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Ebook has 466 lines and 101469 words, and 10 pages
PAUL BOURGET
La Terre promise
SEPTIEME MILLE
M DCCC XCII
OEUVRES DE PAUL BOURGET
?dition elz?virienne
PO?SIES . Au bord de la Mer. -- La Vie inqui?te. -- Petits Po?mes. 1 vol. 6 >> PO?SIES . Edel. -- Les Aveux. 1 vol. 6 >> L'IRR?PARABLE. -- L'Irr?parable. -- Deuxi?me Amour. -- Profils perdus. 1 vol. 6 >> CRUELLE ?NIGME. 1 vol. 6 >>
?dition in-18
L'IRR?PARABLE. -- L'Irr?parable. -- Deuxi?me Amour. -- Profils perdus. 1 vol. 3 50 PASTELS . 1 vol. 3 50 NOUVEAUX PASTELS . 1 vol. 3 50 CRUELLE ?NIGME. 1 vol. 3 50 UN CRIME D'AMOUR. 1 vol. 3 50 ANDR? CORN?LIS. 1 vol. 3 50 MENSONGES. 1 vol. 3 50 LE DISCIPLE. 1 vol. 3 50 UN COEUR DE FEMME. 1 vol. 3 50 PHYSIOLOGIE DE L'AMOUR MODERNE. 1 vol. 3 50 LA TERRE PROMISE. 1 vol. 3 50
ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE. 1 vol. 3 50 NOUVEAUX ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE. -- 1 vol. 3 50 ?TUDES ET PORTRAITS. 2 vol. 7 >> SENSATIONS D'ITALIE. 1 vol. 3 50
COSMOPOLIS, roman. 1 vol. in-8?, illustr? par Duez, Jeanniot et Myrbach. Broch? 10 fr., reli? 15 fr.
LES NOSTALGIQUES, po?sies 1 vol. TROIS ?MES D'ARTISTES, roman 1 vol.
Paris, 5 octobre 1892.
La Terre promise
EN PLEIN R?VE.
La comtesse Louise Scilly avait dit ? sa fille Henriette et ? Francis Nayrac, le fianc? de cette jolie enfant: -- <
Dans ce d?cor de solitude, anim? uniquement par le frisson des feuillages ou par le vol d'un cygne dont les ailes mutil?es rasaient l'eau dormante d'un invisible ?tang, les yeux de la m?re revenaient sans cesse vers la portion du vaste et lumineux jardin o? se promenaient les deux fianc?s. Leur pas lent, incertain, distrait, -- ce pas d'un couple heureux et dont les moindres mouvements s'harmonisent, s'?pousent pour ainsi dire d'un inconscient accord, -- les ?loignait tour ? tour et les rapprochait. Ils disparaissaient, puis reparaissaient au tournant des all?es. Ils marchaient, s'arr?taient, marchaient de nouveau. Ils se regardaient, parlaient, se taisaient, si d?licieusement exalt?s et ravis par ce ciel bleu, cette clart? du jour, ces arbres, ces eaux, ces fleurs, par eux-m?mes surtout, par cette magie de la pr?sence aim?e, qui mettrait le printemps l? o? r?gne l'hiver; et, ajout?e ? l'enchantement d'une heure enchant?e, peu s'en faut qu'elle ne d?passe les forces de l'?me! Henriette et Francis avaient autour de leurs personnes ce myst?rieux rayonnement que projette l'extr?me bonheur. Ils ?taient comme soutenus, comme soulev?s par cet intime esprit de f?licit? que r?v?le chaque geste de deux ?tres qui se ch?rissent enti?rement, absolument. Jamais la taille souple de la jeune fille n'avait ?t? plus souple, son fin sourire plus fin, jamais son visage plus d?licat, ses yeux plus bleus, sa joue plus ros?e, sa bouche plus spirituelle, l'or de ses cheveux plus soyeux et plus brillant. Jamais non plus la physionomie, volontiers concentr?e et r?fl?chie, de Francis, ne s'?tait ?clair?e d'une pens?e plus radieuse. La flamme noire de ses prunelles s'adoucissait pour contempler celle qui serait bient?t sa femme, dans des regards follement caressants. ? la mani?re dont il lui donnait le bras pour la soutenir, tout le g?nie protecteur d'un d?vouement d'homme se devinait. Elle ?tait si jeune, si mince, si fragile, malgr? ses vingt-trois ans, qui en paraissaient ? peine dix-huit, au lieu que ses trente-quatre ans ? lui ?taient bien marqu?s sur son masque bistr? et creus?, si m?lancolique parfois au repos, et transfigur? ? cette minute par un magn?tisme de f?licit?. C'?tait comme une vision d'un r?ve r?alis? que cette promenade, pour le tendre t?moin qui contemplait les deux fianc?s, pour cette m?re qu'ils n'oubliaient pas m?me dans leur extase, car, ? chaque passage pr?s du banc de marbre, Henriette la saluait d'un sourire et d'un regard. Elle n'e?t pas d?tourn? sa blonde t?te que Mme Scilly ne lui en e?t certes pas voulu. Mais que sa fille lui gard?t une place dans son bonheur, cette ?vidence lui ?tait aussi r?chauffante que ce soleil m?ridional aux rayons duquel son pauvre corps se caressait, pour y reprendre un peu de force, quelques ann?es de vie encore, et elle songeait:
