Read Ebook: La terre promise by Bourget Paul
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Ebook has 466 lines and 101469 words, and 10 pages
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UNE ANCIENNE MA?TRESSE
Tant d'ann?es! Les journaux pli?s sous leur bande, que le coude du jeune homme froissait durant cette apr?s-midi commenc?e sur une impression si douloureuse, portaient en effet la date de 1886, et c'?tait en avril 1877 qu'il avait parl? ? Pauline Raffraye pour la derni?re fois. D'autre part, il l'avait rencontr?e pour la premi?re fois vers la fin de l'hiver 1876. Douze mois de sa vie ? peine tenaient dans ce souvenir de femme. Mais les amours qui laissent apr?s eux une cicatrice ineffac?e ne sont pas toujours ceux qui ont dur? le plus longtemps, ni ceux qui abond?rent en incidents romanesques ou tragiques. Quand une ma?tresse a bless? une certaine place profonde et malade de notre coeur, elle a beau n'avoir eu de nous que quelques semaines, elle nous demeure inoubliable et ? jamais vivante. Nous mettons entre elle et nous la distance, le temps, d'autres visages, d'autres caresses, d'autres joies, d'autres douleurs. Rien n'y fait. Nous l'avons dans le sang, comme dit une ?nergique et si juste expression du peuple. Il faut ajouter que cette premi?re rencontre de Francis Nayrac avec Pauline Raffraye s'?tait accomplie dans des conditions particuli?rement dangereuses pour lui. Il avait alors vingt-cinq ans. Ayant perdu tr?s jeune son p?re et sa m?re, toutes ses affections de famille s'?taient report?es sur une soeur unique, Mme Julie Archambault, mal mari?e et peu heureuse. Cette soeur, son a?n?e de quatre ans, l'avait ?lev?, dans cette p?riode difficile de la fin de l'adolescence o? la tendresse ne sert de rien quand elle n'est pas accompagn?e par un sens tr?s juste des lois vraies du monde social. Julie commen?a par vouloir garder son fr?re aupr?s d'elle. Il fit donc son droit aussit?t ? sa sortie du coll?ge, recul?e d'une ann?e ? cause de la guerre, et il eut des aventures tr?s banales, vulgaires, qu'elle sut et qui lui firent peur. Elle pensa que la fortune et l'oisivet? allaient le perdre, et elle consid?ra comme un grand sacrifice, mais n?cessaire, de l'occuper et de l'occuper loin de Paris. Les tristes exp?riences de son mariage lui donnaient ce pr?jug? contre cette capitale qui est aussi fr?quent chez certaines femmes tr?s honn?tes que le pr?jug? contraire peut l'?tre chez certains boulevardiers. Elle se trompait. Si la facilit? de plaisir qui se rencontre dans cette ville est funeste ? beaucoup de jeunes gens, trop entra?nables ou trop vaniteux, la solitude morale et intellectuelle de la province ou de l'?tranger est plus funeste ? quelques autres, pr?dispos?s d?j? aux abus de la vie imaginative et sentimentale. Ce fut toute l'histoire de Francis. ? Paris, ses premiers d?sordres l'eussent vite lass? et l'honn?tet? profonde de sa nature l'aurait pouss? aussit?t ? ranger son existence dans ce qui reste la chance la plus probable du bonheur: le mariage jeune. Entr? sur les conseils, presque sur l'injonction de sa soeur, dans la carri?re diplomatique pour laquelle il n'avait aucune esp?ce de go?t, il fut pour son malheur attach? d'abord ? une des l?gations les plus retir?es d'Allemagne. En 1876, il venait donc de passer deux ann?es ? Munich, presque absolument repli? sur lui-m?me, occup? ? lire, ? r?ver, ? attendre la vie au lieu de commencer de vivre, dans une autre oisivet?, celle des chancelleries, o? la fr?quentation forc?e et continue des coll?gues exasp?re encore l'isolement int?rieur quand elle ne produit pas l'amiti?. Ces deux ann?es eurent pour r?sultat de d?velopper en lui un ?tat tr?s particulier qui se rencontre, mais passag?rement, chez un petit nombre de jeunes hommes destin?s pour la plupart ? devenir des artistes ou des ?crivains, et, d'une mani?re plus fixe, chez beaucoup de jeunes femmes, m?contentes de leur sort ou d?pourvues de stricts devoirs. Cet ?tat, bien plus redoutable pour la sage hygi?ne de l'avenir que ne le sont de banales d?bauches, a ?t? profond?ment d?fini d'un mot c?l?bre par le plus humain et le plus troubl? des P?res de l'?glise. Il consiste ? trop aimer ? aimer, -- maladie inoffensive quand elle est courte, p?rilleuse et f?conde en cons?quences funestes lorsqu'elle se prolonge. Celui qui aime ainsi ? aimer se compla?t dans le mirage de romans ? vide que la r?alit?, semble-t-il, dissipera aussit?t. En fait, il s'habitue peu ? peu ? juger insignifiant tout ce qui ne se rapporte pas de pr?s ou de loin aux passions de l'amour. Les int?r?ts et les devoirs de son m?tier reculent dans sa pens?e ? une place secondaire. Le r?ve g?n?reux et viril de fonder une famille, celui de servir une haute cause id?ale de science, d'art ou de politique, celui plus personnel de se distinguer par des triomphes de carri?re, -- ces divers principes de robuste activit? s'affaiblissent, s'?tiolent, disparaissent pour laisser la place ? la constante pr?occupation de l'ind?fini lendemain sentimental. Quand arrivera-t-il, ce lendemain, et quel sera-t-il? Celui qui aime ? aimer emploie des journ?es, des semaines, des mois ? prendre et reprendre ce probl?me, dramatisant les passions par avance, ?puisant leurs joies et leurs douleurs avant de les avoir ?prouv?es, se raffinant et se blasant ? la fois, jusqu'? ce qu'il parvienne par cette d?bauche de la r?verie, par cette folie du libertinage intellectuel, ? un m?lange unique de corruption et de na?vet?. Les nuances les plus subtiles de la galanterie lui sont famili?res; il n'ignore rien des roueries de la s?duction, rien des complexit?s dont les th?oriciens du coeur ont ?tal? les anatomies. En m?me temps il garde comme une virginit? d'?motion r?elle qui tient ? l'?ge, ? l'innocence physique de ses jours et de ses nuits. Francis en ?tait l?, de sa crise de jeunesse, compliqu?e chez lui du souvenir de ses sensualit?s pr?coces, lorsque sa soeur Julie Archambault rencontra Pauline Raffraye, tr?s mal mari?e elle aussi, et elles se li?rent d'une de ces amiti?s enthousiastes, comme la communaut? d'un triste destin, le besoin de confidences et de sympathie, la sensation de l'hostilit? ou de l'indiff?rence du monde en cr?ent si ais?ment, si rapidement entre deux femmes jeunes, d?soeuvr?es et d?laiss?es. Les lettres de Julie ?taient pour Francis les grands ?v?nements de son exil. Elle ?crivait avec tant de gr?ce dans l'esprit et elle comprenait si bien, avec une telle indulgence, certaines choses subtiles du coeur de son fr?re, celles qu'il pouvait lui dire. ? partir de ce moment, ces lettres furent pleines de Pauline, comme dans les conversations de Julie avec Pauline sans cesse il ?tait question de Francis. Le hasard redoubla la curiosit? que Mme Raffraye et Nayrac devaient naturellement ressentir l'un pour l'autre. Lors des deux voyages que le jeune homme fit ? Paris, apr?s que sa soeur fut devenue l'amie pr?f?r?e de Pauline, cette derni?re ?tait absente. Puis une circonstance qui e?t suffi ? troubler deux ?tres absolument indiff?rents les rapprocha. Mme Archambault fut emport?e en quelques jours par une fi?vre typho?de, et dans cette chambre d'agonisante, Francis, revenu d'Allemagne en toute h?te, aper?ut pour la premi?re fois la svelte silhouette de Pauline, ses cheveux ch?tains, son beau visage un peu trop p?le, mais anim? par des yeux clairs presque gris, d'une si attirante tristesse. De tous temps les po?tes se sont accord?s avec les physiologistes pour marquer le lien myst?rieux qui unit les ?motions de la mort ? celles de l'amour. Est-il besoin de faire appel aux ?nigmatiques puissances de la nature pour constater que chez les femmes vraiment tendres le plus dangereux auxiliaire de la chute est la piti?, comme le d?sespoir d'une perte irr?parable est pour l'homme le plus compliqu? un irr?sistible conseiller d'?loquence simple? Francis et Pauline pleur?rent ensemble. Elle le vit souffrir et elle le plaignit. Il la vit le plaindre et il en fut p?n?tr?. Elle ?tait si jolie, si fine. Ses rapports ?taient si tristes avec Raffraye, banal et brutal viveur, qui, l'ayant ?pous?e pour son argent, ?tait aussit?t retourn? aux filles, apr?s un de ces drames d'alc?ve qui laissent chez une jeune femme une inexprimable rancune. Trouver alors chez un autre homme de caressantes, de d?licates mani?res, une intelligence des nuances du coeur ? demi f?minine, voir souvent cet homme dans une familiarit? ?mue que l'on ne pense pas ? se reprocher, parce que le principe en est si noble, -- c'est une ?preuve redoutable et un p?ril tr?s grand. Julie ?tait morte au mois de mars. Au mois de mai, Francis n'avait pas quitt? Paris. Il avait obtenu du minist?re un cong? illimit?. Il ?tait l'amant de Mme Raffraye.
Tristes amours, et qui, commenc?es dans les larmes et dans une atmosph?re de mort, devaient continuer dans les larmes aussi, la torture intime, les pens?es am?res, et finir sur la haine honteuse que l'adult?re fait trop naturellement sortir de ses t?n?bres! Aujourd'hui encore, et apr?s des mois et des mois, quand Francis avait su la pr?sence inattendue de Pauline, c'est la m?moire de cette haine qui l'avait secou? d'un tel frisson, tant il en avait eu le coeur empoisonn? jusque dans les fibres les plus secr?tes, et, en y songeant, comme il faisait dans cette apr?s-midi de solitude, il n'arrivait m?me pas ? comprendre la raison profonde des ?tranges troubles auxquels avait abouti presque aussit?t l'esp?rance, coupable sans doute, mais pourtant si haute, lui semblait-il ? distance, de ce d?but de tendresse. Malgr? cette perspective du temps qui permet de tout pardonner, parce qu'elle permet de discerner l'?l?ment de fatalit? m?l? aux plus r?fl?chis de nos actes, il ne se rendait pas compte qu'un malentendu, en apparence insignifiant, en r?alit? irr?m?diable, avait vou? par avance cet amour aux crises les plus douloureuses. Pauline et Francis s'?taient en effet aim?s, idol?tr?s, poss?d?s, avant, pour ainsi dire, de se conna?tre l'un l'autre. Leurs coeurs s'?taient donn?s et leurs personnes, avant qu'ils eussent acquis une notion exacte sur leurs caract?res. La jeune femme ne savait du jeune homme que les traits dont lui avait parl? Julie. Elle avait vu en lui un fr?re d?sesp?r?, un isol? sans bonheur, un romanesque rest? sans roman. Il ?tait tout