente. Je vis mon cousin. Il s'occupait de toute autre chose que je croyais. Il s'?tait assis les jambes allong?es et t?chait de r?veiller sa l?thargie avec beaucoup de feu, et je vis que l'op?ration prenait bient?t une excellente tournure. Ainsi que mon corps ne pouvait pas ?tre compar? ? celui de ma m?re, celui de mon cousin ne pouvait l'?tre avec le corps de mon p?re. Il s'occupait avec beaucoup de constance. Ses yeux si froids s'anim?rent peu ? peu. Je le vis frissonner, crisper ses l?vres et tout ? coup le r?sultat de tant d'efforts apparut, r?sultat encore ?nigmatique pour moi. Je regardai par terre pour me rendre bien compte du but qu'avait poursuivi la main, maintenant immobile et fatigu?e. Ce spectacle m'expliquait bien des choses, particuli?rement tout ce que mes parents avaient dit, et je savais ce que Marguerite avait remplac? artificiellement. Tout cela me r?pugna outre mesure. Pourtant, durant ce spectacle, une nervosit? grandissante s'?tait m?l?e ? ma curiosit?. Mais maintenant, en voyant la prostration et l'abattement de ce jeune homme, son p?ch? secret me d?go?tait. Ses yeux ?taient fixes et troubles. Mes p?re et m?re ?taient beaux, quand ils criaient <
Je me sentais comme personnellement offens?e, frustr?e de quelque chose. Si avec un peu d'adresse il s'?tait adress? ? moi, je lui aurais probablement fait tout ce que ma m?re avait fait ? mon p?re, ce qui l'avait ravi.
J'avais appris bien des choses. J'en tirai de justes conclusions. Je n'avais plus besoin que de l'initiation de Marguerite pour ?tre compl?tement ?clair?e. Je voulais absolument savoir pourquoi on cachait si soigneusement ces choses; je voulais savoir ce qui ?tait dangereux, ce qui ?tait d?fendu, et voulais go?ter moi-m?me ces volupt?s dont j'avais vu les ?clats.
La nuit tombait. Un lourd orage se pr?parait. ? dix heures, au premier coup de tonnerre, nous all?mes tous nous coucher. Ma petite cousine couchait dans la chambre de ses parents; j'?tais donc seule avec Marguerite. J'observais tr?s attentivement tout ce qu'elle faisait. Elle verrouilla la porte, ouvrit sa sacoche et mit ses effets dans une armoire. Elle cacha le paquet myst?rieux sous une pile de linge, ainsi que le livre dans lequel je l'avais vue lire. Je r?solus aussit?t de profiter de mon s?jour ? la campagne pour prendre connaissance de ces objets et les ?tudier soigneusement. Marguerite devait tout me confesser, sans que j'eusse besoin de la menacer de r?v?ler ses joies secr?tes. J'?tais tr?s fi?re de sentir que ma ruse allait la surprendre, la convaincre, la r?duire; que j'allais l'obliger ? m'avouer tout, sans autre subterfuge. Ma curiosit? grandissait et je ne sais pas pourquoi je go?tais un plaisir particulier.
L'orage ?clata. Les coups de tonnerre se succ?daient sans interruption. Je fis semblant d'avoir tr?s peur. Marguerite venait ? peine de se coucher qu'au premier ?clair je sautai hors de mon lit et je me r?fugiai toute tremblante aupr?s d'elle. Je la suppliai de bien vouloir me recevoir; je lui dis que ma m?re le faisait ? chaque orage. Elle me prit dans son lit, me caressa pour me tranquilliser. Je la tenais enlac?e, je la serrais de toutes mes forces. ? chaque ?clair, je me blottissais contre elle. Marguerite m'embrassait machinalement, par bont? et non comme je l'aurais d?sir?. Je ne savais comment faire pour obtenir davantage.
La chaleur de son corps me p?n?trait et me r?jouissait beaucoup. Je cachais mon visage entre ses seins. Un frisson inconnu me courait le long des membres. Pourtant je n'osais pas toucher ce que je d?sirais tant. J'?tais pr?te ? tout et je n'avais plus aucun courage, maintenant que tout allait s'accomplir. Tout ? coup, je m'avisai de me plaindre d'une douleur qui si?geait assez bas. Je ne savais pas ce que cela pouvait ?tre. Je g?missais. Marguerite me t?ta et je guidai sa main de-ci de-l?. Je lui assurai que la douleur diminuait quand je sentais la chaleur de sa main et qu'elle disparaissait compl?tement quand elle me frictionnait. Je disais cela si candidement que Marguerite ne pouvait pas deviner mon dessein. Ses attouchements ?taient d'ailleurs beaucoup trop dociles et non pas passionn?s. Je l'embrassais, je me serrais contre elle, mes bras l'?treignaient, emprisonnaient son buste et, peu ? peu, je sentis que d'autres sentiments l'envahissaient.
Sa main me caressait avec pr?caution, avec timidit? m?me, mais avec cette timidit? s?re d'elle-m?me et qui finit par arrivera ses fins. Marguerite allait avec beaucoup d'h?sitation encore. Elle ?tait aussi craintive que moi. Ces caresses peureuses me causaient pourtant un plaisir indicible. Je sentais que chez elle aussi des d?sirs s'?veillaient. Mais je me gardai bien de lui avouer que ses caresses me faisaient plus de bien que le soulagement passager de mes pr?tendues douleurs. Et, en v?rit?, c'?tait une sensation tout autre que de savoir une main ?trang?re sur moi!
