Read Ebook: Souvenirs d'une actrice (1/3) by Fusil Louise
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Ebook has 437 lines and 37927 words, and 9 pages
--Vous le trouverez bien plus dr?le encore, quand vous le conna?trez mieux. Il est fort gai, nullement p?dant, et surtout fort galant avec les dames. Toutes les jolies femmes en raffolent.
--Je suis bien heureuse de ne pas ?tre du nombre des jolies femmes, car je serais bien f?ch?e d'en raffoler.
Cette f?te fut tr?s belle, tr?s bien entendue, et une des derni?res donn?es dans cette r?union, car les grands ?v?nements approchaient. C'?tait au moment o? les ambassadeurs de Tippoo avaient excit? la curiosit? g?n?rale. Quelques-uns de ces messieurs arrang?rent ? ce sujet une petite sc?ne charmante. Ils s'?taient procur? des costumes exacts et d'une grande magnificence. M. de Vauquelin, connu par son savoir dans les langues orientales, dit ? madame de Chambonas qu'il avait voulu leur servir d'interpr?te et d'introducteur. Il ajouta que ces illustres ?trangers, ayant vu ce qu'il y avait de plus int?ressant en France, n'avaient pas voulu passer aussi pr?s de l'habitation d'une des plus jolies et des plus aimables dames, sans lui ?tre pr?sent?s et lui offrir quelques objets rares de leur pays. C'?tait le jour de la f?te de la marquise, et cette galanterie du vicomte de Rouhaut fut trouv?e de tr?s bon go?t. La sc?ne fut si bien amen?e et si bien ex?cut?e, que beaucoup de personnes y furent tromp?es, et que l'on vint me chercher dans mon pavillon pour que je pusse voir incognito les ambassadeurs; mais je reconnus bient?t Saint-Georges dans l'ambassadeur cuivr?. Ils ?taient tous trois d'excellents acteurs de soci?t?.
Ah! Je n'en peux pas revenir!
Madame de Chambonas vint me remercier et m'adressa les choses les plus obligeantes.
--Je vous prierai seulement, madame, me dit M. Millin, de ne pas trop d?ranger mes petites b?tises que vous verrez sur une grande table, des papillons, des scarab?es, des plantes dans un grand livre.
--Oh! monsieur, j'aurai beaucoup de respect pour votre herbier; j'herborise quelquefois.
--Comment, madame, vous vous occupez des fleurs! Nous herboriserons ensemble; cela me r?ussira peut-?tre mieux que le chant.
--Je le crois, lui dis-je en riant; et c'est alors moi qui vous demanderai des conseils: nous changerons de r?le.
C'est depuis ce temps, en effet, que cette occupation m'a tant int?ress?e et m'a fait une heureuse distraction dans nos jours de malheur.
Je ne me doutais gu?re que cet homme, qui m'avait fait une si burlesque impression au premier abord, serait plus tard un de mes amis les plus intimes, et dont le souvenir me sera toujours cher. Je n'attendis pas si long-temps pour appr?cier ses qualit?s aimables et solides. Lorsqu'il fut arr?t? en 93, ce fut par un singulier moyen que je pus l'avertir de ce qui l'int?ressait.
La marquise de Chambonas ?tait le type des petites ma?tresses. Il existait alors parmi les femmes du grand monde, du monde ?l?gant, un instinct de coquetterie, bien autre que celui d'aujourd'hui, les choses ?taient moins s?rieuses, le si?cle plus frivole, on faisait du plaisir sa principale affaire. Les femmes s'occupaient peu de litt?rature; tout se concentrait chez elles dans un insatiable d?sir de plaire, de briller, d'?clipser une rivale par sa beaut?, son ?l?gance. On mettait son ambition ? faire parler de son bon go?t, d'une toilette que personne n'avait encore vue, et que l'on se h?tait de quitter aussit?t qu'elle avait ?t? adopt?e par d'autres. On aimait les lettres, la musique par ton, on prot?geait les arts sans y attacher d'autre importance que celle de la mode; on les effleurait pour soi-m?me. Il entrait dans l'?ducation d'une demoiselle du grand monde d'apprendre le piano, la harpe, le dessin; mais une fois mari?e, on ne s'en occupait plus. Une femme jolie pensait, ainsi que la chansonnette de ce bon M. Delrieu, que
D?s l'instant qu'on pla?t on sait tout.