cela, mais aussi une sensibilit? infiniment complexe et blessable, une imagination corrompue, d?fiante d?j? et tourment?e, un soup?onneux et un inquiet, un esprit horriblement g?t? par l'abus de la r?flexion et de la r?verie, enfin une ?me maladroite au bonheur, dans laquelle une passion m?l?e de sensualit? devait tourner ? la jalousie avec une effrayante facilit?. Lui-m?me, qu'avait-il vu dans Pauline? La douce confidente d'une soeur ch?rie, une enfant li?e toute jeune et avant de savoir rien de la vie ? une meurtri?re, ? une imbrisable cha?ne, une cr?ature froiss?e et mutil?e dans ses meilleures d?licatesses, dans ses plus g?n?reuses susceptibilit?s. Et elle ?tait bien tout cela, mais aussi une femme du monde, riche, ?l?gante, touch?e de frivolit?, habitu?e depuis ses six ann?es d'un mauvais m?nage ? l'?tourdissement des sorties continuelles, d?ners, visites, spectacles, -- st?riles plaisirs qui deviennent des besoins quand ils permettent de fuir un int?rieur d?test?! Enfin c'?tait, pour avouer la v?rit? enti?re, une de ces coquettes na?vement vaniteuses, qui veulent briller parce qu'elles veulent plaire, et que cet innocent d?sir entra?ne trop souvent, dans une soci?t? un peu libre, ? ces riens de familiarit? si ais?s ? calomnier. Il semblait qu'avec l'invasion d'un sentiment nouveau ces petits d?fauts dussent dispara?tre, et il en e?t ?t? ainsi sous l'influence d'un amant plus logique et plus simple que Francis. Ils s'exag?r?rent au contraire ? cause de ce qu'il y avait peut-?tre de meilleur dans son caract?re. Il n'?tait pas fait, malgr? la corruption sentimentale o? sa r?verie s'?tait trop complu, pour ?tre l'amant de la femme d'un autre. Il avait ?t? tr?s chr?tien dans sa premi?re jeunesse, et, par un contraste ?trange, mais assez fr?quent, tout en ne r?vant qu'? l'amour depuis des ann?es, et en ne le concevant gu?re que sous ses formes d?fendues, il avait gard? au fond de lui une esp?ce d'appr?hension des choses de la chair, un intime besoin d'harmonie entre sa conscience et ses passions. Cette singularit? est commune ? la plupart des hommes qui furent vraiment pieux. Ils restent toujours pr?ts ? souffrir de la faute que la femme la plus aim?e commet, m?me en leur faveur. Les compromis d'honn?tet? que l'adult?re suppose leur sont intol?rables, et ils ne se pr?tent qu'avec une secr?te r?volte aux combinaisons commodes qui font du m?nage ? trois la solution la plus confortable du probl?me amoureux et conjugal. Francis y m?la tout de suite un peu de cette folle jalousie de l'amant pour le mari, sentiment auquel il avait trop pens? par avance pour s'en ?pargner la torture. S'il consentit donc ? venir en visite chez Mme Raffraye, il lui fut impossible d'accepter une intimit? quelconque avec Alb?ric Raffraye. Il s'arrangea pour ne presque jamais rencontrer cet homme qu'il trompait en le m?prisant, mais qu'il trompait tout de m?me et d'une mani?re irr?parable. Il en r?sulta que leur liaison fut domin?e par une anomalie que Nayrac jugea tr?s naturelle et qui en marquait la condamnation certaine. Cet amour demeura pour Pauline, qui estima davantage son amant de ses d?licats scrupules, quelque chose d'?-c?t?, si l'on peut dire. Ce lui fut une oasis de tendresse o? elle entrait comme dans un r?ve, d'o? elle sortait pour retomber dans une r?alit? d'autant plus insupportable que le r?ve avait ?t? plus doux et plus beau. Il lui arrivait alors ce qui arrive ? toutes les femmes dans cette situation, et c'est bien aussi pourquoi la plupart des amants ont l'instinct de pr?f?rer la cruelle familiarit? du foyer qu'ils d?shonorent ? cette p?rilleuse dualit? d'habitudes chez leur ma?tresse. Au retour de ses rendez-vous avec Nayrac, Mme Raffraye devait retrouver et retrouvait sa maison avec horreur, le visage et la vulgarit? d'?me de son mari avec une pire rancune, et, encore fr?missante des baisers de celui qu'elle aimait, ce devait lui ?tre et ce lui fut aussit?t un besoin plus irr?sistible qu'auparavant de fuir cette maison, de fuir cet homme, et de se plonger dans ce tourbillon du monde qui ne touchait ? rien de son cher roman. -- Elle le croyait du moins, l'imprudente! Il n'y avait cependant pas plus de quatre semaines qu'elle s'?tait donn?e ? Francis, et d?j? ce dernier souffrait de cette complication forc?e d'existence que sa ma?tresse acceptait sans effort, o? elle se complaisait m?me. Car, si elle ?tait amoureuse, elle ?tait jeune aussi, et le bonheur de son amour, en exaltant toutes les forces de son ?tre, avait eu pour premier r?sultat d'aviver en elle la soif, si naturelle ? vingt-cinq ans, de mouvement et de plaisirs. Il y a deux mani?res ?galement vraies pour une femme de porter dans le monde un cher et coupable secret: en ?tre accabl?e et souffrir de tout ce qui n'est pas lui, en ?tre enivr?e et se plaire ? tout ? cause de la musique int?rieure dont on est enchant?e. Quoique les hommes se refusent le plus souvent ? croire sinc?re cette seconde sorte d'amour, elle existe, et c'?tait, pour le malheur de Francis, celle de Pauline. Elle lui ?tait donc venue, ? un de leurs rendez-vous, un peu migraineuse d'un bal o? elle ?tait rest?e assez tard la veille.