Une chaleur ravissante p?n?trait tout mon corps. Et quand son doigt me fr?lait, comme le papillon fr?le la fleur ?panouie, je tressaillais longuement. Je lui dis alors que ma douleur persistait, que j'avais d? me refroidir, puisque j'avais si mal. Cela lui faisait ?videmment plaisir de pouvoir soulager mon mal avec si peu de peine. Sa caresse se faisait exquisement douce, maintenant elle descendait, s'attardait de plus en plus aux endroits les plus sensibles de tout mon ?tre. Mais cela me faisait r?ellement mal; quand je tressaillais, elle retournait bien vite au point douloureux. Elle s'excitait manifestement; sa tendresse augmentait, son ?treinte ?tait plus ?troite. J'avais atteint mon but. Bien que mon exp?dient ne f?t pas tr?s ing?nieux, elle se plaignit tout ? coup d'une douleur de m?me sorte que la mienne. Elle aussi s'?tait probablement refroidie. Je lui proposai de la soulager comme elle avait fait pour moi. C'?tait tr?s naturel, puisqu'elle-m?me me faisait tant de bien. Elle agr?a aussit?t mon offre et me laissa libre chemin. J'?tais tr?s fi?re de voir ma ruse r?ussir. N?anmoins je caressais gauchement et timidement l'objet de tous mes d?sirs. Je ne voulais pas me trahir. Je reconnus tout de suite une tr?s grande diff?rence. Tout ?tait beaucoup plus plein et plus m?r que chez moi. Ma main ne bougeait pas, elle se contentait de toucher.
Marguerite ne pouvait supporter cette immobilit?. Elle se soulevait, se tordait; ses bras tremblaient et s'agitaient ?trangement, et tout ? coup elle me d?clara que sa douleur exigeait plus d'activit?. Complaisamment, mais sans trop me presser, je t?chai d'apaiser cette malencontreuse douleur. J'?prouvais un grand plaisir ? reconna?tre tous les d?tails de l'admirable structure de la cr?ature humaine. Mais j'?tais toujours si maladroite et si inexp?riment?e que Marguerite devait s'agiter elle-m?me pour cueillir le fruit de sa dissimulation. C'est ce qu'elle faisait aussi et je tenais maintenant le r?le que mon p?re avait eu quand ma m?re ?tait active et lui immobile. Marguerite approchait, haletante et tremblante, elle se jetait passionn?ment sur ma chevelure, elle baisait mes cheveux jusqu'? la racine. Au d?but, ses baisers ?taient ti?des et humides, bient?t ils furent br?lants et secs. Maintenant elle poussait des petits cris inarticul?s et mon front fut tout ? coup press? dans un baiser tr?s chaud. Je compris qu'elle ?tait arriv?e aux derni?res limites de son plaisir. Son excitation se calma aussit?t, elle s'?tendit immobile ? mes c?t?s et respirait avec peine.
Tout m'avait r?ussi. Le hasard et ma ruse m'avaient ?t? propices. Je voulais mener cette intimit? jusqu'au bout, co?te que co?te. Quand Marguerite revint ? elle, elle ?tait tr?s g?n?e. Elle ne savait comment m'expliquer sa conduite et me cacher sa volupt?. Mon immobilit? la trompait. Elle pensait que j'ignorais encore tout de ces choses. Elle r?fl?chissait ? ce qu'elle devait faire, ? ce qu'elle devait me dire pour que l'aventure n'e?t pas de suites f?cheuses quant ? sa position dans la maison de mon oncle. Elle voulait me tromper sur le caract?re de la douleur qu'elle avait feinte. Moi aussi j'?tais ind?cise sur ce que j'allais faire. Devais-je faire semblant d'?tre ignorante ou justifier ma conduite en lui avouant ma curiosit?? Si je faisais l'ing?nue, elle pouvait facilement me tromper et me raconter des choses inexactes que j'aurais ?t? forc?e de croire pour ne pas me trahir. Mais j'?tais plus avide qu'anxieuse. Je r?solus donc d'?tre sinc?re, tout en lui cachant pourtant que mon calcul avait amen? le nouvel ?tat de choses. Marguerite semblait regretter de s'?tre abandonn?e ? la fougue de son temp?rament.
Je la calmai en lui racontant tout ce que j'avais appris le jour pr?c?dent. Je la suppliai de bien vouloir m'expliquer ces choses, puisque ses soupirs, ses mouvements et l'?trange fatigue qui l'avait immobilis?e m'avaient r?v?l? qu'elle ?tait initi?e. Je lui cachai cependant que je l'avais surprise, elle aussi, et que je savais ? quels jeux elle se livrait en cachette; car je voulais me convaincre qu'elle n'allait pas me tromper. Mes questions na?ves et curieuses la soulag?rent beaucoup. Elle se sentait de nouveau tr?s ? l'aise, comme une a?n?e donnant des le?ons ou des conseils ? une ing?nue. Et comme je lui racontais tout avec de nombreux d?tails, et m?me la conduite passionn?e de ma m?re, elle n'eut plus honte et m'avoua qu'? c?t? de la religion elle ne connaissait rien de plus beau au monde que les jouissances sexuelles. Elle m'apprit donc tout, et si dans la suite vous trouvez quelque philosophie dans mes notes, j'en dois les premi?res notions ? ma ch?re Marguerite, qui avait une grande exp?rience.
