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Read Ebook: Rainbow Hill by Lawrence Josephine Gooch Thelma Illustrator

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Ebook has 1352 lines and 58329 words, and 28 pages

J.-K. HUYSMANS

EN M?NAGE

NEUVI?ME MILLE

PARIS BIBLIOTH?QUE-CHARPENTIER EUG?NE FASQUELLE, ?DITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11

EUG?NE FASQUELLE, ?DITEUR, 11, rue de Grenelle, Paris

OUVRAGES DU M?ME AUTEUR

Les Soeurs Vatard 1 vol. A Rebours 1 vol.

Les Soir?es de M?dan 1 vol.

Paris.--Imp. A. DAVY et Fils A?n?, 52, rue Madame.

EN M?NAGE

Leurs cigares charbonnaient et puaient comme des fumerons.

Tout en rattachant sa culotte qui s'?tait d?boutonn?e, Cyprien s'?cria:

--Rester, pendant deux heures, dans un coin, regarder des pantins qui sautent, salir des gants et poisser des verres, se tenir constamment sur ses gardes, s'?chapper, lorsqu'? l'aff?t du gibier dansant, la ma?tresse de maison braconne au hasard des pi?ces, si tu appelles cela, malgr? l'habitude que tu en peux avoir depuis que l'on t'a mari?, des choses agr?ables, eh bien! tu n'es pas difficile!

Andr? haussa les ?paules et, crachant le jus de tabac qui lui poivrait la bouche, dit simplement:

--Peuh, on s'y fait!

Il y eut un instant de silence. Ils marchaient lentement, c?te ? c?te, quand minuit sonna. Deux horloges entrem?laient leurs coups; l'une, au loin, vibrait doucement, en retard d'une seconde sur l'autre; la plus proche d?coupait, nettement, presque gaiement son heure.

La rue que les deux jeunes gens suivaient ?tait d?serte et leurs pas retentissaient avec un bruit clair sur le trottoir. Tant?t leurs ombres se brisaient le long des boutiques ferm?es, tant?t les pr?c?daient ou les suivaient, ?tal?es ? plat sur les dalles, p?les ? certains moments, fonc?es ? d'autres. Souvent elles s'enchev?traient, se confondaient, s'unissaient des ?paules, ne formaient plus qu'un tronc ramifi? de bras et de jambes, surmont? de deux t?tes; parfois elles s'isolaient, se ramassaient sous leurs pieds ou s'allongeaient d?mesur?ment et se d?capitaient dans le renfoncement des portes.

Il y avait, dans le ciel, comme un ?boulement de talus noirs. Au-dessus des maisons dont les toits les tranchaient durement, de grands nuages roulaient ainsi que des fum?es d'usine, puis, dans ces blocs immenses de nu?es, d'?normes br?ches s'ouvraient et des pans de ciel ?toil?s de feux blancs scintillaient, ?teints bient?t par le voile opaque des nu?es rampantes.

?clair?s par des becs de gaz, allum?s de loin en loin, des murs frappaient des coups crus dans l'ombre. Le trottoir ?tait sec, sillonn? de rigoles par places et la soudure de ses dalles se d?tachait, en noir. Pr?s de la chauss?e, une bonde d'?gout, un tampon de fonte quadrill?, perc? au milieu de son orbe, d'un trou, ?tincelait ? certaines ar?tes plus aiguis?es par le frottement des bottes. Des ?paves de cuisine, des trognons de l?gumes et des morceaux d'affiches, s'empuraient dans une flaque. Un rat se faufilait dans le tuyau d'une gargouille.

Lorsqu'Andr? et Cyprien eurent atteint le bout de cette rue et qu'ils arriv?rent dans une autre, vivante encore et plus ?clair?e, la demie tintait. Un marchand de vins s'appr?tait ? fermer ses vitres. Au fond de la boutique, dans une salle cloisonn?e de carreaux d?polis, un gar?on couvrait un billard et essuyait avec un torchon les marques de craie laiss?es pr?s des bandes; un autre, dans la premi?re pi?ce, vu de dos, l'?chine courb?e, le cou et les reins remuant avec le dandinement d'un volatile, rin?ait des bouteilles au-dessus d'un cuveau; un troisi?me charroyait deux moiti?s de tonnes plant?es de lauriers roses, et deux ronds sales marquaient sur le trottoir la place o? elles ?taient mises.

