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Read Ebook: La terre promise by Bourget Paul

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Ebook has 466 lines and 101469 words, and 10 pages

PAUL BOURGET

La Terre promise

SEPTIEME MILLE

M DCCC XCII

OEUVRES DE PAUL BOURGET

?dition elz?virienne

PO?SIES . Au bord de la Mer. -- La Vie inqui?te. -- Petits Po?mes. 1 vol. 6 >> PO?SIES . Edel. -- Les Aveux. 1 vol. 6 >> L'IRR?PARABLE. -- L'Irr?parable. -- Deuxi?me Amour. -- Profils perdus. 1 vol. 6 >> CRUELLE ?NIGME. 1 vol. 6 >>

?dition in-18

L'IRR?PARABLE. -- L'Irr?parable. -- Deuxi?me Amour. -- Profils perdus. 1 vol. 3 50 PASTELS . 1 vol. 3 50 NOUVEAUX PASTELS . 1 vol. 3 50 CRUELLE ?NIGME. 1 vol. 3 50 UN CRIME D'AMOUR. 1 vol. 3 50 ANDR? CORN?LIS. 1 vol. 3 50 MENSONGES. 1 vol. 3 50 LE DISCIPLE. 1 vol. 3 50 UN COEUR DE FEMME. 1 vol. 3 50 PHYSIOLOGIE DE L'AMOUR MODERNE. 1 vol. 3 50 LA TERRE PROMISE. 1 vol. 3 50

ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE. 1 vol. 3 50 NOUVEAUX ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE. -- 1 vol. 3 50 ?TUDES ET PORTRAITS. 2 vol. 7 >> SENSATIONS D'ITALIE. 1 vol. 3 50

COSMOPOLIS, roman. 1 vol. in-8?, illustr? par Duez, Jeanniot et Myrbach. Broch? 10 fr., reli? 15 fr.

LES NOSTALGIQUES, po?sies 1 vol. TROIS ?MES D'ARTISTES, roman 1 vol.

Paris, 5 octobre 1892.

La Terre promise

EN PLEIN R?VE.

La comtesse Louise Scilly avait dit ? sa fille Henriette et ? Francis Nayrac, le fianc? de cette jolie enfant: -- <> Et elle s'?tait assise sur un banc de marbre sculpt?, aupr?s d'un buisson de roses, de ces roses fr?les, ? peine parfum?es, qui fleurissent tout l'hiver les haies de cette douce Sicile. On ?tait vers la fin de novembre, et une lumi?re d'une divine transparence, si l?g?rement, si puissamment r?chauffante, enveloppait, baignait, caressait ce jardin, cette oasis plut?t de la villa Tasca, -- fantaisie de grand seigneur hospitalier bien connue de ceux que le caprice du voyage ou le souci d'une sant? compromise ont exil?s quelques mois ? Palerme. C'?tait, ce dernier cas, celui de la comtesse. Venue de Paris d?s les premiers brouillards d'automne pour achever de gu?rir les suites d'une fluxion de poitrine quasi mortelle, une demi-rechute l'avait aussit?t emprisonn?e trois semaines durant dans sa chambre. Elle ne recommen?ait gu?re de sortir que depuis cinq ou six jours. Aussi laissait-elle avec d?lices ce soleil de onze heures vibrer autour de sa faiblesse. Son visage creus? se ranimait de sa p?leur. La vague griserie de la convalescence rajeunissait ses joues maigrissantes, ses paupi?res fatigu?es, son front jauni. Les reflets blonds m?l?s dans ses cheveux aux reflets d'argent semblaient plus dor?s, comme si, dans la femme de cinquante ans, pr?matur?ment ?puis?e par les chagrins et par la maladie, un peu de la gr?ce d'autrefois allait repara?tre. Sa bouche dess?ch?e de fi?vre s'ouvrait ? cet air atti?di, o? flottait, avec l'arome des roses, la senteur des arbres d'essence rare dont les bosquets ?taient plant?s. Ses yeux bleus, d'un bleu trop brillant, comme de quelqu'un dont la vie a ?t? atteinte dans ses sources profondes, erraient sur ces beaux arbres, pins d'Italie ou c?dres gigantesques, autour desquels un fouillis de v?g?tation tropicale r?v?lait l'approche de l'Afrique. Dans les massifs, des alo?s p?lissants tordaient leurs poignards barbel?s. Des dattiers remuaient lentement leurs palmes d'un vert sombre. Des cactus tendaient leurs raquettes ?pineuses o? pointaient des fruits violets. De blanches statues brillaient dans l'interstice des verdures, et la villa elle-m?me, toutes fen?tres closes, semblait, parmi cette paix et cette clart? de la matin?e, retenir, derri?re sa fa?ade peinte de couleurs tendres, un r?ve de f?licit?.