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En pronon?ant mentalement cette parole, la pauvre femme reculait de quinze ans en arri?re, jusqu'? l'automne, si terrible pour elle, de 1871. Au lieu du vert et silencieux jardin o? passaient et repassaient ses deux enfants, -- comme elle les appelait en les b?nissant ensemble dans son coeur, -- elle revoyait une chambre de malade, par un matin de novembre aussi, mais d'un novembre parisien, froid, sinistre et noir. Elles ?taient l? toutes deux, Henriette et elle-m?me, agenouill?es au pied d'un lit sur l'oreiller duquel se d?tachait une face douloureuse et p?le, celle du commandant Scilly, qui venait de mourir. Apr?s des mois et des mois de souffrance, il avait succomb? aux suites des blessures re?ues dans un des combats sous Metz. Il s'?tait conduit l? en digne petit-neveu du fameux comte Scilly, le h?ros de Leipsick, celui qui avait m?rit? d'?tre lieutenant dans un de ces r?giments d'officiers sans r?giments, que Napol?on forma en Russie avec le titre d'escadrons sacr?s. Quoique tous les Scilly aient ?t? dans l'arm?e depuis ce h?ros du premier Empire jusqu'? l'actuel divisionnaire de ce nom, et qu'une femme de soldat doive ?tre pr?par?e ? ces cruels sacrifices, la comtesse avait cru devenir folle d'inqui?tudes d?s les premiers jours qui avaient suivi la d?claration de guerre. Puis, ayant rejoint son mari en Allemagne, elle l'avait ramen? ? Paris pour le disputer ? la mort avec une passion qui l'avait, en quelques semaines, vieillie de dix ans. ? ce chevet du lit de mort du seul homme qu'elle e?t aim?, elle n'avait repris le courage de vivre qu'en embrassant sa fille, l'unique enfant qui lui rest?t des cinq qu'elle avait eus, pauvre petite cr?ature si fragile, si sensible, si consciente d?j? de son sort de demi-orpheline! Ses larmes le disaient assez, et ses soupirs, et l'?treinte d?sesp?r?e dont elle saisissait sa m?re en lui criant: <
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C'est par milliers que la veuve inconsol?e avait prononc? tout bas de ces monologues de sollicitude maternelle plus fr?quents et plus press?s ? mesure que le temps avance. Ils aboutissent alors ? des projets caress?s complaisamment, puis d?jou?s par une de ces rencontres non pr?vues ? la suite desquelles un h?te nouveau entre en sc?ne, l'inattendu, l'irr?sistible amour. La comtesse Scilly avait, durant ces ann?es trop courtes ? son gr?, d?ploy? son soin le plus constant ? entourer Henriette d'amies irr?prochables et pieuses comme elle-m?me. Elle s'?tait appliqu?e ? graduer de son mieux la prudente reprise de ses relations de monde. Elle avait voulu que pas une des habitudes de fine aristocratie qu'elle pratiquait ? l'?poque de ses jeunes ?l?gances ne f?t perdue pour sa fille, et elle avait appel? ? elle tout le secours de son exp?rience premi?re pour ?tudier avec une sollicitude passionn?e les quelques jeunes gens m?l?s ? leur petit cercle de soci?t?. Puis ce fut d'un inconnu que son enfant se trouva ?prise, de ce Francis Nayrac au bras duquel la m?re la regardait se promener ? pr?sent avec une confiance si ?mue, presque si reconnaissante, -- et dix petits mois plus t?t elle ne connaissait ce nom que pour l'avoir entendu mentionner par la g?n?rale de Jardes, qui ?tait une parente ?loign?e du jeune homme. C'?tait aussi chez Mme de Jardes que la pr?sentation avait eu lieu, par hasard, ? une visite d'o? Francis ?tait sorti si troubl? du charme d'Henriette, qu'il ?tait retourn? le lendemain en parler ? sa parente. Des