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Elle avait, pour poser cette question, des yeux si tendrement effarouch?s, une surprise si ?videmment sinc?re, qu'il la serra contre lui presque avec d?lire, comme pour ?touffer dans cette ?treinte le funeste d?mon qu'il venait de sentir passer entre la pauvre femme et son coeur. Quand elle fut partie, ce jour-l?, il demeura longtemps le visage enfonc? dans l'oreiller, qui gardait encore la forme imprim?e de cette ch?re t?te, l'arome de ses longs et souples cheveux. Il se sentait en proie ? une mortelle tristesse. Le d?mon avait d?j? reparu ? la minute m?me de ce d?part. N'avait-elle pas regard? l'heure ? un moment donn?, et ne s'?tait-elle pas arrach?e d'aupr?s de lui en disant:
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Qu'ils ?taient innocents, ces quelques mots! Pourtant Francis n'oubliait pas comme ils l'avaient laiss?, par cette fin d'apr?s-midi et dans le cr?puscule, sur une impression p?nible. Vainement s'?tait-il avou? cette innocence, et que lui-m?me avait d?sir?, exig? qu'elle ne change?t rien aux habitudes de sa vie mondaine, afin de ne pas ?veiller la curiosit? et le soup?on. Vainement s'?tait-il d?montr? combien Pauline avait ?t? v?ritable et simple avec lui, combien peu coquette. Vainement avait-il relu les lettres o? Julie lui parlait de son amie, se contraignant de songer ? leurs communes larmes au chevet de leur douce morte. Il avait dout? du coeur de sa ma?tresse, et si le doute sur un coeur de femme est toujours fatal ? l'avenir d'un sentiment, il l'est davantage quand il s'applique ? quelqu'un avec qui l'on ne passe que des heures ?parses, et venant de quelqu'un qui s'est noirci ? l'avance le coeur par des r?veries et par des lectures d?senchantantes. Et puis, Francis ne s'en rendait pas compte, comme tous ceux en qui l'imagination a comme ?mouss? la fleur de la sensibilit?, peut-?tre avait-il besoin de souffrir pour sentir. -- Affreuse disposition morale qui conduit ceux qu'elle poss?de ? exasp?rer en eux les moindres blessures! -- Il lui avait sembl? qu'il aimait sa ma?tresse plus qu'elle ne l'aimait. Sans s'?tre formul? cette premi?re d?fiance avec cette nettet?, il s'?tait demand? si elle ?prouvait pour lui une passion aussi profonde qu'elle le disait. Il avait souffert qu'elle ne f?t pas ? lui davantage encore, et, tout en comprenant que de prendre un ombrage pour de pareilles mis?res ?tait insens?, il s'?tait senti absurdement, injustement, enfantinement jaloux en effet, jaloux ? vide, et sans raison distincte, de ce monde avec lequel il la partageait. Que la route est rapide d'une d?fiance de cet ordre ? d'autres plus pr?cises, et qu'il faut peu de temps pour transformer dans un coeur inquiet la vague souffrance d'un m?contentement sans objet en une douleur positive, la peur d'une d?ception en une s?cheresse, cette s?cheresse elle-m?me en un injurieux soup?on! Francis se rappelait si bien comme il avait lutt? contre son propre orgueil pour ne pas se livrer, dans les semaines suivantes, ? une tentation continue, celle d'une d?shonorante enqu?te sur les personnes qui formaient la soci?t? de Pauline. Puis il y avait c?d?, lui posant tant?t une question, tant?t une autre: -- <
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Devant cette simplicit? de d?fense, Francis n'avait pas prolong? ce petit combat. Puis il avait, comme tous les jaloux, discut? avec lui-m?me, ind?finiment, les moindres mots, les moindres intonations de voix, toutes les nuances du visage de sa ma?tresse, tandis qu'elle se d?robait. Car elle s'?tait d?rob?e. Il ne lui faisait pas le cr?dit de se mettre ? sa place et de se demander ce qu'elle pensait de lui, comment elle comprenait son caract?re ? lui, ce qu'elle en savait, et, par cons?quent, quel retentissement de semblables paroles ?veillaient en elle. Il ne voyait qu'une chose: pourquoi ne lui avait-elle pas r?pondu, tout uniment, qu'il ordonn?t et qu'elle ob?irait? Quand on commence de souffrir, on a de ces despotismes presque monstrueux auxquels les femmes qui aiment se soumettent, -- quand elles n'ont pas vingt-six ans. Il faut avoir v?cu pour comprendre qu'il n'y a pas de l?gers malentendus en amour, et il faut avoir v?cu ainsi pour se rendre compte du degr? o? s'exalte chez certains hommes la folie du soup?on, la fi?vre si douloureuse de la d?fiance. H?las! Tant qu'il y aura d'imprudentes Desd?mones pour sourire, sans penser ? mal, ? Cassio qui les salue, il y aura des Othellos pour d?truire leur commun bonheur ? cause de cet innocent sourire, et il n'est pas besoin pour cela d'un tra?tre ? c?t? de