J'appris la conformation exacte des deux sexes; de quelle fa?on s'accomplissait l'union; avec quelles s?ves pr?cieuses ?taient atteints les buts naturels et humains, la perp?tuation du genre humain et la plus forte volupt? terrestre; et pourquoi la soci?t? voile ces choses et les entoure avec tant de myst?res. J'appris encore que, malgr? tous les dangers qui les entourent, les deux sexes peuvent quand m?me atteindre un assouvissement presque complet. Elle me mit en garde contre les suites malheureuses auxquelles une jeune fille s'expose en s'abandonnant toute. Ce que ma main inhabile lui avait procur? et ce que mon cousin avait fait ?taient de ces assouvissements presque complets. Bien qu'elle e?t connu toutes les joies de l'amour dans les bras d'un jeune homme vigoureux, elle ?tait compl?tement satisfaite en se bornant aux joies qu'elle pouvait se donner elle-m?me, car elle avait eu un enfant et elle avait connu tous les malheurs d'une fille-m?re. Elle me montra par l'exemple de sa vie qu'avec beaucoup de prudence et de sang-froid on pouvait s'adonner ? bien des jouissances. L'histoire de sa vie ?tait tr?s int?ressante et tr?s instructive; elle me fut un exemple jusqu'? ma trenti?me ann?e; elle fera le contenu de ma prochaine lettre. Pourtant j'avais d?j? devin? bien des choses par moi-m?me. Ce qu'elle m'apprit de nouveau ne cessait de me surprendre.
Tout cela ?tait tr?s beau, mais ce n'?tait toujours pas la chose m?me. Je br?lais de partager et de conna?tre moi-m?me ces sensations qui, sous mes yeux, avaient agit? jusqu'? l'?vanouissement six personnes si diff?rentes. Pendant que Marguerite parlait, j'avais repris mon jeu sur son corps qu'elle avait si sensible. J'enroulais les boucles de ses cheveux, et quand elle parlait plus passionn?ment, je pressais son front br?lant et ?cartais amoureusement les m?ches qui tombaient presque jusqu'? ses yeux. Je voulais lui faire comprendre que mon ?ducation n'?tait pas compl?te sans la pratique. Elle me racontait comment elle s'?tait abandonn?e pour la premi?re fois ? ce jeune homme qui l'avait rendue m?re. Elle voulait me faire comprendre la sensation divine que cause l'amour partag?. Elle me parlait de l'extase, de l'effusion r?ciproque et pl?ni?re; toutes ces belles choses la rendaient ?loquente. Sa petite bouche se gonflait et s'entr'ouvrait, d?couvrant ses dents blanches et bien rang?es. L'instant ?tait venu de lui rappeler encore plus vivement ces choses. Et comme elle disait: <
Elle me dit alors tristement: <
Quand je revins ? moi, j'?tais couch?e aupr?s de Marguerite. Elle avait remont? la couverture et me tenait tendrement embrass?e. Je compris tout ? coup que j'avais fait quelque chose de d?fendu. Mon d?sir et mon feu s'?taient ?teints. Mes membres ?taient bris?s. Je ressentais une violente d?mangeaison aux endroits que Marguerite avait si fertilement caress?s; le baume de ses baisers ne pouvait pas calmer ma tristesse. J'eus conscience d'avoir commis un crime et j'?clatai en sanglots. Marguerite savait que dans des cas semblables il n'y a rien ? faire avec des petites niaises comme moi, elle me tenait contre sa poitrine et me laissa tranquillement pleurer. Enfin, je m'endormis.
Cette nuit unique d?cida de toute ma vie. Mon ?tre avait chang? et mes parents le remarqu?rent ? mon retour. ?tonn?s, ils m'en demand?rent la cause. Nos relations, entre Marguerite et moi, ?taient aussi des plus ?tranges. Le jour nous pouvions ? peine nous regarder; la nuit, notre intimit? ?tait des plus fol?tres, notre conversation des plus intimes, nos plaisirs des plus agr?ables. Je lui jurai de ne jamais me laisser s?duire, et de ne jamais tol?rer qu'un homme me f?t conna?tre son ?treinte dangereuse. Je voulais jouir de tout ce qui ?tait sans danger. Quelques jours avaient suffi pour faire de moi ce que je suis encore et ce que vous avez si souvent admir?. J'avais remarqu? que tout le monde se d?guisait autour de moi, m?me les meilleures et les plus respectables. Marguerite, qui m'avait tout avou?, ne m'avait jamais parl? de cet instrument qui lui causait autant de joie que n'importe quelle autre chose et auquel elle n'aurait pas renonc? pour un empire. Je le d?sirais aussi de toute mon ?me. Elle ne me l'avait jamais montr?. L'id?e me vint de d?rober la clef de l'armoire o? il ?tait enferm?. Ma curiosit? ne me laissait pas de repos. Je ne voulais pas avoir recours aux autres, je voulais tout apprendre par moi-m?me! Durant cinq jours je n'arrivai pas ? me procurer cette clef; enfin, je la poss?dai! Je profitai de ce que Marguerite donnait une le?on ? ma cousine pour contenter ma curiosit?. Et voici que j'avais la chose en main, je la retournais, j'?prouvais son ?lasticit?. L'instrument ?tait dur et froid. J'essayai de me rendre compte de sa r?elle utilit?. En vain. Cela ?tait tout ? fait impossible. Je ne ressentais aucun plaisir. Je ne pouvais que constater cette v?rit? qui me navrait. Je me contentai de chauffer l'instrument entre mes mains. J'avais d?cid? d'ouvrir enfin la voie