L'art de la coquetterie se portait essentiellement sur l'arrangement des draperies, sur le choix des couleurs de l'ameublement qui devait s'harmonier avec le teint, les cheveux, le plus ou moins de fra?cheur de la petite ma?tresse qui en ?tait entour?e. Quoi de plus choquant, par exemple, que la couleur jaune pour une blonde, verte pour celle qui a le sang pr?s de la peau? On calculait la mani?re d'ouvrir un rideau, d'assombrir ou de masquer une trop vive lumi?re; un abat-jour dispos? avec art emp?chait l'?clat des bougies de porter l'ombre sur la figure, de fa?on ? creuser les traits. Le fauteuil, le canap? se pla?aient dans un jour favorable; enfin un peintre ne met pas plus de soin ? faire valoir son tableau, qu'une jolie femme n'en apportait ? pr?voir ce qui pouvait lui nuire ou la rendre plus gracieuse.
La chambre ? coucher ?tait d'une ?l?gance recherch?e, car l'usage permettait d'y recevoir des visites avant son lever. Les ruelles ont ?t? chant?es par les po?tes du temps, et c'?tait le temple o? se prodiguait le premier encens. Lorsqu'une dame sonnait ses femmes, la premi?re cam?riste, dont le petit bonnet, le chignon, le toupet et le caraco, ne la mettaient pas en rapport avec la ma?tresse, cette femme de chambre, leste et adroite, prenait dans un carton une baigneuse, et rempla?ait le bonnet froiss? de la belle dormeuse, lui passait un frais manteau de lit; pendant ce temps ses femmes enlevaient le couvre-pieds de satin piqu?, les oreillers, et faisaient succ?der des mousselines brod?es, orn?es de dentelle, et pos?es sur un taffetas de la couleur des rideaux. Ces arrangements termin?s, on jetait des parfums dans l'ath?nienne, on pla?ait des fleurs sur les consoles, des jardini?res aux deux c?t?s du lit; on entrouvrait les doubles rideaux assez seulement pour pouvoir jeter un coup-d'oeil sur le roman envoy? la veille, ou les billets d?pos?s sur le gu?ridon.
En Angleterre il serait de la plus grande inconvenance de recevoir aucun homme dans la chambre ? coucher d'une dame. Le m?decin n'y entre que lorsqu'il y a impossibilit? qu'elle vienne dans son parloir; le p?re y est seul admis, les fr?res rarement ont ce privil?ge, les cousins jamais.
Vers deux heures les visites arrivaient; c'?taient des femmes d'un moins grand monde qui sortaient dans la matin?e, et quelques ?l?gants courant les ruelles en n?glig? de cheval. Le gilet, la cravate et le chapeau rond n'?taient tol?r?s que le matin chez les dames. On parlait de ce que l'on ferait dans la journ?e; on racontait des nouvelles de salon; on m?disait un peu pour ?gayer la conversation.
Lorsque tout le monde ?tait parti, la belle dame s'habillait d'une redingote du matin, et passait dans son oratoire.
Ce r?duit mystique ?tait ?clair? d'une lampe d'alb?tre en forme de globe, qui projetait une lueur p?le, semblable au cr?puscule du soir. Sur un petit autel entour? de fleurs, on voyait un crucifix et une image de la Vierge; vis-?-vis ?taient un prie-Dieu recouvert d'une draperie en velours et le coussin pareil; un livre d'Heures orn? de belles images et ferm? par des crochets d'un travail pr?cieux; sur une tablette se trouvaient r?unis les sermons de Bossuet, de Massillon, de Fl?chier; des m?ditations et autres livres saints: des cassolettes o? br?laient des parfums, embaumaient ce lieu consacr? ? la pi?t?.
C'est l? que l'on venait se recueillir dans les jours de bonheur, se consoler dans les jours de tristesse.
Les dimanches et f?tes, les dames assistaient ? la grand'messe; dans le car?me, au sermon du pr?dicateur en renom; un laquais portait devant elles le coussin et le livre d'Heures; car alors, les femmes de tous les rangs ne n?gligeaient jamais les devoirs de la religion: elles auraient pu y apporter moins d'ostentation, mais l'?glise et ses pasteurs ?taient entour?s d'un si grand luxe, que celui des femmes pouvait s'excuser.