Dans ce d?cor de solitude, anim? uniquement par le frisson des feuillages ou par le vol d'un cygne dont les ailes mutil?es rasaient l'eau dormante d'un invisible ?tang, les yeux de la m?re revenaient sans cesse vers la portion du vaste et lumineux jardin o? se promenaient les deux fianc?s. Leur pas lent, incertain, distrait, -- ce pas d'un couple heureux et dont les moindres mouvements s'harmonisent, s'?pousent pour ainsi dire d'un inconscient accord, -- les ?loignait tour ? tour et les rapprochait. Ils disparaissaient, puis reparaissaient au tournant des all?es. Ils marchaient, s'arr?taient, marchaient de nouveau. Ils se regardaient, parlaient, se taisaient, si d?licieusement exalt?s et ravis par ce ciel bleu, cette clart? du jour, ces arbres, ces eaux, ces fleurs, par eux-m?mes surtout, par cette magie de la pr?sence aim?e, qui mettrait le printemps l? o? r?gne l'hiver; et, ajout?e ? l'enchantement d'une heure enchant?e, peu s'en faut qu'elle ne d?passe les forces de l'?me! Henriette et Francis avaient autour de leurs personnes ce myst?rieux rayonnement que projette l'extr?me bonheur. Ils ?taient comme soutenus, comme soulev?s par cet intime esprit de f?licit? que r?v?le chaque geste de deux ?tres qui se ch?rissent enti?rement, absolument. Jamais la taille souple de la jeune fille n'avait ?t? plus souple, son fin sourire plus fin, jamais son visage plus d?licat, ses yeux plus bleus, sa joue plus ros?e, sa bouche plus spirituelle, l'or de ses cheveux plus soyeux et plus brillant. Jamais non plus la physionomie, volontiers concentr?e et r?fl?chie, de Francis, ne s'?tait ?clair?e d'une pens?e plus radieuse. La flamme noire de ses prunelles s'adoucissait pour contempler celle qui serait bient?t sa femme, dans des regards follement caressants. ? la mani?re dont il lui donnait le bras pour la soutenir, tout le g?nie protecteur d'un d?vouement d'homme se devinait. Elle ?tait si jeune, si mince, si fragile, malgr? ses vingt-trois ans, qui en paraissaient ? peine dix-huit, au lieu que ses trente-quatre ans ? lui ?taient bien marqu?s sur son masque bistr? et creus?, si m?lancolique parfois au repos, et transfigur? ? cette minute par un magn?tisme de f?licit?. C'?tait comme une vision d'un r?ve r?alis? que cette promenade, pour le tendre t?moin qui contemplait les deux fianc?s, pour cette m?re qu'ils n'oubliaient pas m?me dans leur extase, car, ? chaque passage pr?s du banc de marbre, Henriette la saluait d'un sourire et d'un regard. Elle n'e?t pas d?tourn? sa blonde t?te que Mme Scilly ne lui en e?t certes pas voulu. Mais que sa fille lui gard?t une place dans son bonheur, cette ?vidence lui ?tait aussi r?chauffante que ce soleil m?ridional aux rayons duquel son pauvre corps se caressait, pour y reprendre un peu de force, quelques ann?es de vie encore, et elle songeait:

-- <>

En pronon?ant mentalement cette parole, la pauvre femme reculait de quinze ans en arri?re, jusqu'? l'automne, si terrible pour elle, de 1871. Au lieu du vert et silencieux jardin o? passaient et repassaient ses deux enfants, -- comme elle les appelait en les b?nissant ensemble dans son coeur, -- elle revoyait une chambre de malade, par un matin de novembre aussi, mais d'un novembre parisien, froid, sinistre et noir. Elles ?taient l? toutes deux, Henriette et elle-m?me, agenouill?es au pied d'un lit sur l'oreiller duquel se d?tachait une face douloureuse et p?le, celle du commandant Scilly, qui venait de mourir. Apr?s des mois et des mois de souffrance, il avait succomb? aux suites des blessures re?ues dans un des combats sous Metz. Il s'?tait conduit l? en digne petit-neveu du fameux comte Scilly, le h?ros de Leipsick, celui qui avait m?rit? d'?tre lieutenant dans un de ces r?giments d'officiers sans r?giments, que Napol?on forma en Russie avec le titre d'escadrons sacr?s. Quoique tous les Scilly aient ?t? dans l'arm?e depuis ce h?ros du premier Empire jusqu'? l'actuel divisionnaire de ce nom, et qu'une femme de soldat doive ?tre pr?par?e ? ces cruels sacrifices, la comtesse avait cru devenir folle d'inqui?tudes d?s les premiers jours qui avaient suivi la d?claration de guerre. Puis, ayant rejoint son mari en Allemagne, elle l'avait ramen? ? Paris pour le disputer ? la mort avec une passion qui l'avait, en quelques semaines, vieillie de dix ans. ? ce chevet du lit de mort du seul homme qu'elle e?t aim?, elle n'avait repris le courage de vivre qu'en embrassant sa fille, l'unique enfant qui lui rest?t des cinq qu'elle avait eus, pauvre petite cr?ature si fragile, si sensible, si consciente d?j? de son sort de demi-orpheline! Ses larmes le disaient assez, et ses soupirs, et l'?treinte d?sesp?r?e dont elle saisissait sa m?re en lui criant: <> La veuve avait rendu ses baisers ? Henriette, en se jurant, en jurant au souvenir du p?re, de la garder en effet, de lui remplacer l'absent, et une vie avait commenc? tout de suite, -- pour durer des ann?es, -- de retraite, de m?lancolie et pourtant de douceur. Une vie de retraite, car la comtesse se trouvait brouill?e avec toute la famille de son mari, y compris le g?n?ral Scilly, pour des raisons personnelles au p?re du mort, mais elle les acceptait par scrupule de fid?lit? morale comme le commandant les avait accept?es lui-m?me, et, d'autre part, ses relations de monde se trouvaient r?duites, par le grand deuil qu'elle ne cessa de porter que bien tard, ? la plus stricte intimit?. Une vie de m?lancolie, car elle voulut que rien ne f?t chang? autour d'elle, et le petit h?tel du boulevard des Invalides, choisi jadis par l'officier comme plus voisin de la rue Saint-Dominique et de l'?cole Militaire, commen?a de rev?tir cette physionomie un peu pass?e et fan?e des choses que les mains touchent pieusement, tristement, pour les caresser et ne pas s'en servir. Une vie de douceur, car la petite fille qui allait et venait, toujours en noir, elle aussi, de son pas ? peine appuy? d'enfant sage, ? travers ces meubles dont chacun ?tait une relique, ne faisait pas un geste, ne disait pas un mot qui ne trah?t la plus jolie d?licatesse de nature. Mme Scilly en jouissait avec ce m?lange de d?lices et de souci dont est faite la f?licit? douloureuse des m?res. Elles les savent si compt?s, les jours o? elles ont leur enfant aupr?s d'elles, tout ? elles. Tandis qu'Henriette s'occupait paisiblement au travail de ses le?ons, celle-ci avait pris l'habitude de mesurer la fuite de ces douces ann?es au verdoiement ou au jaunissement des arbres du jardin de l'archev?ch?, aper?us par les hautes fen?tres des chambres du premier ?tage. Tant?t ces arbres fr?missaient au renouveau, secouant au vent d'avril des grappes de fleurs, et la m?re calculait combien de printemps reviendraient encore avant que sa fille e?t ses dix-neuf ans. D'autres fois, le vent chassait le long des all?es les d?bris ?pars de l'automne, et elle comptait les saisons ?coul?es depuis que le p?re ?tait mort. Elle se perdait devant la petite dans des contemplations infinies, charm?e tout ensemble et troubl?e par l'accroissement de sa taille, par la m?tamorphose de l'enfant en jeune fille, de la jeune fille presque en jeune femme, admirant sa gr?ce, son esprit, sa bont?, respirant tous les parfums de cette adorable et virginale fleur qu'elle seule connaissait, et elle pr?voyait, avec une anxi?t? si g?n?reusement pr?par?e cependant au sacrifice, le moment o? il lui faudrait se s?parer d'elle.