des fortes joies que d'autres ?prouvaient et dont je n'avais eu que l'avant-go?t. Marguerite m'avait dit que m?me entre les bras d'un homme cela ?tait douloureux, et que bien des femmes prenaient go?t ? ces choses seulement apr?s plusieurs ann?es d'abandon le plus complet ? l'homme aim?. J'essayai donc. Je chauffai l'instrument entre mes mains et je m'appr?tai non sans une certaine appr?hension. Je voulais recevoir l'h?te exigeant. Je remarquai que ces quatre nuits pass?es avec Marguerite avaient contribu? ? faire de grands changements en moi. J'?tais maintenant non plus une petite niaise, mais presque une femme comme toutes celles que je voyais agir, souffrir ou jouir autour de moi. Aussi je ne m'?pargnai pas. Je fis comme avait fait Marguerite tandis que je la regardais avec attention lors de l'?trange nuit o? nous ?tions s?par?es par un paravent, et o? elle lisait le livre ? images. J'?tais si excit?e que je supportai toute la douleur avec une constance qui m'?tonnait. Enfin, je parvins au but que j'avais si longtemps d?sir? et que je croyais devoir ?tre le paradis. Je me fis du mal et ma d?ception fut en somme tr?s vive, car je n'?prouvais pas la moindre volupt?. Il me fut aussi tr?s douloureux de me croire faite autrement que toutes les femmes. J'?tais inconsolable de cette exp?rience. Je ne comprenais rien de ce qui m'?tait arriv?, mais je ressentis tout le jour la br?lure et la douleur d'une blessure. D?senchant?e, je remis l'instrument dans sa cachette. J'?tais m?contente et j'en voulais ? Marguerite de ne m'avoir pas aid?e et de m'avoir laiss? faire quelque chose de maladroit.
Apr?s tant d'exp?riences agr?ables, celle-ci ?tait p?nible. Je craignais la nuit, les tendresses de Marguerite et sa d?couverte. Comme je l'avais d?j? tromp?e, je ne fus pas embarrass?e de le faire encore une fois. Apr?s souper, je lui confiai que j'?tais tomb?e d'une ?chelle, que je m'?tais bless?e ? la jambe et que j'avais m?me saign?. Au lit, elle m'examina et loin de se douter de ce qui ?tait arriv?, elle me confia que cette chute m'avait co?t? ma virginit?. Elle ne me plaignit point, mais bien mon futur mari qui se trouvait ainsi frustr? de mes pr?mices. Cela m'?tait bien ?gal alors et me le fut aussi plus tard! Pour ne point me fatiguer, Marguerite me renvoya dans mon lit cette nuit-l?. Je le d?sirais aussi. Elle m'enduisit de cold-cream, ce qui me fit beaucoup de bien. Le lendemain matin, je n'avais plus aucun mal. Et les deux derni?res nuits que je passai encore ? la campagne de mon oncle me d?dommag?rent de cette courte privation. Je connus alors pour la premi?re fois toute la jouissance de la volupt?, et je la connus tout enti?re autant qu'aucune femme peut la conna?tre. Les sources du plaisir s'?coul?rent si compl?tes qu'il ne me resta plus un seul d?sir. L'assouvissement m'?crasa d'une fatigue enti?re et d?licieuse.
J'?prouvais tout cela ? quatorze ans, et mon corps n'?tait pas encore m?r! Oui, et cela n'a jamais alt?r? ma sant? et n'a pas diminu? les riches r?jouissances de ma vie. Mon cousin m'avait appris ? redouter les exc?s et les prostrations qui en suivent. Gr?ce ? mon caract?re raisonnable, je ne d?passai jamais la mesure. Je soupesais toujours les suites qui pouvaient arriver, et une seule fois dans ma vie je m'oubliai assez pour perdre ma ma?trise et ma sup?riorit?. J'avais appris de bonne heure que, d'apr?s les lois de la soci?t?, il fallait jouir avec mille pr?cautions pour le faire sans pr?judices. Celui qui se heurte avec ent?tement ? ces lois n?cessaires s'y assomme, il n'a que longs remords pour de courts instants de jouissances. Il est vrai que j'ai eu la chance de tomber, d?s le commencement, entre les mains d'une jeune femme exp?riment?e. Que serait-il advenu de moi si un jeune homme s'?tait trouv? dans mon entourage et m'avait entreprise avec adresse? Gr?ce ? mon temp?rament et ? ma curiosit?, je serais un ?tre perdu. Si je ne le suis pas, je le dois aux circonstances dans lesquelles ces choses me furent r?v?l?es. Elles sont exquises autant qu'elles sont voil?es. Et pourtant elles forment le centre de toute activit? humaine. Avant de commencer ma troisi?me lettre, je remarque encore que, peu de temps apr?s mes relations avec Marguerite, se montr?rent pour la premi?re fois les signes de complet d?veloppement de mon corps.
MARGUERITE
Il est bien rare que deux femmes aient autant de points communs dans leurs penchants, dans leur vie et m?me dans leur destin que Marguerite et moi. Quand elle me mettait en garde contre un abandon trop complet ? l'homme et qu'elle me d?taillait toutes les suites malheureuses qu'une telle faute de conduite apporte lors du mariage, je n'aurais jamais pens? que moi aussi j'aurais un tel moment d'oubli. Avant de continuer, je vais vous raconter succinctement ce que j'ai appris de la vie de Marguerite, durant ces quelques nuits, et dans nos relations ult?rieures. Cela expliquera bien mieux que je ne pourrais le faire certains ?v?nements, certaines aberrations de ma vie.