Lorsqu'une dame quittait son oratoire, elle mettait un l?ger peignoir et passait dans son cabinet de toilette. Ce joli boudoir avait ses ornements particuliers; les parois ?taient garnies de gravures des modes qui s'?taient succ?d? et qui paraissent toujours ridicules lorsqu'elles sont pass?es. On se dit, ah! bon Dieu! comment, j'ai port? cela, moi?--Oui, Madame, et vous ?tiez charmante avec cette coiffure.--Cela n'est pas possible. Une toilette ? la duchesse ?tait couverte d'essences, de poudres, de bo?tes en laque ou en vermeil, de coffrets d'ivoire merveilleusement travaill?s, de flacons en verre de Boh?me; enfin de tout ce que l'art peut inventer de plus ?l?gant et de plus riche. Des sachets parfum?s, un sultan, des bouquets artificiels s'offraient de tous c?t?s. Des glaces entour?es de petits tableaux de Boucher; au plafond des Amours et des Gr?ces, des bergers et des guirlandes et une petite chemin?e ? colonnettes. Tel ?tait l'arrangement de cet asile ?clair? d'une mani?re savante. Alors on livrait sa t?te ? son coiffeur, qui attendait depuis une heure; c'?tait un ?l?ve de L?onard. Ce professeur en lan?ait dans tout le grand monde. On le faisait jaser, car son babil ?tait amusant; il apportait quelque nouvelle ou trahissait quelques secrets de toilette confi?s ? sa discr?tion. On en riait sans penser qu'il en allait r?v?ler autant en sortant; mais on lui passait tout, et il en abusait: c'?tait le fou des reines de la mode.
Lorsque l'approche du printemps ramenait l'?poque de Longchamps, c'est alors que le luxe ?talait toutes ses merveilles. Cette r?union, bien plus brillante qu'aujourd'hui, ?tait une affaire s?rieuse pour les femmes du monde ?l?gant. La noblesse, la robe et la finance formaient trois classes bien distinctes, et les costumes, en voulant m?me s'imiter, ne se ressemblaient pas.
On faisait une demi toilette pour aller ? la promenade. C'?tait une redingote large et crois?e de taffetas, garnie en blonde, la cal?che balein?e et le demi-voile pour att?nuer le grand jour. L'hiver, la douillette de satin et le capuchon blanc, le manchon ou l'?ventail.
On trouve dans nos vieilles chroniques que l'abbaye de Longchamps fut fond?e par Isabelle, soeur de saint Louis. C'est l? que l'on entendit les premiers concerts spirituels; ils s'y donnaient les mercredi, jeudi et vendredi saints. C'?tait la nuit. Les voix les plus m?lodieuses chantaient les cantiques. Les jeunes filles qui c?l?braient les louanges de Dieu ?taient cach?es par un rideau; ces hymnes c?lestes semblaient le concert des anges. Ces concerts furent supprim?s par l'archev?que, mais non la promenade. Bient?t ce ne fut plus une mode, mais une fr?n?sie. Les concerts se donnaient ? l'Op?ra; il n'y avait pas d'autre spectacle dans la semaine sainte.
On peut penser d'apr?s le go?t des dames pour le luxe, que c'?tait surtout ? Longchamps qu'il ?talait toutes ses merveilles. Long-temps ? l'avance, on ne songeait qu'? inventer quelques modes, dont personne n'e?t encore eu l'id?e; on se cachait de son coiffeur comme d'un tra?tre capable de livrer les plans de la tactique f?minine qu'il ne devait conna?tre qu'au moment de les ex?cuter. La marchande de modes, la tailleuse, ?taient achet?es ? prix d'or, et venaient passer des heures ? concerter l'attaque; elles se r?unissaient en conseil de guerre. On ?tait s?r de la victoire.
Il arrivait cependant , qu'il ?tait vendu ? celle qui doublait le prix; alors ce n'?tait pas seulement une d?faite, mais une d?route compl?te, un v?ritable d?sespoir. Quelle honte d'arriver ? Longchamps, ou au retour dans un salon, et d'y apercevoir cette coiffure, cette robe, qu'on avait r?v?es, compos?es avec autant de soin qu'une d?claration de guerre ou un trait? de paix! On rentrait chez soi humili?e, le coeur froiss? d'avoir ?t? pr?c?d?e ou suivie, apr?s tant de temps employ? ? cette oeuvre myst?rieuse! N'avoir ?t? vue que la seconde, c'?tait un v?ritable guet-apens, surtout si la comparaison avait pu ?tre un moment douteuse. Oh! alors c'?tait un chagrin si r?el, que les amis se croyaient oblig?s de venir le lendemain consoler la d?sol?e, la distraire, car cet ?v?nement avait eu du retentissement, on savait qu'elle n'avait point paru au souper, ces soupers qui s'animaient toujours par son esprit et ses mots piquants. La migraine avait ?t? horrible. Ses adorateurs n'avaient pu parvenir ? lui faire oublier cet affront sanglant, qui la rendait la fable des salons. Quant au mari, on n'en parle pas; il paraissait ? peine, un moment dans le salon de Madame, et il e?t ?t? du plus mauvais ton de souper avec elle. Il allait faire le Sigisb? chez une autre, la consoler peut-?tre d'un semblable ?chec, dont il avait plaisant? sa femme: ce qui avait prodigieusement augment? son humeur. Elle ne reparaissait qu'au bout de quelques jours dans un n?glig? de malade. Car c'?tait encore l? un des grands ressorts de cette coquetterie perdue ? tout jamais.