nous qui nous injecte le venin de la calomnie. Nous sommes si vite nos propres Yagos et plus ing?nieux que l'autre ? nous torturer, ? nous lier sur la roue du supplice. Francis appartenait ? cette race malheureuse d'amants qui ont sans cesse besoin d'?vidence. L'ironie du sort veut qu'ils soient aussi les plus tromp?s; car, s'ils rencontrent une coquine, elle excelle ? leur donner des preuves mat?rielles toujours faciles ? combiner, et, s'ils se heurtent ? une femme fi?re, ils la blessent si profond?ment qu'elle en devient mauvaise, comme Pauline l'avait dit dans l'ing?nuit? de son coeur, sans vraiment savoir quelle funeste proph?tie elle ?non?ait. Le jeune homme ?tait donc sous l'impression non dissip?e de ce malaise intime, lorsqu'il alla, trois jours apr?s ce p?nible entretien, rendre visite ? Mme Raffraye, chez elle. Ces visites ?taient devenues plus rares depuis qu'elle ?tait sa ma?tresse, et il les faisait d'ordinaire apr?s le d?jeuner, ? un moment o? il savait que la porte de la jeune femme ?tait ouverte. Il ?tait par cons?quent tr?s naturel qu'il ne la rencontr?t pas seule. Il n'?tait pas moins naturel, apr?s ce qu'elle lui avait dit l'autre jour, que la m?me id?e de visite f?t venue au baron de Querne. Ce fut ? ce dernier que se heurta par hasard Francis. Un peu d'embarras dans l'attitude et dans le regard de Pauline, un peu de familiarit? dans la conversation de la part d'Armand, et des allusions ? de menus ?v?nements de leur soci?t? que Nayrac ignorait, -- il n'en fallut pas davantage pour qu'une fois demeur?s en t?te-?-t?te, les deux amants se trouvassent vis-?-vis l'un de l'autre dans un silence gros de temp?tes. Pauline essaya de le rompre la premi?re en se levant, et, s'approchant de Francis pour lui prendre la main:
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L'arriv?e d'un autre visiteur avait emp?ch? cette explication de se prolonger. Dans la maladive disposition o? il se trouvait, Francis avait ressenti une impression plus am?re encore ? voir sa ma?tresse jouer aussit?t son r?le de femme du monde, sourire au nouveau venu, plaisanter, causer avec une affectation o? elle soulageait sa col?re nerveuse. Il n'y avait, lui, discern? qu'un pouvoir de com?die qui lui avait fait horreur. Ils se r?concili?rent cependant, tr?s vite, car ils s'aimaient. Mais la d?fiance ?tait entr?e trop avant dans le coeur du jeune homme, et elle continua de grandir avec l'effrayante rapidit? que met cette plante maudite ? nous envahir. Ce qu'il y a de terrible dans l'adult?re et son ch?timent imm?diat, c'est que l'amant ne saurait lutter contre la preuve constante d'immoralit? que lui apporte sa ma?tresse, par ce simple fait qu'elle est sa ma?tresse. Toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation le sentent bien. La plupart s'y r?signent d'autant plus ais?ment que les mis?res de l'?go?sme masculin leur donnent vite beau jeu pour r?pondre ? ce m?pris par un m?pris semblable. D'ailleurs, ce qu'elles demandent aux intrigues r?p?t?es o? elles se complaisent, n'est-ce pas l'?motion? C'en est une encore, et palpitante, d'?tre brutalis?e de reproches mena?ants par celui que le d?sir jettera tout ? l'heure dans vos bras. Mais d'autres ont l'horreur de cette tyrannie et se cabrent aussit?t contre elle avec fureur, soit qu'elles en souffrent sinc?rement comme d'une insulte, soit qu'elles aper?oivent dans cette r?volte la garantie derni?re de leur libert?. Pauline n'avait pas voulu c?der au premier assaut de jalousie que lui avait livr? Francis. Elle ne c?da pas davantage au second. Quand ils s'?taient r?concili?s, il lui avait jur? de ne plus lui reparler d'Armand de Querne. Il lui avait prodigu? toutes les promesses de confiance, affol? de la retrouver si douce, si jolie, si fr?missante de volupt? sur son coeur. Puis il ne sut pas tenir son serment. Il lui reparla de son rival, ou de celui qu'il croyait tel, avec insinuation et sans insister, et il lui en reparla encore, mais brutalement. Et une seconde fois elle lui tint t?te, et ? partir de ce moment les sc?nes entre eux commenc?rent de succ?der aux sc?nes, lui s'exasp?rant aux plus insultantes hypoth?ses, aux plus despotiques exigences, et ne comprenant pas l'obstination indign?e qu'elle opposait au d?cha?nement de sa fr?n?sie. Quand elle lui eut enfin c?d?, apr?s la plus atroce de ces discussions, il ?tait trop tard. Il s'?tait prononc? entre eux de ces phrases qui d?shonorent ? jamais une liaison. L'amant s'y est trop montr? dans la f?rocit? de sa jalousie, la ma?tresse s'y est laiss? trop meurtrir. Trop de rancune a ?t? d?pos?e dans ces deux pauvres coeurs.