Elle ?tait n?e ? Lausanne. Apr?s avoir re?u une tr?s bonne ?ducation, elle devint orpheline ? dix-sept ans. Elle poss?dait une petite fortune et croyait son avenir assur?. Mais elle eut le malheur de tomber entre les mains d'un tuteur sans conscience. Il n'?tait pas trop s?v?re, mais il lui d?tourna bient?t son petit p?cule. Peu de temps apr?s la mort de ses parents, elle entra au service d'une baronne viennoise, qui habitait une belle villa ? Morges, au bord du lac de Gen?ve. Elle prenait surtout soin de sa toilette. La baronne ?tait tr?s ?l?gante et raffin?e. Elle consacrait des heures ? sa toilette. Les premiers jours, la baronne fut tr?s r?serv?e; mais bient?t elle se fit plus aimable. Elle lui posait des questions, et entre autres si elle avait un amant. Au bout de quinze jours, voyant que Marguerite ?tait encore innocente, la baronne devint tr?s famili?re. Un beau matin, elle lui demanda si elle savait faire <
Marguerite voyait pour la premi?re fois d?voil? ce qu'elle n'avait encore jamais vu distinctement. Tr?s troubl?e, elle se mit aux soins de cette toilette, tr?s gauche, mais peu ? peu plus habile en suivant les indications de la baronne. La baronne ?tait une tr?s jolie femme blonde, d'un tr?s beau teint; elle se lavait tr?s soigneusement, si bien que cette toilette n'avait rien de r?pugnant. Marguerite me d?crivit avec beaucoup de d?tails et d'amour la conformation de sa baronne. Elle m'avoua aussi que, d'abord tr?s g?n?e, elle prit bient?t beaucoup de go?t ? cette singuli?re occupation, et surtout quand elle vit que la baronne ne restait pas indiff?rente. Celle-ci soupirait, s'agitait doucement, ouvrait et fermait les yeux, r?citait de petites pi?ces de vers. Ses l?vres rouges s'entr'ouvraient, montrant ses petites dents, et la langue parfois apparaissait hors de la bouche comme un oiseau qui montre la t?te hors du nid. Naturellement, aussit?t dans sa chambre, Marguerite essayait sur elle-m?me la toilette compl?te. Quoique inexp?riment?e, elle d?couvrit facilement que la nature avait cach? dans le corps f?minin une in?puisable source de plaisirs, et elle paracheva bient?t ce que le peigne avait commenc?. Rus?e, ainsi que toutes les jeunes filles de son ?ge, elle comprit que la baronne voulait plus que ce simple pr?lude, mais qu'elle ne voulait pas l'avouer. Elle devait bient?t se convaincre combien facile est l'accord complet quand le d?sir est r?ciproque. Pourtant, cela dura encore plusieurs semaines; chacune d?sirait que l'autre f?t le premier pas; chacune voulait ?tre s?duite, faire semblant d'accorder ses faveurs. Un jour pourtant l'?v?nement pr?vu se produisit; la baronne rejeta toute retenue et se montra telle une femme tr?s sensuelle et tr?s voluptueuse qui voulait jouir ? tout prix de sa beaut?, malgr? les liens serr?s qui la contraignaient. Elle s'?tait mari?e avec un homme bient?t impuissant et qui n'avait pu la contenter que durant les premi?res ann?es de leur union. Il avait m?me ?veill? ses d?sirs plut?t qu'il ne les avait assouvis. Ainsi que chez la plupart des femmes, son app?tit sexuel ne s'?tait ?veill? que tr?s tard. Faiblesse corporelle ou suite funeste d'anciens exc?s, bref, il ?tait toujours las; si bien qu'une envie continuelle la tourmentait. Depuis deux ans, il occupait un important poste diplomatique ? Paris, et quand il avait compris que son impuissance ?tait compl?te, il avait envoy? sa femme au bord du lac de Gen?ve. La baronne ?tait tr?s ?l?gante mais menait une vie de recluse. Marguerite avait remarqu? qu'une esp?ce de majordome, un vieil homme de mauvais caract?re, faisait l'office d'espion et rendait compte ? Paris de tout ce qu'il voyait et entendait. La baronne ?vitait toute fr?quentation masculine; elle ?tait fort prudente, les int?r?ts de sa famille l'y obligeaient. Personne de la maison ou de l'entourage de la baronne ne soup?onnait les r?jouissances secr?tes que Marguerite surprit un jour. La premi?re honte pass?e, les sc?nes les plus dissolues avaient lieu le soir et le matin entre la jeune femme et la jeune fille, entre la ma?tresse et la servante. Durant le jour, la baronne ne se trahissait jamais par la moindre familiarit?. Les jeux furent bient?t r?ciproques; Marguerite entrait nue dans le lit de la baronne, et elle n'avait pas besoin de me raconter ce qu'elles faisaient ensemble, puisque je venais de l'?prouver. Mais alors c'?tait elle qui jouait mon r?le. La baronne ?tait insatiable, elle inventait toujours de nouveaux jeux, elle savait tirer du contact de deux corps f?minins des d?lices toujours renouvel?es. Marguerite me d?clara que cette ?poque ?tait la plus heureuse et la plus voluptueuse de sa vie.