Ce n?glig? n'?tait pas celui du matin, ni des jours ordinaires; il ?tait calcul? de mani?re ? annoncer une indisposition, ou une convalescence, ? inspirer enfin un grand int?r?t. Lorsqu'on voyait une beaut? du jour avec un long peignoir de mousseline garni de dentelle et tombant sur des petits pieds chauss?s de pantoufles piqu?es ou fourr?es; une grande baigneuse sous laquelle les cheveux relev?s avec un peigne et couverts d'une demi poudre laissaient ?chapper quelques boucles de c?t?; de longues manches ferm?es au poignet par un ruban; un fichu nou? de m?me; un petit mantelet blanc ouat?; un capuchon ou une cal?che: tout cet arrangement qui avait un cachet particulier, ne pouvait d?signer qu'une jolie femme indispos?e. Aussi ne s'y trompait-on pas: on accourait pr?s de la charmante malade, qui oubliait bient?t son air dolent au r?cit de mille folies dont on cherchait ? la distraire. Elle ?tait toujours accompagn?e d'une amie, ou d'une dame de compagnie qui n'?tait jamais trop jolie. On ne la quittait qu'apr?s l'avoir remise dans sa voiture et lui avoir fait promettre de venir le soir dans sa loge grill?e, ? l'Op?ra ou ? la Com?die-Fran?aise, dans ce charmant n?glig? de malade qui lui allait ? ravir, et auquel elle ne manquait pas cependant de substituer une redingote de taffetas et une baigneuse en blonde sur laquelle on posait une l?g?re coiffe en gaze de laine claire qui se nouait sous le cou. On a perdu le secret de ces gazes qui allaient si bien, et qui ne ressemblaient nullement ? celles que l'on nomme ainsi maintenant; elles ?taient d'un blanc un peu roux, et les fils en ?taient tiss?s comme ceux d'une toile d'araign?e. Le moyen de reconna?tre ? pr?sent un costume de malade ou de bain, quand toutes les femmes, le matin comme le soir, sont v?tues de m?me, ? peu de chose pr?s et encore, les modes s'y ressemblent-elles.
? cette ?poque les filles ?taient les seules qui imitassent les grandes dames, et plus d'une La?s ou d'une Phryn? aurait pu soutenir la comparaison avec les beaut?s de l'antique Gr?ce. Leur luxe surpassait souvent celui des femmes de qualit?, dont les maris bl?maient la d?pense tout en prodiguant l'or ? leurs ma?tresses.
C'est au milieu de cette vie frivole et inoccup?e que la R?volution vint fondre tout-?-coup sur cette soci?t? si futile, et s'abattre sur la t?te de ces faibles femmes comme un vautour sur de pauvres colombes.
La frivolit? peut ?tre dans l'esprit sans attaquer le coeur ni d?truire l'?nergie. Nos brillants colonels parfum?s, qui s'?tablissaient devant un m?tier de tapisserie et d?coupaient des oiseaux et des clochers avec une adresse qui faisait l'admiration des belles, n'en avaient pas moins de valeur au jour du danger, et le jeune d'Assas, ce D?cius fran?ais, qui sous le feu et les ba?onnettes, cria: < moi Auvergne, voil? l'ennemi!>> ?tait probablement un charmant ?l?gant de salon.