Cette ex?cution absolue de son rival, arrach?e apr?s ce tr?s douloureux effort, ne fut m?me pas suivie pour le jeune homme par quelques semaines d'un entier repos. Que Mme Raffraye e?t ferm? sa porte ? de Querne, c'?tait bien une preuve. M?me si elle avait ?t? coquette avec Armand, elle pr?f?rait Francis. Mais ces preuves-l? emportent toujours avec elles cette amertume qu'elles n'abolissent pas le doute sur le pass?, sur la p?riode o? nous ?tions jaloux sans que l'on nous c?d?t encore. Nous n'avons pas assist? ? l'entretien ? la suite duquel notre ma?tresse a consomm? une rupture que nous constatons sans ?tre certains que nous en connaissons les secrets d?tails. Elle nous dit bien les paroles qu'elle a prononc?es. Pauline, par exemple, pr?tendait n'avoir eu qu'? s'adresser ? la d?licatesse de M. de Querne en arguant de la jalousie de son mari. Mais comment savoir si elle ne taisait rien? M?me la possibilit? d'une telle conversation ne supposait-elle pas un myst?re entre elle et Armand? Francis trouva ainsi, comme toutes les victimes de la mis?rable manie qui le poss?dait, un principe nouveau de douleur dans le triomphe m?me de sa tyrannique m?fiance. Il ne savait pas, il ne pouvait pas savoir si Pauline n'avait pas ?t? la ma?tresse de cet homme qu'il avait tant soup?onn? et qu'elle lui avait sacrifi?, -- mais dans quelles conditions? Quand on en est ? cette halte dans le chemin de croix du soup?on, le calvaire devient vraiment trop dur ? gravir. Qu'il vaudrait mieux se fuir l'un l'autre et souffrir du moins s?par?s! C'est payer trop cher les criminels bonheurs de l'amour dans la faute que de les acheter au prix d'une torturante incertitude. Et comment en sortir? On veut se persuader alors que, si l'on suivait sa ma?tresse, jour par jour, presque heure par heure, si on la regardait vivre et sentir, on arriverait ? un jugement sur elle, motiv?, lucide, d?finitif, comme celui d'un indiff?rent, et l'on fait ce que fit Nayrac. Malgr? son deuil encore trop r?cent, il retourna dans le monde pour y rencontrer Pauline. C'?tait ? peu pr?s la plus malheureuse imprudence qu'il p?t commettre dans la crise de sensibilit? suraigu? et morbide qu'il traversait. Aussi les plus cruels souvenirs de cette cruelle liaison se rapportaient-ils ? cette p?riode. Il la voyait dans un salon, par?e, gaie et souriante, avec cette esp?ce d'atmosph?re d'amabilit? autour d'elle que d?gage une femme jeune, jolie, qui pla?t et qui sent qu'elle pla?t, qui a des peines ? ?tourdir et qui les ?tourdit. Ce lui ?tait un supplice que ce spectacle, et un autre que de la trouver au contraire triste et absorb?e. Dans le premier cas, il se sentait en proie ? une sorte de rage irraisonn?e et indomptable qui avait toujours pour effet de d?velopper chez Mme Raffraye comme un d?lire de coquetterie sombre et presque d?sesp?r?. Dans le second, des remords trop ?cres noyaient son coeur d'amant tyrannique et qui voudrait pourtant le bonheur de ce qu'il martyrise. L'une et l'autre impression exasp?rait en lui l'inqui?tude. L'une et l'autre le portait ? enivrer son mis?rable amour avec ce vin des sens dont les derni?res et funestes gouttes distillent en nous un si honteux app?tit de f?rocit?. Lui, l'amant romanesque, compliqu?, qui avait pass? sa premi?re jeunesse ? r?ver de subtiles ?motions, il effrayait sa pauvre amie maintenant par l'?pret? de sa fougue sensuelle. ? chacun de leurs rendez-vous, c'?taient entre eux des ?treintes sans paroles, des baisers violents et sans douceur, la palpitation ?perdue de deux ?tres qui cherchent l'oubli, et quel oubli! Celui d'eux-m?mes, celui de l'amour dont ils souffrent en s'en grisant! -- Et ils oubliaient, en effet, mais pour se r?veiller de ces folies avec cette amertume irritable qui est la ran?on fatale de nos d?gradations, lui plus soup?onneux, elle plus r?volt?e. ? ces minutes-l?, les moindres discussions s'exaltent en querelles, la bravade suit l'outrage et le provoque. Ce sont des bouff?es outrageantes de soup?on ? propos de tout. Les plus innocentes gaiet?s deviennent des crimes: avoir dans? deux fois avec le m?me danseur, avoir caus? trop longtemps en apart? avec celui-ci, avoir eu celui-l? ? d?jeuner. ?tre sortie plusieurs fois avec une amie, c'est l'avoir pour complice de quelque intrigue. Ne plus voir telle autre, c'est avoir eu quelque secr?te rivalit? avec elle. Depuis des si?cles et des si?cles, la verve des auteurs comiques s'exerce sur les mesquineries infinies des disputes de ce genre. Elle s'exercera des si?cles encore sans gu?rir la rage des jaloux et sans y accoutumer la fiert? r?volt?e des femmes qui leur tiennent t?te. Et cependant les prunelles brillent, les l?vres tremblent, la voix se fait mordante, et, apr?s s'?tre donn?s l'un ? l'autre avec la fougue de deux amants ? qui les heures sont compt?es, on se s?pare sur des cris de rupture, pouss?s avec toute la col?re de la vengeance. Oui, que de fois s'?taient-ils quitt?s ainsi, sans m?me se toucher la main!