-- <> se disait-elle, <>

C'est par milliers que la veuve inconsol?e avait prononc? tout bas de ces monologues de sollicitude maternelle plus fr?quents et plus press?s ? mesure que le temps avance. Ils aboutissent alors ? des projets caress?s complaisamment, puis d?jou?s par une de ces rencontres non pr?vues ? la suite desquelles un h?te nouveau entre en sc?ne, l'inattendu, l'irr?sistible amour. La comtesse Scilly avait, durant ces ann?es trop courtes ? son gr?, d?ploy? son soin le plus constant ? entourer Henriette d'amies irr?prochables et pieuses comme elle-m?me. Elle s'?tait appliqu?e ? graduer de son mieux la prudente reprise de ses relations de monde. Elle avait voulu que pas une des habitudes de fine aristocratie qu'elle pratiquait ? l'?poque de ses jeunes ?l?gances ne f?t perdue pour sa fille, et elle avait appel? ? elle tout le secours de son exp?rience premi?re pour ?tudier avec une sollicitude passionn?e les quelques jeunes gens m?l?s ? leur petit cercle de soci?t?. Puis ce fut d'un inconnu que son enfant se trouva ?prise, de ce Francis Nayrac au bras duquel la m?re la regardait se promener ? pr?sent avec une confiance si ?mue, presque si reconnaissante, -- et dix petits mois plus t?t elle ne connaissait ce nom que pour l'avoir entendu mentionner par la g?n?rale de Jardes, qui ?tait une parente ?loign?e du jeune homme. C'?tait aussi chez Mme de Jardes que la pr?sentation avait eu lieu, par hasard, ? une visite d'o? Francis ?tait sorti si troubl? du charme d'Henriette, qu'il ?tait retourn? le lendemain en parler ? sa parente. Des incidents avaient suivi, d'un ordre bien simple, bien banal, pareils ? tous ceux dont s'accompagne un mariage ainsi commenc? sur le subit enthousiasme d'un gar?on lass? de sa solitude, et auquel servent de complices la secr?te sympathie de la jeune fille d'une part, de l'autre la bienveillance d'une commune amie enchant?e de ce r?le d'interm?diaire. C'est un lieu commun d'observation que toutes les femmes s'y complaisent, qu'il s'agisse d'un amour l?gitime ou ill?gitime! De nouvelles rencontres plus ou moins adroitement pr?par?es, le constant et long ?loge de Francis fait par Mme de Jardes, la pr?sence du jeune homme dans tous les endroits o? il pouvait s'approcher de Mlle Scilly sans que personne comment?t ses assiduit?s, un changement plus marqu? dans les mani?res d'Henriette, si visiblement pr?occup?e et boulevers?e, -- tels avaient ?t? les ing?nus, les na?fs ?pisodes de ce petit roman. Chacun repr?sentait pour la m?re une ?motion profonde, et une supr?me, l'entretien qu'elle s'?tait d?cid?e enfin ? provoquer avec sa fille. Cette derni?re avait avou? le secret nouveau de son coeur, sans h?siter, mais tremblante comme en ce moment tremblaient au-dessus du banc de marbre les feuilles d'un fr?ne pleureur agit? doucement par la faible brise. Elle aimait Francis. H? quoi! sans rien savoir de lui davantage? Sans qu'un mot d'entente e?t ?t? ?chang? entre eux? Par quelle myst?rieuse correspondance de sentiments?... Mme Scilly se rappelait s'?tre pos? ces questions avec effroi dans la nuit qui avait suivi cet aveu, et devant cette premi?re ?motion de sa fille qui n'?tait plus ? elle seule, elle avait ?prouv? une de ces jalousies morales, si profondes, si passionn?es, -- plaies saignantes des plus nobles m?res, et si profondes qu'elles sont impossibles ? gu?rir, sinon par la vue de la f?licit? absolue de leur enfant. Oh! Comme la comtesse avait pri? cette nuit-l?! Comme elle avait demand? un secours d'en haut qui lui marqu?t son devoir! Avec quelle prudence et quel tremblement int?rieur, elle aussi, elle avait, sur le conseil du p?re Juvigny, le vieux Dominicain, son directeur, proc?d? ? une enqu?te comme tous les parents en ont fait de tous les temps. H?las! S'il fallait une preuve pour d?montrer combien le sort des plus prudents est domin? par un pouvoir incompr?hensible et ingouvernable, o? la trouverait-on mieux que dans cette incapacit? d'un p?re et d'une m?re, m?me bien vigilants, ? conna?tre avec exactitude la vie et le caract?re de celui qui doit faire tout le bonheur ou tout le malheur d'une enfant idol?tr?e et pr?serv?e pendant des ann?es? Mme Scilly s'adressa de droite, de gauche, dans des visites qui furent comme les interm?des comiques de ce drame sentimental. N'est-ce pas un drame en effet et de l'int?r?t le plus poignant qui se joue dans ces entretiens o? d'un mot prononc? ? la l?g?re d?pendront deux avenirs dont l'un est si d?pourvu de d?fense? Et voici le type des r?ponses obtenues apr?s d'infinis d?tours de causerie:

-- <> avait dit ? la comtesse Mme d'Avan?on, la femme de l'ancien diplomate, <> Et la digne dame, clou?e sur son fauteuil ? roulettes par une crise de ses douleurs, avait continu? par une tirade sur l'?tat de choses actuel, renouvel?e de son mari de qui elle adoptait les moindres id?es, quoiqu'elle le d?test?t, par une contradiction assez fr?quente dans les mauvais m?nages. On se hait du fond du coeur et la force de l'accoutumance est telle qu'on arrive ? se ressembler intellectuellement, quelquefois physiquement. Par quels proc?d?s la m?re la plus habile pourrait-elle, sans ?veiller des d?fiances, ramener sur la ligne d?sir?e une conversation qui d?vie ainsi? Et elle n'ose plus formuler aucune question, mais elle calcule que M. d'Avan?on essaye d'oublier l'enfer conjugal en menant ? soixante ans la vie de cercle, et qu'il doit rencontrer Francis Nayrac dans des endroits o? la v?rit? des moeurs se d?c?le mieux que dans le monde, et elle parvient, gr?ce au d?veloppement du plus subtil machiav?lisme, ? provoquer cette autre d?claration:

-- <> Et une dissertation suit, dans laquelle le plus intransigeant de nos vieux Beaux s'abandonne ? sa col?rique envie contre la g?n?ration pr?sente. Il y entrem?le de son c?t? des observations et des id?es de sa femme, mais il oublie compl?tement Nayrac... ? la dixi?me exp?rience de ce genre, force est bien ? la pauvre m?re de s'avouer que le mieux est encore de s'en rapporter ? ceux qui connaissent son gendre possible depuis l'enfance, et celle-ci avait fini par ?chouer chez Mme de Jardes, laquelle ?tait trop int?ress?e au bon aboutissement de sa petite intrigue pour ne pas d?fendre son cousin. Mais Mme Scilly la savait tr?s honn?te femme et elle avait pos? ? sa loyaut? deux questions qui, pour elle, ?taient les plus angoissantes:

-- <> avait r?pondu la g?n?rale. <>

Que ces conversations, et d'autres analogues, ?taient loin! Cependant elles ne dataient que du printemps. Encore aujourd'hui et quand elle repassait en esprit les semaines d?cisives de juillet qui s'?taient termin?es par les fian?ailles de Francis et d'Henriette, Mme Scilly s'?tonnait elle-m?me de la rapidit? avec laquelle avaient march? des ?v?nements dont elle avait toujours pens? qu'ils seraient si lents au contraire, si compliqu?s, si r?fl?chis. Mais elle se sentait faible depuis bien longtemps, et elle appr?hendait avec tant d'anxi?t? de laisser sa fille sans protecteur. Elle la voyait, elle qui connaissait l'histoire enti?re de ce coeur depuis sa premi?re ?motion, sinc?rement, profond?ment envahie par un amour aussi entier qu'il avait ?t? rapide et inattendu. Elle savait que chez Henriette les sentiments n'?taient pas chose d'une heure, et, cet amour une fois d??u, elle tremblait que la ferveur religieuse de la jeune fille ne la tourn?t vers quelque autre r?solution. Elle avait tant de fois devin? quel attrait de mystique asile le couvent exer?ait sur cette imagination tendre! Elle croyait deviner d'autre part dans Francis un homme rare, une irr?prochable v?rit? de coeur. Quoique bien ?trang?re aux pr?occupations de convenance mondaine, elle ne pouvait s'emp?cher de calculer que ses enfants auraient tout de suite ? eux deux plus de soixante mille francs de rente. Enfin elle avait dit: <> et, comme pour donner raison ? ses inqui?tudes sur sa propre sant?, ? peine son consentement ?tait-il accord?, qu'elle tombait malade. Le m?decin, qui avait d'abord parl? d'un simple refroidissement, diagnostiqua bient?t les plus dangereuses complications. Elle s'?tait couch?e dans les derniers jours de juillet, comptant se relever, comme il lui arrivait pour ses rhumes habituels, vers la fin de la semaine. Elle ?tait encore enferm?e au milieu d'octobre. Les arbres du jardin de l'archev?ch?, qui avaient si longtemps tenu compagnie ? ses solitudes, ?taient tout verts lorsque le premier frisson de fi?vre l'avait secou?e. Quand elle put venir jusqu'? la fen?tre, elle vit que toutes les feuilles ?taient touch?es par l'automne, comme elle venait d'?tre touch?e elle-m?me par la mort. Mais comment se plaindre de cette maladie qui lui avait permis de juger d?finitivement Francis? Quand les docteurs avaient formul? la n?cessit? pour elle d'un s?jour d'hiver dans le Midi, et le plus lointain, -- le Caire, Alger, Mad?re ou Palerme, -- avec quelle d?licatesse le jeune homme avait effac? ses droits devant les nouveaux devoirs que cette situation cr?ait ? sa fianc?e! Cette derni?re lui avait demand? que le mariage f?t recul? jusqu'au printemps prochain, afin de pouvoir consacrer ce dernier hiver sans partage ? l'entier r?tablissement de sa m?re, et il avait mis tant de gr?ce ? y consentir! C'?tait lui qui avait conseill? Palerme qu'il connaissait, lui qui ?tait venu pr?parer un appartement pour la comtesse, lui qui l'avait install?e, puis il ?tait retourn? ? Paris pour ne repara?tre que rappel? par la malade, et si d?vou?, si scrupuleusement attentif ? ne jamais mettre leur amour entre Henriette et sa mission filiale! Et, par ce beau et clair matin o? elle se sentait rena?tre, la malade laissait s'?panouir en elle, avec un espoir de ne pas s'en aller encore, une infinie reconnaissance pour ce qu'elle avait pu lire dans ce coeur de jeune homme:

-- <> se r?p?tait-elle, <>

Elle les regardait de nouveau marcher dans l'all?e, tandis que les vertes palmes semblaient s'incliner sur eux pour les prot?ger, et que le vent ?veillait dans les pins le vague murmure d'un oc?an endormi. Son ?me s'?chappait d'elle pour les suivre, pour leur souhaiter un ciel int?rieur aussi caressant toujours, aussi bleu que celui qui les enveloppait ? cet instant de son lumineux azur. Elle savait, quoiqu'elle n'entend?t pas m?me le bruit de leurs ch?res voix, qu'ils l'associaient de leur c?t? au charme de cette promenade, et c'?tait vrai qu'en se parlant d'eux, ils se parlaient d'elle. Ils la m?laient si naturellement ? l'avenir dans lequel ils avaient cette confiance enivr?e de ceux qui s'aiment d'un amour permis. Oui, quel r?ve ils r?alisaient dans ce cadre de paradis, elle si tendre, si fi?re, n'ayant connu de la vie que ses heures pures, lui encore assez jeune pour ne pas craindre de vieillir avant elle, assez ?prouv? par les passions pour savoir le prix de ce qu'il avait rencontr? dans cet ?tre pour lui unique! Et ils causaient, ou mieux, ils pensaient, ils sentaient tout haut, ne cherchant pas leurs paroles, mais chaque phrase avait pour eux la secr?te, la p?n?trante magie de l'intimit? toute prochaine. Rien que le son de leur voix leur faisait savourer d'avance d'innombrables minutes d'amour, comme en allant et en venant dans le jardin ils respiraient l'arome de toutes les fleurs et de tous les feuillages qu'ils ne voyaient pas.