incidents avaient suivi, d'un ordre bien simple, bien banal, pareils ? tous ceux dont s'accompagne un mariage ainsi commenc? sur le subit enthousiasme d'un gar?on lass? de sa solitude, et auquel servent de complices la secr?te sympathie de la jeune fille d'une part, de l'autre la bienveillance d'une commune amie enchant?e de ce r?le d'interm?diaire. C'est un lieu commun d'observation que toutes les femmes s'y complaisent, qu'il s'agisse d'un amour l?gitime ou ill?gitime! De nouvelles rencontres plus ou moins adroitement pr?par?es, le constant et long ?loge de Francis fait par Mme de Jardes, la pr?sence du jeune homme dans tous les endroits o? il pouvait s'approcher de Mlle Scilly sans que personne comment?t ses assiduit?s, un changement plus marqu? dans les mani?res d'Henriette, si visiblement pr?occup?e et boulevers?e, -- tels avaient ?t? les ing?nus, les na?fs ?pisodes de ce petit roman. Chacun repr?sentait pour la m?re une ?motion profonde, et une supr?me, l'entretien qu'elle s'?tait d?cid?e enfin ? provoquer avec sa fille. Cette derni?re avait avou? le secret nouveau de son coeur, sans h?siter, mais tremblante comme en ce moment tremblaient au-dessus du banc de marbre les feuilles d'un fr?ne pleureur agit? doucement par la faible brise. Elle aimait Francis. H? quoi! sans rien savoir de lui davantage? Sans qu'un mot d'entente e?t ?t? ?chang? entre eux? Par quelle myst?rieuse correspondance de sentiments?... Mme Scilly se rappelait s'?tre pos? ces questions avec effroi dans la nuit qui avait suivi cet aveu, et devant cette premi?re ?motion de sa fille qui n'?tait plus ? elle seule, elle avait ?prouv? une de ces jalousies morales, si profondes, si passionn?es, -- plaies saignantes des plus nobles m?res, et si profondes qu'elles sont impossibles ? gu?rir, sinon par la vue de la f?licit? absolue de leur enfant. Oh! Comme la comtesse avait pri? cette nuit-l?! Comme elle avait demand? un secours d'en haut qui lui marqu?t son devoir! Avec quelle prudence et quel tremblement int?rieur, elle aussi, elle avait, sur le conseil du p?re Juvigny, le vieux Dominicain, son directeur, proc?d? ? une enqu?te comme tous les parents en ont fait de tous les temps. H?las! S'il fallait une preuve pour d?montrer combien le sort des plus prudents est domin? par un pouvoir incompr?hensible et ingouvernable, o? la trouverait-on mieux que dans cette incapacit? d'un p?re et d'une m?re, m?me bien vigilants, ? conna?tre avec exactitude la vie et le caract?re de celui qui doit faire tout le bonheur ou tout le malheur d'une enfant idol?tr?e et pr?serv?e pendant des ann?es? Mme Scilly s'adressa de droite, de gauche, dans des visites qui furent comme les interm?des comiques de ce drame sentimental. N'est-ce pas un drame en effet et de l'int?r?t le plus poignant qui se joue dans ces entretiens o? d'un mot prononc? ? la l?g?re d?pendront deux avenirs dont l'un est si d?pourvu de d?fense? Et voici le type des r?ponses obtenues apr?s d'infinis d?tours de causerie:
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-- <> avait r?pondu la g?n?rale. <
Que ces conversations, et d'autres analogues, ?taient loin! Cependant elles ne dataient que du printemps. Encore aujourd'hui et quand elle repassait en esprit les semaines d?cisives de juillet qui s'?taient termin?es par les fian?ailles de Francis et d'Henriette, Mme Scilly s'?tonnait elle-m?me de la rapidit? avec laquelle avaient march? des ?v?nements dont elle avait toujours pens? qu'ils seraient si lents au contraire, si compliqu?s, si r?fl?chis. Mais elle se sentait faible depuis bien longtemps, et elle appr?hendait avec tant d'anxi?t? de laisser sa fille sans protecteur. Elle la voyait, elle qui connaissait l'histoire enti?re de ce coeur depuis sa premi?re ?motion, sinc?rement, profond?ment envahie par un amour aussi entier qu'il avait ?t? rapide et inattendu. Elle savait que