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Elle le regardait sans relever cette nouvelle insulte. Elle r?p?tait: -- <
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De pareilles larmes d??oivent-elles, et de pareils cris, et des baisers comme celui qu'elle lui avait donn? en tombant sur son coeur, et ces sanglots et cette visible maladie? Par moments et lorsqu'il n'?tait pas sous l'influence de cette cruelle manie qui lui ?treignait le cerveau d'un cercle d'images affolantes et qui lui faisait voir sa ma?tresse le trahissant avec l'un ou avec l'autre, le d?p?rissement de ce pauvre corps touchait Francis aux larmes lui aussi. Il n'y avait pas un an que durait le drame de ces mis?rables amours, et Pauline lui semblait quelquefois une autre femme, tant ses yeux s'?taient creus?s, ses joues amincies, tant sa p?leur s'?tait encore d?color?e, tant surtout la facile et enfantine humeur qu'elle avait jadis, m?me dans la tristesse, avait c?d? la place ? je ne sais quoi de sombre, de violent, de presque tragique. Mais ce n'?tait qu'un ?clair, et l'amant tourment? se disait qu'il avait mal vu sa ma?tresse autrefois, qu'elle lui jouait la com?die alors, et qu'elle ?tait maintenant la vraie Pauline, avec un masque de femme consum?e, -- par quoi? Et il se r?pondait que c'?tait sans doute le remords de ses perfidies, la lutte d'une ?me en proie ? ses sens, le vice peut-?tre. Dans les ?garements de sa jalousie, il allait jusqu'? lui donner des dix et des quinze amants, ? penser d'elle v?ritablement comme d'une fille, et, chose affreuse, ? l'aimer tout de m?me, ? la d?sirer davantage, avec une ?cret? de passion qui confinait ? la douleur. Oui, il l'accusait de d?portements monstrueux. Et cependant si elle avait eu des torts positifs vis-?-vis de lui, ?'avait ?t? avec le seul de Querne, et encore n'avait-il pas tenu les preuves de cette infamie. H?las! A-t-on jamais de ces preuves? Et puis, il ne pouvait pas douter d'une autre intrigue, et qui, celle-l?, avait abouti ? l'irr?parable rupture. Vers la fin du mois de f?vrier de cette fatale ann?e 1877, un homme ?tait revenu ? Paris, apr?s un long voyage en Orient, dont le nom avait ?t? souvent prononc? entre Pauline et Francis durant cette absence. Ce personnage, -- mort depuis et connu de quelques curieux de lettres par des fragments posthumes d'un ?trange journal intime, -- s'appelait Fran?ois Vernantes. C'?tait un cousin ?loign? de Raffraye. La jeune femme n'en parlait jamais qu'avec une voix ?mue et comme du seul ami qu'elle e?t rencontr? ? la plus d?testable p?riode de son mariage. Pourquoi Nayrac s'?tait-il form? de ce consolateur de sa ma?tresse une image morose, et pourquoi demeura-t-il fort ?tonn? lorsque, pr?sent? ? Vernantes par Mme Raffraye, il se trouva devant un gar?on de moins de quarante ans, d'une physionomie et d'une tournure bien jeunes pour ce r?le de confident d?sint?ress?? Les relations sont toujours difficiles entre l'amant d'une femme et un ami tr?s intime de cette femme, m?me lorsque l'amant se consid?re comme bien assur? que cet ami n'a jamais ?t? qu'un ami. Lorsque l'amant est ? l'?gard de sa ma?tresse dans une crise de doute sans cesse renaissante, comment tol?rerait-il, sans en souffrir jusqu'? la folie, une de ces relations o? le degr? de l'intimit? reste toujours myst?rieux? Il ?tait donc in?vitable que Francis Nayrac dev?nt jaloux de Vernantes. Mais, comme s'il pressentait que cette jalousie-l? marquerait la fin de son amour, il ne s'y ?tait pas abandonn? tout de suite. Sa ma?tresse avait d'ailleurs pris soin de devancer cette crise nouvelle en lui parlant, la veille du retour de son ancien ami, de mani?re ? ne laisser entre eux aucun point obscur.
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Francis la revoyait, lui parlant ainsi, et il se revoyait se taisant. Lorsqu'il tombe entre deux amants de ces phrases que tous deux sentent trop vraies, c'est comme une lumi?re qui se r?pand ? la fois sur leur pass? et sur leur avenir, et ils en demeurent comme ?pouvant?s. Tous deux savent bien que de pr?voir les mis?res vers lesquelles ils sont entra?n?s ne les emp?chera pas d'y ?tre entra?n?s, et ils forment, quand m?me et sinc?rement, des r?solutions qu'ils tiendraient si les maladies du coeur ne comportaient pas des lois logiques contre lesquelles les plus fermes raisonnements demeurent inefficaces. Deux semaines s'?coul?rent ainsi, et sans que Nayrac par?t prendre ombrage de la visible familiarit? qui unissait le nouveau venu ou mieux le revenant ? Mme Raffraye. Sur trois visites pourtant qu'il avait faites ? cette derni?re durant cette quinzaine, deux fois il avait rencontr? Vernantes. Sur deux fois qu'il avait d?n? en ville dans les m?mes maisons que Pauline, les deux fois Vernantes ?tait un des convives. Il avait eu deux rendez-vous avec Pauline, et, des questions qu'il lui avaient pos?es, il r?sultait tant?t qu'elle avait eu Vernantes ? d?jeuner chez elle la veille, tant?t qu'elle allait l'avoir le lendemain, qu'elle ?tait all?e ou qu'elle irait au th??tre avec lui. ? chacun de ces menus faits, sans port?e isol?ment, mais bien significatifs dans leur ensemble, Francis avait senti grandir son antipathie. Elle ?tait d'autant plus forte qu'il y avait entre Vernantes et lui une certaine ressemblance de nature, une communaut? de temp?rament. Ces sortes d'analogies constituent le plus violent principe de rivalit?. Il n'?tait pas jusqu'? la demi-identit? de leurs pr?noms qui ne f?t pour Francis un aliment d'irritation passionn?e... Bref, l'acc?s de jalousie avait ?clat?, malgr? les r?solutions prises et les promesses donn?es, d'autant plus violent qu'il avait ?t? plus recul?, et il avait abouti ? cette m?me implacable alternative pos?e ? Pauline: -- <