Je revis M. Millin chez Julie Talma, ? laquelle il n'avait pas manqu? de raconter son peu de succ?s aupr?s de moi dans le genre lyrique, ? la f?te de la marquise de Chambonas. M. Millin ?tait un homme d'un commerce agr?able, savant sans p?danterie, d'une activit? inconcevable, faisant marcher ensemble des habitudes de soci?t? et son travail d'antiquaire du cabinet des m?dailles ? la Biblioth?que-Royale, dont il ?tait conservateur; ses cours de botanique, d'antiquit?s, d'histoire naturelle, ses recherches sur les manuscrits et son Magasin encyclop?dique. Son aimable caract?re, sa ga?t? in?puisable, le faisaient rechercher des jeunes femmes, parce qu'il les amusait. Tout au travail le matin, tout au plaisir le soir, il en jouissait comme un homme qui a besoin de distraire son esprit d'une application fatigante; mais aussi il ne fallait pas s'aviser de venir l'interrompre dans ses graves occupations, pour lui demander un ouvrage, pour mener quelques dames au cabinet des antiques, ? une heure inaccoutum?e.
Il me fit un matin cette r?ponse laconique: <
M. Millin ?tait un ami d?vou? et d'excellent conseil; je lui dois beaucoup, car il m'a donn? l'amour de l'?tude. Ce plaisir survit ? la jeunesse, il emp?che de s'apercevoir de la marche du temps, fait supporter la mauvaise fortune et rend philosophe sans qu'on s'en doute. Lorsqu'on vit dans le souvenir du pass? en s'occupant du pr?sent, on r?ve un avenir meilleur, qu'on ne verra peut-?tre pas, mais il semble qu'un g?nie bienfaisant vous le montre dans le lointain; la vie se termine en r?vant ainsi.
Je faisais chaque jour de nouvelles d?couvertes. C'?tait une mani?re d'?crire en chiffres d'une esp?ce bizarre. Quand j'eus bien class? toutes mes richesses, je fus, toute fi?re de mon savoir, m'en vanter ? M. Millin qui se moqua de moi, comme on peut le penser.
--Vous ?tes folle, me disait M. Millin, vous vous occupez de niaiseries, plut?t que de choses utiles.
Je me trouvai fort d?sappoint?e, et me promis bien ? l'avenir de ne plus faire part de mes d?couvertes ? ce s?v?re professeur.
Cependant, il ?tait un peu comme ces maris qui se moquent de leurs femmes, en les voyant tirer les cartes, et qui regardent de c?t?.
Notre sorcellerie ?tait bien innocente. H?las! il ne pr?voyait pas alors que cette folie dont il se moquait, deviendrait plus tard un moyen de communication pour donner des avis pr?cieux ? des amis renferm?s dans les prisons, dans celle surtout du Luxembourg, dont la position permettait de s'apercevoir de loin.
Tous les jours cette all?e du milieu, qui fait face au palais, ?tait remplie de femmes, d'enfants, de vieillards; on se voyait ? peine ? travers des carreaux grill?s, mais le coeur devinait ce que les yeux n'apercevaient qu'avec difficult?. On errait le soir comme des ombres silencieuses. Une corde tendue emp?chait d'avancer, et des sentinelles plac?es de distance en distance ?piaient le coup-d'oeil ou le mouvement furtif de ces malheureux.
Cependant on trouvait moyen de tromper leur vigilance. C'est d'une de ces fen?tres que M. M. de C. guettait un regard d'une jeune et belle femme qui donnait la main ? un joli enfant, et en portait un autre pr?s de devenir orphelin. Elle m'inspirait un vif int?r?t; elle s'en aper?ut et chercha les moyens de venir causer avec moi. Le malheur rend communicatif. Ayant remarqu? que j'avais toujours des fleurs ? la main, elle m'en demanda le motif, et je lui racontai ce que j'ai dit plus haut. On peut penser combien elle fut charm?e de cette d?couverte. De ce moment, nous ne nous occup?mes plus que des moyens de faire parvenir un alphabet de fleurs. Ce n'?tait pas chose facile, car tout paraissait suspect. Cependant, avec de l'argent, nous parv?nmes ? persuader un des hommes employ?s au service des prisons.
--Cela ne peut en rien vous compromettre, lui dis-je, il n'y aura aucun papier cach?. S'il y en avait, il vous serait bien facile de vous en apercevoir. Des fleurs, cela fait tant de plaisir ? un pauvre prisonnier! seulement ? les voir, ? les respirer! C'est un souvenir de sa femme et de ses enfants.