Le patron se pr?parait ? laver ? grande eau son seuil. Un baquet entre les jambes, il b?illait, s'?tirant, les bras en l'air, les poings ferm?s, et, derri?re lui, sa femme, le r?ble aplati sur une banquette, la poitrine ?croul?e sur le rebord du comptoir, gourmandait les gar?ons, s'?pilait les poils du nez, apurait ses comptes.

La rue ?tait presque silencieuse; deux sergents de ville se promenaient, m?lancoliques, parlant bas, s'arr?taient par moment et reprenaient leur marche; au loin, une ?quipe de vidangeurs cinglant les chevaux attel?s aux barriques num?rot?es, aux carrioles bond?es de tuyaux et de pompes, passa, naus?abonde, dans un sourd roulement.

Le bruit devenait plus confus et plus faible. L'on entendit encore le sautillement gr?le d'un fiacre qui parut, les feux allum?s, le cocher endormi sous son chapeau de cuir bouilli blanc pareil ? un seau de toilette, le menton dans le cou, le fouet au repos, les rosses ext?nu?es, tr?buchant, faisant cahoter la guimbarde sur la chauss?e, puis le bruit s'effa?a, le vacarme des volets qu'on pose s'?teignit, le quartier s'endormait, tout se tut.

Cyprien continuait ? rognonner dans sa barbe; il s'exasp?rait de plus en plus, apr?s la soir?e qu'il avait subie. Il attaquait les boissons, les femmes, pr?tendait que le punch avait ?t? achet?, tout fait, chez un ?picier et coup? d'eau pour le d?sinfecter; il niait le charme des fillettes tapotant de la musique ou becquetant des glaces, il se moquait du ma?tre de la maison, debout, pr?s du piano, charg? d'ex?cuter des sourires et il reprenait:

--Ah! elles sont jolies les soir?es de ton oncle! une vraie bousculade de salle ? bagages! il n'y a que les gens qui graissent les cartes qui aient le droit de s'asseoir! et ils sont l?, avec des t?tes dont les cheveux ont fui, des compresses blanches autour du cou, des ventres enfl?s, sangl?s dans des pantalons tendus, retenant les envois d'une digestion p?nible! et le salon, avec sa tapisserie de vieilles dames qui dorment le long d'un mur ou jacassent le nez sur un verre, et l'averse des conversations, la flu?e des sornettes, la pluie sans fin des polkas et des valses! et tout, tout, et cette troupe d'imb?ciles qui invitent des robes roses ou blanches ? secouer leurs plis! et les jeunes filles donc! ces adorables r?cipients de chairs neuves o? les vices transvas?s des m?res se rajeunissent! ah oui, parlons-en! il faut les voir quand elles remuent du pilon leurs jupes! le mouchoir sur les genoux et la moue au bec, elles sont l?, se tortillant sur leur chaise, ?changeant derri?re les entrechats de l'?ventail des ricochets de niaiseries sordides, chuchotant comme des galopines en classe, s'envolant tout ? coup avec l'affreux bavardage des perruches qu'on l?che! puis, c'est le plongeon des graves r?v?rences, c'est le nez qui se fripe et le dentier qui flambe, c'est des oui, maman, c'est des non, ma ch?re, c'est des patati, c'est des patata, c'est des rires f?t?s, des ?clats discrets... les jeunes filles! je les ai observ?es ce soir, tiens, les v'l?: physiquement: un ?ventaire de gorges pas m?res et de s?ants factices; moralement: une ?ternelle morte-saison d'id?es, un fumier de pens?es dans une caboche rose! oui, les v'l?, celles qu'on me destine, esp?rant qu'un jour viendra o?, lass? de lire dans mon lit et d'y fumer tranquillement ma pipe, j'accepterai la mis?re d'un coucher ? deux, l'insomnie ou le ronflement d'un autre, les coups de coude et les coups de pieds, la fatigue des caresses exig?es, l'ennui des baisers pr?vus!

Andr? souriait.

--Ah bien mais, dit-il, c'est tr?s simple alors.--Cons?quence de tes th?ories: la mise en fourri?re de toutes les passions, l'apoth?ose de la fille publique--les cabinets ? trois sous de l'amour!--et par-dessus le march?, la glorification de la femme de m?nage qui vous chipe la bougie et le sucre!