La baronne allait toutes les semaines ? Gen?ve pour faire des achats et rendre des visites. Le majordome l'accompagnait chaque fois, et Marguerite fut aussi de ces petits voyages quand elle devint plus intime avec la baronne. Celle-ci retenait toujours le m?me appartement dans un des plus grands h?tels, un salon, une chambre ? coucher, un petit cabinet pour Marguerite et, ? c?t? de celui-ci, un cabinet pour le majordome. Les portes de chaque chambre donnaient sur le corridor; les portes de communication entre les chambres ?taient ferm?es ou masqu?es par des meubles. D?s que Marguerite eut fait plusieurs fois ce voyage ? Gen?ve, elle remarqua qu'il s'y passait quelque chose de particulier que la baronne lui cachait. La toilette ne se faisait plus de la m?me fa?on et, ni soir, ni matin, il n'y avait plus d'abandons f?minins. Dans la journ?e, la baronne paraissait agit?e, inqui?te, nerveuse; son linge de nuit et son lit r?v?laient distinctement qu'elle n'avait pu passer la nuit toute seule. Le lit ?tait toujours en grand d?sordre, les chaises ?taient renvers?es et le linge de la toilette montrait des signes encore plus distincts. Marguerite la surveillait avec une esp?ce de jalousie. Elle inspectait chaque lettre, guettait chaque visite et chaque commissionnaire. Elle ne pouvait rien d?couvrir. ? chaque voyage pourtant, elle ?tait toujours plus convaincue que la baronne ne passait pas la nuit seule. En vain elle ?coutait aux portes. La baronne fermait non seulement la porte du corridor, mais aussi celle qui menait du salon ? sa chambre ? coucher. Il ?tait impossible d'?couter longtemps ? la porte du corridor, car il y passait sans cesse des voyageurs et des domestiques de l'h?tel. Marguerite passa des nuits enti?res ? sa porte entr'ouverte pour voir si quelqu'un entrait ou sortait de chez la baronne. Cette surveillance et cet espionnage dur?rent plusieurs mois, et un beau jour le hasard lui r?v?la tout. Une nuit un incendie ?clata dans le voisinage imm?diat de l'h?tel. L'h?te fit r?veiller tous les voyageurs pour les avertir du sinistre. Marguerite se pr?cipita chez la baronne qui vint, ?pouvant?e, lui ouvrir. Les reflets de l'incendie p?n?traient par la fen?tre. La baronne ?tait si terrifi?e qu'elle pouvait ? peine parler et semblait avoir perdu ses esprits. Marguerite embrassa d'un seul coup d'oeil toute la chambre et eut enfin l'?claircissement d?sir?. L'armoire, qui se trouvait devant la porte de la chambre d'? c?t?, ?tait ?loign?e du mur. Quelqu'un pouvait facilement passer derri?re. Un habit d'homme ?tait sur une chaise devant le lit, et sur la table de nuit tra?nait une montre d'homme avec des breloques. Il n'y avait plus de doute possible. La baronne remarqua que Marguerite voyait ces objets, mais elle ?tait trop troubl?e pour dire quelque chose. Marguerite empaqueta tous les effets de la baronne pour pouvoir fuir au bon moment, et elle remarqua ainsi une autre chose en baudruche qui semblait avoir ?t? employ?e. Quand la baronne se fut un peu calm?e, elle cacha imm?diatement cette chose dans son mouchoir. Le feu fut ma?tris? et cet incident n'amena pas de changement dans leurs relations. Au matin, avant de quitter Gen?ve, Marguerite apprit des domestiques de l'h?tel qu'un jeune comte russe habitait la chambre contigu? ? celle de la baronne. Les chambres se trouvaient justement ? un coude du corridor, si bien que le comte pouvait entrer et sortir sans passer devant l'appartement de la baronne, en employant l'escalier de l'autre aile de l'h?tel. Marguerite comprenait tout. La baronne devait avoir des relations avec ce jeune comte russe. Mais cela l'offensait qu'elle le lui e?t cach?. Sur la route de Morges, la baronne jeta son mouchoir dans un endroit d?sert. De retour ? Morges, la vie reprit son traintrain coutumier. La baronne ne savait si elle devait tout avouer ? Marguerite. Elle remarquait bien que celle-ci savait tout. Lors du prochain voyage ? Gen?ve, Marguerite passa tous ses moments de libert? dans le corridor. Elle y rencontra plusieurs fois le comte russe, jeune, beau et ?l?gant. ? la deuxi?me rencontre il se d?tourna, ? la troisi?me il l'accosta. Quand il apprit qu'elle ?tait la femme de chambre d'une dame habitant l'h?tel--Marguerite ne lui dit pas le nom de sa ma?tresse--il ne fit pas tant de difficult?s et lui demanda de le suivre dans sa chambre. Sans autre d?sir que celui de la curiosit?,--c'est du moins ce qu'elle m'affirma ? diff?rentes reprises--elle le suivit. Personne n'?tait dans le corridor, il l'entra?na dans sa chambre, l'embrassa, lui t?ta les seins et sut, malgr? sa d?fense ?nergique, se convaincre qu'elle ?tait par ailleurs tout aussi jeune et bien faite. Pendant que la main du jeune homme se divertissait ainsi de la plus agr?able fa?on, Marguerite examinait la chambre. Elle remarqua la porte qui menait ? la chambre de la baronne et elle eut vite con?u son plan. Le prince voulait imm?diatement la chose s?rieuse, mais se heurta ? une r?sistance irrit?e. Il se contenta de la promesse que Marguerite