Enfin, ? force de p?rorer, il finit par y consentir. Nous parv?nmes au moins ? nous distraire par cette occupation, et nous consultions nos oracles. Je ne suis pas superstitieuse, mais le hasard produit quelquefois des rapprochements si bizarres, que, lorsqu'ils se rapportent ? notre pens?e, on est entra?n? sans m?me s'en apercevoir. Si l'on n'y croit pas, au moins cela charme un moment nos ennuis, surtout si nous y trouvons du rapport avec ce qui nous int?resse. Mais, lorsqu'on est accabl? sous le poids de l'adversit?, c'est alors que l'?me est plus entra?n?e ? la faiblesse; on croit d?couvrir une inspiration c?leste dans chacune des id?es qui frappent notre pauvre imagination malade. Casanova n'a-t-il pas cru voir le jour et l'heure de sa d?livrance dans l'arrangement et le nombre de lettres d'un vers italien? Si les plus grands hommes m?me se sont souvent laiss?s bercer par ces illusions, on peut bien nous les pardonner ? nous, faibles femmes, toujours s?duites par un sentiment.
Ce fut, h?las! par une scabieuse, symbole de veuvage, et un souci, que l'on m'apprit la mort de M. M. de C. Je la cachai le plus long-temps que je pus ? cette pauvre jeune m?re, qui ?tait dans son lit en ce moment, et fort heureusement incapable d'en sortir. Elle ne le sut que lorsque le char fun?bre emporta un si grand nombre de victimes, qu'il n'?tait plus possible de rien ignorer ni de tromper personne.
On n'a vraiment pas rendu assez de justice aux femmes de cette ?poque. J'en ai connu, vivant mal avec leurs maris, s'?tant m?me s?par?es d'eux pour diff?rence d'opinion. Et bien! lorsque ces m?mes maris se trouv?rent compromis, ou coururent des dangers, on les vit s'employer pour eux avec un z?le admirable, rester aux portes de ceux dont elles esp?raient la plus faible gr?ce, Par tous les temps, par toutes les saisons, cette malheureuse madame Dubuisson, si petite ma?tresse, si ?l?gante, courait dans la boue, par la pluie; par la neige, supportait toutes les intemp?ries des saisons, toutes les humiliations, pour porter quelque adoucissement au sort de son mari. Cela n'aurait eu rien d'?tonnant s'ils eussent bien v?cu ensemble, mais depuis long-temps ils ?taient s?par?s; elle habitait Bruxelles, et n'avait aucune relation avec lui. Elle accourut, lorsqu'elle le sut en p?ril; elle ne put le sauver, et mourut de douleur quelques temps apr?s lui. L'amiti? se r?veille, les torts s'oublient dans de pareils moments.
Les personnes que je rencontrais le plus fr?quemment dans la soci?t? de madame de Chambonas ?taient g?n?ralement remarquables par leur amabilit? et leur esprit. Plusieurs d'entre elles ont m?me jou? dans le monde un r?le assez important. Mais toutes n'avaient pas, comme M. Millin, les qualit?s solides qui inspirant la sympathie et l'attach?rent. Le comte de Tilly, auteur de la romance qui a eu une si grande vogue:
Tu le veux, je pars pour l'arm?e.
Le comte de Tilly avait, comme Champcenetz, un esprit mordant qui lui faisait de nombreux ennemis. Lorsqu'il prenait quelqu'un ? tic, il ?tait d'une amertume extr?me et disait des choses blessantes, s'embarrassant peu si ses pointes ac?r?es ne p?n?traient pas trop avant. Il fallait se garder de le provoquer, car il ?tait toujours sur la d?fensive et espadronnait ? droite, ? gauche. C'?tait un bel homme, de tournure ?l?gante, d'une figure distingu?e; aussi les femmes l'avaient g?t?, et malgr? beaucoup d'esprit et de tact, il ne pouvait ?viter un air de fatuit? et de distraction qui visait ? l'impertinence. Il a paru long-temps jeune; ? cinquante ans, on lui en aurait ? peine donn? trente. Avec tous les moyens de plaire, il d?plaisait.
Rivarol avait aussi quelque suffisance, mais il ?tait plus aimable; il prodiguait de ces mots heureux qui se retiennent et se r?p?tent.
Une femme aimable devant laquelle il avait dit qu'il n'aimait pas les femmes d'esprit; qu'il pr?f?rait une niaise, avec quinze ans et de la fra?cheur, lui avait ?crit ces vers sur son album:
Cette morale peu s?v?re S?duira plus d'un jeune coeur. Il est commode et doux de n'employer pour plaire Que ses quinze ans et sa fra?cheur. Mais un amant que l'esprit indispose Peut-il ?tre constant! oh! non! Celui qui, pour aimer, ne cherche qu'une rose, N'est s?rement qu'un papillon!
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