Oui, c'est amusant d'allumer des paradoxes, mais il est un moment o? les feux de Bengale sont mouill?s et ratent!--On ne rit plus alors--je me suis mari?, parfaitement, parce que ce moment-l? ?tait venu, parce que j'?tais las de manger froid, dans une assiette en terre de pipe, le d?ner appr?t? par la femme de m?nage ou la concierge.--J'avais des devants de chemise qui b?illaient et perdaient leurs boutons, des manchettes fatigu?es--comme celles que tu as l?, tiens--j'ai toujours manqu? de m?ches ? lampes et de mouchoirs propres.--L'?t?, lorsque je sortais, le matin, et ne rentrais que le soir, ma chambre ?tait une fournaise, les stores et les rideaux ?tant rest?s baiss?s ? cause du soleil; l'hiver c'?tait une glaci?re, sans feu, depuis douze heures. J'ai senti alors le besoin de ne plus manger de potages fig?s, de voir clair quand tombait la nuit, de me moucher dans des linges propres, d'avoir frais ou chaud suivant la saison.--Et tu en arriveras l?, mon bonhomme; voyons, sinc?rement, l?, est-ce une vie que d'?tre comme j'?tais et comme toi, tu es encore? est-ce une vie que d'avoir le coeur perp?tuellement barbouill? par les crasses des filles; est-ce une vie que de d?sirer une ma?tresse lorsqu'on n'en a pas, de s'ennuyer ? p?rir quand on en poss?de une, d'avoir l'?me ? vif quand elle vous l?che et de s'emb?ter plus formidablement encore quand une nouvelle vous la remplace? Oh non, par exemple! B?tise pour b?tise, le mariage vaut mieux. ?a vous affadit les convoitises et ?mousse les sens? eh bien, quand ?a n'aurait que cet avantage-l?! et puis, et puis, mon cher, c'est une caisse d'?pargnes o? l'on se place des soins pour ses vieux jours! c'est le droit de soulager ses rancunes sur le dos d'un autre, de se faire plaindre au besoin et aimer parfois!

Ah! s'il existait un ?m?tique qui vous fasse rendre toutes les vieilles tendresses qu'on a l?-dedans! certes, ce serait le r?ve, mais comme c'est impossible, le plus sage est encore de risquer la chance, de tenter d'?tre heureux avec une femme qu'on suppose avoir ?t? bien ?lev?e et qu'on croit honn?te.--Mais diable, je commence ? l?cher des tirades comme toi, et avec toutes ces discussions, il est une heure moins vingt, je vais te souhaiter le bonsoir et rentrer chez moi.

Cyprien ne paraissait gu?re dispos? ? gagner son lit.

--Tu as bien le temps, disait-il, les autres fois lorsque tu vas en soir?e et que ta femme n'?tant pas gripp?e t'accompagne, tu ne reviens jamais de chez les D?sableau avant trois heures. Hein? avoue que tu as eu une fi?re chance de m'avoir rencontr?, dans cette salle de chauffe, je t'ai oblig? ? prendre la fuite. C'est trois heures que je t'ai donn?es, rends-moi l'une des trois et viens faire un tour.

--Oh! dit Andr?, je t'en donnerais bien huit ou dix, si je n'?tais pas aussi fatigu?. Je devais aller, pour mon roman, voir l'effet d'un abattoir au petit jour et j'ai pr?venu ma femme qu'elle n'ait pas ? m'attendre demain avant onze heures, mais je renonce, malgr? tout, ? la promenade, je suis moulu, j'ai froid et puis il va pleuvoir, viens, allons nous coucher.

Mais Cyprien ne se tenait pas pour battu; il insistait, appuyant sur la paresse de son ami qui ne parviendrait jamais, une autre fois, ? se lever d'aussi bonne heure.

Andr? en convenait. Il le savait parbleu bien, puisqu'il avait justement choisi le jour o?, ne se couchant pas, il serait debout, d?s l'aube! mais Cyprien d?bita ses raisonnements en pure perte, son ami tint bon, continua son chemin et arriva devant sa maison. L? il fit vibrer le timbre et s'accota au mur, attendant que la porte s'ouvr?t, ?coutant au loin l'appel aigre de la sonnette, le coup mat du cordon, le craquement du vantail, pr?t ? c?der.--Le portant avait ?t? inutilement tir?--alors il lan?a un carillon qui dansa dans la nuit et le p?ne l?chant la serrure, claqua. Il serra la main de Cyprien et referma la porte.

Il frottait une allumette, se d?fiant du paillasson, du d?crotte-pieds qui faisaient saillie ? la premi?re marche et il montait rapidement avec la h?te de l'individu qui se r?tit les doigts et ne serait pas f?ch? de se mettre ? l'aise.