-- <> disait-il. <>

-- <> reprit Henriette en regardant devant elle avec des yeux o? Francis put lire le ressouvenir de cette r?cente angoisse, <>

-- <> dit le jeune homme en serrant le bras de la jeune fille.

-- <> continua-t-elle. <>

-- <> dit-il en l'interrompant. Il avait si peur qu'elle n'?voqu?t des souvenirs d'enfance demeur?s vivaces en elle et qui lui mettaient toujours un tremblement mouill? au bord des paupi?res. -- <> insistait-il, <>

-- <> repartit Nayrac. <>

-- <> dit Henriette, <>

-- <> demanda-t-il.

-- <> fit la jeune fille. <>

-- <> reprit-il, a lorsque entre deux ?tres il n'y a pas cette harmonie, cet intime accord... Au lieu qu'il m'est si doux de penser que vous ?tes ma femme, vraiment ma femme, vous comprenez, un coeur fait justement ? la ressemblance de mon coeur...>>

-- <> r?pondit-elle ? mi-voix, <>

-- <> continua-t-il, <>

-- <> reprit-il.

-- <> r?pondit-elle avec une bouche redevenue s?rieuse et songeuse; <>

Ils s'arr?t?rent pour ?changer un long regard. Il lut ? travers ces beaux yeux bleus jusqu'au fond de cette ?me qui ?tait ? lui. Dans cette ch?re ?me tout ?tait candeur et v?rit?. Il n'y avait pas un repli o? il ne devin?t la plus irr?prochable, la plus passionn?e des tendresses. Sur ce coeur virginal rien n'avait jamais pass?, pas un frisson, pas une ombre. Autour de leur silence les palmes continuaient de palpiter, le vent de murmurer dans les pins, les buissons de roses et les citronnelles d'exhaler un l?ger parfum vaguement musqu?, l'ombre des feuillages de trembler sur les marbres, le cygne d'errer sur l'eau dormante, le soleil de rayonner dans le vaste ciel. Ils ?taient si seuls dans ce tournant d'all?e, -- si loyalement, presque pieusement seuls, avec la pr?sence b?nie de la meilleure des m?res ? c?t? de leur amour comme pour le sanctifier. Francis attira sa fianc?e contre son coeur, et il posa ses l?vres sur ce front qu'aucune pens?e mauvaise n'avait jamais travers?, pas m?me effleur?. Il se sentit alors si heureux, que ce bonheur trop complet, trop absolu, d?passa tout d'un coup les puissances de son ?tre et lui fit mal pour la premi?re fois, et tout bas il dit ? sa ch?re <> comme elle lui permettait de l'appeler quelquefois ? des minutes pareilles:

-- <>

Elle ne r?pondit rien d'abord. Mais il vit distinctement une angoisse passer dans ces douces prunelles, un fr?missement courir autour de ces l?vres ? demi ouvertes. Les paupi?res de la jeune fille battirent, son sein palpita, puis, le regardant de nouveau, bien en face, elle fit un effort pour dominer son impression et, avec un sourire de courage: -- <> dit-elle, <>

-- <>

-- <> r?pondit le g?ant.

-- <>

-- <>

-- <>

-- <>

-- <> dit Francis, et, s'apercevant de ce que cet interrogatoire avait d'?trange, il ajouta pour d?router par une fausse demande la curiosit? d'ailleurs peu vraisemblable de son interlocuteur et obtenir cependant son renseignement: -- <>

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