lui fit de venir la nuit, quand sa ma?tresse serait endormie. Elle ne voulait venir que tard apr?s minuit, quand le corridor serait sombre. Il r?fl?chit, et Marguerite s'amusait beaucoup de savoir ? quoi il pensait. Mais cette nouvelle connaissance fut plus forte que ses scrupules, il lui donna rendez-vous ? une heure. Elle se fit remettre la cl? de la chambre afin de pouvoir rentrer au bon moment. Elle triomphait. Elle fixa son plan dans les moindres d?tails. La baronne cong?dia Marguerite ? dix heures et ferma soigneusement les portes derri?re elle. Mais au lieu de rentrer chez elle, Marguerite ?couta ? la porte de la baronne. Au bout d'un instant, celle-ci chantonna une m?lodie, ce qu'elle ne faisait jamais; puis elle heurta l?g?rement ? la paroi. Marguerite entendit que l'on remuait l'armoire et que la porte s'ouvrait. Elle savait maintenant que le comte ?tait chez la baronne; elle se pr?cipita dans la chambre du Russe et entra sans bruit, apr?s s'?tre assur?e que personne ne la remarquait. Un rayon de lumi?re venait par la porte entr'ouverte de la chambre contigu?. Elle pouvait ais?ment observer tout ce qui se passait chez la baronne. Celle-ci, renvers?e sur le lit, ?tait dans les bras du comte, qui lui couvrait le cou, la bouche et les seins de baisers br?lants, tandis que sa main, qui lui caressait les seins, remontait ? tout moment vers le front et les beaux cheveux blonds de la baronne. La baronne ?tait une tr?s belle femme; ses charmes pourtant ne fix?rent point les yeux de Marguerite qui se port?rent, pleins de curiosit?, sur ce qu'elle ne connaissait pas encore. Le prince se d?shabilla rapidement, il ?tait aussi beau que robustement b?ti. Marguerite voyait pour la premi?re fois ce que nous, femmes, nous osons bien ressentir, mais dont nous n'osons pas parler. Quel fut son ?tonnement de voir la baronne l'enfermer dans une chose semblable ? celle qu'elle avait cach?e d'abord dans son mouchoir, puis jet?e sur la route de Morges et qu'elle sortit d'une bo?te pos?e sur la table de nuit! Cette chose, termin?e ? l'un de ses bouts par un cordon rouge, ?tait l'invention du c?l?bre m?decin fran?ais Condom. Apr?s avoir termin? cette ?trange toilette, elle regarda de toutes parts, comme pour voir si personne ne l'?piait. Puis elle ?couta avec volupt? les paroles douces et tendres que le comte lui murmurait. Elle lui en disait autant en caressant sa jolie t?te bien fris?e. Ils paraissaient s'aimer depuis longtemps et bien se conna?tre, car ils n'avaient aucune g?ne. Marguerite n'en vit pourtant pas autant que moi de mon alc?ve, car la baronne remonta la couverture. Elle ne voyait que les deux t?tes, bouche ? bouche, buvant des baisers. Puis le comte poussa un profond soupir auquel r?pondit un autre soupir de la baronne. Ils rest?rent un bon quart d'heure ?troitement enlac?s, sans que la baronne d?tend?t son ?treinte, et Marguerite m'avoua qu'elle avait des fourmis dans les jambes ? cause de tous les d?sirs extraordinaires qu'elle ?prouvait. Mais elle m'avoua aussi qu'apr?s ce qu'elle venait d'apercevoir elle d?sirait une autre satisfaction.
Marguerite m'apprit aussi le but et l'emploi de l'engin de s?ret? qui ?vitait tant de malheurs et de honte dans le monde. Elle en comprit imm?diatement l'usage quand elle vit la baronne tirer le cordon rouge qui pendait et en plaisantant, en souriant, d?poser le tout sur la table de nuit. C'?tait donc le paratonnerre d'une ?lectricit? pleine de dangers et qui permettait aux filles, aux veuves et aux femmes vivant aux c?t?s d'un homme fatigu? de s'adonner sans crainte ? l'amour. Marguerite en avait assez vu. Elle pouvait obliger la baronne ? se confesser. Quoique pleine de feu, elle renon?a de faire encore cette nuit plus ample connaissance avec le comte. Elle voulait ?tre s?re qu'il emploierait aussi ce pr?servatif; elle ne voulait pas trop risquer. Elle me dit aussi qu'il lui aurait ?t? d?sagr?able d'?tre la deuxi?me. Elle regagna prudemment sa chambre, mais en claquant la porte derri?re elle. Elle jubilait, le prince allait l'attendre vainement une partie de la nuit. Elle avait tous les fils en main pour dominer la situation. Elle voulait participer ? ces jeux. Elle voulait se venger de la baronne, qui n'avait pas voulu d'elle comme confidente. Elle r?fl?chit toute la nuit ? la fa?on de profiter de ses avantages. Vous serez ?tonn? d'apprendre comment Marguerite con?ut son plan et avec quels subterfuges elle l'appliqua. La ruse est une qualit? essentielle au caract?re f?minin, j'en ai vu des exemples admirables. Pour tout ce qui a trait ? la divine volupt?, la ruse et la dissimulation naturelles de la femme s'aiguisent jusqu'? un degr? incroyable. La plus niaise devient inventive, pouss?e par le caprice, l'envie ou l'amour. In?puisables sont les moyens que les filles et femmes emploient pour arriver ? leurs fins!