chez Henriette les sentiments n'?taient pas chose d'une heure, et, cet amour une fois d??u, elle tremblait que la ferveur religieuse de la jeune fille ne la tourn?t vers quelque autre r?solution. Elle avait tant de fois devin? quel attrait de mystique asile le couvent exer?ait sur cette imagination tendre! Elle croyait deviner d'autre part dans Francis un homme rare, une irr?prochable v?rit? de coeur. Quoique bien ?trang?re aux pr?occupations de convenance mondaine, elle ne pouvait s'emp?cher de calculer que ses enfants auraient tout de suite ? eux deux plus de soixante mille francs de rente. Enfin elle avait dit: <
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Elle les regardait de nouveau marcher dans l'all?e, tandis que les vertes palmes semblaient s'incliner sur eux pour les prot?ger, et que le vent ?veillait dans les pins le vague murmure d'un oc?an endormi. Son ?me s'?chappait d'elle pour les suivre, pour leur souhaiter un ciel int?rieur aussi caressant toujours, aussi bleu que celui qui les enveloppait ? cet instant de son lumineux azur. Elle savait, quoiqu'elle n'entend?t pas m?me le bruit de leurs ch?res voix, qu'ils l'associaient de leur c?t? au charme de cette promenade, et c'?tait vrai qu'en se parlant d'eux, ils se parlaient d'elle. Ils la m?laient si naturellement ? l'avenir dans lequel ils avaient cette confiance enivr?e de ceux qui s'aiment d'un amour permis. Oui, quel r?ve ils r?alisaient dans ce cadre de paradis, elle si tendre, si fi?re, n'ayant connu de la vie que ses heures pures, lui encore assez jeune pour ne pas craindre de vieillir avant elle, assez ?prouv? par les passions pour savoir le prix de ce qu'il avait rencontr? dans cet ?tre pour lui unique! Et ils causaient, ou mieux, ils pensaient, ils sentaient tout haut, ne cherchant pas leurs paroles, mais chaque phrase avait pour eux la secr?te, la p?n?trante magie de l'intimit? toute prochaine. Rien que le son de leur voix leur faisait savourer d'avance d'innombrables minutes d'amour, comme en allant et en venant dans le jardin ils respiraient l'arome de toutes les fleurs et de tous les feuillages qu'ils ne voyaient pas.
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Ils s'arr?t?rent pour ?changer un long regard. Il lut ? travers ces beaux yeux bleus jusqu'au fond de cette ?me qui ?tait ? lui. Dans cette ch?re ?me tout ?tait candeur et v?rit?. Il n'y avait pas un repli o? il ne devin?t la plus irr?prochable, la plus passionn?e des tendresses. Sur ce coeur virginal rien n'avait jamais pass?, pas un frisson, pas une ombre. Autour de leur silence les palmes continuaient de palpiter, le vent de murmurer dans les pins, les buissons de roses et les citronnelles d'exhaler un l?ger parfum vaguement musqu?, l'ombre des feuillages de trembler sur les marbres, le cygne d'errer sur l'eau dormante, le soleil de rayonner dans le vaste ciel. Ils ?taient si seuls dans ce tournant d'all?e, -- si loyalement, presque pieusement seuls, avec la pr?sence b?nie de la meilleure des m?res ? c?t? de leur amour comme pour le sanctifier. Francis attira sa fianc?e contre son coeur, et il posa ses l?vres sur ce front qu'aucune pens?e mauvaise n'avait jamais travers?, pas m?me effleur?. Il se sentit alors si heureux, que ce bonheur trop complet, trop absolu, d?passa tout d'un coup les puissances de son ?tre et lui fit mal pour la premi?re fois, et tout bas il dit ? sa ch?re <
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Elle ne r?pondit rien d'abord. Mais il vit distinctement une angoisse passer dans ces douces prunelles, un fr?missement courir autour de ces l?vres ? demi ouvertes. Les paupi?res de la jeune fille battirent, son sein palpita, puis, le regardant de nouveau, bien en face, elle fit un effort pour dominer son impression et, avec un sourire de courage: -- <
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