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C'?tait l? pour Francis le second des faits qui avaient contribu? ? sa r?volte d?finitive. Le troisi?me ?tait d'une autre nature et moins imaginaire. Une semaine environ apr?s s'?tre de nouveau convaincu que la cruaut? du monde n'avait pas plus ?pargn? l'intimit? de Vernantes et de Pauline qu'elle n'?pargne les autres relations de cet ordre, il avait un rendez-vous avec la jeune femme. Le matin de ce jour-l?, qui ?tait un mardi, -- ah! il n'avait rien oubli?: ni la date du jour, ni le ciel brumeux et brouill? qu'il faisait, ni l'heure, ni ses sensations am?res, -- il avait re?u un billet d'elle, o? elle se d?gageait sous le pr?texte d'une migraine. Elle allait, disait ce petit mot, se remettre au lit pour essayer de vaincre le mal, et elle lui demandait de venir la voir le lendemain. Oui, il se souvenait. Il ?tait demeur? jusqu'? cinq heures ? se demander si cette excuse ?tait vraie ou fausse. Enfin, il ?tait sorti. Il s'?tait promen? un peu au hasard, et une invincible curiosit? l'avait conduit, sans presque qu'il s'en rend?t compte, ? travers le parc Monceau, vers la maison de la rue Murillo o? habitait son rival. La pens?e que sa ma?tresse avait peut-?tre souvent pass? ce seuil, et comment, lui causait un chagrin affreux. Par quelle fatalit? s'?tait-il attard? ? regarder cette porte, comme s'il e?t pressenti qu'il allait enfin tenir l? cette certitude, souhait?e depuis des semaines? C'?tait tout simple que, ne croyant qu'? demi au pr?texte donn? par Pauline, il la soup?onn?t d'avoir d?plac? leur rendez-vous pour aller ? un autre. Et cependant, ? une certaine minute, ce qu'il vit de cet angle de trottoir o? il s'immobilisait dans un honteux et pu?ril espionnage, pensa le faire mourir de douleur. Un fiacre aux stores ? demi baiss?s, de quoi cacher le visage sans faire trop remarquer la voiture, venait de s'arr?ter devant la maison et d'entrer dans l'all?e. Nayrac se pr?cipita et il arriva juste ? temps pour voir une femme voil?e d'un double voile, qui disparaissait par la porte du rez-de-chauss?e. Quoiqu'il lui e?t ?t? impossible de distinguer les traits de cette femme, il avait pu voir qu'elle ?tait mince comme Pauline, qu'elle avait la taille de Pauline. Enfin, d?tail insignifiant, mais qui devait, pour Francis, servir de preuve indiscutable, comme le mouchoir du c?l?bre drame, elle portait un long manteau de loutre, et il crut reconna?tre celui de Pauline. Son angoisse fut si forte qu'une fois le fiacre parti, il eut l'audace d'entrer, lui aussi, sous la vo?te et de marcher jusqu'? cette porte du rez-de-chauss?e ? laquelle il sonna sans qu'on lui r?pond?t. Dieu! Que le timbre lui faisait mal ? ?couter! Il allait sonner encore quand il s'entendit interpeller par le concierge qui, debout sur le pas de sa loge, lui disait, avec le visage impassible d'un complice inf?rieur grassement pay?:
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Ainsi c'?tait bien l'appartement de son rival! Il s'?tait retrouv? sur le trottoir, en proie ? une de ces fr?n?sies de soup?on qui d?cha?nent chez le civilis? la b?te sauvage, toujours grondante au fond des troubles du sexe. Son besoin d'agir, d'en savoir un peu plus, avait ?t? si fort, qu'il avait couru ? l'h?tel de la rue Fran?ois Ier qu'habitait Pauline. Que devint-il, lorsqu'on lui r?pondit:
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La sc?ne atroce qui avait ?clat? entre eux le lendemain, l'implacable audace de d?dain qu'elle avait oppos?e ? son accusation, son refus de rien justifier, sa fureur ? lui et la derni?re indignation qui l'avait ?gar? jusqu'? lever la main sur elle, -- jusqu'? la frapper! -- tout cet horrible et supr?me ?pisode lui faisait battre le coeur encore aujourd'hui ? seulement s'en souvenir. Et il ?tait rentr? chez lui si ?pouvant? de lui-m?me qu'il s'?tait dit: <
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C'est une des id?es fausses les plus commun?ment re?ues sur l'amour qu'il abolit tout dans un coeur, et d'abord l'orgueil. Heureux les amants pour lesquels il en est ainsi! Malheureux au contraire ceux chez lesquels cet orgueil subsiste, vivant et imp?rieux ? c?t? de la passion la plus sinc?re pourtant, la plus violente. Cette coexistence constitue une des pires maladies qui puissent nous ronger. Le voyage alors, au lieu de nous ?tre un rem?de, empoisonne seulement cette double blessure. Dans la solitude des soirs, que de larmes nous versons avec la triste vanit? de nous dire: <
Car il ?tait revenu, apr?s quatorze mois de ce vagabondage ? la poursuite d'une gu?rison qu'il n'avait pas trouv?e, et aussit?t, une des femmes chez lesquelles il rencontrait autrefois sa ma?tresse, cette m?me Mme de Sermoise qui lui avait perc? le coeur dans une lointaine visite, -- et il y ?tait retourn?, comme un homme ruin? au jeu retourne pr?s de la table du baccara, -- lui avait appris d'?tranges nouvelles. Mme Raffraye ?tait veuve. Elle avait perdu son mari presque subitement, quelques semaines apr?s le d?part de Francis. La seule annonce de ce veuvage e?t suffi ? bouleverser le jeune homme. En continuant ses confidences, son interlocutrice lui apprit qu'au moment de cette mort, Pauline se trouvait enceinte et qu'une fille lui ?tait n?e. La m?re avait failli mourir, elle aussi, puis, ? peine r?tablie, elle avait quitt? Paris, de mauvaises sp?culations de feu Raffraye l'ayant ? demi ruin?e. Elle avait vendu son h?tel, ses voitures, ses chevaux, et d?clar? sa volont? de vivre d'une mani?re d?finitive dans la terre du Jura o? elle avait ?t? ?lev?e. Et la cruelle Parisienne, sans se douter qu'elle enfon?ait un couteau dans Francis ? la place la plus sensible, -- ou bien en savourant la joie de lui faire ce mal, -- avait ajout? qu'elle ne croyait gu?re ? cette retraite, pour conclure avec un nouveau sourire:
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