--Avant que la baronne ne f?t r?veill?e, Marguerite alla heurter ? la porte du comte. Il vint lui ouvrir en grand n?glig?, pensant que c'?tait un domestique. Il fut tr?s ?tonn? de voir entrer Marguerite, qu'il avait vainement attendue apr?s minuit. Il voulait lui faire des reproches, l'attirer dans son lit et rattraper imm?diatement le temps perdu, mais il changea imm?diatement de conduite quand ce fut elle qui lui fit des reproches. Elle lui dit qu'elle ?tait venue un peu plus t?t qu'? l'heure convenue et qu'elle avait vu ce qu'il faisait avec la baronne--sa ma?tresse!--Elle pouvait obtenir une forte r?compense en racontant cela au baron. Pourtant elle ne voulait pas le faire, ? la condition de pouvoir participer ? leurs jeux avec la m?me garantie de s?ret?. Elle voulait m?me aider la baronne dans ses plaisirs et favoriser leur liaison.--Le comte ne disait mot, il ?tait trop ?tonn?. Il ?tait pr?t ? tout, pourvu qu'elle se t?t, car si sa liaison avec la baronne ?tait ?bruit?e, les deux familles ?taient expos?es ? de grands dangers. Elle lui communiqua son plan entier et exigea qu'il l'accompl?t avant le d?part de la baronne qui devait s'effectuer le matin m?me. ?tonn? de la perspicacit? de cette jeune fille et heureux de voir ses plaisirs se compliquer d'une aussi agr?able fa?on, le comte acquies?a ? tout. Et quand Marguerite lui laissa pleine libert?, il fut encore plus ?tonn? de la trouver intacte. Il ne pouvait souhaiter une plus aimable camarade ? ses yeux. Il voulut m?me lui prouver sur-le-champ son enthousiasme, mais Marguerite se d?battit ?nergiquement, si bien que sa passion n'en devint que plus vive. Il ne pouvait attendre le moment d'ex?cuter leur plan. Marguerite avait go?t? assez de choses en cette unique visite pour ne pas accorder la possession enti?re d'un aussi charmant jeune homme ? la seule baronne. Ils fix?rent encore tous les d?tails de tout ce qui devait se passer une heure plus tard. Marguerite accorda au beau comte nombre de choses charmantes, sauf ce qu'il d?sirait le plus; elle quitta la chambre en le laissant tout en feu. La baronne sonna ? sept heures, ouvrit sa porte et se recoucha. Marguerite mit tout en ordre, pr?para les bagages et servit enfin le d?jeuner. Tout ?tait pr?t. Le comte attendait dans sa chambre le signal convenu. Marguerite passa enfin dans le salon, en claquant la porte. C'?tait le signal. Le comte ouvrit sa porte, repoussa l'armoire et se pr?cipita tout ? coup sur la baronne terrifi?e. Il la couvrit de baisers. La baronne ne pouvait articuler une parole, elle ?tait trop troubl?e, elle d?signait du doigt la porte du salon dans lequel Marguerite fermait bruyamment les bagages. Le comte fit semblant de pousser le verrou. Puis il supplia la baronne de bien vouloir lui accorder une derni?re fois sa supr?me faveur. Elle avait ?t? si s?duisante la nuit qu'il craignait de tomber malade si elle n'?coutait son d?sir. Il lui assura qu'il s'?tait d?j? rev?tu de l'engin de s?ret? et qu'elle n'avait rien ? craindre. La baronne, sans doute pour se d?barrasser au plus vite de l'importun, c?da ? ce d?sir et re?ut le t?m?raire. Le comte soupirait; tout ? coup il poussa un profond soupir et Marguerite, qui ?coutait derri?re la porte, entra subitement. Feignant d'?tre saisie par le spectacle qui s'offrait ? sa vue, elle laissa tomber ce qu'elle tenait en main. Elle fixait des yeux d?mesur?s sur le lit. La baronne, les yeux ferm?s, attendait visiblement l'instant supr?me; cependant elle ?tait terrifi?e, car elle risquait tout, honneur et fortune. Le comte poussa un juron russe, incompr?hensible, et se jeta sur Marguerite. Il s'?criait plein de rage: <
Marguerite voulait fuir, mais le comte lui barra la porte. Il la regardait avec des yeux terribles, comme s'il allait l'?trangler. La baronne assistait plus morte que vive ? cette sc?ne. Soudain, comme s'il venait d'y penser, le prince s'?cria: <
En disant cela, il empoigna Marguerite, qui faisait semblant d'?tre ?pouvant?e, la renversa sur le lit, ? c?t? de la baronne encore nue et tremblante, la pr?para et se jeta avec la plus grande violence sur elle. Marguerite se tordait, faisait semblant de vouloir ?viter cette emprise, et cependant elle s'offrait toujours plus. Elle ne lui permit rien avant de s'?tre assur?e qu'elle n'avait rien ? craindre. Il ?tait encore rev?tu de l'appareil qui avait rassur? la baronne. Puis elle se laissa aller, feignant de se rendre ? sa violence. Elle g?missait faiblement, suppliait la baronne de l'aider, de la pr?server contre la rage de ce forcen?. Int?rieurement, elle ?tait toute aux sensations qui remplissaient son ?me. Elle jouissait sournoisement d'avoir tromp? la baronne, de la vaincre, d'?tre l?, ? c?t? d'elle, sur son propre lit, dans les bras du bel homme qui ne lui avait pas ?t? destin?. Malgr? sa violence apparente, le comte la maniait avec tendresse et douceur; il provoquait lentement les sensations les plus pr?cieuses qui pouvaient la r?jouir sans danger. La baronne ?tait non seulement pr?sente, mais elle dut encore apaiser Marguerite qui pleurait et la prier de ne pas crier si fort. Comme la crise approchait, le comte lui dit en outre: <
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