Il doublait les enjamb?es, suivant d'une main la rampe, et le mur en volute de l'escalier brillait avec ses jaspures de faux marbre, dans l'ombre, ? mesure que le vent attisait l'allumette ou l'?teignait presque.

A chaque palier, les boutons de cuivre des portes ?tincelaient, puis, aussit?t que la flamme ?tait morte et que le bois se consumait en braise, un point rouge se piquait sur le vernis des murs.

Lorsqu'il fut entr? dans l'antichambre et qu'il eut pris un bougeoir plac? sur un pi?douche, il s'avan?a avec pr?caution, craignant de r?veiller sa femme. Il eut beau marcher sur la pointe des pieds, ses bottines craqu?rent.

Il s'arr?ta soudain, ?tonn?, entendant un heurt amorti, comme un objet qui tombe sur une chose molle, comme un choc de talons nus sur un tapis. Il pensa que sa femme ?tait plus souffrante ou qu'elle se relevait pour chercher un mouchoir ou satisfaire un besoin autre, mais une rumeur effar?e, un chuchotement de paroles suffoqu?es par l'angoisse, des mots prononc?s presque haut, puis balbuti?s avec un ton de pri?re, d'autres, ? peine distincts, comme m?ch?s par des dents qui se serrent, lui arriv?rent.

Il appr?henda un malheur, franchit le salon, s'?lan?a dans la chambre, vit, pr?s du lit d?fait, un homme en chemise, affol?, tournant, culbutant les meubles, tirant ? lui un fauteuil pour s'abriter, emp?ch? par une chaise plac?e derri?re. La femme ?trangla un cri, se renversa, stupide, les yeux agrandis, hagarde.

Andr? ?touffa un nom de Dieu!

On sentait, dans la pi?ce, une d?route effroyable, une panique immense. L'homme ne bougeait, respirant ? peine, la femme frissonnait, ?perdue, appuy?e sur le bord du lit, les jambes et les seins ? l'air, la main droite pendante, la gauche cramponn?e au drap.

Tous restaient immobiles, muets. Alors dans le grand silence de la chambre, la main d'Andr?, tenant la bougie, trembla et la bob?che tapant la plate-forme de cuivre tinta doucement.

Ce bruit l?ger sembla secouer la stupeur accabl?e de la femme; elle eut un long soupir, voulut parler, chercha la salive, n'en trouva pas, remonta sa chemise, cacha sa gorge.

Andr? avait d?pos? le flambeau sur une table; il semblait ind?cis, se promenait de long en large, s'arr?tait crisp?, bl?me, d?visageant sa femme. Le bruit plus vif, plus amorti de ses pas, selon qu'il se rapprochait, marchant sur le plancher ou s'?loignait, foulant un tapis, s'entendait seul.

Un filet de vent venait d'une crois?e pouss?e contre et faisait fignoler et couler la bougie. Une azal?e, dans un cache-pot de fa?ence, se d?fleurait, ?parpillant gouttes ? gouttes sur les bouquets r?s?da d'une carpette ses p?tales tach?s de sang; un jupon, jet? sur le dos d'une chaise, descendit lentement, s'?tala ainsi qu'une mare blanche sur le parquet. Une odeur p?n?trante de femme dont les bras sont nus emplissait la pi?ce, une bouff?e tr?s fine de frangipane vint s'y m?ler, ?voquant les soins discrets des toilettes galantes, les luxes, perdus depuis le mariage et retrouv?s maintenant, des eaux teint?es d'opale qui baignent les bleus roseaux imprim?s dans le fond des larges cuvettes.

Lorsqu'Andr? interrompait sa marche, la pendule jasait clairement, jetant son tictac monotone, coup? net par la plainte d'un meuble, par la corde d'un store qui frappait aux vitres.

Andr? fit un pas, s'arr?ta devant sa femme. Il s'effor?ait d'?tre calme, mais les mots saccadaient, passant par sa voix trembl?e.

--Une heure du matin, dit-il; il est temps que pour sauver les apparences, Monsieur se rhabille et parte.

Le Monsieur eut un geste vague. La femme plia encore les ?paules, sa main s'ouvrit et le drap qu'elle pressait se d?tendit, doucement, comme un linge humide.

--Allons, Monsieur, poursuivit Andr?, il faut en finir, je n'ai nul int?r?t, moi, ? contempler vos formes, la situation est suffisamment ridicule, mettons-y un terme.

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